Dès que les deux silhouettes, celle de l'homme et celle du garçon, furent arrivées devant les immenses grilles - un euphémisme, pensa Artie - de l'Institut, celles-ci s'ouvrirent automatiquement. Le jeune homme ne parut pas s'en étonner et les franchit d'un pas nonchalant. Artie, lui, resta un instant bouche bée avant de rejoindre précipitamment son compagnon. Ils marchaient à présent le long d'un chemin semé de graviers pointus, sous le faible soleil. Les cheveux d'Artie volaient au vent, même s'ils n'étaient pas très longs.

Il regarda à droite, à gauche. Des enfants, des adolescents, épars sur la large pelouse bien verte, tournaient la tête vers le couple au fur et à mesure qu'ils passaient à côté d'eux. Le garçon baissa la tête, se sentant rougir. Il n'aimait pas qu'on le regarde comme ça. Il continua de marcher vite en espérant qu'ils arriveraient bientôt. Tout cela le mettait mal à l'aise, comme si... comme s'il entrait dans une nouvelle école où il ne connaissait personne. Ce qui était le cas.

Enfin, ils arrivèrent devant des portes en bois massif aussi grandes que le portail. Impressionnantes. Artie se sentait vraiment minuscule, lui qui n'était déjà pas bien grand. Les portes s'ouvrirent à leur tour dans un grincement sinistre, invitant les deux hommes à entrer.

Artie n'en croyait pas ses yeux. Ils se trouvaient dans un hall gigantesque. Tout était vraiment grand, ici ! A croire que ceux qui habitaient ici étaient des géants.

L'homme se tourna vers lui :

- Reste ici.

Il fit deux pas mais Artie lui lança :

- Comment vous appelez-vous ?

C'était plus fort que lui. Il avait fallu que ça arrive... il avait fallu...

L'homme, sans se retourner, lui répondit :

- Aaron.

Artie ouvrit la bouche, mais Aaron avait déjà disparu dans une pièce voisine... il se retrouvait seul, à présent.

[Aaron est parti chercher un responsable de l'Institut, ce serait sympa que quelqu'un puisse m'accueillir. ]

Aaron avait toujours été un chic type, quoiqu’un peu turbulent selon la mutante qui appréciait et de loin, le calme au bruit. Cela ne le dérangeait jamais de rendre service ou bien de rameuter du monde à l’Institut lors de ses ballades. Seulement… comme pour Samarah, emmener les nouveaux pour leur faire découvrir le tour du propriétaire, c’était pas trop son truc. Malheureusement, en tant qu’aînée, lorsque le plus jeune se déchargeait de ses responsabilités, la mutante n’avait guère l’opportunité de refuser à son tour. Elle devait assumer son rôle. Aaron lui ayant annoncé l’arrivée d’un élève, celui-ci s’éloignait déjà vers le parc de l’Institut. Samarah soupira. Bien. Quelqu’un l’attendait visiblement dans le hall. Et elle allait devoir l’accueillir…

Elle inspira une première fois. Puis une seconde fois. Avant de se rendre compte qu’elle serait de toute façon parfaitement incapable d’être aimable, même avec la meilleure volonté du monde. Plus précisément, elle n’en était plus capable depuis un mois. Et se sachant de forte désagréable compagnie en général, elle devinait aisément que supporter un Cerbère mal luné et surtout irascible ne devait pas être franchement agréable pour les autres. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, Samarah avait évité tout contact humain depuis la catastrophe de la TransAtlante, restreignant au minimum nécessaire ses entrevues avec Léon et Koyuki pour leur faire part de la situation, avouons-le, désastreuse de l’Institut face au drame qui s’était joué sur la plateforme transAtlantique. Etrangement, elle avait aussi soigneusement évité la moindre rencontre avec son ami des sables, sous peine de faire passer toute sa frustration accumulée depuis des semaines sur ses épaules… On se savait instable et surtout dangereuse ou pas.

C’est donc une petite silhouette, désagréablement maigre – son état ne s’arrangeant pas- qui fit bientôt face à… un gamin. Samarah se crispa. Génial ! Maintenant, elle en était certaine, elle ne pourrait plus éviter l’effarement habituel qu’elle provoquait lors de ses rares rencontres avec les nouveaux venus. Ses yeux sombres, bien que dénués de la moindre mauvaise intention envers l’enfant, le détaillèrent des pieds à la tête. En silence. Un silence froid. Ce silence précisément qui mettait ses interlocuteurs mal à l’aise d’ordinaire. La mutante soupira et s’avança finalement au centre du hall. L’enfant - quel âge pouvait-il bien avoir… 12 ou peut-être 13 ans ?- semblait perdu d’admiration pour les lieux. Un instant, la mutante espéra que cette fascination parvienne à noyer la crainte que susciterait probablement son apparition aux yeux de l’enfant, sans se faire énormément d’illusions malheureusement. Si elle était capable de mettre mal à l’aise des adultes, que pouvait bien ressentir un gosse face à un Cerbère à part de la peur ?

La mutante dont le visage pâle était à présent visible grâce à l’éclairage ambiant se racla la gorge pour signifier sa présence au jeune garçon, au cas où il ne l’aurait pas encore entendue arriver. Un œil averti aurait pu constater que tout son corps trahissait un sérieux épuisement qu’elle justifiait par une fatigue physique suite aux événements aux yeux de ses proches, en sachant pertinemment qu’il était avant toute chose psychologique. Ses faiblesses, qu’elle avait soigneusement dissimulées au cours des années, la rongeaient à présent trop intensément pour qu’elle puisse continuer ses mensonges avec autant d’aise que par le passé. Et ce triste constat lui était non seulement douloureux, mais aussi insupportable. Sa voix glaciale, enfin brisa le silence

"Aaron m’a averti de ta présence. Sois le bienvenu entre ces murs… Arthur, c'est ça ? Je m'appelle Sam'. "

Et maintenant, le moment de vérité… Effarement, hurlement ou simplement de la méfiance ? Samarah espéra malgré tout avoir une réponse. Après tout, même si elle ne s'était pas montrée très avenante, elle avait fait un effort.

Lorsqu'il vit revenir Aaron, Artie voulut lui demander ce qu'il faisait au juste, mais l'homme l'avait déjà dépassé et était ressorti dans le parc. Le jeune garçon continua de contempler la pièce, impressionné par autant d'espace. Il y avait peu de gens dans le hall, mais ils étaient tous occupés.

Un bruit le tira de sa rêverie : il tourna la tête et sentit son cœur fait un bond monumental dans sa poitrine. Une femme d'environ trente-cinq ans se tenait devant lui, mais elle semblait... harassée. Cette fois, Artie ne voulut pas savoir pourquoi. Elle l'intimidait bien trop. Il baissa la tête. Ses mains commençaient à trembler légèrement.

"Aaron m’a averti de ta présence. Sois le bienvenu entre ces murs… Arthur, c'est ça ? Je m'appelle Sam'. "

La femme avait dit cela d'un ton fatigué, empreint de résignation. Artie ne lui en voulait pas. Il ne savait même pas pourquoi il pourrait. Il ne la connaissait pas, ne connaissait rien de cet endroit. Toujours la tête baissée, il répondit à voix basse :

- Heu... bonjour. Je... heu...

Il perdait pied, il le sentait aussi sûrement que la femme le sentait aussi. Et sa timidité n'arrangeait rien.

- Je... je vais pas vous... heu... vous déranger... alors, heu... je vais m'en aller...

S'il avait été impressionné par l'endroit au départ, à présent il n'avait envie que d'une chose : en sortir.

Amabilité 0 – Sam’ 1 !
Ca… c’était fait.

Le gamin qu’elle toisait à présent de toute sa hauteur était pétrifié de terreur. Bien joué. Y avait plus qu’à rattraper la situation, maintenant. Bravo Sam’ ! La mutante regarda le jeune garçon, visiblement traumatisé par son apparition. Sans exagérer, il se décomposait à vue d’œil. Samarah s’avança doucement. Il était temps d’agir et de reprendre les choses en mains. Comprenant qu’il était à présent impératif de contrôler la situation, la mutante fut en mesure d’afficher un sourire sur son visage sombre. Mince sourire, mais pourtant bien là.

"Euh... Tu ne me déranges pas…, puis elle précisa, je sais que je ne suis pas très engageante mais c’est naturel chez moi. Ce n’est pas contre toi"

Cela ne le rassurerait peut-être pas mais au moins, elle l’avait dit. Samarah s’approcha doucement et après un court instant d’hésitation, posa sa main sur l’épaule du jeune garçon. Un geste de sa part suffisamment extraordinaire pour être souligné. Si Samarah évitait les contacts humains, elle ne cherchait pas non plus à les provoquer, en règle générale. Mais ici c’était différent. Elle faisait face à un enfant. Un être qui par définition –du moins le supposait-elle- avait besoin de douceur et de réconfort.

"Comme je te l’ai dit, l’Institut se fera un plaisir de t’accueillir. Les gens… je veux dire, nous pouvons t’aider. Si tu es là, ce n’est pas par hasard. C’est qu’une certaine particularité –plutôt visible dans ton cas- t’a amenée jusqu’ici. Non ? "

La mutante posa un regard aussi bienveillant que possible (chose, admettons le tout de suite, plutôt difficile) sur Artie avant de continuer

"Y a-t-il un endroit que tu as envie de visiter ? Peut-être as-tu faim ? Aaron ne m’a pas dit d’où tu venais, tu as du faire un long chemin si j’en crois ton état…"

Pas mal, Sam. Pas mal. Première leçon à apprendre dans l’étude de cas comportementaux ‘la mise en confiance d’autrui’

La mutante avait-elle réussit à mettre ses maigres connaissances de la chose en pratique ?

"Y a-t-il un endroit que tu as envie de visiter ? Peut-être as-tu faim ? Aaron ne m’a pas dit d’où tu venais, tu as du faire un long chemin si j’en crois ton état…"

Le garçon leva la tête vers la femme. Même si elle semblait un peu effrayante, elle ne semblait pas hostile, elle essayait même de paraître amicale. Cette simple tentative, bien que peu convaincante, suffit à rassurer Artie dont les mains cessèrent de trembler. Il se détendit, cligna des yeux et dit :

- Je viens de Londres. Est-ce que... non, je n'ai pas très faim... en fait, je voudrais...

Sa voix se réduit à un murmure, un peu gêné de faire cette exigence.

- ... dormir, si c'est possible.

Il se gratta la nuque et sentit de la peau partir, à nouveau. C'était plus fort que lui.

Bon point pour la mutante, Artie se tenait toujours devant elle. Il n’avait pas encore pris ses jambes à son coup. Bien. Peut-être s’améliorait-elle finalement. Un jour peut-être, qui sait, serait-elle capable de tenir une discussion sans donner envie aux personnes présentes en face d’elle de foutre le camp dans la pièce d’à côté. La mutante tenta de conserver son maigre sourire (c’est que ça rouillait les zygomatiques à force de ne pas servir). Chose étonnante, le jeune garçon n’avait pas faim. Etonnante car la cuisine se révélait bien souvent être le premier endroit que les nouveaux visitaient, comme s’ils y étaient irrésistiblement attirés. N’ayant pas un grand appétit, Samarah n’avait jamais très bien compris pourquoi, d’ailleurs.

Non, à la place, il voulait simplement se reposer. Dormir. Et il n’y avait pas qu’un seul endroit pour cela.

"Oh… je vois. Dans ce cas, je vais te montrer ta chambre. Suis-moi."

Et sans plus attendre la mutante entraîna l’adolescent sur ses pas, non sans vérifier qu’il ne perdait pas –trop- de peau. Car si elle n’en montrait rien, elle avait un œil sur tout. Les gratouillements d’Artie, qui à long terme risquaient fort probablement de l’énerver, ne lui avaient hélas guère échappé. Après un rapide détour par son bureau pour se procurer un pass, elle invita Artie à la suivre à l’étage. Ils parlèrent peu le temps du trajet, la mutante étant plutôt réputée pour son silence. Elle lui jeta néanmoins de temps en temps un coup d’œil pour s’assurer que le jeune garçon la suivait toujours. L’Institut pouvait paraître grand quand on ne le connaissait pas et il était encore assez facile de s’y perdre.

"Voilà, nous y sommes. Ta chambre est juste en face de celle de Virginie. Tu verras, elle est très gentille"

Un choix innocent ? En vérité, pas tout à fait. La mutante savait l’adolescente prévenante et aimable. Et elle devinait derrière sa timidité un contact facile avec les gens. Ou en tout cas, beaucoup plus instinctif que ne l’était celui de la Cerbère qui se complaisait la plupart du temps dans une solitude forcée. Quoiqu’il en soit, elle était certaine de trouver en Virginie une oreille attentive en cas de coup de blues de la part du jeune garçon. La mutante ouvrit la porte et laissa Artie découvrir sa nouvelle chambre

"Bien sûr, tu es libre de la décorer un peu… c’est un peu vide pour le moment. Et…"

La mutante s’interrompit soudain. Alertée, elle se retourna et jeta un coup d’œil au mur derrière elle, comme si son regard avait été capable de voir au travers. Une empreinte mentale trop bien connue venait de s’imprimer discrètement dans son esprit. Une empreinte colorée, qu’elle n’avait plus sentie depuis plusieurs semaines. Et si cette présence lui faisait d’ordinaire plaisir, elle ne savait pas si elle devait aujourd’hui s’en réjouir ou non. Après un instant d’hésitation, Samarah reporta son attention sur le nouveau pensionnaire. Elle venait finalement de décider qu’elle n’avait pas envie de la voir et bien malgré elle, la mutante chassa l’empreinte qu’elle sentit troublée de son esprit.

"… donc, je disais, si tu le désires, tu peux également te trouver un colocataire. As-tu encore besoin de quelque chose ?"


(Crée un topic de ta chambre pour la prochaine réponse^^)