Forum de Jeux de Rôle Futuriste - Inspiré des Mutants de Marvel (X-Men)
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Sujet: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Sam 23 Jan 2010 - 1:03
Décidément il fallait croire que depuis leur création, les compagnies aériennes avaient peu à peu régressé dans le respect des horaires de départ et d'arrivée. Apparemment, il fallait appliquer de nouvelles mesures de sécurité en vue d'un récent évènement et la compagnie avait offert des excuses aussi peu claires que confuses. Enfin, Gaël était arrivé sain et sauf sur le territoire britannique. Il avait ensuite pris un taxi et lui avait donné l'adresse de l'Institut. Le chauffeur s'était montré intarissable sur le sujet. Lui aussi était un mutant, sa mère avait été à l'Institut pendant un an, puis elle était venue à Londres, elle avait été heureuse d'apprendre que le Nouvel Institut serait dans cette ville, puis la pauvre avait décédé d'un cancer.
"Ah bon?"
Ah oui ç'avait été vraiment atroce pour cette pauvre femme, mais enfin elle était au paradis maintenant, Dieu veille sur son âme, car malgré tout ce que disait la propagande antimutante les mutants étaient des créations de Dieu, comme tout le monde Monsieur, et qu'il ne fallait jamais croire ce que vous disaient ces gens là de toute façon. Car nous aussi nous avons une âme, n'est-ce pas?
"Je n'en doute pas."
Mais tout va mal en ce moment on parle de plus en plus de choses étranges et... Ah, mais voilà l'Institut, ça vous fera 14,50£ Monsieur.
Gaël paya et laissa le taxi bavard partir faire de nouvelles victimes. Maintenant qu'il était devant la porte grillagée, son sac-à-dos et sa valise contenant toutes ses possessions lui semblaient bien peu. Sa main s'avança vers l'interrupteur, s'arrêta à mi-chemin. Puis il fronça les sourcils et appuya sur le bouton d'appel après une demi-seconde d'hésitation. Ce serait totalement stupide de rebrousser chemin maintenant.
La plupart de ses inquiétudes ressurgirent alors. Après tout, c'était la première fois qu'il quittait pour de bon le confort de la demeure familiale. Il repensa aux circonstance de son départ. Détail amusant, ses parents étant tous les deux à leurs travaux respectifs, il avait également dû prendre le taxi pour aller à l'aéroport. Mais celui-là s'était contenté de le saluer en guise de conversation.
Un évènement matériel interrompit ses divagations spirituelles, puisque la porte s'ouvrit en même temps que de l'interphone s'élevait une voix le priant instamment d'avancer. Gaël se mit en route vers le grand bâtiment, laissant son esprit divaguer.
De toute façon, il n'avait aucune raison de regretter son choix pour l'instant. Quand bien même le ferait-il, les regrets seraient inutiles. Au moins il avait agi avec l'espoir d'une amélioration, c'était mieux que se tourner les pouces.
Il arriva enfin devant la porte du Nouvel Institut, gravit les marches en soulevant sa valise. Au moment où il s'apprêtait à poser sa main sur la poignée, celle-ci fit un bond en arrière. Accompagnée du reste de la porte d'ailleurs, qui s'ouvrit rapidement. Gaël se retrouva face à un homme plutôt vieux, avec des lunettes et en costume. L'archétype du majordome.
*Incroyable, il a la même tête qu'Alfred dans les vieux films de batman.*
"Bonjour." Il lui serra la main. "Je m'appelle Alfred. Suivez-moi je vous prie, je vais vous montrer votre chambre."
Gaël se demanda un court instant si un mutant de l'Institut avait par hasard le pouvoir de matérialiser les personnages des films. Il ouvrit la bouche pour poser une question.
"Il n'y avait pas de caméras, dit Alfred, j'ai simplement hérité d'un talent me permettant de percevoir l'avenir immédiat."
Voilà qui répondait à la question informulée. C'était un pouvoir intéressant. Le majordome tenta de prendre sa valise.
"Je vous en pire, ce n'est pas la peine."
"Allons, je vois que vous allez me laisser prendre cette valise."
Ce faisant il effleura la main de Gaël, qui vit instantanément comment allaient se passer la prochaine minute : le majordome allait effectivement porter sa valise, et le mener à sa chambre, mais pendant tout le trajet il lui expliquerait de fond en comble les règles à appliquer. Gaël en avait déjà la nausée. Cependant le futur peut se modifier, surtout si on sait comment il va se passer. Par conséquent, au moment même où Alfred l'effleura, le futur changea, puisque Gaël prit une décision que cet effleurement dû au pur hasard lui offrait.
"J'ai une meilleure idée : vous allez simplement me donner la clef de la chambre 223, ne pas m'expliquer les règles que j'ai déjà entendues dans le futur qui était le plus probable il y a quelques secondes et me laisser porter ma valise." dit-il avec un sourire espiègle.
Son interlocuteur sourit également.
"Soit. Il y a déjà tout ce qu'il faut dans votre chambre."
Au moment où il retira sa main, Gaël perdit le contact avec l'avenir. Mais les souvenirs restaient. Il abandonna là le majordome qui s'empressa d'aller faire autre chose. Sur son trajet, les autres lui jetaient des regards intrigués. Ils étaient probablement intrigués par le fait de voir un pensionnaire qui avait toujours ses bagages et qui n'était accompagné de personne s'orienter aussi facilement dans l'immense bâtiment. Lorsqu'il arriva enfin à sa chambre, il mit la clef dans la serrure pour l'ouvrir. La porte laissa place dans son champ de vision à une petite chambre qui, à défaut d'être spacieuse, était confortable et bien aménagée. Il y avait des draps, avec un petit feuillet sur lequel était inscrit : "Vu que vous êtes seul, je vous laisse vous présenter à vos voisins. Je vous met également un petit récapitulatif des règles et heures de repas et d'extinction des feux." Sacré Alfred. Décidément, le personnage lui plaisait. Il prit cependant soudainement conscience que sa vision de l'avenir n'était de loin pas aussi claire que celle du majordome. Apparemment, sa faculté de copier les pouvoirs ne restituait pas la puissance d'origine du mutant copié. Il fit son lit, et décida de partir un peu en exploration. Il arpenta un peu les couloirs, pour pouvoir se repérer plus facilement dans le bâtiment. Sa chambre était voisine de la 221 et de la 225, et était en face de la 224. Pas besoin d'aller se présenter tout de suite, d'autant que leurs occupants respectifs n'étaient pas forcément là. Et puis Gaël avait envie de savourer encore quelques instants de solitude. Au hasard de ses allées et venues, il finit par tomber sur la cuisine.
*Ben tiens, juste au moment où j'ai un petit creux.* se dit Gaël, qui avait toujours un petit creux.
Il commença donc à reluquer d'un œil intéressé les placards. En même temps il hésitait, ne sachant pas s'il était bien vu de se servir tout seul. Surtout en dehors des repas. Il jeta un regard à sa montre, qui lui renvoya un 14h37 froid, mécanique et dépourvu du moindre intérêt envers sa personne et son existence. Alfred ne lui avait pas parlé d'une quelconque règle à propos du garde-manger. En fait techniquement Alfred ne lui avait presque rien dit. Cependant Gaël choisit sciemment d'ignorer ce détail pour ouvrir un paquet de madeleines fourrées à la fraise qui lui faisaient de l'œil.
Dernière édition par Gaël Calafel le Sam 23 Jan 2010 - 14:04, édité 1 fois
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Sam 23 Jan 2010 - 13:20
Depuis quelques semaines, la vie de Koji était devenue à la fois beaucoup plus agréable, et beaucoup plus douloureuse.
La nostalgie qui l'attachait encore à sa vie passée, en s'épuisant progressivement, lui laissait peu à peu le loisir de découvrir les horizons nouveaux qui s'offraient à lui, à mesure qu'une vie future se construisait où il prenait la mesure de son pouvoir, de ce pouvoir qui naissait indirectement de sa mutation, pouvoir tout social, institutionnel, mais en cela pouvoir dont les effets étaient plus durables que ne l'eussent été ceux d'une énergie brute dégagée contre le monde : s'élaborait lentement en lui l'idée que le monde qu'il avait longtemps poursuivi de ces désirs, aux ordres de qui il s'était soumis, pouvait le désirer autant, et même plus, que lui ne l'avait fait, et que c'était désormais à son tour de donner les ordres, d'abattre les cartes. Il n'était cela dit pas pressé de jouir de ces nouvelles possibilités, à la fois parce qu'il voulait en mesurer toute l'ampleur, et parce qu'il trouvait que la simple éventualité d'en pouvoir jouir un jour était déjà un plaisir suffisant, comme lorsqu'un pays se satisfait d'avoir une vaste armée dont il ne fait jamais l'usage.
Peut-être cette réticence à se lancer à nouveau dans le monde, en conquérant cette fois-ci, était-elle également induite par les derniers développements de son pouvoir : sa pensée s'était encore accélérée, multipliée, et les choses, les évènements, les êtres se combinaient dans son esprit plus rapidement et avec plus de complexité encore qu'ils ne l'avaient jamais fait, et il voyait plus loin, à la fois dans le passé les causes du présent, et dans le futur ses conséquences, de sorte que ce présent, qui était vraiment ce qu'il devait conquérir, se trouvait dilué dans un temps immense où il n'était plus qu'une poussière, et alors il devenait moins urgent.
C'était l'évolution de son pouvoir, aussi, qui avait rendu ces dernières semaines douloureuses. Depuis l'aube de son adolescence, Koji avait été habitué à l'emprise monstrueuse de sa mémoire sur le monde, à l'engrangement gargantuesque de connaissances, d'informations, mais il y avait encore, du moins, des choses qu'il oubliait, ou plutôt dont, ne les ayant pas remarquées, il ne se souvenait pas. Mais ces derniers jours, tout, tout ce qu'il avait vu s'inscrivait dans sa mémoire de façon indélébile et, comme il était capable de penser à une infinité de choses à la même seconde, tout ce qui entrait dans son champ de vision, il le remarquait, et son esprit en prenait note. Ce n'était d'ailleurs pas cette inscription même qui lui était douloureuse, car elle ne lui coûtait justement pas d'efforts ; c'était que désormais les souvenirs que faisaient surgir en lui tel détail étaient plus nombreux, si nombreux parfois qu'il ne parvenait pas (même lui) à les ordonner. Ainsi l'évolution de son pouvoir ne l'avait-elle pas guéri de ses migraines : elle les avait au contraire amplifiées.
Et il était petit à petit devenu évident que les médicaments seuls ne suffiraient pas à les calmer, à moins peut-être d'en changer, d'en augmenter les doses, de recourir en somme à des substances qui, pour être plus efficaces, eussent aussi été plus invasives, et c'était ce que Koji ne souhaitait pas. Il avait donc fallu trouver des solutions plus douces, des solutions préventives, et le jeune homme avait renoué avec une activité qu'il avait un peu délaissée depuis qu'il était à l'Institut : le sport. Car le jeune homme savait très bien que son esprit, quand il pensait, n'était pas une vapeur éthérée qui ne reposait rien : ses migraines l'informaient assez pour qu'il sût que ce qui en lui pensait, c'était le corps. Quand son cerveau se tordait, il savait qu'il y avait là une matière trop pleine de songes.
Il ne savait pas trop ce qui, dans le sport, dans ses courses, ses séances (modestes) de musculation, l'apaisait. Etait-ce que son corps, épuisé, n'avait plus la force d'échapper au contrôle de sa volonté ? C'était ce qu'il avait d'abord compris, mais il n'était pas moins capable de penser et de réfléchir après s'être dépensé, et il ne lui semblait pas que son esprit possédât moins d'énergie. Peut-être simplement son corps s'affermissait-il et devenait moins plastique aux flux incontrôlés d'idées et de souvenirs : c'était, en quelque sorte, comme une respiration que l'on contrôle.
Il était rentré après le déjeuner d'une telle séance, rentré dans sa chambre qui n'avait plus le dénuement un peu froid des premiers jours : sur les murs, il y avait les tableaux de William, dont il se rendait compte qu'il les regardait chaque jour un peu plus comme des œuvres d'art, et un peu moins comme des souvenirs. C'est-à-dire que les regarder lui devenait moins douloureux. Il y avait ses livres, surtout, éparpillés un peu partout (car pourquoi aurait-il rangé, lui qui savait où il avait posé chaque objet ?), sur le bureau, sur la bibliothèque, sur le sol. Son ordinateur sur le bureau clignotait des messages envoyés : tel directeur de département, dans telle université, lui proposait de faire une conférence ; il refuserait sans doute. Enfin, cette chambre était finalement devenue sa chambre.
Il sortait de sa douche, observant, un peu découragé, dans le miroir l'architecture vagabonde de ses cheveux, lorsqu'il entendit des pas dans le couloir, la porte de la chambre voisine qu'on actionnait, et dont il savait pourtant qu'elle était vide : c'était donc que quelqu'un venait d'arriver, quelqu'un qui serait ici aussi nouveau qu'il l'avait été. Il prenait alors conscience du temps qui s'était écoulé, et ce fut comme si sa chrysalide achevait de se fissurer : il avait séjourné longtemps ici, comme dans une retraite, et c'était assez de temps pour que sa vie passée se muât en une vie nouvelle. Il ne comptait pas pour autant quitter l'Institut : simplement, peut-être accepterait-il cette conférence.
Et c'était comme si son corps lui-même avait décidé d'entamer une nouvelle vie : en redécouvrant les muscles qui n'avaient pas servi depuis quelques temps, et que de nouveau commençaient à se dessiner sous sa peau, comme les vestiges d'une ville que l'on restaure – car pour Koji le sport avait longtemps été l'instrument d'une sculpture, celle de son propre corps, dont il mesurait plus exactement la séduction qu'il ne voulait bien le prétendre – à sa splendeur originelle, il redécouvrait des sensations enfouies sous la lassitude de l'être, comme si en s'éloignant du monde, le jeune homme (qui jeune ne l'était pas) s'était aussi éloigné de lui-même, au point de ne plus sentir lorsqu'il avait faim. Mais aujourd'hui, et quoiqu'il eût déjeuné à peine plus d'une heure auparavant, il avait faim.
Il enfila les vêtements qui à ceux qui le connaissaient assez pour savoir à quel point il était intelligent, mais pas assez pour comprendre qui il était apparaissaient comme un déguisement, parce qu'il lui donnait l'air de ce qu'il était parfois, de ce que son corps, justement, lui permettait encore d'être : un jeune homme sportif, avec son tee-shirt, ses jeans, ses baskets, à la mode, et plus ou moins conscient de son charme. Il n'avait certes pas l'air d'un savant, et on s'attendait plus à le croiser dans un bar branché que dans un congrès scientifique ; mais alors, pour que cette illusion perdurât, il ne fallait pas croiser son regard (ni peut-être l'entendre parler), car s'y ouvraient des profondeurs qu'on ne trouve pas même chez les vieux érudits où se mouvait sans fin une intelligence profonde et parfois presque effrayante. Par excès de bonne volonté, il essaya quelques secondes de coiffer ses cheveux, mais c'était une entreprise dont même cette intelligence ne parvenait pas à obtenir le succès.
Il ne s'était jamais rendu dans les cuisines, parce qu'il ne grignotait pas, lui, entre les repas, d'ordinaire, mais l'un des premiers jours de son arrivée à l'Institut, il avait parcouru les plans du regard, et maintenant le tracé des couloirs, la succession des escaliers, la superposition des étages, se dessinaient dans son esprit, comme si des plans étaient nés, spontanément, l'édifice même que son esprit pouvait parcourir à loisir, et en avance sur lui-même. Il n'hésitait donc pas sur le chemin à prendre.
Parfois, dans les couloirs, il croisait des gens dont il connaissait le nom, dont il connaissait bien des choses, d'ailleurs, mais sans que jamais ils ne les lui eussent dites : c'était qu'il les avait déduites, au lieu de les obtenir dans une conversation, et il se rendait compte qu'aussi familier se sentît-il d'eux, ce sentiment sans doute n'était pas partagé, et pour beaucoup de pensionnaires d'Institut, il devait encore faire figure d'étranger. Et pourtant, cela ne parvenait pas à le peiner.
Et c'était finalement la porte de la cuisine qui s'ouvrait devant lui, et sur un jeune homme qu'il ne connaissait pas. Koji, qui se souvenait précisément de toutes les personnes qu'il avait vues dans l'Institut, était persuadé de ne pas connaître Gaël, et d'ailleurs, les cheveux blancs de son tout nouveau camarade eussent suffi, même sans la mémoire infaillible du jeune homme, à l'assurer de son intuition. Mais dans cette même seconde où il se disait « Tiens, je ne l'ai jamais vu », il remarquait également que sur les chaussures de Gaël, il y avait encore les gravillons de l'allée, et puis il estimait la taille du jeune homme, calculait la longueur de ses enjambées, en transcrivait le rythme pour voir s'il coïncidait avec celui des pas qu'il avait entendu dans le couloir plus tôt. Bref, à peine Koji avait-il ouvert la porte, et ne serait-ce qu'aperçu Gaël qu'il savait qu'il avait là son voisin de chambre. Aussi choisit-il d'exprimer ses profondes pensées de la sorte :
« Tiens, mon voisin de chambre. Bienvenue. »
C'était en somme à se demander s'il lisait dans les pensées ou s'il voyait à travers les murs, deux hypothèses inquiétantes pour l'intimité future de Gaël (et d'ailleurs les capacités de déduction de Koji ne l'étaient pas moins). Il asséna à Gaël un sourire vibrant de jeunesse, et qui était pour lui, sinon un sourire nouveau, du moins un sourire rare, c'est-à-dire nouveau en cela qu'il lui semblait plus naturel.
« Je vois que tu es allé droit à l'essentiel. »
Et en regardant les madeleines dont Gaël faisait bombance, Koji laissait venir à lui les souvenirs qu'elles lui évoquaient, c'est-à-dire les pages de Proust, et il constatait avec plaisir que, pour une fois, les personnages du roman ne l'envahissaient pas : les effets bénéfiques de sa séance de sport se feraient encore sortir pour quelques heures. Il se dirigeait déjà vers les placards, et se hissait sur la pointe des pieds (quoiqu'il ne fût pas SI petit que ça), pour en découvrir le contenu, ce qui du reste ne l'empêchait pas de faire la conversation.
« Je m'appelle Koji. »
C'était un prénom japonais que ne laissait pas soupçonner son anglais parfait, à l'accent élégant, mais un œil un peu exercé pouvait surprendre les origines du jeune homme dans les traits légèrement orientaux de son visage.
« J'occupe la chambre voisine. La 221. Et... »
Il s'était interrompu, parce qu'il venait d'apercevoir, tapi au fond d'un placard, la proie qui éveillait ses instincts de prédateur : des barquettes au chocolat, qui affectaient l'indifférence en se dissimulant derrière un paquet de barres aux céréales pour régime, dont il était vrai que l'allure hostile était propre à décourager des gourmands moins obstinés que Koji. Mais les barquettes étaient loin, et Koji pas très grand néanmoins. Il lui fallut donc prendre périlleusement appui, avec le genou, sur le plan de travail, pour extraire les barquettes de leur cache, avant de rejoindre sans encombre le sol... pour s'asseoir aussitôt sur le dit plan de travail. Peut-être y avait-il des règles à respecter avec la nourriture et le matériel, mais de toute évidence, Koji ne s'y intéressait pas.
Pour la première fois, ses yeux trouvèrent véritablement le chemin de ceux de Gaël, et quoique ce fût son regard habituel, il semblait que Koji cherchât à percer à jour son nouveau camarade, et il semblait même qu'il fût capable de lire en lui, et alors il y avait quelque chose de presque dramatique à la question qu'il posait d'une voix pleine simplement de curiosité désinvolte, comme si l'intelligence aiguë que son regard trahissait attendait, presque avidement, que la réponse qu'on livrerait en toute innocence révélât d'obscurs secrets au mangeur de barquettes.
« Et toi ? Comment tu t'appelles ? »
Dernière édition par Koji Ashton le Sam 23 Jan 2010 - 16:04, édité 1 fois
Gaël Calafel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Sam 23 Jan 2010 - 15:50
Lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir derrière lui, Gaël redouta pendant un court instant la présence de quelqu'un de plus vieux qui, il en était sûr, désapprouverait avec vigueur le fait de se nourrir en dehors des repas. Il fut donc agréablement surpris de voir que la personne qui entrait devait être moins âgée que lui. En revanche, il ne parvint pas à discerner son sexe au premier regard. L'observation n'était pas son fort, et l'apparition androgyne le troubla. Cependant l'abondante chevelure décoiffée le fit incliner dans le sens masculin. La mode féminine n'était en effet pas à la décoiffure ces temps-ci.
Ainsi rassuré par sa réflexion sur son congénère, il se prépara à entamer la discussion. Une seconde partie de son cerveau, à mi-chemin entre la conscience et l'inconscience, signala à sa conscience que l'éphèbe avait déjà eu cette délicate attention et que la voix était sans aucun doute masculine, tandis qu'une troisième accomplissait un geste rendu tout à fait inconscient par l'habitude, à savoir finir le paquet de madeleines saveur fraise.
Son esprit désormais entièrement orienté sur la conversation, il se rappela qu'il n'avait jamais croisé celui qui, en face de lui, se prétendait son voisin de chambre et lui souhaitait la bienvenue. Se rappelant à ce moment là qu'on ne devait pas parler la bouche pleine, il avala ce qu'il lui restait en bouche, et put percevoir ce faisant un sourire et une remarque joyeuse. Ayant l'habitude de fixer les yeux des personnes qu'il rencontrait pour la première fois, il nota que le regard noisette l'avait littéralement examiné des pieds à la tête, avant de se reporter vers le placard ouvert. Gaël s'écarta pour lui laisser le champ libre avec un sourire. Koji se présenta en fouillant le placard des yeux. S'il fut surpris par ce prénom, Gaël n'en laissa rien paraître. Il se prépara à répondre, mais déjà Koji enchaînait. Lui-même occupait la chambre 221. Comment il avait pu, non pas simplement déduire, mais savoir qui occupait la chambre 223? Possédait-il un don de prescience, comme le majordome? Probablement pas, la conversation n'aurait pas commencé sur une marque de surprise. Aucune possibilité n'était à exclure toutefois.
Koji avait fait une petite pause pour attraper les nutriments qui semblaient l'intéresser. Il regarda Gaël dans les yeux plus intensément qu'il ne l'avait fait jusqu'alors, tout en lui demandant son nom. Gaël fut surpris de l'intensité de ce regard, qui semblait transpercer les cheveux se mettant sur son chemin comme le soleil transperçait les nuages.
Une ombre de sourire persistant sur son visage, comme si Koji lui offrait une plaisanterie dont il était seul capable d'apprécier les subtilités, Gaël reposa le paquet de madeleines à présent vide sur la table, sans quitter le soleil des yeux.
"Enchanté Koji. Je m'appelle... hum... (quelques miettes irritantes persistaient à lui rester dans la gorge) Je m'appelle Gaël.", dit Gaël. Il se demanda soudain à quel point son accent maltais était perceptible.
Si le regard de Koji pouvait être comparé au soleil, celui de Gaël semblait plus lunaire. Il possédait des yeux beaux, mais froids, souvent inexpressifs et semblant vides de tout sentiment humain. Bien que l'on puisse les contempler sans se lasser, ils donnaient en permanence l'impression d'être simplement au-delà du réel et des émotions tel que l'esprit les concevait. Heureusement pour son intégration sociale, Gaël les atténuait grâce à un sourire doux, qui fleurissait spontanément sur ses traits quand la situation s'y prêtait.
"Mais dis-moi... Enfin, c'est peut-être indiscret mais ça m'intrigue." Ses yeux n'avaient toujours pas lâché ceux de Koji."Comment tu as su que j'étais ton voisin de chambre?"
Voilà, la question était posée, toutes les implications et tous les sous-entendus semblaient aussi clairs que de l'eau. Il n'y avait strictement personne dans le couloir quand Gaël avait pénétré dans sa chambre, et cela n'avait pas changé quand il en était sorti. Un évènement para-naturel entrait donc forcément en jeu, qu'il s'agisse d'invisibilité, de prescience ou autre. A moins qu'il n'y ait des caméras dans les chambres et les couloirs, hypothèse que Gaël refusait d'envisager. D'autant plus qu'un étudiant n'y aurait certainement pas eu accès. L'interrogation était tout sauf anodine, et impliquait qu'à son tour il devrait répondre à une question similaire.
Désireux d'atténuer un peu le sérieux et le solennel de la situation, et sachant également qu'un regard soutenu peut mettre certains mal à l'aise (même s'il se doutait que ce ne serait pas le cas en cet instant), celui de Gaël quitta Koji pour se reporter sur la poubelle, qui se vit gratifiée d'un paquet de madeleines saveurs fraises vide à l'exception de quelques miettes. Une réflexion vint à point nommé apporter la possibilité de transformer un après-midi d'exploration solitaire en quelque chose qui pourrait être plus plaisant.
Au fait, tu as du temps devant toi? Tu veux bien me faire visiter? J'avoue que je suis un peu désorienté, c'est grand comme lieu.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Sam 23 Jan 2010 - 16:53
Il était difficile de savoir à quel point Koji avait conscience de l'effet qu'il pouvait produire sur les gens, à quel point il se rendait compte de ce que son regard avait de troublant, et de presque dérangeant, ou bien combien il était déstabilisant, pour une personne qui n'avait vu en lui qu'un jeune homme énergique ou mélancolique, de découvrir qu'il était un génie sans commune mesure, ou encore de l'identité incertaine que ses traits dissimulaient autant qu'ils suggéraient, qui laissaient chez ses interlocuteurs planer quelques secondes ou quelques minutes un doute sur ses origines, sur son âge, sur son genre. C'était comme si le corps de Koji, où vivait cette intelligence pour laquelle le présent, c'est-à-dire le monde matériellement proposé à ses regards, n'était qu'une infime partie de ce qui existait réellement, s'obstinait à son tour à ne pas délivrer dans sa matière même toutes les indications qui eussent construit une personnalité, et permis de dire que Koji était un mutant nippo-britannique de dix-sept ans, et de sexe masculin.
C'était que s'il était vrai que le jeune homme ne semblait la plupart du temps pas avoir conscience de ses ambiguïtés, on comprenait rapidement que pour une part, il était impossible qu'il ne s'en rendît pas compte, et alors tous les efforts qu'il ne faisait pas pour rendre certains traits de son identité plus nets, par exemple les vêtements et la coiffure qu'il eût pu adopter pour affermir son apparence extérieure et compenser la finesse féminine de ses traits, dans leur absence voulue, devenaient autant de signes, sinon d'une stratégie de dissimulation, du moins d'un mystère entretenu.
Mais dès que l'on avait découvert cette structure de son caractère, dès que l'on avait compris, par exemple, que ce n'était pas que Koji n'eût pas conscience de sa féminité, mais bien qu'il ne cherchait pas outre mesure à être viril (ni d'ailleurs à ne l'être pas), le mystère s'épaississait encore, car il semblait à nouveau que le jeune homme ne se souciât pas le moins du monde de son apparence, que ce fût de la sagesse millénaire qui vibrait dans son regard adolescent ou de la délicatesse de ses traits de jeune homme, parce que son attention paraissait toujours portée vers ce qui n'était pas lui : son interlocuteur, le monde extérieur, une réflexion lointaine et élevée, de sorte qu'il semblait finalement que Koji fût, constitutionnellement, un paradoxe ambulant.
Ainsi, en cet instant, ce n'était pas à la profondeur antique de son regard, aux modulations d'une chaleur légèrement orientale de sa voix ou à la grâce de danseuse de ses mains qui farfouillaient distraitement dans le paquet de gâteaux, qu'il faisait attention, mais au regard de Gaël, qui semblait le captiver tout-à-fait : il y voyait la froideur, non pas insensible, mais nostalgique de la Lune lorsque, pleine, elle semble véritablement un monde suspendu sur notre monde, mais un monde sans vie qui ne peut que rêver aux êtres qui parcourent la Terre qu'elle regarde, avec la tristesse d'un couple qui aurait toujours voulu avoir, mais n'aurait jamais eu, d'enfant. Et parce que son imagination était capable de déployer tous les clairs de lune qu'il connaissait, ceux de Debussy, de Proust, de Beethoven, ceux de Shakespeare, des chansons populaires, de Hopper, Koji contemplait les yeux de Gaël avec la même attention rêveuse qu'il eût accordé à une toile de grands maîtres, car de semblables toiles il en voyait précisément plusieurs. Alors, comme le regard de Gaël ne semblait pas précisément décidé à le fuir, celui de Koji ne semblait pas non plus résolu à le laisser partir.
Pendant ce temps, il réfléchissait au prénom que son camarade lui avait donné, et qu'il avait accueilli d'un sourire, en tâtonnant dans la boîte en carton qui se vidait à une vitesse surprenante (c'est que Koji mangeait pas, mais quand il se décidait, il le faisait bien). Gaël : il l'aurait cru Irlandais, mais de toute évidence ce n'était pas l'accent du jeune homme. Mais cet accent, et comme la clef des origines de son voisin de chambre, lui était inconnu, et cela intriguait un peu Koji : il parlait assez de langues pour reconnaître en anglais les accents les plus courants, et pour que celui de Gaël lui échappât, il fallait qu'il vînt non seulement d'un pays qu'il n'avait jamais visité, mais dont encore il n'avait jamais rencontré personne, sans cela sa mémoire eût aussitôt identifié l'accent mystérieux.
Pour bien s'assurer qu'il ne commettait pas d'erreurs, et tout en poursuivant sa conversation avec son camarade, Koji mettait à contribution les ressources de son cerveau mutant : il entendait, par groupe de dix, dans son esprit, toutes les personnes qu'il avait pu croiser dans sa vie, pour écouter leur accent et le comparer avec celui de Gaël. Cette opération se poursuivait pendant quelques minutes, quasi mécaniquement, dans le fond de son esprit, et lui laissait le loisir de répondre aux questions du mangeur qui avait fini de manger. Et il commença par la seconde, qui était de loin la plus simple.
« J'ai tout mon temps. Je vais te montrer l'essentiel. »
Le sourire qui s'était formé sur ses lèvres ressemblait un peu à ceux qu'il avait eus pour Virginie à leur première rencontre, et qu'il avait souvent pour les personnes qui sollicitaient son aide : c'était un sourire de vieux sage, qui enveloppe celui à qui il s'adresse d'une bienveillance indulgente, comme destinée à le protéger de toutes les incertitudes ; lorsqu'il souriait de la sorte, Koji cessait d'avoir l'air fragile, mais il cessait aussi un peu d'avoir l'air vivant, semblable aux fantômes que l'on croit pouvoir apparaître après le décès d'un être cher, et par lesquels la personne aimée reprend forme une dernière fois pour livrer un ultime conseil et une dernière recommandation.
Avec une souplesse un peu indécise, comme un chaton qui est à peu près sûr de pouvoir sauter de la commode à la table mais pas tout-à-fait tout de même, et qui après tout pourrait bien se rater, Koji se retourna sur son plan de travail, en quête d'une place, dans le placard sinon trop haut pour lui, où ranger le reste de ses gâteaux (parce qu'il n'était pas parvenu, comme Gaël, à abandonner un paquet exsangue). Il arrangea un peu les boites déjà présentes sur les étagères pour faire de la place, sans vraiment se rendre compte qu'il venait de les classer par ordre alphabétique, et inséra la sienne à sa place, avant de sauter du plan de travail : cette fois-ci le chaton avait réussi sa (périlleuse) opération. Il décocha un nouveau sourire à Gaël.
« Je te propose de commencer par le parc. D'abord, il fait à peu près beau, ce qui est un plaisir rare, et comme ça, je te montrerai de l'extérieur les principaux bâtiments. »
Il acheva cette phrase au moment exact où son esprit, lui, achevait sa vaste entreprise de comparaison, qui s'était finalement avéré infructueuse ; ou plutôt, elle n'avait pas donné les résultats escomptés, parce que Koji ne parvenait toujours pas à identifier l'accent de Gaël, mais elle avait créé en Gaël, grâce à cet accent inconnu, ce qui pour l'esprit de Koji, qui voyait partout des choses qu'il avait déjà vues, quelque chose d'éminemment plus précieux : une originalité. Et il n'était pas pressé d'en découvrir le fin mot, pour en préserver quelques temps encore le mystère.
Le mutant sortit de la cuisine avec son camarade, et en marchant tranquillement dans les couloirs, les mains dans les poches de son jean, entreprenait de répondre à la première question de Gaël. Elle ne lui avait pas paru invasive : c'était que Koji aimait que l'on respectât son intimité, aussi lui semblait-il légitime que quelqu'un s'inquiétât quand il perçait un peu de la sienne de la manière dont il avait procédé. C'était, en somme, un juste retour des choses.
« Eh bien, tout à l'heure, je prenais ma douche, et j'ai entendu quelqu'un entrer dans la chambre d'à côté, dont je savais qu'elle était vide. En rentrant dans la cuisine, j'ai constaté que je n'ai jamais vu : il y avait donc de fortes chances que tu sois le nouvel arrivant en question. Tu as encore des gravillons de l'allée principale sur tes chaussures, et ce ne sont pas exactement les mêmes que les allées secondaires, qu'on emprunte plutôt pour se promener : c'est donc que tu as dû emprunter l'allée principale parce que tu venais de l'extérieur, ce qui rend plus probable encore que tu sois l'arrivant. J'ai ensuite estimé ta taille, et calculé à partir d'elle la longueur de tes enjambées, afin de reconstituer ton rythme de marche, compte-tenu du poids de la valise probable, et donc le son qu'il produisait, de sorte que j'ai pu le comparer au son que j'avais entendu dans le couloir. Les sons coïncidaient, il m'a semblé que tout cela formait un faisceau d'indices suffisamment étroits pour que je puisse avancer sans trop de crainte de me tromper que tu étais mon voisin de chambre. »
Trop occupé à décrire de façon claire et progressive, afin que Gaël les comprît, toutes ces opérations qui s'étaient effectuées quasi simultanément dans son esprit, Koji n'avait pas songé que la somme de ces déductions, et la rapidité avec laquelle elles s'étaient faites (puisqu'il ne s'était écoulé qu'une seconde entre son entrée dans la cuisine et sa première phrase), étaient de nature à déstabiliser un peu son interlocuteur, et qu'il eût dû les tempérer de quelques formules rhétoriques qui en eussent adouci le caractère extraordinaire.
Ce disant, ils étaient arrivés dans le parc, et pendant que Koji terminait ses explications, il avait senti, malgré la clarté exceptionnelle en cette saison de l'air londonien, une brise légère qui effleurait ses bras découverts, et de légers frissons s'étaient répandus sur sa peau. Ils avaient fait quelques mètres dans l'allée principale, puis Koji s'était retourné vers le manoir, dont on avait ainsi une vue assez large pour que les différents bâtiments pussent se distinguer. Il jeta un regard interrogateur à Gaël, aussitôt ses explications finies, et comme si elles avaient été trop banales pour mériter une réaction.
« Alors, je te montre ? »
Gaël Calafel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Dim 24 Jan 2010 - 17:11
Gaël suivit Koji dans un silence religieux, pendant que celui-ci le promenait dans le Nouvel Institut. Ses explications venait de lui prouver que l'expression "s'attendre à tout" n'était souvent qu'une figure de style. Se basant sur les explications qu'il venait de recevoir, il comprit que Koji, sans être doué de sens plus développés que le commun des mortels, possédait la capacité d'en tirer beaucoup plus d'informations. Il semblait doté d'un cerveau beaucoup plus puissant que celui du commun des mortels.
Cependant, Gaël n'était pas naïf au point d'ignorer que les modifications apportées à un muscle aussi complexe avaient souvent de fâcheuses conséquences... du moins pour les humains. Il se demanda pendant un court instant si l'être à ses côtés souffrait d'afflictions mentales, mais bien vite son esprit dériva sur les possibilités multiples et les avantages que cela devait offrir. Possédait-il également une mémoire absolue? Cela devait être bien pratique pour apprendre. Il ne semblait pas avoir de problème à reconnaître le rythme des pas des gens.
Koji se tut, ses explications terminées. Le jeune homme aux cheveux couleur de neige jeta un regard discret à son guide. De nouveau, une ombre de sourire naquit, fugace, lorsque leurs regards se croisèrent, avant de disparaitre aussi vite qu'elle était venue. Il commença alors à modifier légèrement son rythme de marche, de manière sans doute imperceptible pour une personne normale n'ayant pas son attention focalisée sur ses pas. Malheureusement pour son projet, ils s'arrêtèrent à ce moment là.
"Je t'en prie."dit la Lune qui se trouvait à nouveau face au Soleil, avant de se détourner de lui une fois de plus, comme si elle fuyait son éclat de peur d'en être brûlée, pour se poser sur le manoir."Je te laisse choisir l'itinéraire."Il préféra se taire sur les révélations du mutant.
Le manoir offrait une perspective bien différente depuis le parc. Bien que le temps soit plutôt froid, Gaël ne frissonna pas. Il souffrait peu des basses températures, même s'il était originaire d'une île méditerranéenne. A cet instant précis, sans qu'il ne sache pourquoi, il se mit à repenser à ses parents. Il avait oublié des les appeler en arrivant. Bah, ils attendraient. Il préférait savourer pleinement la quiétude de l'instant.
L'astre solaire n'avait pas été timide pour une fois en cette partie du globe, Gaël profitait donc pour son arrivée d'un ciel de toute beauté. Quelques questions sans réponses vinrent cependant briser sa méditation. S'il en était certaines qu'il devrait poser à un adulte, d'autres ne nécessitaient pas ces précautions. Alors qu'il se relevait sans souvenir d'avoir décidé de s'asseoir dehors, à même le sol, il demanda :
Au fait... comment se passent les cours ici?
Il s'agissait cette fois encore d'une question plus ou moins directe sur ses pouvoirs. Gaël, intrigué, se demandait si Koji avait besoin de suivre des cours. D'après ce qu'il en savait, il pouvait aussi bien être professeur qu'étudiant, voire aucun des deux.
Il s'étira.
Et sans lui laisser le temps de répondre à la question précédente, enchaîna, cherchant son regard une fois de plus avant de se mettre en route :
"Le parc est joli, en hiver. Quelle est notre prochaine destination?"
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Mar 26 Jan 2010 - 17:14
Mais à peine Koji s'était-il tu qu'il avait senti combien sa démonstration, si limpide lui parût-elle, devait de sa cohérence à l'extension de son pouvoir, si bien que sa clarté même, il le comprenait alors, était le signe de ce qu'il y avait en lui d'extraordinaire et qui lui avait permis de faire cette déduction anodine, que Gaël était désormais le jeune homme qui vivait dans la chambre à côté de la sienne – c'était une de ces informations que Koji obtenait presque naturellement, qui en elle-même n'avait pas de conséquences, mais qui faisait, avec les milliers d'autres qu'il tirait chaque jour des circonstances particulières des différents évènements de son quotidien, que sa vie était non sans surprise, mais parfaitement contrôlée : c'était, en somme, l'un des effets de son pouvoir (savoir toujours ce qui se passait autour de lui) dont beaucoup de personnes, même parmi celles qui savaient ce dont il était capable, sous-estimaient l'importance dans son quotidien et qui, en réalité, le modelaient si profondément que sa vie était à jamais irréductible aux vies de ses camarades, même les plus proches – et alors il avait craint que celui qu'il venait à peine de rencontrer conçût quelque peur de lui, de l'intelligence monstrueuse (car parfois elle lui semblait telle) dont il venait de faire la démonstration, et qu'un regard, un mot de Gaël, en le lui signalant, ne rompît le bien-être précieux qu'avait répandu en lui sa petite séance de sport.
Aussi Koji avait-il été d'autant plus reconnaissant à Gaël de ne pas faire de remarques qu'il savait bien qu'il était impossible que son camarade n'eût pas été surpris de ses déductions. Le repos qu'il y avait à ne pas sentir chez l'autre la distance naître dès que sa mutation se trahissait, Koji ne l'avait présent senti qu'avec Virginie, quoique ce fût, ou du moins l'avait-il prétendu, précisément le genre de repos qu'il était venu chercher à l'Institut. Ce n'était pas qu'il parût normal, car un mutant, même aux yeux d'autres mutants, ne paraît jamais normal, tant les mutations sont généralement singulières : simplement, il y avait un monde (dont l'Institut faisait partie) où l'anormalité n'était plus aussi surprenante, et donc plus aussi repoussante.
Alors il ne répondit pas tout de suite aux questions de Gaël, et ses yeux s'étaient détachés du manoir, dont il avait observé les pierres, l'architecture, ce qu'il faisait souvent, car la demeure n'était pas sans charme, pour se poser sur le visage de son interlocuteur, qu'il s'était déjà inscrit dans sa mémoire, pourtant ; mais comme il sentait ce jour-là, et pour la première fois depuis longtemps, la matière de son propre corps, il se rendait compte un peu plus vivement de celle qui faisait les corps des êtres, et les objets, de la matière des êtres et du monde, et il mesurait la distance qu'il y avait entre des souvenirs, même aussi vifs que toute la puissance de son imagination le permettait, et les êtres réels qui en sont la source. Et ainsi, quoique le visage de Gaël fût exactement semblable à celui de son souvenir, il le sentait à le regarder bien différemment.
Mais bien entendu, ni la reconnaissance discrète d'un instant de tranquillité, ni le renouvellement de sa sensation d'exister, n'avaient ôté à Koji sa politesse, et son observation n'avait duré que deux ou trois secondes : déjà son regard, son regard profond et mystérieux, s'était détourné pour se reposer sur le manoir, et il songeait à répondre aux questions de son camarade. En réalité, il n'y avait donc eu, entre l'instant où Gaël avait achevé de les formuler, et celui où le jeune homme se décidait à lui répondre finalement, que quelques secondes, mais elles avaient fait une suspension secrètement vibrante dans leur conversation, et Koji, tout discret qu'il fût, était certain qu'elles n'étaient pas passées inaperçues aux yeux de son voisin.
« Eh bien, je crois que tu as vu la cuisine, ce qui est bien sûr le plus important. Tu vois, au rez-de-chaussée, tu as l'administration, la salle d'entraînement, les bureaux des professeurs, l'infirmerie, et le laboratoire. Ensuite, au premier étage, il y a les salles de classes, soit pour les cours, soit pour l'informatique, soit pour étudier. Et puis la cuisine, la salle à manger et la salle de repos. Au deuxième étage, ce sont les résidences, de ce côté- ci, les adultes, et de ce côté-là, les étudiants. »
A mesure qu'il parlait, qu'il nommait les différents lieux, de sa voix calme, et douce, et peut-être un peu plus grave que l'on ne lui aurait d'abord supposée, il montrait d'un geste de ses doigts fins les endroits sur l'immense masse du manoir, isolant dans la perspective telle partie d'un étage, et c'était les salles de classes, ou bien l'infirmerie, et le plan s'en traçait dans son esprit : c'était étrange, bien sûr, car il semblait qu'il n'avait aucune difficulté à projeter les lieux qu'il fréquentait de l'intérieur dans le volume du bâtiment, si bien que sa vision de l'espace semblait infaillible. L'Institut était alors comme une de ces maisons de poupée dont on a ôté la façade pour pouvoir découvrir, d'un seul coup d'œil, et aux différents étages, les pièces où se font les vies de minuscules personnages.
Le Soleil avait beau régner sans partage dans le ciel londonien, la capitale britannique n'en oubliait pas pour autant son caractère, et la clarté qu'il jetait sur la ville était froide : un vent léger s'était levé d'abord, qui soufflait plus fort à présent, et les cheveux de Koji, semblables à forêt ocre et noire que l'on observe de haut, se ployaient en vagues à chaque bourrasque, balayant la moitié de son visage, qu'ils semblaient rejetés comme derrière un voile. De son autre main, le jeune homme s'obstinait à les dégager, pour continuer à voir le manoir, mais il semblait que c'était une passion pour ses cheveux de le contrarier : ils résistaient au peigne, ils résistaient à sa main, mais ils se laissaient fléchir par le moindre souffle de vent.
Mais d'ailleurs, Koji avait froid : le vent mordait à chaque minute un peu plus ses bras nus, et même ses vêtements ne parvenaient pas à le réchauffer. Alors le froid, autant que la serviabilité, le poussait à poursuivre la visite.
« Viens, on va voir ça en détail. »
Derrière une avalanche de cheveux qui dévorait la partie gauche de son visage, qui avait la beauté chaotique des scènes de tempête, il adressa un sourire, comme un capitaine qui essaye de se faire entendre malgré la mutinerie de ses matelots, à Gaël, avant d'aller se réfugier dans l'intérieur du bâtiment ; mais maintenant que le froid avait commencé à s'insinuer en lui, il lui semblait que le hall marmoréen n'était pas encore assez chaud. Il se serait lové avec plaisir dans un fauteuil, et avec du chocolat.
Une fois rentré, et dans l'espoir modeste de parvenir au moins à regarder devant lui, il avait écarté de son regard les mèches de cheveux qui étaient venues le barrer. Enfin, il pouvait à nouveau voir Gaël à peu près clairement.
« L'infirmerie et la bibliothèque sont toujours utiles, je suppose, mais inutile de commencer par des choses trop sérieuses. Je te propose la salle de repos. Je n'y vais pas beaucoup, mais c'est un endroit divertissant. »
Poussé par son aversion pour les ascenseurs, Koji commençait déjà à se diriger vers les escaliers, qui s'élevaient à partir du hall pour rejoindre les étages. A cette heure, la plupart des élèves étaient en cours, si bien qu'il était à peu près sûr de trouver la salle de repos, sinon vide, du moins peu peuplée, et sans doute cela n'avait-il pas été un moindre argument pour arrêter son choix, car, sans s'en rendre compte encore tout-à-fait, il continuait à fuir la compagnie des autres, non avec la fureur d'un ermite, mais autant que possible il évitait les lieux trop fréquentés. C'était un peu son caractère également, et s'il aimait rencontrer une personne, les groupes lui déplaisaient : il trouvait que les gens s'y diluaient, et que quelque chose de précieux s'y abîmait dans la communauté.
Pendant qu'ils cheminaient vers les escaliers, et qu'ensuite ils gravissaient les marches, Koji n'avait pas oublié, bien sûr, la question que lui avait posée son camarade, à propos des cours, et il comprenait fort bien qu'y entrait autant de volonté de s'informer des détails de la scolarité qu'il allait sans doute devoir suivre à l'Institut que de désir d'en apprendre plus sur lui-même et sur ses capacités : Koji était reconnaissant à Gaël de n'avoir pas fait de remarques sur son petit exposé déductif, mais il se doutait bien que son camarade avait été intrigué, et désirait en apprendre plus long.
« Quant aux cours, je ne saurais trop te dire : j'ai arrêté mes études avant d'entrer à l'Institut. »
Et à vrai dire, si Gaël n'avait pas eu le droit à une démonstration d'intelligence, il n'eût eu aucun moyen de savoir ce que Koji voulait vraiment dire, car sans doute un adolescent de dix-sept ans pouvait avoir arrêté ses études à seize ans, soit qu'il fût assez riche pour ne pas avoir à se soucier de gagner son existence, soit qu'il eût choisi un métier dont le savoir-faire ne s'apprît pas sur les bancs des écoles, et à bien des égards, Koji avait l'air d'un adolescent de dix-sept ans normal, et qui l'eût croisé dans les couloirs l'eût volontiers cru un jeune bourgeois insouciant.
Ce n'était qu'à mesure de sa conversation que l'on sentait que lorsque Koji disait qu'il avait arrêté ses études, cela voulait dire qu'il en avait faites, et de longues, quoique même alors il eût été difficile de deviner exactement lesquelles il avait poursuivies et jusqu'à quel point, et quelque intelligence qu'il laissât paraître, on était généralement loin de soupçonner que si jeune il avait déjà plusieurs doctorats.
Il avait hésité un instant à se faire plus explicite avec Gaël, et sans entre dans les détails, à lui révéler que la nature de sa mutation était telle qu'il n'avait pas besoin de suivre de cours. Mais une sorte d'espièglerie l'avait retenu, et il était en réalité désireux de constater jusqu'à quel point la curiosité de son camarade avait été piquée, et si jamais il oserait faire des questions plus explicites, plus directes, sur sa mutation. Et, tout en achevant de gravir les dernières marches de l'escalier qui les menait au premier étage et à la salle de repos, il songeait que son camarade aussi était un mutant, qu'il avait aussi une particularité, et qu'il n'avait même pas, lui si curieux et observateur, songé à la découvrir.
C'était que, malgré les quelques mois passés à l'Institut, la fréquentation de mutants était pour Koji une chose relativement nouvelle : il en avait connu, bien sûr, mais ici, chaque personne qu'il croisait en était. Or, le jeune homme n'avait jamais eu le réflexe de se poser, sur ses fréquentations, ce genre de questions. Sur la vie des gens qu'il croisait, il s'en posait bien, il y avait beaucoup de choses qu'il eût aimé savoir sur Gaël, des choses qu'il s'était essayé, avec désinvolture, à deviner dès le début, comme il le faisait tout le temps, mais sa mutation n'en faisait pas partie, et ce n'était que maintenant qu'il y songeait.
A nouveau, ses yeux avaient rejoint le visage de son camarade, et ils l'enveloppaient encore de cette attention scrutatrice mais rêveuse, qui leur donnait un affairement qui pouvait être, pour la personne qui en était l'objet, aussi gênant que flatteur. Ces cheveux blancs avaient-ils quelque chose à voir avec la mutation de Gaël, ou bien était-ce une coïncidence ? Y avait-il d'ailleurs un signe physique qui la trahît ? A mesure que les questions se formaient en lui, à une vitesse inimaginable, son regard se faisait plus intense, jusqu'à devenir si intense que lui-même s'en rendit compte, et finit par le détourner.
D'ailleurs, ils étaient arrivés devant la porte de la salle de repos, que Koji effleura pour qu'elle s'ouvrît.
« Voilà. La salle de repos. Et ses jeux. »
Sa voix semblait sortir comme d'un songe, et comme il en sentait lui-même l'étrangeté, il n'était pas fâché de pouvoir s'effacer un peu dans l'entrée de la salle, et abandonner, pendant quelques secondes, Gaël à son observation. Comme il l'avait supposé, ils étaient à peu près seuls, et dans l'immense salle, il n'y avait guère que deux ou trois étudiants, qui absorbé par un jeu vidéo, qui par une conversation sur Internet, un livre, une émission de télévision.
Gaël Calafel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Mer 27 Jan 2010 - 1:27
Une fois de plus, il écouta dans un silence respectueux son guide lui décrire par le menu la disposition des différentes pièces. Gaël ne lui dit pas qu'il aurait sans doute encore un peu de mal à se repérer depuis l'intérieur, peut-être simplement parce qu'il n'y pensa pas. Il ne sembla pas non plus remarquer les quelques secondes que Koji avait pris pour répondre à sa question, ni son regard, gardant un visage imperturbable alors que son regard errait sur Londres, par delà l'enceinte du Nouvel Institut.
Le vent se leva soudain. Emmitouflé comme il l'était, Gaël ne le sentit que sur son visage mais Koji devait, lui, être plus affecté. Il allait lui suggérer de rentrer quand ce dernier proposa de visiter plus en détail le bâtiment. Ses mèches rebelles semblaient danser d'une manière chaotique et sauvage avec le vent, cachant la moitié d'un nouveau sourire.
Le jeune homme aux cheveux blancs sourit également en retrouvant avec plaisir le hall, qui devenait plus familier à chacun de ses passages. Le hall, lui, ne montra aucun signe d'une quelconque gratitude à ce qui resterait à jamais pour lui un inconnu. Comme le reste de la création.
Koji l'accompagna ensuite vers la salle de repos. Ce faisant, Gaël remarqua qu'il avait évité l'ascenseur pour se diriger vers les escaliers. Peut-être était-il claustrophobe. Cela le perturba quelque peu, de savoir que même un esprit aussi évolué possède ses propres faiblesses.
Puis il répondit à sa question sur le déroulement des cours. Celle-là n'était presque plus attendue, et Gaël songea que Koji ne devait pas avoir la même perception du temps, ce qui contribuait en l'hypothèse d'une mémoire absolue. D'autant que la réponse était rendue très étrange par l'emploi à la fois du mot "études" qui désignait généralement l'enseignement supérieur, en principe inaccessible à quelqu'un d'aussi jeune, et le verbe "arrêter" qui ne signifiait pas vraiment la même chose que "finir".
Soudainement, il quitta sa réflexion, rappelé à la réalité par une sorte de pressentiment étrange, que l'on éprouve lorsqu'on a l'impression d'être observé. Du coin de l'œil, il vit Koji tourner la tête. La porte de la salle de repos s'ouvrait deux secondes plus tard. Avant de rentrer, Gaël parcourut du regard le chemin qu'il venait de faire : tout à sa réflexion, il n'avait pas du tout fait attention au trajet, se contentant de suivre son guide.
Lorsqu'il pénétra dans la salle, il aperçut quelques étudiants. Certains relevèrent la tête pour le dévisager pendant quelques instants avant de replonger dans leur activité précédente. Cette salle avait vraiment l'air d'une salle de repos, confortable et vouée à la détente. Il la balaya du regard une première fois avant de revenir sur certains détails. Puis il posa encore une question pas vraiment directe sur la mutation de Koji, sans le regarder dans les yeux au début, puis revenant à lui vers la fin de la phrase avec, cette fois encore, un léger sourire :
Et tu as fait quoi comme études?
Il s'agissait de la première question personnelle qu'il posait à Koji depuis le début de la visite. Cela montrait un intérêt non plus simplement envers son pouvoir, mais également envers sa personnalité, bien que connaître un peu plus sa mutation était également le but visé.
Gaël commençait à apprécier Koji et ses réponses tardives, son sens de l'humour dont il n'avait encore aperçu que la pointe, ses regards perçants, sa faculté à se perdre totalement dans une explication qu'il était en train de donner jusqu'à s'oublier lui-même... Il commençait à l'apprécier en tant qu'individu.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Dim 31 Jan 2010 - 12:54
Durant les mois qu'il venait de passer à l'Institut, il n'avait que rarement fréquenté la salle de repos, et il savait que le désir d'éviter la foule était une excuse fabriquée de toute pièce, car sans doute la salle était-elle peuplée, le midi, le soir, ou les après-midi où il n'y avait pas cours, mais quand les élèves de l'Institut étaient sagement dans leur salle de classe, il n'y avait jamais que deux ou trois personnes : il y aurait pu y venir, s'y reposer, mais il avait fait de sa chambre un cocon, un ermitage dans l'ermitage, dont il ne sortait que pour voir Virginie. Il y avait bien des gens ici dont il connaissait le nom, des élèves qu'il avait aperçus et avec qui il avait discuté, mais ils étaient peu nombreux et il les connaissait mal.
Alors, peu à peu, avec Gaël, il retrouvait le plaisir de la conversation, et même moins que de la conversation : d'une promenade, d'une visite, des propos anodins. Etait-ce Gaël, et y avait-il en son camarade quelque chose de particulier et d'encore indéfinissable qui, comme chez Virginie, l'attirait hors de sa tanière et le rendait plus sociable ? Peut-être était-ce ses yeux, ses cheveux blancs, son sourire discret, son léger accent. Ou bien était-ce que sa chrysalide enfin s'était ouverte, et qu'il pouvait quitter son ermitage, parce que son deuil était fait, et qu'il redécouvrait sa vie ?
Et désormais, même la salle de repos lui paraissait confortable, qu'il avait toujours évitée pourtant : la salle, et ses sièges moelleux, ses jeux, ses ordinateurs et ses télévisions, sans barrière, pour que l'on pût se parler, mais assez vaste pour que l'on pût s'y isoler. Il eût même souhaité qu'elle fût plus remplie, pour pouvoir rencontrer vraiment les gens qu'il n'avait fait que croiser, et peut-être, parce qu'une part de l'ancien Koji renaissait avec le nouveau, ce désir n'était-il pas tout à fait innocent, et en le formulant dans les limbes de sa conscience souhaitait-il surtout y revoir tel jeune homme, qu'il avait aperçu, dont il avait remarqué qu'il devait être charmant, mais auquel il n'avait pas songé plus que cela, mais qu'elle le fût un autre jour, car pour l'heure, Koji souhaitait continuer la visite avec Gaël, sans trop savoir cependant si son camarade désirait s'arrêter un peu dans la salle de repos. Après tout, ne venait-il pas de faire un long voyage ?
La question de Gaël avait attiré de nouveau ses yeux sur le jeune homme. Il vit son sourire, et il vit son regard. Il lui sourit doucement à son tour, avec une once de résignation bienveillante. Cette fois-ci, il n'y avait pas de réponse qu'il pût faire qui détournât les soupçons de Gaël, et pas de moyens de suspendre encore la révélation de son pouvoir. Ses études, leur diversité, leur haut degré, étaient le signe le plus sûr de ses compétences.
« Voilà une question qui appelle une longue réponse. Viens. »
Il l'amena vers l'un de ces petits salons qui étaient aménagés en différents endroits de la salle pour que l'on pût y discuter, avec des sofas confortables, des fauteuils et des poufs : c'était l'un des grands charmes de l'Institut d'offrir dans le moindre de ses recoins des endroits agréables, qui l'étaient pour toute sorte de raisons différentes, de sorte que l'on fût toujours sûr, quelque fût son humeur, de trouver un refuge qui y convînt.
Koji abandonna ses baskets au pied d'un sofa, pour s'y installer, avec la même aisance désinvolte que l'eût fait un chat, dans un coin. Alors il ressemblait plus que jamais à un adolescent désinvolte, au jeune premier vif, sportif, un peu romantique, charmeur sans doute, mais sans esprit de conquête, qui laisse les jeunes filles rêveuses quand elles l'aperçoivent dans les couloirs, énergique, entouré de sa cour, rayonnant de bonne humeur. C'était comme si son corps s'obstinait à diffuser l'image de l'adolescent épanoui qu'il eût été sans mutation, pour rattraper les années trop vite franchies par son esprit.
Il passa une main dans ses cheveux rebelles, et son regard chercha à retrouver le chemin de celui de Gaël. Avec la voix calme, douce, et prudente, qu'il avait quand il parlait de ses prouesses dont il voulait être certain qu'il ne cherchât pas à les mettre en avant :
« A vrai dire... Je suis Docteur en physique nucléaire, Docteur en Histoire de l'art occidental, Docteur en philosophie antique et Docteur en Histoire des civilisations antiques. J'ai aussi des maîtrises en littérature japonaise, biologie moléculaire, linguistique anglaise, littérature française, mathématiques théoriques, informatique et pharmacologie. »
Il avait beau avoir acquis tous ces diplômes avec une facilité déconcertante (et, pour bien de ses camarades de classe d'alors, agaçante), il sentait que leur nombre et leur diversité n'avaient rien de très naturel, ou du moins, si ce n'était naturel, d'habituel. Mais pour une fois, en évoquant si vite ses études, en laissant plus qu'entrevoir la formidable intelligence qui lui avait été nécessaire pour accumuler tous ces diplômes alors qu'il était si jeune, il ne se sentait pas comme un monstre, il ne craignait pas que le regard de Gaël le repoussât.
Ce n'était pas qu'il ne songeait plus que cela fût possible, et qu'il n'était pas persuadé que, en allant dans la rue, en sortant dans un bar ou une boîte de nuit, tel jeune homme rencontré qui lui offrirait un verre, aurait un mouvement de recul en apprenant ce qu'il était. Simplement, il sentait maintenant qu'il y avait des gens pour le comprendre, pour ne pas s'en choquer, des gens comme Gaël, qui étaient un peu comme lui, et qui ne le jugeraient pas. Il ne songeait pas encore qu'il y avait chez lui une autre particularité qui pouvait faire qu'on le rejetât.
Ses yeux s'étaient arrêtés une seconde pour contempler ceux, si particuliers, de son interlocuteur, avant de dériver sur son visage, et finalement de se perdre dans le vide. Koji était songeur, et il l'était souvent, mais il ne fallait qu'une seconde à ses songes et à ses rêveries pour se développer et embrasser des mondes, alors qui le connaissait mal pouvait croire qu'il ne l'était pas ; ou bien au contraire, on croyait qu'il l'était tout le temps, car dès qu'il ne parlait pas, son visage reprenait la tranquillité mystérieuse du sage, qui songe toujours à quelque chose qu'il est le seul à voir.
Alors sur son sofa, qu'il avait domestiqué, comme le chat qui s'installe avec nonchalance sur un canapé veut dire par-là qu'il s'agit de son domaine, Koji n'était plus l'adolescent populaire échappé de son lycée, le personnage de manga rêveur et drôle : il était devenu un paradoxe, et un lien insaisissable nouait son corps d'éphèbe et son intelligence de vieillard. Il comprenait lui-même, et c'était peut-être la première fois qu'il en avait tout à fait conscience, qu'il ne pouvait se contenter de parler de ses diplômes, qu'il devait fournir une explication, et qu'il n'avait pas à craindre, d'ailleurs, que Gaël l'entendît. Et la seconde de silence acheva de s'écouler tandis qu'il formait cette résolution.
« Tu vois... Quand j'étais jeune... »
Il esquisse un sourire mi-triste, mi-amusé.
« Je veux dire, plus jeune, après tout, je ne suis pas bien vieux : mon corps n'a que dix-sept ans. Enfin, bref, au début de l'adolescence, j'ai découvert que ma mémoire s'étendait, s'étendait... Ca arrive parfois. Des êtres humains ont des mémoires tout à fait exceptionnels. Mais moi... J'avais l'impression de me souvenir de tout ce à quoi je prêtais à attention, et de tout comprendre. De penser ce que j'aurais dû penser en une heure en une seconde. C'était... »
C'était terrible : le regard des autres, qui encore dans sa classe, le voyait évoluer à une vitesse vertigineuse. C'était que son pouvoir pouvait très bien ne pas évoluer pendant longtemps, ses connaissances, qu'il amassait grâce à lui, étaient sans cesse plus nombreuses, et les métamorphoses de Koji en étaient toujours assez spectaculaires. C'était le regard des médecins, qui cherchaient à comprendre, d'abord à découvrir la mutation, puis à en saisir l'ampleur. C'était ensuite celui des psychologues. Tant de regards posés sur lui qui lui faisaient sentir sa monstruosité. Il haussa les épaules, et conclut d'une voix soudainement triste.
« C'était un peu déstabilisant. »
Il se souvenait de ces heures comme s'il venait de les vivre, et la douleur s'en faisait à nouveau sentir, à nouveau il voyait ceux avec qui il avait cru d'abord qu'il allait grandir, ces enfants, ses camarades, avaient qui il avait pu, comme tant d'autres enfants, se jurer une amitié éternelle, et dont l'amitié s'était effondrée, effritée, parce qu'ils l'avaient rejeté, mais parce que lui aussi, en quelques semaines, avait cessé d'être l'enfant qu'ils étaient demeuré. Et il avait senti aussi qu'il cessait d'être humain, quand les médecins le regardaient avec curiosité, quand ils cherchaient non plus à le soigner mais à l'étudier : il était devenu une curiosité. Ces premières semaines de sa mutation, il n'y pensait presque jamais, il n'en parlait jamais, et il comprenait seulement ce jour-là pour quelle raison : elles étaient parmi les plus douloureuses de sa vie.
Alors sur le dossier du sofa, sa main fine tremblait très légèrement, et toute la maîtrise de Koji n'empêchait pas que ses yeux devinssent un peu humides. Il ne pleurait pas beaucoup, pas souvent. Mais en cet instant, il avait l'air plus fragile encore qu'à l'ordinaire, et c'était comme si un souffle de vent pouvait venir et le dissiper dans les airs. Qu'il fût prêt à pleurer, c'était ce qui s'entendait dans sa voix.
« Je suis désolé... La réponse dépasse un peu la question. Je... Je ne sais pas pourquoi... Je te raconte ça... »
Il forçait un sourire sur ses lèvres, qui n'avait guère que le succès de lui donner l'air plus triste encore.
« Tu... Tu veux voir... une autre pièce ? »
Par un excès de courage, et comme pour convaincre Gaël (qui peut-être l'eût été s'il avait été sourd et aveugle) que tout allait finalement parfaitement bien, il posa à nouveau son regard dans celui de son interlocuteur, et leur profondeur intelligente était devenue une profondeur triste : c'était qu'aussi vieux qu'il se sentît, et qu'il fût d'une certaine manière réellement, il y avait encore en Koji un enfant en larmes.
La réponse dépasse un peu la question... non, on ne pouvait pas vraiment dire cela. Elle dépassait la question formulée à voix haute, mais pas celle, implicite, que Gaël avait posée sans la prononcer. Il se rendait compte, à présent, que peut-être il avait été trop indiscret. Il avait demandé des éclaircissements et avait eu en réponse un fragment d'âme, une partie de son mental auquel Koji ne devait pas souvent faire allusion. Un rayon de lumière fusa d'un astre situé à environ 150 millions de kilomètres de là, traversa l'atmosphère, une fenêtre, puis rebondit contre une surface liquide pour finir par glisser jusqu'à l'œil de Gaël. Koji pleurait. Les larmes avaient beau ne pas couler, tout son corps le clamait : sa voix, ce sourire dont n'émanait aucune joie, le tremblement de ses mains... Un peu embarrassé, Gaël se promit de ne plus aborder le sujet avant un petit moment. Pour lui qui, sans mépriser les pleurs, extériorisait rarement ses sentiments quels qu'ils soient, cette effusion sentimentale prenait une grande importance. Il détourna son regard de celui de Koji, sachant bien combien il pouvait être dérangeant d'être observé par des yeux froids et un visage inexpressif, mais sans pour autant penser à un autre sujet. Son guide était bien trop intéressant pour que Gaël puisse penser à autre chose. Apparemment, le développement de ses facultés intellectuelles allait de pair avec un certain nombre de troubles. Ce que Gaël en comprenait, c'est qu'il avait grandit trop vite, tout en doutant (mais espérant) que ce soit la seule conséquence néfaste. La mention de l'âge « physique » de Koji fut également la proie de ses pensées pendant un court instant. L'adolescence avait beau être un âge où la taille ne signifie plus grand chose, Koji faisait facilement deux ans de moins que lui, en apparence. Mais de combien le dépassait-il mentalement? Pouvait-on seulement utiliser une quelconque échelle de mesure?
Si ça ne te dérange pas, je préfère rester encore un peu.
*Au moins le temps de sécher tes larmes et de reprendre le contrôle de toi-même.*
"Tiens, d'ailleurs ce sont les toilettes là-bas? Faut que j'y aille, je reviens de suite."
Les toilettes étaient d'une propreté impeccable. Gaël se rinça les mains, se mit de l'eau sur le visage, se rinça les mains de nouveau, les essuya, admira son reflet dans le miroir, tira quelques grimaces à son reflet après s'être assuré qu'il était seul en ce lieu peu fréquenté à cette heure, puis rentra de nouveau dans la salle de détente. Il éprouva une sorte de choc à retrouver un monde coloré : dans les toilettes, excepté le savon qui arborait une couleur vert pâle, tout était en noir et blanc, y compris son reflet, à cause de son teint et de ses vêtements. Ses yeux fouillèrent la salle pour retrouver Koji et son canapé. Bien qu'ayant l'esprit encore un peu confus à cause des révélations de son camarade, Gaël se sentait beaucoup mieux. Rester seul un court instant afin de décompresser était important à ce moment là, pour lui comme pour Koji. Il se dirigea vers ce dernier, traversant la salle presque vide à grandes enjambées.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Mer 17 Fév 2010 - 19:04
Il l’avait laissé partir vers les toilettes sans rien dire, avec un sourire vague. Le pouvoir de Koji lui offrait bien des possibilités, il lui ouvrait bien des perspectives, et les facultés que permettaient de développer une intelligence aussi exceptionnelle que la sienne avaient presque plus de valeur que cette intelligence même, que sa mémoire, que la pure rapidité de son raisonnement ; mais parmi tous les talents qu’il avait acquis et perfectionnés à une vitesse hors du commun ne se trouvait pas la comédie. Koji était un mauvais acteur. Il n’avait jamais essayé d’en devenir un bon. Il pouvait mentir, comme tout le monde, mais interpréter un personnage, dissimuler efficacement ses émotions, affecter l’air de la plus parfaite désinvolture quand quelque chose, au fond, le tiraillait, lui était aussi impossible qu’à d’autres la résolution des problèmes mathématiques qui ne lui prenaient qu’une seconde.
Sans doute eût-il été préférable d’affecter la décontraction, et de ne pas faire semblant de remarquer que Gaël avait remarqué les larmes qui commençaient à naître au bord de ses paupières. Mais Koji n’avait pas même essayé ; c’était peine perdue, et il savait d’avance que sa voix, ses gestes, son regard ou la pâleur de son sourire, le trahiraient en une seconde et rendraient sa bravade aussi pathétique qu’inefficace.
Cela dit, il s’en voulait d’imposer ce spectacle à Gaël, dont il sentait bien qu’il le gênait. Sans doute le corps et les gestes de Gaël n’étaient pas aussi expressifs que les siens, et pourtant Koji percevait dans sa fuite une délicatesse qui lui faisait bien comprendre que ce n’était pas par cruauté ou par insensibilité que son nouveau camarade, quoiqu’ayant remarqué ses larmes, s’enquît plutôt de l’emplacement des toilettes. Gaël était mal à l’aise ; et c’était de sa faute. Koji s’en voulait un peu, il s’en voulait d’autant plus que ses souvenirs tentaient de briser l’excellente humeur qui était la sienne au début de cette journée.
L’une des raisons pour lesquelles il était venu à l’Institut avait été, d’abord, l’espoir que l’enseignement de mutants plus expérimentés, qui l’aideraient à prendre le contrôle sur son pouvoir, dissiperait ces incessantes révolutions de son caractère et rendrait sa vie de la sorte beaucoup plus facile. Car si Koji n’était pas si misanthrope qu’il avait pu le paraître ces dernières semaines passées reclus à l’Institut, et quasi dans sa chambre, si son âme était en réalité toujours en quête d’autres personnes, les changements continus de son caractère, les bonds de son esprit d’un monde à l’autre, en modifiant du tout au tout les sentiments qu’il faisait paraître dans une conversation, étaient un handicap social assez considérable.
Mais à présent, alors que son regard flottait vaguement sur la porte des toilettes, il comprenait que cet espoir était vain. Ce n’était pas qu’il maîtrisait mal son pouvoir, ce n’était pas son inexpérience qui produisait en lui des bouleversements incessants : c’était son pouvoir lui-même, sa nature profonde, et rien ne pourrait y remédier. Il fallait qu’il apprît ou à accepter ces changements, et à les faire accepter aux autres, ou à devenir un meilleur acteur. C’était étrangement la seconde solution qui lui semblait la plus insurmontable.
Mais durant la seconde qu’il occupait à songer à tout cela, les souvenirs de son passé, sans se dissiper, perdaient un peu de leur vitalité, et la douleur qu’ils portaient avec eux devenait moins sensible. C’était aussi qu’elle avait été rendue plus aiguë par de longues années de silence, durant lesquelles Koji avait pris garde de ne pas songer à ces moments pénibles, si bien que lorsqu’elle avait trouvé enfin à s’exprimer, un élan contenu trop longtemps de souffrance s’était épanché d’un seul coup. Maintenant, cet élan s’étant épuisé, il ne restait plus que la douleur originelle, mais comme purgée de ces excès : elle se muait en une tristesse mélancolique, un peu diffuse, elle n’avait plus la même importance.
Mais les conséquences, elles, perduraient : sa belle humeur avait été sérieusement mise à mal et Gaël était enfermé dans les toilettes depuis ce qui lui semblait être une éternité, c’est-à-dire précisément deux secondes et sept centièmes. Koji laissa son corps épouser un peu plus la forme du canapé, avec cette nonchalance féline qui était la sienne, qui faisait beaucoup de son charme un peu provocant, et dont il n’avait quasi pas conscience ; tout ce qu’il souhaitait, c’était d’être installé confortablement pour mener ses réflexions.
Il était évident que Gaël ne passerait pas sa vie dans les toilettes, qu’il allait sortir, et que la politesse qu’il avait fait paraitre jusque là, et dans laquelle il y avait même les signes d’une première sympathie, le pousserait à ne pas s’enfuir et à revenir à lui. Il trouvait ensuite que son camarade ne désirerait pas plus reparler que lui de ce qui s’était passé ; il serait donc inutile, et même maladroit, d’aborder à nouveau le sujet. Ce qu’il fallait faire, seulement, c’était exprimer à Gaël sa gratitude, pour sa discrétion.
Il songeait à Gaël, il songeait à son accent mystérieux, à ses cheveux blancs si jeune déjà. Quel âge pouvait-il avoir ? Et pourquoi était-il ici ? Quelle histoire était la sienne ? Plus qu’il n’échafaudait des théories, il se racontait des histoires, qui toutes pouvaient expliquer qui était Gaël, pourquoi il était là, ce n’était que des rêveries auxquelles il n’accordait pas beaucoup de vérité, mais qui l’amusaient, et qui, en achevant de le calmer, faisaient naître à nouveau un sourire sur son visage.
Comme il rêvait, la porte des toilettes, sur lequel son regard se fixait, s’ouvrit. Aussitôt, son regard s’empara de Gaël qui sortait ; c’était ce même regard de profonde intelligence, où l’imagination la plus puissante se mêlait à l’analyse la plus rigoureuse, qu’il avait eu la première fois qu’il l’avait vu, quelques dizaines de minutes plutôt, dans la cuisine. Mais contrairement au premier regard, qui n’avait duré qu’une fraction de seconde, celui-ci s’éternisait dans toute la courte éternité qu’il fallait à Gaël pour rejoindre la partie de la pièce qu’ils occupaient. Mais ce regard : c’était comme si chaque mouvement de Gaël, chacun des frissons de ses cheveux, se répercutait dans l’œil de Koji et se fondait dans l’océan de déductions et d’hypothèses dont son esprit était la source.
Alors que Gaël arrivait finalement dans leur sorte de petit salon au milieu de la pièce, un sourire illumina le visage de Koji, et le jeune homme se redressa un peu dans son canapé.
« Malte… Tu viens de Malte. »
Ce n’était pas vraiment une question, plutôt la conclusion d’une longue enquête, menée depuis l’instant où il avait entendu la voix de Gaël pour la première fois, et qui venait de trouver son aboutissement d’une façon que Koji n’avait pas soupçonnée d’abord. La satisfaction d’avoir résolu ce petit mystère était assez sensible pour chasser de son esprit, sinon les souvenirs, du moins les impressions douloureuses de la scène qui venait de se dérouler, de sorte qu’une nouvelle révolution venait de se produire dans son caractère, et le ramenait à sa belle humeur des premiers instants de leur rencontre.
En d’autres termes, Gaël avait l’honneur de goûter en quelques minutes aux affres de son caractère, et à l’une des conséquences fâcheuses de son pouvoir : quitter Koji quelques secondes, c’était s’exposer au risque de le retrouver tout à fait changé quand on revenait à lui, et on avait parfois l’impression qu’il ne s’agissait pas de la même personne, ou bien que la conversation que l’on venait d’avoir avec lui, et dans laquelle il avait fait paraître des signes de fatigue, de tristesse ou d’impatience, ou bien au contraire une joie, une volubilité et une énergie certaines, n’était qu’un rêve, et que le Koji réel que l’on voyait alors était dans des dispositions toutes contraires.
A quel point Koji avait conscience de ces changements si brusques, et des sueurs froides qu’ils pouvaient causer à son entourage, ce n’était pas clair. Et si d’aventure on le lui demandait, si on lui rappelait quelle avait été son humeur une ou deux minutes auparavant, on avait l’impression de demander à son grand-père d’évoquer ses souvenirs d’enfance, comme si ces deux minutes étaient séparées pour Koji de l’instant présent par des siècles. Ce qui ne l’empêchait jamais de s’en souvenir très exactement, et éventuellement de replonger dans les sentiments sur lesquels on l’interrogeait.
Ainsi, à cet instant précis, il semblait que jamais les larmes, dont pourtant ses yeux gardaient encore quelques traces, car son corps était beaucoup moins prompt que son esprit à changer, n’avaient coulé au cours de leur conversation ; il regardait Gaël avec une sorte d’exaltation énergique, comme s’il s’attendait à tout instant à découvrir sur lui autre chose, comme si son camarade était l’être du monde le plus intéressant (ce qui à cet instant, et au moins pour Koji, était effectivement le cas).
« Ce qui veut dire que la couleur de tes cheveux… Ce n’est pas de l’albinisme. Tu ne mets pas de crème, je l’aurais sentie. Malte est à… »
Ses yeux s’embrumèrent durant le quart de seconde qu’il mit à chercher dans sa mémoire. Avant d’étinceler à nouveau alors qu’il trouvait sa réponse.
« 35 degrés 50 minutes Nord et 14 degrés 35 minutes Est. Une peau fragile ne supporterait pas un tel ensoleillement sans une forte protection. D’ailleurs, j’aurais dû le deviner plus tôt. Tes cheveux quand tu marches sont souples. Ils sont magnifiques. Pas malades. »
En parlant, il avait quitté sa position alanguie sur le canapé pour s’asseoir en tailleur. Ses yeux toujours posés sur Gabriel hésitèrent un instant, puis, avec une voix prudente, douce, et néanmoins inquisitrice.
« Dis, Gaël, je me demande… Enfin, tu sais, si c’est indiscret, c’est pas grave, enfin, je suis désolé, je ne veux pas te déranger… Mais, tes cheveux… Ils ne sont pas teints, ça se voit, à la racine. Je me demandais si la couleur… Avait quelque chose à voir avec… Disons avec la raison pour laquelle tu es ici. »
Dernière édition par Koji Ashton le Jeu 25 Fév 2010 - 12:56, édité 1 fois
Gaël Calafel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Jeu 25 Fév 2010 - 0:59
Gaël sourit, puis éclata de rire.
Tu es vraiment..."Il chercha ses mots pendant une demi-seconde, puis prononça, de manière presque imperceptible :"...unique. Oui, c'est le mot.
Le sourire toujours aux lèvres, il avisa un fauteuil pour se jeter dedans, avant de planter son regard dans celui, intense, de Koji. Il se pencha en avant et croisa ses mains devant sa bouche :
Tes déductions sont justes... enfin je ne connais pas les coordonnées de Malte mais je te fais confiance pour ça.Il se redressa et posa ses mains sur ses genoux.Pour la couleur de mes cheveux, dit-il en relevant sa main pour en saisir une mèche et la faire tourner autour de son doigt tandis que son regard dérivait vers la fenêtre,Je crois bien qu'elle est due à ma mutation, effectivement. En tout cas, avant j'avais... je n'avais pas les cheveux blancs. C'est apparu de manière progressive. Malgré ça, j'aurais jamais imaginé être un mutant!"
Ses yeux dérivèrent au dehors, vers quelques oiseaux noirs qui s'étaient posés sur un arbre mort solitaire, spectacle sinistre mais courant au cœur de l'hiver. Un ballon percuta l'arbre avec force, faisant s'éparpiller ses habitants en tous sens avec de fort croassements. Tout le monde n'était pas à l'intérieur, apparemment. C'était drôle quand même, de penser qu'il allait sûrement rester ici pendant une bonne partie de sa vie, sous ce mauvais climat légendaire (mais qui était plutôt clément à cet instant) et dans cet immense bâtiment. Combien de temps lui faudrait-il pour s'adapter ici? Amusé, il se demanda également pendant combien de temps il continuerait à se poser des questions de cet acabit. Pour lui qui avait été aussi insouciant qu'on peut l'être, se préoccuper de son avenir était une chose nouvelle. Et pas totalement déplaisante, bien que déstabilisante.
Cela le fit repenser un peu à sa "vie d'avant". Il leva les yeux vers le soleil qui, bien qu'étonnamment vif pour le lieu et la saison, était loin de projeter autant d'éclat que dans son pays natal. D'ailleurs l'astre n'était même pas assez lumineux pour lui brûler les yeux. Il reporta son regard vers l'arbre abandonné autant par ses semblables que par l'énergie estivale, qui avait été recolonisé par quelques unes des corneilles. Il fut inconsciemment tenté pendant quelques instants de faire de cette triste scène le messie de son désespoir et de se laisser aller à évoquer quelques souvenirs malsains, mais il refoula cette pensée aussi vite qu'elle lui était venue. L'heure n'était pas aux apitoiements, surtout après ce qu'avait fait Koji.
"Finalement je ne m'en sors pas si mal comparé à d'autres. Si j'étais né aux Etats-Unis... on aurait sûrement dû me faire vacciner, malgré les risques que ça apporte."Il leva les yeux, fixant le rebord supérieur de la fenêtre sans le voir."Mais c'est dommage, j'aurais bien aimé aller là-bas un jour. Je suppose que ce n'est plus possible pour moi d'y faire du tourisme, maintenant."
Tout à ses pensées, il ne se rendit pas compte qu'il avait esquivé en toute innocence une occasion de révéler sa "particularité" à Koji. Il ne lui était tout simplement pas venu à l'esprit que quelqu'un puisse s'intéresser à cet aspect de sa personne pour lui qui, la veille encore, était resté persuadé d'avoir une mutation inactive.
Il fit redescendre ses yeux sur le visage de son interlocuteur, qui portait encore quelques stigmates des fortes émotions éprouvées il y avait déjà un millier d'années pour l'esprit qui l'habitait. Gaël comprit alors qu'il avait peut-être été maladroit en se comparant aux mutants dont le pouvoir empiétait tellement sur la vie de tous les jours qu'elle en rendait la personnalité totalement différente devant l'un d'entre eux. Koji avait démontré de manière plus qu'éclatante qu'il n'était pas exempt de peines et de souffrances, et lui, comme un idiot, s'empressait d'en remettre une couche! Gaël entra en état de suractivité cérébrale pendant un instant très bref, cherchant une échappatoire permettant d'éviter une autre crise émotionnelle. Pas question d'infliger ça de nouveau à celui qui avait eu la gentillesse de guider dans l'Institut un parfait inconnu trouvé en train de subtiliser des madeleines en plein après-midi! D'ailleurs, à propos de visite...
"On y va?"
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Jeu 25 Fév 2010 - 14:04
Il arrivait que la seule chose qui pût, toute une journée durant, plonger Koji dans la tristesse, fût quelque retour qu’il était forcé de faire sur son passé : c’était comme s’il était incapable à la fois de regarder à la fois dans son passé autre chose que les moments tristes qu’il abritait et de trouver ailleurs que dans son passé des raisons de tristesse. Sans doute Koji n’était-il pas l’optimisme incarné, et il suffisait de le fréquenter quelques semaines pour devenir familier des spectacles multiples de sa mélancolie, de ses insomnies, de ses migraines, des soudains accès de désespoir lors desquels toutes les raisons du monde tournoyaient dans son esprit pour le plonger, avec la force des certitudes millénaires, dans une obscurité irrémédiable ; mais cette obscurité même se dissipait la seconde suivante, et lorsque le jeune homme tournait son regard hors de lui, hors de ses propres souffrances, lorsqu’il contemplait le monde et que son intelligence en déployait les replis, il y avait toujours dans son regard la même lueur d’exaltation profonde, la même fascination poétique, émerveillement sans cesse mobile, traversé par une énergie active. Ce n’était pas seulement le monde qu’il voyait alors, et avec quelle clarté, c’était le futur et le passé de ce monde, ou plutôt tous ses futurs et tous ses passés possibles, qui se conjuguaient pour former une infinité d’univers, porteurs d’une infinité de raisons d’espérer, à leur tour. Ainsi, quelque sensibles que fussent ses douleurs, quelque lassitude et quelque énervement qui l’abattissent parfois, Koji n’en était pas moins optimiste.
Et ainsi était-il loin de considérer sa mutation comme une sorte de malédictions. Il en sentait tous les désagréments, et parfois avec une vivacité de laquelle il n’y avait quasi pas de retour, mais la plupart du temps, il était surtout animé par cette insatiable énergie de l’esprit qui rendait son monde si complexe, si riche. Le moindre imprévu, la moindre surprise, retentissaient dans son esprit avec la vivacité que n’avaient, dans l’esprit des autres, que les grands bouleversements. Aussi l’intensité avec laquelle il contemplait les yeux de Gaël n’avait-elle rien de surprenant : son nouveau camarade était une mine de surprises, une bourrasque qui passait sur son monde et en exhalait des senteurs insoupçonnées. Et si Gaël avait été la source lointaine de ses pleurs, cela n’avait été qu’en le replongeant dans un monde désormais éteint : ce n’était pas des souffrances, mais des souvenirs de souffrance, et les réponses de son camarade étaient loin de les pouvoir de nouveau convoquer.
Unique. On lui avait souvent dit cela, mais pour la première fois peut-être, Koji trouvait dans ce mot familier l’accent étranger du compliment. On lui avait dit qu’il était unique, mais jamais en riant. Les savants et les artistes qu’il avait fréquentés depuis plusieurs années ne se livraient à cette constatation qu’avec amertume : ce n’était pas de son exception à lui dont ils prenaient conscience mais de leur propre banalité. Ce n’était pas un compliment, c’était un reproche. D’ailleurs, peu nombreux étaient ceux qui faisaient des compliments à Koji : il avait vécu parmi des gens qui enviaient ses capacités d’une façon qui n’était pas entièrement bienveillante, quelque affection qu’ils eussent à son endroit par ailleurs, et quand même ils ne l’eussent pas envié, il leur eût semblé que le jeune homme avait pleinement conscience de ses qualités, et que tout compliment eût été inutile.
Rien n’était plus éloigné de la vérité, cependant, car s’il était vrai que Koji sentait sa propre intelligence – et comment ne l’eût-il pas senti, quand chaque conversation qu’il avait, chaque livre qu’il lisait, était fait pour lui rappeler la distance qui se creusait un peu plus, de jour en jour, entre lui et le monde ? -, il ne lui paraissait pas évident que son entourage la sentît comme lui, ou du moins qu’il la reçût avec bienveillance ; c’était moins pour s’assurer de ses qualités que pour sentir l’affection qu’on lui portait qu’il eût aimé des compliments. Et n’en avoir eu que très peu au cours de sa vie le rendait sensible à ceux que Virginie d’abord, et Gaël à présent, voulaient bien lui adresser. Sans doute en quelque manière ceux de Gaël lui étaient-ils encore plus sensibles que ceux de la jeune femme, et le regard de Koji laissa éclater une étincelle de joie.
Il était difficile que cette étincelle passât tout à fait inaperçue aux yeux de Gaël, mais Koji essayait du moins de s’en convaincre, et d’y aider, en s’intéressant exclusivement à la réponse du jeune homme, plutôt qu’au compliment qu’il venait de lui faire – tentative qu’il pouvait croire fructueuse, mais en réalité, un sourire de joie à la douceur presque enfantine flottait sur ses lèvres. Alors il était presque déçu que Gaël ne s’enquît pas du chemin qu’il avait pris pour établir ses déductions : il eût aimé le lui expliquer, pour lui montrer un peu plus encore combien il était unique, non par vanité, mais pour s’assurer de retrouver un jour encore le rire de Gaël, à ce propos.
Mais à cette déception, d’ailleurs légère, et un peu puérile, se mêlait dans son esprit la curiosité. Ses yeux détaillaient la chevelure de Gaël, comme pour y trouver un nouvel indice qui lui en eût appris un peu plus sur la mutation de son camarade. Il savait cependant que cette recherche avait bien des chances de se trouver vaine : la décoloration des cheveux pouvait fort bien n’être qu’une conséquence incidente de l’expression du gêne mutant, et n’avoir que peu à voir avec la mutation elle-même. Quelque rêveurs que fussent ses yeux néanmoins, le jeune homme n’abandonnait pas dans sa contemplation de la blancheur l’attention aiguë qui le guidait dans sa quête d’indices, et Gaël venait de lui en livrer un de taille : sa mutation était de telle sorte que, quoiqu’elle fût apparue, comme en témoignaient ses cheveux, il ne s’en était pas rendu compte.
Voilà qui avait de quoi laisser Koji songeur. Quel genre de mutations pouvait passer aussi inaperçus, à celui même qu’il affectait ? Il fallait que les manifestations en fussent extrêmement discrètes, ou bien que cette mutation ne se manifestât que dans des circonstances très précises, qui n’avaient pas été réunies pendant longtemps, de sorte que Gaël avait pu vivre, jusqu’à récemment, dans l’ignorance. Koji était bien placé pour savoir l’attention qu’un adolescent portait au moindre changement de sa vie, aussi lui paraissait-il peu probable que quelque chose se fût produit sans que Gaël ne l’eût remarqué : il était donc plutôt porté vers la seconde possibilité de son alternative.
Son esprit progressait donc dangereusement vite vers la vérité, lorsque Gaël lui parla des Etats-Unis. Comme la conversation de son camarade lui importait plus que sa petite enquête, d’ailleurs un peu indiscrète, Koji repoussa un peu cette dernière, sans pour autant l’abandonner, pour répondre au Maltais.
« Il ne faut pas désespérer. Les gouvernements changent. Parfois très vite. Sur ce point particulier, l’avenir est embrouillé, et personne ne peut tirer de conséquences très certaines du présent. Pas même moi, je l’avoue. »
Sa voix avait pris, en une seconde, le voile immémorial de la sagesse, et dans ses yeux l’exaltation de l’inquisition s’était aussitôt nimbée d’une douceur bienveillante, comme s’il avait été de la dernière importance que Gaël ne désespérât de pouvoir visiter un jour New-York ou le désert du Nevada. Mais il y avait quelque chose d’étrange dans cette sagesse : aussi humble qu’elle fût, on sentait qui s’y affirmait le pouvoir de prédire l’avenir, dans une certaine mesure, ou plus exactement de le déduire, de construire des hypothèses. Et ainsi Koji apparaissait-il un peu moins enfermé dans le monde, et un peu plus pris dans un temps complexe, qui n’avait que peu à voir avec celui de ses congénères.
D’ailleurs, en ce moment précis, le jeune homme était en train de profiter de toute la souplesse que sa perception temporelle lui permettait pour continuer à réfléchir, en parlant avec Gaël, à la mutation de ce dernier. La question qu’il avait à résoudre lui semblait désormais assez simple : quel ensemble de circonstances était à ce rare pour qu’il ne se fût pas assemblé autour de Gaël pendant un certain temps, de sorte à le laisser dans l’ignorance de sa mutation ? Une partie de l’esprit de Koji avait en quelque sorte adopté un programme automatique, qui lui faisait examiner tous les ensembles possibles, jusqu’à trouver le bon.
Koji avait appris à avoir confiance en la capacité de calcul de son cerveau, et il le laissait souvent tourner ainsi, comme un ordinateur, sans que sa conscience s’en préoccupât plus que cela. Il s’était donc levé à la question de Gaël, et sans qu’il parût qu’il réfléchissait, et avec une intensité certaine, à la mutation du jeune homme, il lui décocha un sourire éclatant.
« On y va. Je vais te montrer les endroits moins… Hm. Moins excitants, je suppose. »
Il se fraya un chemin entre les fauteuils et les canapés jusqu’à la sortie de la salle de repos. De temps à autre, son regard était brusquement concentré sur un détail de la pièce : tel meuble, telle personne que l’on apercevait de loin, et une seconde ou deux, son esprit semblait s’être embarqué dans une nouvelle réflexion. Il restait songeur, une ombre de concentration sur son visage, puis son esprit se détendait à nouveau, et ses traits reprenaient leur grâce joyeuse, leur énergie juvénile. Une fois dans les couloirs, il enfonça les mains dans ses poches, comme s’il avait décidé d’accentuer encore un peu plus son apparence de jeune insouciant, dont il savait pourtant qu’elle ne faisait plus illusion, à présent, sur Gaël.
Les deux jeunes hommes passaient devant les salles de classe, et quoique Koji n’y eût jamais mis les pieds, il énumérait avec un ton de certitude leurs emplois. Ce qu’il ne disait pas à Gaël, c’était qu’il n’était jamais venu ici auparavant, et que la fonction de ces salles, il la déduisait à des signes minuscules auxquels son camarade ne faisait probablement pas attention, mais qui permettait à son esprit de déduire le genre d’activités que l’on y pratiquait.
Mais ce dont son esprit était de plus en plus occupé, c’était de la mutation de Gaël. Koji ne voyait pas quelles choses pouvaient être si rares à Malte que, n’étant pas mis en contact avec elles, son camarade ne pût comprendre qu’il était un mutant. Ce n’était sans doute pas un élément. Il n’était pas pyromancien, géomancien, ou quelque chose du genre. Pas kinésiste ni télépathe. Sans doute pas médium. Cela ne pouvait pas être quelque chose de physique qui eût été directement sensible. Alors Koji songeait à Malte, à tout ce qu’il savait de Malte, à tout ce qu’il savait s’y trouver, et ne s’y trouver pas, ouvert aux hypothèses les plus farfelues.
Ils étaient arrivés devant la deuxième salle de physique et de chimie quand la courbe démographique de l’île de Malte se mit à flotter dans son esprit. Cinq cent milles habitants, ce n’était pas beaucoup. Il y avait beaucoup de sortes de personnes que l’on ne croisait pas, à Malte. Il y avait peut-être une sorte de personnes que Gaël n’avait jamais croisée auparavant. Les mutants, par exemple. A supposer que le pouvoir de son camarade avait quelque chose à voir avec les mutants, quel pouvait-il être ?
« Voilà pour les salles de classe. On peut aller au rez-de-chaussée voir l’infirmerie et la bibliothèque, si tu y tiens. Mais sinon, on a fait l’essentiel. C’est comme tu veux. »
Koji s’était arrêté, et son regard avait retrouvé son chemin vers celui de Gaël. Les mutants. Il n’effaçait pas leurs pouvoirs : Koji sentait qu’il avait gardé sa rapidité de réflexion. D’ailleurs, il ne se sentait changé en aucune façon dans sa mutation. Soudain, la lueur de la révélation éclata dans son regard. Mais cette fois-ci, elle fut bien loin de porter la même joie exaltée : à peine Koji eût-il l’impression d’avoir compris que son regard bondit pour s’échapper de celui de Gaël, et un frisson passa sur ses bras nus. Pour une fois, il espérait s’être trompé dans ses déductions.
Gaël Calafel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Mer 3 Mar 2010 - 15:00
Gaël sentit immédiatement que quelque chose avait troublé son guide. Bien que leurs regards se soient croisés à de nombreuses reprises, et s'étaient également, par conséquent, souvent détournés l'un de l'autre, jamais les yeux de Koji n'avaient fait un tel écart, jamais ils n'avaient aussi précipitamment pris la fuite devant ceux, froids, de Gaël. Il nota également, presque sans le voir, un léger frisson qui agita son camarade à cet instant précis. Et conclut donc naturellement que Koji avait peur, et que les chances pour que lui-même en soit la cause étaient élevées... terriblement élevées.
Cela le troubla un peu. Il savait qu'il n'avait rien fait qui puisse entraîner une angoisse aussi subite, et eut beau réfléchir de toutes ses forces, ne trouva pas même l'ombre une quelconque raison pouvant en indiquer la cause. Puis il décida d'abandonner la question, estimant inutile de se tourmenter en échafaudant des hypothèses abracadabrantes. Si Koji avait quelque chose sur le cœur, et qu'il ne voulait pas en parler, libre à lui. En attendant de le connaître mieux, et de pouvoir interpréter ce genre de signes, on en était réduit à accepter le silence de l'autre. Gaël se décida néanmoins à lui donner une occasion de lui confier ce qui l'avait sorti de sa quiétude, même s'il était persuadé que son guide ne la saisirait pas.
"Tu as froid?"
Peut-être n'attendait-il que cela, après tout. Pouvoir se confier. Il en avait déjà fait la démonstration... Cependant, Gaël savait que cette fois-ci était différente, puisqu'il était très probablement concerné. Et il voyait mal son camarade lui dire d'un air détaché "Tu me fais peur, tu sais?" et lui détailler ensuite pourquoi. Enfin, Koji était si complexe et si imprévisible... C'était cette imprévisibilité qui le rendait plus vivant d'une certaine manière, qui le colorait aux yeux de Gaël. Sans le détester viscéralement, ce dernier n'était pas très attiré par l'ordre. Et quoiqu'il sache qu'il en fallait certainement pour faire tourner le monde, il aimait être surpris. Peut-être parce qu'il l'était, au final, rarement. On ne choisit pas sa famille, et celle de Gaël mettait l'accent sur la discipline et l'autorité. Ce qui avait produit, sans trop qu'on sache comment, un enfant incapable d'adhérer à ce genre de valeurs. La vie a ses mystères.
Il avait donc eu la bonne surprise de trouver, et ce, dès sa première rencontre, une source virtuellement inépuisable d'étonnement en la personne de Koji. Koji, qui était capable de changer totalement de sentiments en moins d'une minute. Koji qui avait été capable de déduire avec exactitude qu'il était son voisin de chambre simplement en faisant une correspondance entre la taille de ses jambes et son rythme de marche. Koji qui n'avait pas plus pu s'empêcher de sourire que les chats de ronronner lorsqu'il lui avait simplement dit la pire des banalités, un compliment qu'on avait dû lui faire des centaines de milliers de fois. Le même Koji qui, à présent, le fuyait du regard.
Gaël en était attristé, mais il ne doutait pas un instant que cela lui passerait. Il préféra penser à la façon qu'avait eu Koji de réagir aux compliments. Il était très étonné de s'apercevoir à quel point son guide y était sensible. On lui en avait sûrement déjà fait des milliers. Et celui que Gaël lui avait fait était d'une banalité presque affligeante au vu des capacités que manifestait Koji. Il en déduisit, avec sa vision très personnelle du monde qui lui souffla qu'un plaisir aussi grand ne pouvait qu'être un signe d'inhabituel, voire de rareté (et qui pour une fois ne l'envoya pas sur la mauvaise piste), que son guide n'était pas adulé, ni par les communautés scientifiques, qui l'avaient sans doute possible remarqué depuis longtemps, ni par son entourage proche, si entourage proche il y avait.
Ce fut à peu près à ce point là de ses réflexions que Gaël se rendit compte que c'était la première fois qu'il poussait aussi loin l'exploration du "profil psychique" de quelqu'un dès la première rencontre. Il faut dire également que c'était la première fois depuis plusieurs années qu'il voyait quelqu'un les larmes aux yeux. Et le fait que cela se passe lors de sa première rencontre avec ladite personne avait de quoi intriguer et éveiller l'intérêt... quoiqu'à la réflexion, beaucoup se seraient laissés aller à la pitié, au mépris ou à l'indifférence sans chercher à comprendre plus en avant les émotions de ce qu'on pouvait appeler en toute subjectivité un inconnu, même s'il se révèle être votre voisin. Sans doute Gaël lui-même aurait réagi de manière différente s'il s'était agi de quelqu'un d'autre. Or, Koji avait réussi à éveiller son intérêt dès ses premières phrases. C'est pas tous les jours qu'on rencontre l'homme le plus intelligent de la planète. Aussi le jeune homme aux cheveux blancs s'était tout naturellement intéressé à ce qu'il y avait de plus remarquable chez lui : son esprit.
Il se demanda à quelles réflexions Koji se livrait de son côté. D'après ses derniers faits et gestes, on pouvait imaginer qu'il pensait également à son camarade (et peut-être à d'autres choses en même temps?). Apparemment, ses conclusions ne le réjouissaient pas autant que la découverte des origines du Maltais. Il se rappela avoir décidé de ne pas creuser plus en avant ce terrain, aussi abandonna-t-il là ses réflexions psychologiques pour s'apercevoir de quelque chose de beaucoup plus matériel : il avait faim. De nouveau. Et soif. Mais surtout, il avait oublié dans quelle direction était la cuisine. Ou plutôt, il n'était pas capable d'y retourner sans faire l'exact chemin en sens inverse ce qui, au vu de ce que son esprit avait pu enregistrer du parcours, revenait à un gros détour. De plus il était très intéressant de connaître l'itinéraire le plus direct entre les salles de cours et la cuisine. Ce fut pourquoi la phrase qui suivit prit très logiquement la forme suivante :
"Et... euh... Pour aller à la cuisine d'ici, on passe par où?"
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Jeu 4 Mar 2010 - 1:44
Peur, avait-il seulement peur, était-ce bien ce sentiment qui faisait naître un frisson au creux de ses poignets, qui l’éparpillait tout le long de sa peau, ce sentiment qui avait un instant fixé ses pensées, arrêté le cours, tumultueux, incessant, l’infinie variation autour de thèmes sans cesse découverts, toujours connus, épousés à nouveau et à nouveau abandonnés, toutes ces pensées qui le happaient hors de lui, loin de lui, jusqu’à ce que finalement il ne sût plus qui il était, quel était son nom parmi tous ces noms qui l’habitaient, quel était son âge, son pays, la langue qu’il avait d’abord parlée, les souvenirs qui étaient les siens et ceux qu’il avait imaginés, en lisant d’autres vies qui déchiraient la sienne, l’éparpillaient, la semaient au gré de ses pensées, jusqu’à ce qu’il ne pût plus la retrouver ; sa pensée en un instant concentrée, détournée du monde, forcée à un égocentrisme si rare qu’il lui était devenu troublant, sa pensée s’était retournée vers lui, et c’était la peur qu’il avait de Gaël qui l’avait permis, la peur qu’un jour son camarade pût capturer un dixième, un centième de son pouvoir, et lire tous les signes dont Koji savaient qu’ils peuplaient son corps, son comportement, sa voix et ses gestes, lire en lui comme dans un livre ouvert, et savoir jusqu’au dernier mot de son être.
Il avait eu peur, sans doute, en y songeant d’abord : c’était que de longues années, et qu’elles étaient longues pour lui, s’étaient écoulées pendant lesquelles il n’avait pas songé à lui, pas songé à l’être qu’il était pour tous les autres. Il avait appris, il avait retenu, il avait forgé toutes les théories possibles sur tous les sujets qui s’offraient à lui, et dans cette course effrénée de savoir, alors qu’il devenait peu à peu la conscience du monde, il y avait une chose qu’il avait négligée de connaître, et c’était son être-même.
Peut-être s’y était-il risqué parfois, et des rares incursions qu’il avait faites en lui-même, il avait compris quelles immenses souffrances la machine de son intelligence pouvait tirer de son existence. Ce n’était pas seulement ses souvenirs : même eux n’étaient rien devant la foule innombrable des futurs qu’il rêvait, et donc l’examen le moins appuyé lui montrait qu’ils n’étaient que des souhaits sans fondement, morts avant d’être nés. A chaque fois que Koji s’était regardé lui-même, il avait vu son avenir possible infiniment plus terne que ses rêves ; il avait donc pris l’habitude de ne plus songer à lui, de se préoccuper plutôt des autres, des concepts, ou des équations.
Mais la peur qu’il avait eue en songeant que Gaël, un jour, pourrait lire en lui ses secrets, en empruntant un peu de son intelligence, avait fait surgir ces secrets à son esprit à nouveau, mais en le dépeuplant de toute autre pensée : il ne songeait plus aux conséquences de ses secrets, il ne songeait pas à leur genèse ni à leur avenir, il ne songeait pas aux autres secrets qu’il eût pu avoir sous telle ou telle autre condition. Il songeait à ses secrets, il avait peur que Gaël le découvrît : il était, pour une fois de sa vie, simplement et exactement lui-même.
Sa peur, ce pur dépeuplement de l’esprit n’avait duré qu’une demi-seconde, mais elle avait ouvert une brèche dans les protections que l’habitude avait érigées patiemment autour de son âme, année après année, et que rien n’avait pu ébranler, car tout avait été trop complexe. Même ses amours, si nombreuses pourtant, s’étaient toujours présentées de sorte qu’il pût les réfléchir, les sublimer dans l’art : il n’y avait jamais été simplement lui-même. Mais il venait de s’entrevoir, pour la première fois peut-être depuis les débuts de sa mutation, et cela comme le reste, il ne pouvait l’oublier.
Et maintenant que les pensées avaient recommencé à suivre leur cours, à cascader par milliers à chaque seconde dans son esprit, il lui semblait qu’elles n’étaient plus tout à fait les mêmes, que quelque chose en elles étaient changées. Il les scrutait, il les décomposait, toutes, toutes en même temps, pour trouver le secret de leur changement. Et cette opération, même pour son esprit si puissant, prenait du temps. Plus de temps que ne lui en laissait Gaël.
Alors, pour la première fois, Koji n’eut pas le loisir de réfléchir aux questions de son camarade. Il les avait à peine écoutées, et il se contentait de le regarder lui, la source d’un si grand changement ; mais dans ses yeux, la peur s’était muée en une incertitude. Alors il comprit que rien dans ses pensées n’avait changé que celui qui les pensait, et l’incertitude à son tour se changea en une fascination, qui pétillait dans son regard, y pétillait mariée avec autant de reconnaissance pour Gaël que s’y était lue d’incompréhension lorsque la révélation du pouvoir de son camarade en lui s’était produite.
En quelques secondes, l’(in)fortuné Maltais avait assisté à une nouvelle révolution de l’humeur de Koji, mais de toutes les révolutions qui s’y étaient produites depuis qu’ils s’étaient rencontrés, et de toutes celles qui avaient peuplés les semaines, les mois, les années précédentes, celle-ci était sans doute la plus considérable. Il comprenait à présent ce qui l’avait poussé à étudier telle ou telle chose, vers laquelle il avait toujours cru que seul un intérêt purement intellectuel l’avait poussé. Sa vie prenait soudain une densité dont il avait longtemps été persuadé qu’elle faisait la chair seule du monde.
« Gaël… »
Il lui semblait même que sa voix était un peu différente de l’ordinaire : c’était qu’il l’entendait dans toute sa profondeur. Il avait cru atteindre quelque temps plutôt, avec Virginie, dans le centre commercial, devant ce tableau d’un peintre qu’il avait si bien connu, le terme de son parcours d’ermite ; il avait cru entrer dans une vie nouvelle. Peut-être cela avait-il été le cas, peut-être sans ce premier épisode où s’étaient brisées certaines de ses habitudes le second n’eût pu avoir lieu. Mais ce n’était qu’à présent qu’il sentait que cette vie nouvelle, c’était la sienne, véritablement.
Et la première constatation qu’il était forcé de faire sur cette vie nouvelle, c’était qu’elle n’était pas aussi riche en certitudes que la précédente. Tant qu’il n’avait été question de que de choses extérieures, juger n’avait pas été trop difficile pour lui. Mais maintenant qu’il surprenait sa vie, sa chair, son être dans les recoins de ses mots, il n’était plus certain de ce qu’il devait dire, ni même de ce qu’il voulait dire.
« Tu… »
Cette tentative ne fut pas beaucoup plus fructueuse que la première. Il aurait aimé expliquer à Gaël, expliquer ce qui venait de se produire en lui, moins par désir de se confier que par souci d’exprimer sa reconnaissance envers son camarade, plus complètement encore que ne le faisait son regard ; mais il sentait bien que les mouvements de son âme devaient avoir quelque chose d’absurde pour un observateur étranger, et puis les mots, tous les mots auxquels il pouvait songer, ne trouvaient pas le secret pour confesser cette dernière révolution.
Il trouva que ce qu’il avait de mieux à faire, c’était de se rabattre sur les questions que Gaël lui avait posées, et de laisser se glisser dans l’étrangeté de ce silence de quelques secondes entre eux le murmure d’un remerciement. Sa voix avait repris son rythme habituel, cette douceur un peu atemporelle de la sagesse où scintillait, au détour d’un mot, l’énergie de la jeunesse.
« Je n’ai pas froid. Non… Plus maintenant. »
Au contraire : il était traversé par la chaleur de son propre sang, qui battait dans ses propres veines, qui battait le rythme de sa propre vie.
« Pour la cuisine… Eh bien, le plus simple, c’est que je te montre. »
Quelques minutes auparavant, il avait semblé vouloir le fuir, disparaitre en un instant, et peut-être ne plus jamais le croiser, pour emporter loin de son regard de précieux secrets. Mais ces secrets à présent, quoiqu’il redoutât toujours que Gaël pût les apprendre, ne lui semblait pas aussi importants que la présence de celui qui l’avait jeté en lui-même, ouvert une brèche dans ses pensées, et dans cette brèche, pour un esprit sans cesse envahi comme était le sien, il n’y avait pas eu que la peur : il y avait eu l’espoir entrevu un instant de vivre seulement sa propre vie, au moins pour quelques secondes, et comme la promesse d’un repos qu’il avait cru longtemps inaccessible.
Le jeune homme avait donc entraîné son camarade dans les escaliers, qu’il dévalait à une vitesse hallucinante, sautant la moitié des marches, se rétablissant sur celles qui restaient dans un équilibre dont on doutait toujours qu’il pût le maintenir. Et il rythmait sa propre tornade en fredonnant un air de Vivaldi. Ces sursauts d’insouciance et de vitalité étaient loin d’être rares chez lui ; ils prenaient néanmoins une saveur nouvelle.
Le chemin direct des salles de cours à la cuisine était en effet beaucoup moins long que leurs premiers détours ne le laissaient croire, si bien que l’estomac de Gaël pouvait envisager en toute sérénité les cours à venir : il lui serait toujours possible d’atteindre les réserves précieuses des placards pendant les pauses. Il ne leur fallut pas cinq minutes pour se retrouver à nouveau dans la cuisine.
A peine entrée, Koji s’était installé sur un des tabourets hauts qui entouraient l’ilot central. Il avait sorti de ses poches un crayon à papier et une feuille pliée et repliée, et repliée encore, qu’il développait à présent soigneusement, et dont il entreprenait d’aplanir les plis, en se balançant sur son tabouret, avec ce même sens infaillible, mais en apparence précaire, de l’équilibre dont il avait fait preuve dans les escaliers.
« Hmm… Je vais essayer de te faire un plan. Je dois te bien ça. »
Il ne prit pas la peine d’expliquer à Gaël la raison pour laquelle il estimait lui devoir quelque chose. Il ne trouvait toujours pas le moyen de faire comprendre à Gaël le changement qui s’était produit en lui. Comment faire comprendre à quelqu’un dont l’esprit n’était pas peuplé par des centaines d’existence étrangères quel plaisir insoupçonné il avait éprouvé à se retrouver, pour une fois, seul avec lui-même ? Comment lui faire entrevoir que de ce seul instant de solitude déjà passé naissait une lumière qui modifiait ses pensées et lui faisait sentir combien ces pensées ne pouvaient être que les siennes ?
Et puis, à toute cette complexité s’ajoutait peut-être aussi une raison de timidité : cet être si particulier qu’il venait de découvrir en lui, lui-même, il n’osait guère l’exprimer directement. Pourtant, il l’avait fait bien des fois au cours de sa vie passée, mais il n’en avait pas tout à fait la même conscience : désormais, la moindre affirmation lui paraissait de beaucoup plus de poids.
Il avait dit qu’il allait essayer de faire un plan, et pourtant, il n’avait pas l’air d’avoir besoin d’essayer : à peine avait-il posé son crayon sur la feuille que les lignes s’étaient développées, issues de sa mémoire, du plan conçu automatiquement par son esprit, et elles se déployaient avec une précision parfaite sur la feuille ; il n’y avait pas un instant où il hésitât, pas un trait qui ne fût assuré. Et pourtant, il n’avait pas l’air de se concentrer : c’était un peu comme si sa main agissait seule. Et quelques secondes plus tard, le plan était fini. Il posa le crayon, et dans un balancement de tabouret particulièrement audacieux, contempla son œuvre.
« Hmoui. C’est bien. Voilà. Là… »
L’un de ses doigts fins, légers, s’était posé sur la cuisine du plan, au milieu de laquelle il avait pris soin de dessiner, en tout petit, mais avec une précision dans les détails fascinante, un Gaël minuscule visiblement occupé à se goinfrer.
« C’est là où on s’est rencontré. Ca te servira de point de repère. »
Il lui adressa un sourire doucement accusateur en se rétablissant avec son tabouret.
« J’ai cru comprendre que la cuisine était le centre névralgique de ton territoire. Il m’a semblé judicieux d’y insister. »
Gaël Calafel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Mer 10 Mar 2010 - 16:36
"Le centre névralgique, hein. Moui, je suppose qu'on peut dire ça. J'aime bien la cuisine, c'est un endroit agréable : nourriture, chaleur même en plein hiver, rencontres intéressantes... Une pièce indispensable à tous points de vue!"
Il se pencha pour admirer sa réplique bidimensionnelle en pleine action. Koji avait un coup de crayon d'une finesse remarquable : c'était bien la première fois que Gaël croisait quelqu'un capable de tracer des lignes et des angles aussi droits, sans parler des courbures parfaites ni même de la vitesse à laquelle le plan avait été conçu. N'eut été la trace caractéristique du crayon, on aurait pu croire à un dessin réalisé sur un support électronique. S'ajoutait à l'exploit déjà peu mince la position totalement instable utilisée pour le réaliser... Gaël songea soudain que cette scène aurait fait pu faire une magnifique photo, peinture ou sculpture. D'ailleurs, Koji avait-il déjà été pris pour modèle? Il n'était sûrement pas assez... viril pour faire du mannequinat, mais bien d'autres possibilités s'ouvraient à lui en tant que modèle. Son visage, son regard dégageaient une force peu commune que certaines œuvres d'arts arrivent parfois à capter et à restituer.
Le jeune maltais pris le plan sans ajouter un mot, y jeta un vague coup d'œil qui retraça le chemin jusqu'à sa chambre, le plia en quatre et le rangea dans la poche de son blouson. Sa main prit ensuite la direction de l'un des placards, qui renfermait encore quelques paquets des précieuses madeleines fourrées à la confiture de fraise. Il se contenta cette fois d'une paire de ces délicieux petits gâteaux, qui connurent une fin prématurée lors de leur transformation en broyât digérable. Durant les quelques secondes que durèrent l'ingestion, Gaël se remit à penser à Koji et ses sautes d'humeur. La dernière l'avait fait presque bafouiller, tandis qu'il cherchait ses mots. Les quelques uns qui avaient réussis à sortir malgré tout avaient un air de confusion. Cependant, loin de paraître véritablement confus, Koji avait eu en cet instant un visage qui avait dû être celui d'Archimède lorsqu'il s'était écrié « Eurêka! ». Et jamais Gaël n'avait assisté à une telle manifestation de joie chez quiconque. D'après ses paroles, Koji devait son élan de joie soudain à celui qu'il avait ensuite plus ou moins considéré comme son débiteur. "Je te dois bien ça." Gaël ne se rappelait pas avoir fait quoique ce soit pouvant, même de loin, entraîner un effet de ce genre. Il ne devina pas que la cause de l'humeur joyeuse de son camarade provenait de la même cause que l'angoisse qui avait transparut dans ses yeux plus tôt, à savoir son pouvoir. La seule conclusion qu'il parvint tirer de cet événement était que Koji était décidément bien imprévisible, conclusion tout-à-fait commune lorsque nous autres hominidés sommes confrontés à des relations de cause à effet que nous ne pouvons saisir dans leur totalité.
La dernière bouchée engloutie, le jeune homme aux cheveux blancs comme neige se retourna vers l'objet de ses pensées. Il ne fut pas surpris de croiser immédiatement son regard, ce jeu qui était né entre eux avait déjà la force de l'habitude, si tant est que Koji appréhenda un tel concept (comment en être sûr?).
"Eh bien, merci de m'avoir accompagné. J'ai été ravi de faire ta connaissance, j'espère qu'on se reverra bient... Ah, mais nous sommes voisins de chambre de toute façon. N'hésite pas à venir de temps à autre, surtout qu'on ne se verra pas en cours d'après ce que j'ai compris. Il refit son éternel demi-sourire, avant d'amorcer un demi-tour et de se raviser.Merci pour le plan aussi, ça va m'être bien utile pour mes débuts ici. Joli coup de crayon, au fait."
Une fois dans sa chambre, Gaël finit ce qu'il y avait à finir, et qui consistait en une quantité non négligeable de rangement et de tri. L'idée lui vint soudain qu'une paire de gants, pour éviter à la fois le froid et les contacts avec d'autres mutants, lui serait bien utile. Un léger mouvement de la rétine lui apprit qu'il serait bientôt seize heure. Ne connaissant pas les horaires des magasins londoniens, il valait mieux se dépêcher. Lorsqu'il sortit du Nouvel Institut, une part de son esprit toujours concentrée sur la rencontre insolite qu'il avait faite, il aperçut quelques nuages au loin, qui semblaient pressés de visiter la ville. Il ne restait plus qu'à espérer qu'il trouve rapidement une boutique appropriée. Et qu'il ne se perde pas sur le chemin du retour.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Retaaaaaard! Et madeleines. Sam 13 Mar 2010 - 14:07
Le temps qui s’était écoulé depuis qu’ils s’étaient rencontré, Koji n’aurait su le dire. Sans doute cela tenait-il pour une part à sa mutation, qui contractait en une seconde noyée dans le cours du temps certaines époques et dépliait à l’infini un seul instant jusqu’à l’éternité, et s’il avait été plus normal, ou si seulement son anormalité avait été différente, sans doute aurait-il pu saisir que cela faisait une heure, peut-être un peu moins, qu’ils étaient ensemble, et saisir que ce temps était suffisant, amplement suffisant peut-être, pour une première rencontre. Mais comme il ne savait plus depuis longtemps ce que cela faisait de vivre dans le temps, de vivre des heures qui durent des heures, Koji ne parvenait guère à saisir les convenances qui s’attachaient à cet écoulement : que Gaël l’abandonnât après dix minutes, ou au terme de plusieurs heures, c’était une différence qu’il n’était pas à même de sentir, pas dans ces termes-là.
Mais si l’heure ou presque qui venait de s’écouler lui avait semblé longue, sans jamais pourtant l’être trop, ce n’était pas seulement que bien des chemins parcourus en elle, parcourus en même temps l’avaient rendue heure riche, heure féconde, par la grâce (la grâce ?) d’une intelligence sans commune ni mesure ni nature, ce n’était pas seulement son anormalité qui donnait à Koji l’impression qu’il connaissait Gaël depuis beaucoup plus longtemps qu’une seule heure, c’était aussi ce qu’il partageait (encore) avec le reste de l’humanité, l’un de ces fils, plus nombreux qu’il ne le soupçonnait, qui le liaient encore à une existence heureusement commune : car il arrive parfois, sans secours aucune de mutations, qu’un être en croise un autre qu’il a l’impression de connaître depuis longtemps, depuis toujours.
Alors que son regard fût encore happé par celui de son camarade, et que cette habitude n’eût mis que quelques minutes à naître, ce n’était pas ce qui l’étonnait ; d’ailleurs, il ne savait pas ce que quelques minutes étaient. Il songeait à ces yeux comme il songeait à la Lune, lointaine, et glacée, mais vers laquelle s’élèvent pourtant bien des rêveries lyriques ; il songeait que si les seuls dons de la mutation de Gaël étaient ces cheveux blancs et ce regard sélénite, c’était déjà bien assez. Il aurait aimé que ses yeux fussent moins profonds et moins sombres, il aurait aimé avoir des yeux brillants, jeunes comme le semblait encore son visage, et pour longtemps, afin que pussent s’y refléter aussi des rêveries, que Gaël n’eût pas à plonger son regard dans un gouffre d’intelligence.
C’était seulement cette pensée qui pouvait arracher son regard à sa contemplation, et il regardait à présent ses mains, ses mains aux longs doigts fins et fragiles, toujours presque sur le point de se briser, comme tout son corps et tous ses os, comme de cristal, et éphémère. Il n’avait pas songé que Gaël pût partir si vite – car cette heure qui lui avait semblé jusque là si longue, comme est long et confortable le soir d’été, quand le soleil ne finit pas de se coucher, il la trouvait courte, à présent – et il ne répondit rien d’abord aux politesses (seulement cela ?) de son camarade, si ce n’était un vague sourire, qu’il adressait plutôt à ses mains, faute de pouvoir le hisser jusqu’à lui.
Il avait l’air d’un enfant plus encore que d’habitude, à qui nous disons que nous allons partir, que ce ne sera pas long, que bientôt nous serons de retour, mais dont nous savons que les quelques heures, les quelques jours, que nous passerons loin de lui pour lui seront comme toute une vie, nous le savons et lui aussi, et s’il sourit malgré tout, c’est uniquement pour ne pas nous faire de peine. Et Koji était un peu comme un enfant, pour qui le temps qui passe ne veut pas dire grand’chose, pas encore, et qui le trouve alternativement insignifiant et insurmontable.
Alors, dans le regard qu’il leva finalement vers Gaël, c’était à la fois le temps long, lent, de la vieillisse, avenir lointain pour un corps si jeune encore, mais avenir déjà présent, et le passé rejeté une éternité en arrière de l’enfance inquiète, incertaine, et qu’un esprit aussi âgé que le sien n’avait pas encore, pourtant, oublié.
« J’espère aussi. »
Ce devait être une chose bien rare que ces deux mots anodins, pour qu’il les dît avec cette sorte de timidité intriguée qui avait été, quelques instants, dans le son de sa voix. C’était que livré à lui-même, Koji n’espérait pas grand’chose : il avait tous les moyens de savoir, de calculer, et les mondes possibles qui vivaient dans son esprit, quand il anticipait l’avenir, avaient chacun leur degré de certitude. Mais il arrivait que surgît dans sa vie un élément qui n’était pas entièrement computable, un élément qui ne vivait pas seulement dans son esprit, mais attaché aussi à un réel indépendant, quelque chose d’imprévisible comme un autre être humain. Ainsi Koji pouvait-il parfois songer au temps qui passait, en souhaitant par exemple qu’il passât plus vite, jusqu’à la prochaine fois où il rencontrerait Gaël.
Il avait fixé la porte longtemps encore après que son camarade fût sorti, peut-être même plusieurs secondes durant. Quelle étrange rencontre cela avait été, pour lui. Il songeait que pas un instant Gaël ne lui avait été proche, pas un instant il avait cru pouvoir saisir, dans son regard, dans son sourire, un fragment de vie profonde, de vie intime, de vie véritable. Réaliser cela, c’était presque douloureux, parce qu’il avait l’impression de connaître depuis longtemps un étranger, un inconnu. Mais en même temps, il songeait que s’il y avait une distance entre eux, ce n’était pas tout entier sa faute, la faute de son esprit monstrueux, mais un peu celle de Gaël et de son mystère, et cela, c’était apaisant.
En se levant finalement, et en rentrant vers sa chambre, sans vraiment y prendre garde, il songeait aussi au pouvoir qu’il supposait à son camarade, et qui lui semblait si inquiétant. Il se voyait pour une fois soumis aux mêmes analyses, aux mêmes scrutations, qu’il faisait subir aux autres, et tout son pouvoir de déduction, il le voyait retourné contre lui. Il avait peur soudain d’être réduit à cette petite chose sans mystère qu’il était dans ses secrets, fragile et misérable. Cette peur avait quelque chose de séduisant, dans sa nouveauté : elle était le signe que pour la première fois de sa vie, c’était de lui qu’il se préoccupait. Mais elle n’était pas tout ce qui était séduisant dans le pouvoir de Gaël, car il y avait aussi la perspective d’être un jour compris par quelqu’un qui, pendant quelques minutes, partagerait son intelligence, qui saurait, qui saurait enfin, avec lui, ce que cela faisait.
Arrivé devant sa porte, il jeta un regard à celle de Gaël : elle était fermée sur cette partie de la vie de son camarade qui lui échappait, cette partie qui le capturait hors des calculs qu’il pouvait faire, et cette partie qu’il le rendait véritable. Dans sa chambre à lui, il voyait la sienne, sa vie véritable, à laquelle il n’avait jamais songée comme celui auparavant : il la voyait dans l’empilement des livres, partout, sur le bureau, sur le sol, sur les étagères, il la voyait dans les feuilles couvertes de notes, dans ses vêtements, jetés de ci de là, attendant que leur propriétaire, suivant le rythme exact et mystérieux de sa coquetterie, les choisît finalement. C’était lui, tout cela, tout était lui.
Il se laissa tomber sur le lit, les yeux fermés, pour écouter dans la chambre voisine le bruit des sacs qu’on défaisait, des affaires qu’on rangeait : c’était le bruit d’une autre vie qui prenait place. Il resta longtemps ainsi, à écouter ce qui se passait, et puis, au bout d’une seconde finalement, se redressant, sortit son violon de son étui, pour en faire vibrer les cordes au hasard, sans partition et sans rythme. C’était son hasard, c’était son inconscient, c’était quelque chose en somme qu’il ne pensait pas, qui choisissait quelle corde, et pour combien de temps, faire vibrer et laisser vibrer.
Bientôt, c’était la porte d’à-côté que l’on fermait, et Gaël était parti. Alors Koji se sentit seul, comme si tout le temps que son camarade avait passé dans l’autre chambre à côté de la sienne, avait été un temps passé près de lui, encore un peu près, et des secondes gagnées sur l’au-revoir. Secondes gagnées sur la solitude, car maintenant il était seul vraiment avec soi, soi à qui jamais il n’avait songé, soi comme un inconnu en lui, un monde pas encore découvert, mais soumis à quoi, à quel calcul ?
Il n’était pas sûr de pouvoir sortir jamais de ce monde si d’aventure il s’y plongeait : mais ce manque de certitude, ce n’était pas une déduction de son intelligence, mais l’instinct de sa lâcheté, qui à lui trouvait plus facile de préférer Vivaldi.
FIN
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