[RP] Sonate « sang » fausses notes…[L'Orpheum]

Pouvoir · Type Sigma

L'articulation d'un index ganté donna trois petits coups brefs au battant de la porte de la loge.
Sans attendre d'y être invitée, une servante entra avec un lourd chariot et referma derrière elle. Ses yeux bleus glacés lorgnaient le néant, son esprit était ailleurs.
Elle était vêtue de la livrée noire des domestiques hantant les couloirs de la prestigieuse salle de concert, ses longs cheveux blonds étaient emprisonnés dans un chignon strict. Elle avait la peau blanche, quasi-diaphane, caractéristique des pays slaves.
L'imposant chariot en bois qu'elle poussait était couvert de victuailles diverses et variées : des paniers d'osier remplis de viennoiseries, des saladiers gorgés de sucreries et des plats en argent débordant de charcuterie et de canapés au caviar.

Au détour d'un regard distrait, l'intruse aperçut enfin le violoniste, affalé dans un des fauteuils. Son visage perdit aussitôt sa neutralité pour prendre une teinte rouge de surprise.
"_ Oh ! Excusez-moi, maître Orwell, s'exclama-t-elle en baissant immédiatement les yeux, on ne m'a pas prévenue de votre arrivée. Je... Je pensais entrer dans une loge vide, je... je suis entrée de manière bien impolie…"

Les R roulaient dans sa bouche, trahissant, s'il le fallait une nouvelle fois, ses origines russes.
Elle se tordait nerveusement les doigts, consciente d'avoir fait une faute.

Un silence gêné en profita pour s'installer entre eux deux… Silence qu'elle n'autorisa pas à se prolonger :

"_ Je venais vous apporter une petite collation, expliqua-t-elle en se tournant vers son chariot, du salé, du sucré ou les deux… Je peux également vous proposer un grand choix de boissons : froides, chaudes, softs, alcoolisées…"

Pour illustrer ses paroles, elle se pencha et fit coulisser un petit panneau de bois situé au bas de son chariot, révélant un seau à glace rempli de bouteilles multicolores et une belle collection de thermos assortis.
Elle reprenait peu à peu confiance. Elle ouvrit un petit tiroir dissimulé :
"_ … Ainsi qu'un éventail de psychotropes relaxants, stimulants, euphorisants voire même hallucinogènes."

En exemple, elle extirpa du fond du tiroir une seringue proprement emballée dans un sachet stérile.
"_ Je peux même vous proposer, si vous le désirez, les services spéciaux de jeunes femmes ou de jeunes hommes !" Fit-elle avec un grand sourire en se redressant.

Après les quelques secondes de cafouillage du début, elle avait retrouvé tous ses moyens. Elle exécuta une petite révérence :
"_ Pour résumer, et j'aurai dû commencer par cela, je m'appelle Maria et j'ai été placée à votre service ! Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous n'avez qu'à le demander !"

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Ô surprise, Maria se voyait offrir une représentation privée ! Un sourire ravi éclaira son visage.
Elle remercia silencieusement le maître d'un lent hochement de tête aux allures de révérence et s'assit sur le fauteuil offert. Les jambes croisées, les mains jointes sur le genou, elle admira les mouvements doux de l'archet sur les cordes.

Kalinka…
Dommage…

Jouer Kalinka à une russe, même de la manière la plus divine qui soit –et Dieu était témoin de la maîtrise parfaite d'Orwell- était comme faire écouter "Douce France" à un français… "La Cucaracha" à un espagnol… Ou encore "O Sole mio" à un napolitain… Ça se voulait, certes, un hommage aimable et gentillet mais ça sentait quand même un peu le moisi !

Mais Maria, en parfaite auditrice, garda un sourire parfait scotché aux lèvres tout au long du morceau. A défaut de l'apprécier musicalement, elle se régala de la virtuosité du violoniste.
La dernière note envolée, elle applaudit de bonne grâce l'artiste.
"_ C'était très bien exécuté, Maître, affirma-t-elle en forçant un peu son accent, vous faites grand honneur à mon pays d'origine !"

Il n'avait fait chanter son stradivarius que pour elle ! Lui qui pouvait remplir entièrement les salles d'opéra les plus prestigieuses dont la moindre place à l'ombre d'une colonne coûtait plusieurs centaines de crédits ! Dans ces conditions, elle se voyait mal critiquer ses choix musicaux. Et puis, les artistes de ce niveau étaient reconnus pour leur extrême susceptibilité.

Orwell commanda des cigares et une bouteille de vin. A première vue, ses exigences paraissaient softs… Mais les marques évoquées ne parlèrent aucunement à Maria. Elle se leva, les sourcils froncés, retourna près de son chariot et inspecta ses marchandises, d'un air embêté.
"_ En cigare, je peux vous proposer des Cohiba, des Trinidad, des Vegas Robaina et des Montecristo, énuméra-t-elle, de tous les modules possibles, évidemment… Mais pas de Pomeroy dans l'immédiat, désolée… Sauf si…"

Ses doigts s'agitèrent sur l'écran tactile de la tablette électronique intégrée au chariot.
"_ … J'envoie la demande à notre fournisseur, je devrais avoir une réponse d'ici peu… Avec un peu de chance, votre Pomeroy frappera à la porte de la loge dans moins de cinq minutes. Si vous êtes croyant, vous pouvez faire une prière !"

Le front soucieux, la servante n'était pas très optimiste, elle n'était certes pas une experte en cigare, mais elle n'avait même jamais entendu parler de cette marque.
"_ Quant aux vins… Désolée une fois encore, mais je n'ai sous la main qu'une sélection de vins rouges belges millésimés…"

Ces trois dernières décennies, le réchauffement climatique global avait délocalisé vers le nord tous les grands vignobles européens.
La France et l'Italie avaient dû, de bien mauvaise grâce, laisser leurs places de leaders mondiaux à des pays comme la Belgique, la Pologne ou encore l'Estonie.
"_ J'ai par exemple, cette petite merveille de Bastogne, fit-elle en brandissant la bouteille en question, un "Diacre Grimon" de 2037… Elle se négocie à quelques quatre mille cinq cent crédits… Ça vous tente de le partager avec moi, à défaut de mieux ?"

Sans attendre de réponse, elle sortit deux magnifiques verres en cristal étincelants à la lumière.
Sa tablette électronique s'illumina en émettant un petit bruit, elle jeta un coup d'œil rapide à la réponse du fournisseur et soupira :
"_ Non… Je crains qu'il ne faille vous contenter de tabac cubain, maître Orwell !"

L'air désolé, elle tendit toute la boîte de habanos au violoniste.
"_ J'ai honte de ne pas pouvoir respecter ma promesse d'exaucer tous vos désirs !"

Un sourire énigmatique se mit à poindre aux coins de ses lèvres.

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Maria sortit de derrière le chariot électronique et, sans demander la permission, s'assit sur le fauteuil face au maître, le verre de vin belge dans une main, un cigare cubain dans l'autre. Il lui semblait désormais inutile de continuer à jouer la comédie. Elle ne savait pas vraiment quelle erreur elle avait commise, mais Orwell l'avait facilement démasquée.

A l'aide d'une petite guillotine, elle découpa avec soin l'opercule de son cigare, craqua une allumette et alluma son barreau de chaise en croisant les jambes, détendue.
"_ Étonnant, s'exclama-t-elle avec un sourire amusé, je me rends compte qu'on m'avait menti sur trois points vous concernant, maître Orwell."

D'un geste, elle s'affranchit de l'artifice le plus désagréable de son costume. Elle libéra avec soulagement ses cheveux emprisonnés dans son chignon et déposa les épingles une à une sur le plateau de la coiffeuse.
"_ D'abord, vous n'êtes pas si ingénu que ce qu'on raconte… J'irais même jusqu'à dire que vous n'êtes pas la moitié d'un idiot !"

Elle se sentait d'humeur taquine. Elle provoquait clairement le violoniste dans le but d'évaluer l'étendue de son amour-propre.
"_ Ensuite, poursuivit-elle, vous n'êtes pas si farouche qu'on le dit. La preuve, vous invitez la première soubrette venue à vous accompagner à un bal… Je me suis bien inutilement cassé la tête à monter un plan pour vous approcher, frapper la porte aurait probablement suffi !"

Elle tira une bouffée de son cigare, sans quitter des yeux le mutant.
"_ Enfin, vous n'êtes pas si prudent que ça : même en vous sachant face à une usurpatrice, vous avez accepté de consommer ce qu'elle vous a offert !"

Elle souleva son verre en cristal à la lumière :
"_ Qui vous dit que je n'ai pas drogué –voire empoisonné- ce vin ? Qui vous assure que je n'aie pas été chargée de vous assassiner ?"

Elle prit plaisir à laisser planer le doute quelques secondes, puis but une gorgée du grand cru belge avec un air espiègle.
Elle tendit sa main gantée au violoniste :
"_ Je suis Maria Aleksandrovna Yevgeniyen… Porte-parole de la Confrérie Moderne ! Enchantée !"

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Maria tiqua quand elle entendit son nom de code dans la bouche de cet inconnu. Elle réprima un frisson qui cherchait à remonter le long de sa colonne vertébrale et termina, d'un trait, son verre en grimaçant.
"_ Voilà qui change grandement les données du problème !" Fit-elle en rallumant son cigare.

Elle n'en tira même pas une bouffée et le garda coincé entre son index et son majeur, les yeux fixés sur son interlocuteur. La blonde russe paraissait en proie à une hésitation capitale.
Elle ouvrit la bouche une première fois… Puis se ravisa avant de reprendre :
"_ J'avoue que vos paroles me gênent, maître Orwell, confia-t-elle d'une moue contrariée, du coup, j'hésite quant à l'attitude à adopter…"

Les yeux dans le vague, elle prit quelques secondes pour réfléchir.
"_ Il est vrai que j'entrevoyais pour vous quelques projets… Pas forcément ceux que vous aviez imaginé : sachez que les mutants électrokinésistes ne sont pas une denrée rare. Nous en avons quelques spécimens dans nos rangs et beaucoup plus expérimentés que vous…"

Elle était honnête : ce n'était pas le potentiel mutant d'Orwell qui l'avait attirée aujourd'hui dans cette loge. Elle retira délicatement ses gants en dentelles et prit la bouteille de vin belge.
"_ Mais ces projets me semblent maintenant dérisoires à la lueur de ce que vous venez de m'apprendre."

Elle se servit lentement une moitié de verre.
"_ Monsieur Tobias Orwell, vous me paraissez dangereusement trop bien renseigné sur notre compte ! Votre savoir vient de vous faire passer du rang d'"allié potentiel" à celui de "proie potentielle".
J'avoue que c'est la première fois que je rencontre un élément extérieur à la Confrérie Moderne qui a connaissance de mon nom de code ! Et la sécurité de notre organisation, fragilisée, comme vous le savez, par la mort récente de notre leader, exige de moi que je vous soutire toutes les informations concernant vos sources ! Il serait indécent de laisser de telles fuites continuer à inonder le monde."

Le regard de Maria avait changé, son attitude aussi… Personne n'invoquait impunément Bloody Mary ! Elle reposa la bouteille face au violoniste, l'invitant à se servir à son tour.
"_ Nous sommes maintenant faces à deux possibilités : soit vous me donnez docilement l'origine de vos informations et nous restons amis, soit je vais me sentir obligée de vous les soutirer de façon désagréable… Et, dans ce cas, notre jeune relation risque d'en prendre un coup !"

Elle porta le verre de vin à ses lèvres et, en un clin d'œil, retrouva son sourire charmant. La porte-parole avenante de la Confrérie Moderne avait repris les commandes.
"_ Bien évidemment, rien ne vous empêche d'y réfléchir et de ne me donner votre réponse que ce soir, au terme de notre rendez-vous… Si votre invitation tient toujours, évidemment !"

Orwell pouvait se considérer chanceux : s'il avait fait face à une certaine chirurgienne, il n'aurait eu aucun préavis avant de sentir la lame d'un couteau planté dans ses entrailles.

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Non, non, non, rien n'était réglé… Bien au contraire !
Tout au long du monologue de Tobias, Maria était restée assise et tirait sur son cigare en le fixant dans les yeux. Les paroles du maestro n'avaient pas du tout eu l'effet escompté.
C'était peut-être une déformation professionnelle, mais la porte-parole détestait être submergée par un flot soutenu de mots façon diarrhée verbale, ainsi que les brutaux passages du coq à l'âne.
En quelques phrases, Tobias avait évoqué, en vrac, la mort de son informateur, celle de Kenjiss, une proposition de mariage arrangé, sa vision de l'homo-inferior et une histoire floue de vengeance. Il s'était même arrangé pour lui faire une démo de ses pouvoirs !

Dans un premier temps, l'incompréhension avait fait froncer les sourcils de la porte-parole… Puis cette incompréhension s'était muée en colère froide quand elle crut comprendre qu'il cherchait à l'embrouiller. A peine Cassius fut-il congédié qu'elle balança son verre de vin par terre. Le bruit cristallin amena le silence.
Elle se leva, s'approcha de l'irlandais et lui pointa son index sous le nez. Un bref contact et Tobias serait dévisagé. Elle le savait, il le savait et elle savait qu'il le savait !
"_ Vous parlez un peu trop pour un violoniste, Orwell, fit-elle en lui lançant une œillade noire, et vous ne répondez pas assez précisément aux questions !
Vous pensiez vraiment vous en tirer à si bon compte ? Vous croyiez qu'il suffirait de m'annoncer la mort de votre informateur pour me rassurer ? Et bien non, désolée, ce ne sera pas suffisant !
Si je veux remonter jusqu'à la source de la fuite, il va falloir me donner un peu plus d'informations.
Et savoir qu'il suffit d'aligner quelques biftons pour accéder à ce genre d'informations ne me convient pas !"

Elle s'éloigna du vantard de quelques pas, les traits toujours bloqués dans une moue d'exaspération. La tâche de vin qui se répandait lentement sur le sol la rendait nerveuse.
"_ Mes menaces tiennent toujours, Orwell. Et vos soi-disant protecteurs de l'ombre ne doivent pas oublier dans quelle ville ils se trouvent. Rappelez leurs à l'occasion que menacer un confrère sur les terres confréristes réduit l'espérance de vie !
J'attends que ce soir vous me donniez des réponses beaucoup plus claires et précises !
Et éventuellement, ensuite, nous pourrons discuter de votre histoire de vengeance contre les inferiors."

Prenant soin d'éviter du regard la flaque de sang de vignes, Maria alla jusqu'à la porte de la loge et l'ouvrit. Elle se moquait éperdument que d'autres oreilles puissent l'entendre.
"_ Et, s'il vous plaît, laissez tomber cette histoire de robe, ronchonna-t-elle, la main sur la poignée, je suis assez grande pour m'en choisir une toute seule et j'ai horreur d'être considérée comme une poupée !
Et puis, le rouge ne me réussit pas : il me rend hargneuse !"

Sur ces mots empreints de sagesse et de grâce, elle claqua définitivement la porte et commença à marcher dans le couloir en fulminant. L'électrokinésie n'était apparemment pas le pouvoir le plus puissant d'Orwell : son don d'exaspération dépassait le niveau oméga !
Et merde, il ne s'était même pas fait avoir avec la bouteille de vin couverte d'enzymes !

» [Scénar 5] Somewhere in Hell... /!\

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