Tess serrait la mâchoire à en faire grincer ses dents. Elle n’avait jamais été une fan des transports en commun. Il y avait trop de dangers potentiels à observer, trop de monde, trop de bruit, trop de désordre. L’odeur des souterrains montait à ses narines. La station n’avait pas dû être désinfectée depuis un sacré bout de temps. A en voir l’état des sièges c’était tout le service public que la ville laissait dépérir. Londres …
Sa cible était sur sa droite. Elle avait les cheveux un peu plus courts que sur la photo. Une posture un peu nerveuse et des coups d’œil furtifs, deux signes d’angoisse. Soit cette fille n’aimait pas les bains de foule… soit… soit elle s’attendait à être poursuivi. Et ci telle était le cas, pourquoi ? Quel était le vilain petit secret qui se cachait sous ces traits tirés ?
Elle rangeait le cellulaire dans la poche droite de sa veste en cuir brun. Le voyant indiquait au voyageur que le train était en approche. L’américaine avançait deux trois pas sur le quai. C’était la dernière fois qu’elle acceptait de faire plaisir à son père. La dernière fois. Un simple mouvement de tête permit de repérer le wagon dans lequel la femme était montée. La chasse était belle et bien ouverte !


Quelques jours plus tôt Boston, Bureau B7 ...

« Elle se trouve actuellement à Londres et je veux que tu l’intercepte.»
« Londres. Alors que je t’ai demandé de rejoindre la zone 56 ? Qu’est-ce qu’elle a de spécial ? »
« Rien n'est encore avéré. On a juste des soupçons. »
« Des soupçons. C’est pour ça que tu veux m’envoyer en Angleterre ! »
« C’est tout justement pour ça Tess. »
« J’ai combien d’homme ? »
« Tu y vas seule. »
« Je vois… »
« C’est une affaire qui ne regarde que nous. »
« Vivante ? »

La toux d’un vieux toxico créait une nuée dans l’air ambiant. Tess lui tendait un mouchoir d’un geste exaspéré. Il n’y avait pas non plus de médecins sur cette île pluvieuse ? Elle lâchait la barre de métal et avançait un peu plus dans l’allée. Vivement qu’elles sortent de ce trou. Où allait cette fille comme ça ?
Ses recherches n’avaient pas donné beaucoup de résultats. On s’était arrangé pour qu’elle n’ait pas beaucoup de résultat. Quand le Cercle faisait des mystères ce n’était jamais de bonnes augures. C’était ce qui l’avait poussée à dire oui pour cette mission. Tess aimait les énigmes. Elle voulait savoir. Pourquoi cette mutante les intéressaient-ils tant ?
Elle remontait le long de la rame à chaque arrêt. Un pas sûr et silencieux, aussi souple, que si elle avait été dans une forêt. Elle avait l’air d’une de ces citadines lambda fatiguée et agacée par son environnement. Jouer la comédie faisait parti de ses nombreux talant. La filature en milieu urbain demandait beaucoup de réactivité. De quoi rendre la partie… stimulante.
La mutante était dans son champ de mire. Parfait. Maintenant il suffisait d’une occasion. Une seule petite occasion.

La veille de son départ pour Londres en visioconférence avec Douglas Ridgway.

« Tu seras de retour pour la saint-valentin ?»
« Il y a intérêt. Je ferais vite. »
« Et cette mutante, elle est dangereuse ? »
« Assez, oui. Du feu dans les mains… »
« Dis-moi ton père se souviens que tu n’as pas de super pouvoir ? »
« Doug’ … »
« Quoi ! J’ai prévu une chambre dans le plus bel hôtel de Florance. Je ne veux pas me retrouver à te pleurer sous la pluie de Londres… »
« Idiot. »
« Tu sera prudente ? »
« Bien sure je serais très sage. Ne t’en fais pas. »

Etrange, le lèche-vitrine ne collait pas vraiment, avec le profil qu’elle avait établi. La jeune femme aurait-elle une relation secrète ? Rien ne l’avait démontré. C’était plutôt le genre de fille trop indépendante pour se caser.
Tess jetait un œil au parfum d’homme. Elle eu même un petit sourire en retrouvant celui de son compagnon. Elle évitait soigneusement d’être en vue des vendeuses de la boutique. Elle avait toujours eu une sainte horreur des commerciaux aux dents longues prêts à tout pour faire du chiffre.
Un point de vu qui avait toujours fait rire les Falk. Mais pour elle l’argent restait un moyen et non un but. Raison pour laquelle sa mère faisait parfois appel à son sens du pratique. D’ailleurs elle avait prit rendez-vous pour le lendemain avec l’un des contacts anglais du réseau. Si tout se passait bien la famille serait encore un peu plus à l’abri du besoin.

Le doute était permit. Avait-elle été repérée ? C’était une possibilité. Sa cible avait l’habitude de guetter les ennuis. Professeur de science, dernier poste à Malte, repérée et mise sur liste noire. Mais quel était son lien avec le Cercle ? Peut être qu’elle détenait des informations compromettantes ?
A tout hasard le major fit mine de chercher sa direction sur le plan qui se trouvait prés de l’escalator. Elle étudia la réaction de sa proie. Il lui fallait un endroit isolé pour passer à l’action. Elle n’allait pas éternellement jouer les ombres. Ses yeux sombres croisèrent ceux d’un petit garçon avec sa glace qui avançait dans sa direction. Elle lui adressa un petit clin d’œil complice avant de reprendre la direction de miss X. Les enfants… peut être la seule véritable raison pour laquelle elle aurait put donner un rein.

Elle ne voulait pas de confrontation directe. Mais cette fille ne devait pas lui filer entre les doigts. Elle se trouvait maintenant devant elle plus loin dans l’allée. Elle s’arrêta devant la vitrine d’une boutique qui vendait robes. La fête à venir était encore une excuse pour faire « affaires ».
Tess sortait un cellulaire assez banal de son sac. Elle le plaçait devant elle le bras tendu et reculait à pas lents sur l’allée en faisant mine de photographier le modèle. Dans un parfait timing son épaule frappa « sans le vouloir » celle de la mutante. Etape 1 ; Fait. Avec beaucoup d’aisance l’américaine prit l’attitude d’une touriste un peu confuse. Sa main saisissait fermement le bras de la pauvre victime pour lui assurer un équilibre.

« Rien de cassé ? »

Ses yeux se plantaient dans les siens sans mentir. Maintenant si la miss ne voulait pas déclencher un esclandre elle allait coopérer.

En réalité madame Ridgway ne perdait pas son équilibre. On l’avait formée pour cela. A force d’entrainement les muscles s’assouplissaient. Elle aurait put faire rougir les artistes des cirques tant sa conscience de son propre corps était aiguisée. Sa spécialité était l’agilité. Un véritable art qu’elle entretenait avec attention. Une traque en avait besoin pour poser ses pièges. La force pure était son ultime recourt.
Bon nombre de ses missions débutaient par de l’espionnage. Elle pouvait dissimuler un micro, dans les objets les plus incongrus, en moins de cinq secondes. Un aspect de son travail qui coïncidait avec le besoin d’adrénaline. On ne devenait pas un soldat par hasard. Cette femme était douée. Ses bottes de cuirs produisaient un son étouffé en se plaçant correctement sur le sol.


« Aucuns dommages collatéraux. Nous sommes sauves. »

Lâcher le bras sans se presser. La distance qui les séparait permettait de désarçonner la jeune femme très rapidement. Tess surveillait particulièrement le mouvement des mains de la mutante. Le rapport était clair sur ce point. Le feu surgissait des paumes.
Le registre de la bonhomie fut donc adopté par les deux parties. Soit. C’était une façon beaucoup plus subtile (difficile) d’obtenir des résultats. Cela convenait à la jeune femme. Elle n’était pas une adepte de la boucherie. Si cette affaire pouvait se solder par, une simple incarcération, c’était tant mieux. Elle tendait sa main gauche ornée uniquement de son alliance.


« Kate Carter, enchantée. »


Rien ne pouvait indiquer le mensonge, ni intonation, ni tic, ni regard, pour trahir. Ce qui compliquait parfois les choses quand femme et époux devaient mettre les épineux sujets sur la table. C’était une contrepartie comme une autre. Un camouflage naturel pour pouvoir manipuler son environnement avec précaution. Les années rendaient cela encore plus facile. Pleinement consciente de qui elle était elle n’avait plus de scrupule à devenir une autre.
Une simple pression sur le cellulaire, démarrait l’application micro, alors qu’il disparaissait déjà dans son sac. Ses cheveux cascadaient le long de son visage. Elle jetait un œil à l’allée dans laquelle elles se trouvaient. Il y avait beaucoup trop de civiles.


« Je peux vous demandez un avis ? »
La jeune femme se tournait de nouveau dans la direction de la vitrine. Sa main désignait deux modèles très différents. Une robe de soirée longue d’un rouge sang et une autre un peu plus courte d’un noir corbeau.
« Feu ou nuit ? »
Ses yeux fixaient le profil de l’inconnue avec intensivité. De l’extérieur un regard curieux et plein de confiance qu’en à la réponse. En vérité ? Le meilleur moyen de découvrir l’ossature, les détails morphologiques, des preuves à rapporter. Ou avait-elle déjà croisé la force de ces pommettes ? Tess cherchait dans sa mémoire avec l’intuition que répondre à cette question lui ouvrirait les portes d’une intrigue. Une lueur malicieuse passa fugacement dans son regard.
« J’aime le surprendre. Vous voyez ? »

Elle la laissait gagner du temps. De toutes les façons, mademoiselle Powell ne sortirait pas de centre commercial, avant que cette affaire ne soit réglée. Le jeu du chat et de la souris pouvait se prolonger. Maintenant, que le contacte était fait, rien ne la contraignait à se presser. Trop souvent on voulait faire les choses vite. Notre soldat obtenait toujours des résultats. C’était pour cette raison qu’on l’avait choisie.
Détourner la question était rusé quoi qu’inutile. Tess avait côtoyé bien trop de politicien, pour ne pas voir les outils rhétoriques, dont on usait contre elle. Elle n’en dit rien. Chacune ses parades. Intérieurement elle riait presque. Cette mutante avait du chien. Une qualité qui plaisait beaucoup à son adversaire. Savoir respecter sa proie était essentielle pour faire les choses correctement. L’expérience apprenait à évacuer toute idée de passion dans ce travail. Il ne s’agissait de rien de plus.
« Qu’en dites vous ? J’ai l’air faite pour l’éclat ou la sobriété ? »
La réponse était évidente quand on la connaissait un minimum. C’était dans l’ombre des regards qu’elle évoluait en ville comme en service. Ce ping-pong pouvait durer. La patience faisait partie de ses qualités. Elle saisît donc l’idée au vol, avec la spontanéité d’une femme déterminée, prête à faire des folies.
« Vous m’accompagnez ? Ce sera rapide je vous le promets ! »

Il aurait été impoli de refuser. L’humaine profitait des codes de la bienséance. Elie lui proposait une ouverture qui pouvait devenir sa perte. D’un geste vif, King ouvrait la porte de la boutique y entrait, avant de tenir la porte pour la mutante. Elle l’observait et l’attendait avec curiosité.
Un morceau de Mozart revisité, donnait à l’endroit, une aura de calme et pondération. On ne trouvait que de la marque ici. Tout, de la vendeuse, aux cintres, révélait les goûts de la haute société anglaise. Les vêtements étaient clairement au-dessus des moyens de ces deux clientes. Tes évoluait dans la pièce avec une attitude de salariée excitée par sa propre fièvre acheteuse. Elle allait vers les rayons et choisissait trois robes différentes.
« Heureusement que je viens de toucher ma prime. Vous travaillez dans quoi ? »
A quoi bon cacher le but de cette conversation ? La jeune femme pouvait décider de ne pas répondre et même de fuir. Le piège se refermait.

Les cabines étaient presque toutes libres. Tess prit celle du fond. Celle dont les caméras ne pouvaient pas tout voir. Elle ouvrait le rideau et sous les yeux de sa victime et plaçait les robes à hauteur. Elle abandonnait (négligemment) son sac sur le petit banc mit à sa disposition. Tout était presque trop décontracté.
« Je commence par la rouge. »
Maintenant elle pouvait faire un pari. La mutante allait-elle en profiter pour fuir ? Si oui elle confortait les soupçons. Si non, la partie gagnait un niveau supplémentaire. Le rideau se refermait. Le reflet du Major montrait un sourire de félin alors qu’elle quittait son pantalon aussi aisément qu’une cowgirl. Son cher et tendre allait adoré le résumé de cette chasse à l'homme.

A l’abri du regard de sa proie le Major se préparait tout en faisant une première synthèse. Miss Powell ne cachait pas sa fonction. Serait-ce possible que la présence du Nouvel Institut sur le territoire soit en lié à sa présence sur celui-ci ? Le Cercle surveillait très étroitement Londres et Vancouver depuis l’ouverture des deux institutions. Il s’y trouvait deux viviers extrêmement dangereux pour la population.
La fermeture éclaire coulissait sans problème le long de sa hanche droite. Tess était une femme mince et ferme. Elle pouvait devenir séduisante pour peu que son farcisse se prête au jeu. Le tissu était un peu long. Il entravait ses mouvements ce qui évidement l’ennuyait. Il était hors de question d’être pieds nus. Le couteau était encore dans sa botte. Il lui fallait au moins une petite sécurité. A la sortie cette femme ressemblait à n’importe qui d’autre.
« Je ne suis pas très convaincue. »
Son regard cherchait Elie dans les parages. Elle avançait autour des cabines en faisant mine d’être ralentie par sa tenue.

L’employée était entrain de s’occuper d’elle. Tess faisait mine d’attendre en les observant. Elle étudiait la gestuelle de l’une et de l’autre et notait l’absence des gants aux mains de la mutante. Bien. Le sentiment de danger commençait à s’installer. C’était bon signe. Ils ne s’étaient pas trompés. Maintenant il suffisait de faire monter un peu plus la pression. Elle guindait son visage d’un sourire aimable et même amical.
« De quoi ais-je l’air ? »
La séance d’essayage se poursuivait tranquillement. L’une des vendeuses les avaient même rejoints pour offrir quelques conseils. Tess n’avait pas le droit de faire du mal aux civiles. Elle ne le souhaitait d’ailleurs pas. Mais sa proie l’ignorait. Le dossier disait clairement que mademoiselle Powell n’avait d’instinct de criminelle. Il était possible d’en tirer un avantage.

Les questions devenaient plus pointues au fur et à mesure de la conversation. Si c’était la bonne alors son domaine d’étude était la science. Qu’est-ce qui avait put l’éloigner de sa petite île ? Elle avait probablement quelqu’un à voir. Qui ? On ne lui connaissait aucun contact officiel avec des mutants anglais. Au moins que la mort de l’un des leaders ait provoqué un exode. Si c’était le cas King devait le savoir.
Elle éloignait le rideau pour s’afficher dans une robe noir de geai qui était ouverte sur une bonne partie du dos. De quoi voir la fine musculature de celui-ci. La souplesse démontrait des années d’entrainement.
« C’est un métier dangereux, de nos jours, de former les esprits de demain. On entend, des histoires hallucinantes, sur des attaques d’élève conte leur professeur. »
C’était de bonne guerre que Ridgway mettait cette femme en garde. Malheureusement pour elle la chasse ne s’arrêterait pas. Elles étaient maintenant forcées de se revoir jusqu’à ce que l’une des deux ait le dessus. L’assurance de l’humaine n’était de l’arrogance. Elle connaissait son métier. Elle était aussi dangereuse que les méduses qui endorment avant de venir sucer le sang de leur victime. La seule façon de lui échapper était de se démasquer.