Forum de Jeux de Rôle Futuriste - Inspiré des Mutants de Marvel (X-Men)
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La maison restait identique à celle de ses souvenirs. Sa façade couleur crème luisait sous l’éclat du soleil, les murs de briques se mouvant sous des reflets de lumière liquide. La pelouse parfaitement entretenue resplendissait de vie, et chaque brin d’herbe se ployait sous l’effet d’un vent qui n’existait pas. Une jolie maison, une certitude, mais qui aux yeux de Nathaniel revêtait une bizarre irréalité. Il y avait trop de choses là dedans, trop de souvenirs pour qu’il puisse encore se laisser abuser par la normalité artificielle de cet endroit. Un œil moins avisé que le sien n’y verrait qu’une maison de banlieue londonienne, charmante mais on ne peut plus banale. Le mutant sortit un trousseau de clés de sa poche, et ouvrit le portique face à lui. Il le referma, fit quelques pas dans l’allée puis s’arrêta. Voilà des années qu’il n’était pas revenu, et aujourd’hui marquait son grand retour fracassant. Pour cette occasion, il s’était vêtu d’une chemise d’un blanc impeccable et d’une veste sombre, un pantalon noir également ainsi que ses plus belles chaussures. Il avait même pris soin de mettre une cravate dont il vérifia le nœud de ses doigts gantés. Nathaniel était fringant, soigné et d’une élégance rare, rendant grâce comme il l’avait toujours fait à ceux dont il se préparait à faire la visite. Ses parents avaient toujours su apprécier ses faux semblants, et lui les leurs. Il tint fermement la mallette qu’il tenait à bout de bras, pensant au masque qu’il y avait dissimulé. Cela lui causait un déchirement de s’en séparer, mais ses parents se seraient formalisés d’un tel apparat. Son père surtout, il n’en aurait pas compris la raison. Il s’avança vers l’entrée puis se figea une nouvelle fois. Il ne craignait pas de les revoir. Il n’avait ni doute ni hésitation, et pourtant il ne parvenait pas à se débarrasser de ce sentiment qui le prenait à la gorge. Il appréhendait leurs réactions, tout simplement. De la même façon qu’on craignait quelqu’un après une trop grande absence ; et les silences qui irrémédiablement en découleraient. Sans compter que ses parents avaient toujours été, bien que sympathiques à la vue du monde, des gens d’une exquise imprévisibilité. Il frappa à la porte.
Pendant une minute ou deux, il n’y eut pas un bruit dans la maison. Nathaniel faillit même faire demi tour, pensant que les habitants étaient absents voire morts. Il entendit des bruits de pas et quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit et apparut une femme sur le seuil. Elle avait un visage rond aux traits réguliers et plaisants, auréolé d’une chevelure blonde lui battant les joues et les épaules. Ses yeux d’un vert étonnant pétillèrent lorsqu’elle reconnut son fils. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres, elle ne parut même pas surprise de le revoir. Elle s’écarta et Nathaniel pénétra dans sa vieille demeure. Sans un mot, elle se dirigea vers ce qui semblait être la cuisine, l’invitant d’un geste de la main à la suivre. Sa robe à fleurs ondula derrière elle sous l’effet d’un souffle invisible. Ils parvinrent dans une pièce de nacre, aux murs blancs et où chaque chose fut rangée à sa place. Le carrelage, la petite table et l’évier étaient d’une propreté irréprochable. Isabelle Albenco invita son fils à s’asseoir, sans même le regarder. Celui-ci s’exécuta et regarda sa mère sortir deux tasses d’un placard. L’une d’entre elle n’avait pas servi depuis bien longtemps. Isabelle y versa de l’eau, y trempa un sachet de thé et revint vers Nathaniel, la mine radieuse et satisfaite. Elle lui tendit l’une des tasses avant de s’asseoir, et sirota sa boisson en silence. Ils burent sans dire un mot, se dévisageant discrètement dès lors que l’autre ne le regardait pas. Jouant à ce jeu des regards, ils cessèrent une fois leurs tasses vides et se regardèrent plus franchement. Isabelle arborait une expression d’autosatisfaction. Son regard glissait sur le visage de son fils, fière d’avoir mis au monde un enfant aussi beau. Ses lèvres dessinaient un sourire à peine esquissé, fruit d’un amusement compris que d’elle seule. Le visage de Nathaniel s’était figé sur une expression insondable que peu auraient su interpréter. Mais son cœur n’avait, à vrai dire, que peu de secrets pour la femme lui faisant face.
« C’est ta tasse. Je l’ai gardée. Tu l’as eu à huit ans, je crois.
Elle avait murmuré ces mots d’un ton tranquille, sa douce voix bousculant à peine le silence de la pièce. Oui, il l’avait reconnu cette vieille tasse et dernier reste d’une enfance disparue. Il n’y attachait pas la moindre importance.
- J’ai aussi vu Kathy, poursuivit sa mère sur le ton de la conversation. Elle va bien. - Ah. - Elle ne m’a pas demandé de tes nouvelles. Vous êtes fâchés.
Nathaniel ne répondit pas et contempla le plafond. Il n’aimait pas de quelle façon la conversation s’était engagée : - Je crois qu’elle est épuisée, reprit Isabelle sans se formaliser du mutisme de son fils. Son emploi semble très exigeant. Elle m’a dit avoir rencontré quelqu’un, un collègue qu’elle… - Parlons d’autre chose que Kathleen, s’il te plaît. » Impassible, il l’avait chuchoté les yeux toujours rivés au plafond. Bien que sa voix fût douce, on y percevait les piquants de la contrariété. Sa mère dut le sentir car elle n’insista plus. Ce qui ne l’empêcha pas de sourire davantage, comme si la réaction de Nathaniel fut identique à celle de ses prévisions. Elle se leva, prit les tasses et entreprit de les laver dans l’évier. «Papa est en haut ?, questionna Nathaniel qui n’avait jamais cessé de fixer le plafond, comme essayant d’y voir en travers. - Bien sûr qu’il l’est. Où serait-il sinon ? »
Il se leva à son tour et quitta la pièce sans un regard pour Isabelle. Celle-ci s’empressa de sécher les tasses avant de sortir elle aussi. Elle le suivit dans le hall puis dans le couloir du fond où elle le rejoignit. Elle lui lança une œillade amusée et l’invita à monter l’escalier qui se dressait face à eux. Nathaniel passa en premier et tous deux gravirent les marches menant au second étage. Un nouveau couloir se présenta et de toutes les portes visibles, il n’hésita pas sur celle à choisir. Il pénétra dans une nouvelle pièce, bientôt rejoint par sa mère. Le lieu était plongé dans une légère pénombre, un store ayant été abaissé devant l’unique fenêtre. Les murs clairs étaient rehaussés par la couleur plus sombre de la moquette, et ce contraste conférait au tout une sorte de lourdeur solennelle. La pièce était vide de mobilier à l’exception d’un fauteuil de cuir usé collé au mur du fond. Dans celui-ci était enfoncé un homme de haute stature qui ne réagit pas à leur entrée. L’homme ressemblait à un vieux lion, affaibli par les ans mais pourvu d’une vigueur et d’une force qu’il ne fallait sous-estimer. Des cheveux poivre sel couronnaient sa tête ; bien qu’habituellement coiffés en arrière, ils étaient dans l’instant hirsutes et emmêlés. Sa barbe fournie et taillée en pointe dissimulait une large mâchoire et une bouche aux lèvres charnues. Son nez aquilin, comparable à un bec, rehaussait la dureté de ses traits et lui conférait un air féroce. Ses sourcils froncés et ses yeux d’un noir de jais achevaient son expression d’austère sévérité. Nathaniel, guère intimidé s’avança vers lui, jusqu’à être suffisamment proche pour pouvoir le toucher en tendant simplement un bras. L’homme ne réagit pas à ses déplacements. Il ne parut même pas le voir. Son regard était posé sur la plante en pot qu’on avait mis en face de lui. Le végétal était mort, ses ramifications ployant pitoyablement comme brisés par un lourd fardeau ou une profonde fatigue. Rien là dedans n’aurait pu justifier qu’un homme, père et mari, ignore ainsi les membres de sa petite famille. Ni son fils ni sa femme ne parurent choqués par cet accueil. Nathaniel posa son index sur le front du patriarche, sans que celui-ci n’esquisse un geste.
« Il est creux, déclara le jeune homme après un moment de silence. Ses yeux se rivèrent sur le visage de sa mère, qui haussa les épaules et sourit d’un air désolé. - Oui, c’est mieux comme ça, répondit Isabelle en le rejoignant.Sans ça, je crois bien qu’il risquerait de faire des choses…regrettables. Elle pointa du doigt la plante morte. - Ce n’est pas ton souci, répliqua le jeune homme. Sauvons les apparences avant tout, une idée noble, mais je n’aime pas de le voir comme ça.
Isabelle hocha la tête mais ne se départit pas de son rayonnant sourire. Ses yeux passèrent de son époux à son fils : - Oui, bien sûr que tu n’aimes pas de le voir comme cela. Parce qu’il t’est inaccessible. - Ce n’est pas… - Si, ça l’est. J’ai appris à réfléchir, à voir le monde comme toi mon chéri. Lorsqu’on vit auprès de personnes aussi singulières que ton père et toi, il faut savoir s’adapter. Nathaniel ne répondit pas et se contenta de dévisager sa mère. Elle eut un sourire entendu. - Encore une fois, tu ne te mets pas en colère. Tu es bien différent de lui, conclut-elle enjouée.
Nathaniel Albenco
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Welcome home Mer 3 Aoû 2011 - 14:20
Ils décidèrent d’un commun accord que Nathaniel resterait dormir pour la nuit. Il n’avait rien de bien urgent à la Confrérie (Kenjiss dînant avec les vers) et retrouver la maison familiale lui apportait plus de satisfaction qu’il n’en avait escompté au début. Revoir ses parents après ces deux ans d’absence fut contrairement à ce qu’il avait imaginé, une excellente décision. Sa mère et lui étaient liés par un sentiment de complicité et ce malgré la distance polie que tous deux entretenaient. Elle connaissait tout de lui, l’ayant vu naître et soutenu dans les premiers balbutiements de sa vie. Lui avait cette faculté de compréhension, et saisissait la moindre action, le moindre sens caché des actes de sa mère. Tous deux étaient ainsi sur un pied d’égalité, et aucun ne parvenait à prendre l’ascendant sur l’autre. Quant à Roland Albenco, il avait toujours été mis à l’écart de cette relation. Malgré qu’il fût pendant longtemps le support et le soutien principal de sa famille, il n’avait jamais vraiment pris conscience de ce qui se tramait dans son dos. Désormais, il gisait déchu au pied de son trône, tel un vieux lion brisé.
« Pintade aux herbes et sa sauce citronnée, avec en dessert de la meringue caramélisée. Tu en raffolais Nathaniel, cela a dû changer. »
Nathaniel la gratifia d’un de ses sourires charmeurs et plein de fausseté. Isabelle lui rendit le même à l’identique. Les Albenco s’étaient réunis dans le salon devant une table superbement dressée. Les services d’argent et de porcelaine avaient contribué, bien malgré eux, à fêter le retour du fils prodigue. Même Roland avait quitté son fauteuil et ses habits débraillés. Il ressemblait plus que jamais à l’homme qu’il était autrefois ; soigné et imposant, qui appelait le respect dans ses moindres gestes. Mais il n’était qu’une ombre venue d’un passé depuis longtemps révolu. Raide sur sa chaise, immobile et absent, son regard transperçait sans le voir son fils assis face à lui. Isabelle avait été celle à manifester le plus d’entrain dans son habillement personnel. Elle avait troqué sa robe à fleurs pour une élégante tenue de soirée vert émeraude. Ainsi habillée, la maîtresse de maison resplendissait. Elle servit les deux hommes puis s’installa en bout de table afin de les voir ensemble. Le moment où elle s’assit signifia le début du repas. Ils mangèrent sans parler pendant plusieurs minutes, seul le bruit des couverts brisait de temps à autre le silence. Nathaniel se préparait à avaler une nouvelle bouchée de dinde quand sa mère déclara d’un ton calme et sans affect :
« En fin de compte, pourquoi nous avoir fait grâce de ta présence ? »
La question avait dû la tarauder toute l’après midi, mais avait-elle sans doute estimé que le repas serait le meilleur moment pour la lui poser. Nathaniel ne répondit pas tout de suite. Il mâcha consciencieusement son morceau de dinde pendant de longues secondes, et lorsque l’attente lui parut suffisante, il posa ses couverts et se tourna vers sa mère :
« Je n’en sais rien. Un brusque besoin de revenir sans doute.
Sa mère ne l’entendit pas. Elle fixait son mari qui découpait depuis deux bonnes minutes maintenant, le même morceau de viande.
- Tu peux le manger mon chéri, il est suffisamment fin. »
Roland hocha la tête mécaniquement et porta la tranche de dinde à sa bouche. Il entreprit de la mastiquer et plus qu’un vieux lion, il parut être en cet instant un bovin particulièrement stupide. Isabelle reporta son attention sur Nathaniel qui avait assisté à la scène sans rien dire.
« Tu ne sais pas, dis tu ? Et dire que je pensais que… - Tu ne l’endors pas entièrement, la coupa-t-il, ses pensées se tournant vers des sujets plus importants que les raisons de sa venue. Il dévisageait son père, ou du moins la coquille vide qu’il était désormais. Ce visage autrefois noble n’était plus que ruine stupide, et ce regard qui fut si brillant, s’était éteint. Il semblait pourtant à Nathaniel qu’une étincelle ardente brillait encore au fond de ces prunelles d’encre.
« Ce que je disais maman, c’est que tu le laisses suffisamment conscience pour qu’il se rende compte de son état. Tu peineras à me faire croire ensuite que tu l’aimes. »
Pour la première fois, Isabelle ne sut pas quoi répondre. Ses sourcils se joignirent en un seul et ses yeux clairs parurent s’embuer l’espace d’un instant. La seconde d’après, elle afficha de nouveau un visage imperturbable. Si presque rien n’avait changé, on sentait dans sa façon de dévisager son fils une froideur absente quelques instants auparavant.
« Je te trouve tout de même mal avisé de parler d’amour Nathaniel, répondit-elle d’un ton neutre.Toi-même, tu n’as sans doute jamais aimé quelqu’un pour ce qu’il est, sincèrement et sans arrière pensée. J’aime cet homme. Tu auras beau en douter, la vérité n’en sera pas bousculée. Je ne m’attends pas, et je ne m’y attendrai jamais, à ce que tu saisisses un tel lien. Maintenant, finis ton assiette que nous puissions aller dormir.»
Nathaniel se leva, sans toucher son plat et sourit à sa mère.
« Je n’ai plus faim. C’était délicieux. Bonne nuit. - Bonne nuit, Nathaniel. » Elle lui rendit son sourire, radieuse, comme si rien ne s’était passé.
Nathaniel Albenco
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Welcome home Mer 3 Aoû 2011 - 18:07
Nathaniel parcourut du doigt la tranche du livre. Un bouquin qu’il avait acheté il y a longtemps et qu’il n’avait jamais ouvert. Comme tous les autres. La bibliothèque n’était qu’ornement, une fioriture superficielle visant à masquer son manque d’intérêt pour ces choses là. Sa chambre se résumait au strict nécessaire. Des murs d’un blanc implacable épurés de la moindre affiche, du moindre tableau. Un mobilier qui se résumait à un grand lit, une armoire et cette bibliothèque. Nathaniel referma le battant vitré et tourna le dos aux livres, dédain suprême qu’on puisse imposer à ces feuilles de papier. Nathaniel se souvenait avec quelle brutale étrangeté sa chambre avait changé au cours de sa vie. Au début, elle fut comme toutes les chambres d’enfant, marquée par les posters et les jouets en quantité, véritable antre d’amusement et de plaisirs enfantins. Puis au fur et à mesure qu’il grandissait, elle s’était vue purger de tout ce qui la rendait agréable. La chambre suivit le même processus que son propriétaire, autrefois pleine de joie, elle afficha ensuite un vide minimaliste et sans vie. Nathaniel l’aimait beaucoup mieux ainsi.
Il décida de se coucher tôt. S’attarder sur les composantes de son passé ne lui évoquait qu’un intérêt limité, trop infime pour le motiver à rester éveillé. Il se déshabilla, ne gardant que ses sous-vêtements, et se glissa dans les draps du lit. Sans surprise ceux-ci étaient propres et frais, probablement nettoyés la veille. Il sourit à la pensée de sa parfaite ménagère de mère et s’endormit, l’esprit tranquille.
Il se réveilla en sursaut quelques heures plus tard, au moment où la nuit était la plus sombre. Il crut n’avoir fait qu’un cauchemar avant de se souvenir qu’il ne rêvait jamais. Non, la cause de son réveil était debout au pied de son lit. Une silhouette de haute stature, vêtue d’un costume de soirée et qui se tenait immobile dans les ombres. Il reconnut sans grande peine son père. Rien de flagrant n’avait changé chez lui, pourtant Nathaniel perçut une modification subtile dans son comportement. Ses épaules, peut-être ? Elles lui paraissaient moins voutées, plus solides que la veille. Ou n’était-ce pas son regard ? Il avait recouvré un peu de son ancien éclat. Depuis son arrivée, Nathaniel eut pour la première fois l’impression que son père pouvait le voir. Il ouvrit la bouche, dans l’idée de lui demander les raisons de sa présence, mais son père fut plus vif que lui à prendre la parole.
« Ta mère et moi venons de faire l’amour, murmura-t-il de sa voix grave et profonde. Ou plutôt ta mère, seule. Je n’ai pas eu voix au chapitre. »
Il avait parlé d’un ton calme et raisonnable. Pourtant derrière ce calme et cette raison grondait un orage furieux, ne demandant qu’à éclater. Nathaniel ne réagit pas à la provocation et laissa son père continuer sur sa lancée. Son entrée en matière avait le mérite d’être particulièrement intrigante.
« Tu n’aurais pas dû revenir. La vie m’est moins difficile lorsque tu n’es pas là. Au moins puis-je bouger et parler librement quand tu n’es pas ici, ta mère ne se sentant pas obligée de m’abrutir pour me préserver de toi. - Pourtant tu bouges et tu parles librement, rétorqua Nathaniel.
Un frémissement agita la bouche de Roland et ses poings se crispèrent en masses courroucées. Sa voix resta néanmoins calme et sereine.
- Son emprise s’affaiblit lorsqu’elle dort. Si les journées sont à elle, les nuits m’appartiennent. »
Nathaniel se redressa et s’adossant au mur, il dévisagea son père. Il était amusé à l’idée qu’un homme si prompt à la colère, si explosif, fut amputé de son caractère par sa propre femme. Roland Albenco n’avait jamais fait le moindre mal à sa famille mais l’envie avait été là de trop nombreuses fois. Isabelle avait tout simplement éliminé cette rage latente et supprimé une partie de ce qui caractérisait son époux.
« Ta situation t’est sans doute désagréable, répondit Nathaniel. Je peux concevoir que suivre Maman comme son ombre, sans décider de rien, n’a effectivement rien d’enviable. Pourtant ceci est de ta faute. Trop de fois tu as failli lâcher prise. Toi qui clamais les vertus du contrôle de soi, tu n’as pas été capable de suivre tes propres préceptes. Maman a fait, et elle l’a bien fait, ce qu’elle a jugé nécessaire pour elle, pour toi, pour nous. »
Les épaules de Roland s’affaissèrent comme si un poids énorme le forçait à ployer l’échine. Si son corps trahit la fatigue, son regard se chargea d’une brulante défiance.
« Je sais ce que je suis, Nathaniel. Je sais qu’il m’est arrivé et qu’il m’arrivera encore de perdre mon sang froid. Je sais aussi qu’aux yeux de ta mère, mon assujettissement est justifié. Roland marqua un silence. Il se sentait inerte et vide, alors que la situation aurait dû l'enrager. Son fils le jaugeait d’un air imperturbable. Mais ce n’est pas cette femme que j’ai épousé. Avant elle m’aurait soutenu et aidé, sa compassion et son amour auraient pu être le remède à ma colère. Puis tu as changé. Le fils que je croyais connaître s’est fait distant, étranger. De nous deux, c’est toi qu’elle a choisi. Elle s’est fermée. Elle a étouffé son cœur et sa conscience, et elle est devenue ce sourire de façade. Elle a voulu te ressembler pour ne pas te perdre.
Tu l’as infecté Nathaniel, plus qu’elle ne l’imagine. Elle ne m’emprisonne pas que par nécessité, mais également parce qu’elle aime cela. Elle apprécie de me voir pantin. Ma propre femme, mon Isabelle, est depuis quinze ans une abominable sorcière. Je t’ai perdu en premier, un poison dont j’ignore la cause t’a façonné sans âme, puis ce fut son tour. Et je n’ai plus vécu avec un, mais deux parfaits inconnus. »
Le fils fixa le père, et le père en fit de même. Tous deux se regardèrent en silence sans dire mot. Le fils sourit.
« Va te coucher, Papa. Tu es fatigué. »
Le père s’en fut, de nouveau automate sans esprit et esclave de son propre corps.
Nathaniel Albenco
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Welcome home Sam 13 Aoû 2011 - 1:10
Après le départ de son père, Nathaniel ne se rendormit pas. Il resta là, allongé dans son lit, fixant le plafond d’un air vide. Il réfléchissait, et comme personne n’était présent, il ne se souciait pas de revêtir son masque souriant. Au bout de deux heures de cette contemplation silencieuse, il finit par se lasser. Il roula sur lui-même jusqu’au bord du lit, se pencha, puis chercha quelque chose dans l’obscurité. Sa main tâtonna contre le sol pendant quelques secondes avant que ses doigts ne trouvèrent ce qu’ils cherchaient. Retentit alors un claquement sec et Nathaniel se redressa, l’air content, tenant entre ses doigts un carnet poussiéreux. Sans doute l’avait-il dissimulé sous l’une des lattes du parquet. L’homme revint au centre du lit puis s’adossa contre le mur avant d’ouvrir le journal. Une manie qu’il avait toujours eue. Une presque obsession qui le poussait à jeter sur papier ses pensées du moment. Lui qui avait passé sa vie à cacher qui il était, il n’hésitait pas à se livrer sans concession dans ses écrits. La pensée qu’un jour quelqu’un puisse les lire ne l’avait jamais effrayé. Au contraire, cette idée l’excitait au plus haut point. Il s’imaginait faire face à une personne qui le voyait dans son entier, plus que ses parents, plus que Kathleen. Oui, il voulait quelqu’un qui pourrait lui faire front. Incontestablement, ce qu’il avait entre les mains était le meilleur moyen d’y parvenir. Le journal avait été son premier, et il avait commencé à y écrire il y a de cela presque vingt ans.
Il lut les premières entrées d’un air distrait. Elles n’étaient guère plus que des réminiscences de son enfance, rien de bien palpitant. Les suivantes le furent bien plus. Pas en elles-mêmes, mais elles montraient la progression de son psyché, et comment avait-il évolué pour devenir celui qu’il était aujourd’hui. Il feuilleta le carnet quelques minutes puis passa directement à la dernière entrée, remontant à deux ans et empreinte de son dernier passage. Il débuta la lecture et peu à peu, un sourire naquit sur ses lèvres.
« Je ne suis pas humain. C’est une idée qui me hante. Eux non plus ne le sont pas. Ils s’en cachent, mais c’est vrai, nous trois n’avons plus de commun avec l’humanité. Nous sommes des figures ! Des presque-concepts. Nous ne sommes pas vides, au contraire je nous pense d’une grande complexité, mais nous avons aux fondements même de notre être, une notion, une idée qui nous caractérise. Elle régit nos actes, notre comportement. Elle nous forme à son image et nous en devenons les parfaits représentants. Lui, il n’y a pas besoin de chercher bien loin. Toutes ses actions, toutes ses pensées ont toujours été tournées par l’impatience. Il brûle de l’intérieur sans pouvoir en mourir. Sa colère, irraisonnée et injustifiée le ronge bien plus qu’un poison acide. Il la combat, il lui résiste, et il le fait bien ! Il est même parvenu à en conjurer la morsure jusqu’à maintenant, mais combien de temps encore ? L’influence de ma mère ne le sauvera pas. Mon père est une bombe, prête à exploser. Sa sérénité, il la paiera des vies de ceux qui l’entourent. En lâchant prise, en s’acceptant il pourra se réconcilier avec lui-même. Elle, est mépris. Ce qu’elle a appris de moi, cette distance, elle l’avait déjà acquise. Je n’ai été qu’un prétexte pour qu’elle puisse l’utiliser. Elle se pense mon reflet, ah !, mais elle se trompe. Je ne méprise pas ; j’ignore, j’oublie, rien de plus. Alors que ma mère est allée très loin dans le dédain, et peu sont ceux pourraient en faire autant. Moi-même avec toute la bonne volonté du monde, je ne pourrai la suivre sur ce chemin là. Car ce ne sont pas les autres qu’elle déteste pour leurs faiblesses, c’est elle-même ! Elle s’est oubliée et égarée. Elle a écarté ses rêves, ses espoirs pour mon père, pour moi. Elle s’est détruite puis reconstruite, déformée et corrompue pour ressembler à l’image que nous voulions d’elle. J’ignore pourquoi elle n’a jamais désiré vivre pour elle et non pour les autres. J’ignore pourquoi elle s’estime si peu, et pour quelles raisons elle ne se pense pas mériter d’exister sans se raccrocher aux besoins et aux envies d’autrui. Je crois que c’est sa manière de survivre. Elle s’adapte, comme une pute face aux clients, pour pouvoir vivre un jour de plus en jetant sur le bas coté tout amour propre. Ce que je lui ai appris, le seul don que je ne lui ai jamais fait, c’est de cacher cette absence de fierté derrière un sourire de façade.
Quant à moi, je n’ai pas besoin de tant de lignes. Je sais mon portrait et il n’éveille aucun intérêt. Je ne m’intéresse pas et pourtant, je pourrais parler de ma personne pendant des heures. C’est que j’ai, pour ainsi dire, une très grande habitude des discours creux. »
Le regard de Nathaniel se figea sur ces derniers mots. Il s’humecta les lèvres distraitement et se pencha vers la table de nuit sur sa droite. Il ouvrit l’un des tiroirs et se saisit d’un stylo. Il s’absorba dans la blancheur d’une nouvelle page, et commença à noyer le papier sous son écriture élégante.
« Cette mascarade a duré bien longtemps. Trop ? Peut-être, mais ça n’a pas d’importance. J’ai eu en me relisant, une impression brutale et égoïste de contentement. S’il y a une chose dont je peux être fier, c’est de voir au-delà des masques et des apparences. Ce savoir j’ai décidé de le partager. Je vais offrir à ceux qui vont me lire (et il y aura au moins quelqu’un) la vérité crue et entière sur ce qu’ils sont, sur ce que je suis. Je l’ai déjà fait en partie un peu plus haut, mais pour que ma leçon soit complète, il lui faut un dernier coup de couteau. En plein cœur, pour y laisser la plus vivace des cicatrices.
Ma mère s’est sacrifiée pour moi. Elle m’a voulu auprès d’elle, et a pour ce faire, décidé de me prendre pour modèle. Pourquoi ? Par amour, non par raison. On ne peut être définitivement quelqu’un de raisonnable lorsqu’on s’abandonne pour une seule personne, et d’autant plus lorsque celle-ci n’en a cure.
Je le dis, Isabelle, je ne t’aime pas. Ton sacrifice, j’en lis les desseins et les conclusions, mais il ne m’atteint pas. Ce n’est pas ma faute, mais c’est ainsi. Peut-être as-tu cru voir quelques fois dans mes gestes et mes mots des marques d’affection ? Elles étaient de la même étoffe que les rêves. Ton abnégation est louable, mais inutile. Ta vie s’est construite sur une illusion. Tu t’es construite sur une illusion. Roland a été celui qui en a le plus souffert. Tu as rejeté le seul qui t’aimait pour t’attacher à un fantôme. Pendant que tu courais après la chimère d’un amour absent, lui souffrait en silence. Fixe le dans les yeux, vois le vide qui l’habite, et demande-toi si vraiment ta quête désespérée vaut un tel prix.
Je sais que mes mots vont vous détruire. C’est nécessaire. Une construction branlante, on l’abat pour reconstruire plus haut et plus beau. Vous êtes boiteux et infirmes. Vous mettre en morceaux est le seul cadeau que je peux vous offrir. Le reste, ce sera à vous de l’accomplir.
Ceci est un adieu. Je ne reviendrai plus vers vous car ma présence vous désert plus qu’elle ne vous apporte. Il est temps pour moi de m’éloigner. Pensez, si cela vous console, que vous ne perdez rien. Ce n’est qu’un inconnu de plus qui s’en va, un de ceux qui vous regarde sans vous voir. »
La pointe du stylo s’arrêta en un point final. Le regard de Nathaniel se troubla un instant puis il reprit sa fixité naturelle, sans éclat. D’un geste brusque, d’où se traduisait une sorte de résignation, il referma le journal avant de le déposer sur la table de nuit. À la vue de tous.