Forum de Jeux de Rôle Futuriste - Inspiré des Mutants de Marvel (X-Men)
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- Pour les ombres, nous allons nous servir de ce crayon-ci.
Artie leva les yeux de son portrait pour regarder le crayon que Mr. Buckminster, son professeur de dessin, tenait entre ses doigts, haut afin que tout le monde dans la salle puisse le voir. De plus en plus de jeunes étaient venus s'inscrire, ce qui d'ordinaire aurait rendu Artie mal à l'aise ; tout ce monde à ses côtés, pouvant l'observer, le juger. Mais plus aujourd'hui. Il avait pris conscience que le jugement d'inconnus lui importait peu, maintenant qu'il se trouvait entouré de gens qui l'aimaient pour ce qu'il était. Malgré la récente révélation sur sa mutation et ce qu'il était appelé à devenir, il tentait de profiter de l'instant présent avec ses proches, à l'Institut. Sa nouvelle maison.
Il saisit ledit crayon, le retourna habilement entre ses doigts et attendit que Mr. Buckminster ait fini de parler.
- Nous allons débuter avec une méthode simple, les hachures. Suivant le modèle - il désigna le portrait servant de modèle à la classe, posé sur un grand chevalet à côté de lui -, vous allez travailler les ombres avec l'épaisseur des hachures. Comme je l'ai dit, c'est une méthode simple car elle permet un contrôle total sur la direction, la profondeur et la forme de celles-ci. Allez-y.
Artie commença à hachurer doucement de droite à gauche en partant du bas. Il continua son dessin, la tête un peu ailleurs, se demandant si la température s'était un peu plus réchauffée au-dehors. Il s'imagina ce qu'Ulrich pouvait bien faire en ce moment, à l'Institut, sans lui. Sans doute encore en train de traînasser dans les couloirs, tel un chat errant. Relevant la tête, il s'attarda un bref instant sur le dehors maussade visible à travers d'une des nombreuses fenêtres de la salle et lâcha un très léger soupir pour lui-même. Vivement qu'il rentre.
Quarante minutes plus tard, le garçon s'emmitoufla dans sa veste, son écharpe et ses gants pour sortir de la salle. Suivant le flux d'élèves croissant, il déboucha dans l'immense hall d'entrée du conservatoire, toujours aussi impressionnant malgré le temps. Toujours la tête dans les nuages, il n'eut pas le temps de voir le coup arriver.
- Hé !
Il fut brusquement projeté contre une adolescente un peu plus vieille que lui, qui fut surpris par l'attaque involontaire. Furieux, il se retourna pour voir qui en était la cause : un grand gaillard, qui s'avérait être sans aucun doute le fautif, poussait à droite à gauche pour gagner la sortie plus rapidement. Maudissant intérieurement l'existence de pareils abrutis, il le regarda s'éloigner avant de se décider à suivre son sillage tant qu'il était un tant soit peu ouvert. Il attrapa la porte vitrée après le costaud et s'engouffra dans l'air glacé de Février, dévalant les marches d'entrée du bâtiment, pensant au chemin du retour qui s'avérait un peu longuet mais tranquille.
Pour échapper à un énième trajet au son de Mozart Virginie avait décidé de laisser la voiture au garage. Il ne faisait pas spécialement beau mais elle avait envie de marcher. De plus elle avait une après midi tout entière de liberté devant elle. Assez de temps, pour être désœuvrée, à ne plus savoir quoi faire de sa peau. C’était un trait de caractère que sa mutation exacerbait quelque peu. Une incapacité à l’inaction qui pouvait s’avérer pénible. Elle s’était résignée à entreprendre le rangement de sa chambre ce qui était le signe visible qu’elle devait trouver une occupation productive.
A quinze heures elle avait reçu un nouveau mail de monsieur Peterson. La formulation était sèche peut être même brutale. Virginie avait manqué quelques cours au court des dernières semaines. (Si seulement il avait su pourquoi.) Celles-ci auraient été pardonnées, si son premier duo n’avait pas été entrain de se désagréger, à la vitesse de l’éclaire. Le professeur n’était pas aveugle et loin d’être idiot. Il notait la discordance entre Niel et Parish depuis un bon moment déjà. Ça n’allait pas. Ça n’allait pas du tout. Il lui donnait donc rendez-vous le soir même au conservatoire.
C’était ainsi que la demoiselle s’était retrouvée sur les routes goudronnées qui séparaient Londres de sa banlieue. Elle avançait lentement, envahie par une angoisse, qui grandissait au fur et à mesure de ses pas. Cela voulait-il dire qu’il allait la renvoyée du cours ? Ce n’était pas insensé. En trois mois il avait bien eu le temps de se rendre compte que cette petite londonienne manquait de technique. Elle s’était entrainée. Elle avait demandé des conseils. Mais il fallait être réaliste. Virginie n’était pas faite pour la danse.
D’un naturel plutôt rationnel –la concernant- elle faisait le bilan de sa « carrière ». Un parcours assez chaotique, interrompus par les divers soucis financiers de sa famille, par le déménagement, par… Virginie n’avait jamais vraiment espéré devenir une danseuse étoile. Mais ce retournement de situation la ramenait à la question qu’elle détestait se poser. Qu’allait-elle faire de sa vie ? A dix-huit ans aucun diplôme ne lui donnait assez de poids pour obtenir autre chose que des jobs. Elle fuyait les cours de l’Institut sous couvert de bonnes excuses. Rien qui ne puisse lui permettre d’obtenir une place dans cette société.
Elle en était là de ses réflexions quand on appela son nom. Un jeune homme –qui n’était autre que Aaron- venait de monter à l’arrêt du bus. La mutante lui adressait un sourire dont la politesse avait été progressivement éclipsée par une sorte de sympathie. La mission en zone 56 avait eu de nombreuses conséquences dont cette solidarité muette entre participants. Souvent quand il passait au manoir Virginie venait lui dire bonjour. De là leur désir commun de protéger Artie les avaient liés. Une connivence toute simple qui permettait de faire connaissance.
Ils descendirent ensemble peu avant l’entrée du Conservatoire. Leur conservation avait momentanément éloignée l’inquiétude de la danseuse. Elle marchait en parlant et en l’écoutant. De loin, ils ressemblaient à n’importe qui, à n’importe quel citadin. La jeune fille faisait attention, à se vêtir comme en hiver, malgré l’inutilité des vêtements. Elle était une adepte des écharpes blanches (qu’elle trouvait si jolies sur Koji) et des mitaines bariolées, qui retenaient les pauvres rayons de soleil.
Ce fût le garçon qui repéra la silhouette d’Artie qui remontait dans leur direction. Il avait devant lui un jeune baraqué qui tournait à l’angle. D’un commun accord les deux marcheurs changeaient légèrement leur trajectoire pour aller à la rencontre de l’adolescent. Un sourire bienveillant se dessinait à la fine bouche rose de Virginie. Elle levait tranquillement la main pour signaler leurs présences au mutant.
-« Salut Artie ! Tu étais au cours de dessin ? Comment s’était ? »
Ses cheveux blonds volaient autour de son visage que le froid n’arrivait pas à faire rougir. Elle avait l’air sincèrement de bonne humeur comme à chaque fois que ses yeux se posaient sur ce petit artiste. Elle l'aimait beaucoup et ne le dissimulait pas. Une raison de plus pour effacer l’ombre de la salle de danse.
Les yeux fixés sur le dos du costaud qui avait bousculé tout le monde dans le hall d'entrée du conservatoire pour passer, Artie avait pris la direction de l'Institut, déjà impatient de rentrer et retrouver la chaleur familière des lieux. Cette affection à l'égard de cet endroit si singulier, qu'il avait d'abord craint et redouté, avait éclose au fil des mois passés, sans que cela ne le surprenne. Artie aimait l'Institut, et cela semblait réciproque.
Une voix le tira de ses pensées et il regarda autour de lui. Avant même qu'il ne put identifier son, ou plutôt sa propriétaire, il aperçut la grande silhouette d'Aaron marchant dans sa direction, accompagné de la belle Virginie. Haussant les sourcils avec un léger sourire, il se rendit compte qu'ils étaient en quelque sorte assez semblables : tous deux avaient des cheveux d'un blond éclatant, ils avaient l'air en pleine forme physiquement parlant, sans parler de leurs expressions de contentement. Seulement Aaron était plus grand que Virginie. On aurait presque pu dire qu'ils étaient frère et soeur, pensa Artie avec amusement.
Le jeune garçon marcha à leur rencontre, levant les yeux vers eux. D'ordinaire, il aurait rougi en voyant ces deux adultes avoir toute leur attention focalisée sur lui, mais plus maintenant. Il commençait à bien les connaître, même si Aaron disparaissait constamment sans raison apparente pendant plusieurs jours. Leurs visages étaient illuminés d'un sourire à faire fondre tous les coeurs de pierre que cette planète pouvait contenir. Artie se demandait s'ils n'avaient jamais de réels problèmes, ceux que la vie met en place afin que les instants de bonheur soient plus profitables. Il lui était arrivé de déceler quelques traces de préoccupation chez Aaron mais jamais chez Virginie. Ou alors la jeune femme savait bien cacher ses émotions. Ou alors Artie avait besoin de lunettes ou d'être moins distrait.
- Hé, salut vous deux !
Ce fut à ce moment-là qu'il remarqua qu'il ne les avait jamais vu ensemble auparavant. Depuis l'opération en Zone 56, beaucoup de choses avaient changées, à commencer par ceux qui y avaient participé. Aaron semblait légèrement plus nerveux que d'ordinaire, ce qui en disait long car Artie l'avait toujours vu très calme, hormis le jour où ils s'étaient rencontrés et qu'Aaron l'avait emmené à l'Institut, l'air pressé et même paranoïaque. Depuis la Zone 56, tous les participants à l'Institut semblaient avoir été soudés les uns aux autres par ce même traumatisme, sans parler de la vision commune qu'ils avaient eu. Artie n'arrêtait pas d'y penser. Il avait même fait plusieurs rêves à cause de ça, hantés de monstres reptiloïdes aux yeux brillants dans les ténèbres et au sourire malfaisant... des rêves qui s'étaient toujours finis par un réveil en sueur, et parfois en larmes, dans le noir silence de la résidence, à côté de celui qu'il aimait et qu'il avait peur de perdre à cause de ce qu'il allait devenir.
- Oui, j'étais à mon cours de dessin, ça s'est très bien passé, on a commencé l'apprentissage des ombres, répondit-il à la danseuse. Et vous ? Qu'est-ce que vous faites ici ?
Il les regarda tour à tour, un sourire en coin illuminant son visage au teint pâle et maladif.
Le matin même, Nathaniel avait quitté la maisonnée familiale. Sa mère avait été un peu déçue de le voir partir si vite, mais elle ne chercha pas à le retenir. Elle savait que comme toujours, il reviendrait, que ce soit dans un an ou dans dix. Quant au père, il accueillit malgré son apathie, le départ de son fils avec un certain dédain. Isabelle l’avait embrassé, avec retenue, mais avec une tendresse certaine. Roland s’était contenté de lui tendre froidement sa main, que Nathaniel avait serré avec la plus parfaite indifférence. Son épouse avait froncé les sourcils, comme irritée, mais n’avait rien dit de plus. Après un sourire éclatant adressé à son fils, elle avait refermé la porte de la maison et Nathaniel s’en était allé.
Depuis lors, il avait erré en ville. Son avion ne partait que le soir, et pour combler l’attente, il avait choisi le mouvement à l’inertie. Mais l’absence de but ne l’avait pas gêné outre mesure. Il était allé au musée de prime, en souvenir d’une rencontre étonnante qu’il y avait faite. Puis il avait rallié l’hôpital, mais n’y était pas entré. Restant simplement devant, à le contempler, à lui rendre hommage. Il n’était pas ingrat, cet endroit avait été son plus beau foyer. Suite à ça, eh bien, il avait traversé tout Londres jusqu’à sortir de la ville. Mais à peine aux frontières, il avait fait demi-tour et avait de nouveau rejoint le centre où il avait vagabondé deux heures durant. Par moments, son téléphone sonna, et le numéro affiché lui avait indiquait que sa mère cherchait à le joindre. Il n’avait pas répondu et avait éteint le téléphone, se promettant à son retour de changer de numéro. Quitte à couper tout lien avec son passé, autant ne pas faire les choses à moitié. Aux environs des dix sept heures, Nathaniel s’était trouvé près d’un parc qu’il avait voulu visiter. Non pas qu’en lui-même le lieu présentât un quelconque intérêt, mais il était l’un des signes visibles de l’esprit typiquement londonien. Chaque pelouse était entretenue avec un soin maniaque, chaque arbuste était taillé avec une rigueur mécanique, chaque fleur ou feuille était à la place qui était sienne, et rien ici n’évoquait un quelconque désordre. Inspiré par l’harmonie du parc, Nathaniel s’était installé sur un banc planté au pied d’un chêne centenaire. L’homme avait posé sa valise à ses pieds puis avait croisé les jambes avant de s’adosser confortablement contre le bois verni. Indéniablement, ce parc faisait un parfait sanctuaire. Avec ce ciel couvert et peu avenant, rares étaient ceux à faire comme lui. Beaucoup ne faisaient que passer avant de disparaître au-delà d’un chemin. Par ailleurs, les bruits de la rue étaient à la limite de l’imperceptible, les arbres se chargeant d’en étouffer le brouhaha. Du silence, personne autre que lui-même. Il ferma les yeux et sa tête bascula en arrière. Oui, c’était parfait.
Au moment où il était sur le point de s’assoupir, il entendit quelqu’un s’asseoir à ses cotés. Nathaniel sentit poindre un élan d’irritation, mais il n’ouvrit pas pour autant les yeux. L’autre n’avait fait qu’altérer sa sérénité, il ne la gâcherait pas. L’infirmier dut revoir ses projets lorsque son voisin le secoua brutalement. Lâchant un juron particulièrement grossier, Nathaniel cessa de feindre l’endormi et se tourna vers l’emmerdeur. Son masque de colère se craquela et la fureur de son regard laissa place à une surprise bien plus sincère. C’était un vieillard. Un vieux monsieur au visage incroyablement ridé mais qui possédait un charme certain ; dû très certainement à ses yeux d’un bleu incroyable et brillant d’une intelligence rarement présente chez le commun. Il portait un long manteau beige clair élimé, un pantalon de velours et un pull grisâtre informe certainement fait main. Sa tête flétrie comparable à une vieille pomme desséchée était rehaussée par un chapeau en feutre qui la rendait d’autant plus minuscule, presque inexistante. Mais ce ne fut pas son apparence légèrement atypique qui troubla Nathaniel, mais deux détails que lui seul pouvait déceler.
Le vieil homme empestait, et le mot lui-même n’était pas suffisamment fort pour décrire toute l’horreur olfactive qui se dégageait du personnage. Nathaniel s’était habitué à ces odeurs bizarres, il avait commencé à en comprendre le sens, la vérité sous-jacente. Mais cette fois-ci, c’était trop pour lui. S’il crut tourner de l’œil tant l’odeur était intense, il ne put toutefois pas s’empêcher de vomir. Tournant la tête au dernier moment, il rendit son dernier repas dans l’herbe. Lui qui n’avait jamais été particulièrement affecté par ce genre de choses, qu’il pût perdre tous ses moyens face à cette puanteur en disait long sur la puissance de celle-ci. Pendant que l’infirmier réunissait ses esprits, l’ancêtre ne cessa de le dévisager d’un air curieux, voire presque amusé. Lorsque Nathaniel lui jeta un coup d’œil, le vieillard lui sourit, dévoilant les quelques dents gâtées qui restaient à ses gencives. Un autre haut-le-cœur saisit le mutant qui décida de regarder ailleurs. Au-delà de tout ça, ce qui l’horrifiait davantage dans ce vieux croulant n’était pas sa bouche sanguinolente, ni même son odeur. Cet homme, il le connaissait. Un patient de l’hôpital qu’il avait assisté pendant plusieurs mois. Un patient qui n’avait jamais quitté sa chambre autrement que sous un drap blanc, les pieds devant.
Qu’il fût là à ses cotés, alors qu’il aurait dû être théoriquement mort suite à son cancer, Nathaniel ne se l’expliquait pas. Le fantôme (que cela pouvait-il être d’autre ?) sembla lire dans ses pensées et lui fit de nouveau grâce de son sourire édenté. L’infirmier ne vacilla pas cette fois-ci et le dévisagea sans broncher. L’ancêtre parut satisfait de cette attitude et s’humecta les lèvres de sa longue langue râpeuse. Après un temps, un son guttural émergea du fond de sa gorge et Nathaniel ne comprit qu’au bout de quelques secondes qu’il s’agissait de la voix du vieillard :
« Te souviens-tu de moi, mon garçon ? »
L’infirmier baissa les yeux face à ce regard d’un bleu intense, et l’image de lui plus jeune, lorsqu’il était pris en faute, lui traversa l’esprit.
« Oui Monsieur, » répondit-il d’un ton presque honteux.
Aaron avait beaucoup de raison d’être nerveux. Ce qui était arrivé en Arizona aurait rendu n’importe qui nerveux. Cela dit il donnait l’air de gérer plutôt bien la situation. Virginie reconnaissait en lui l’indépendance et la rationalité des garçons. Etait-il mutant ? Rien n’était assuré. Or ce n’était pas un sujet qu’on pouvait aborder sans partager un minimum d’intimité. Il suffisait de voir où allait mener la suite. La jeune fille commençait à comprendre les raisons qui pouvaient retenir quelqu’un à entrer dans une communauté ou même à partager des choses avec leurs semblables. C’était une question de survie.
- Je venais aux nouvelles. Ulrich m’a dit où je te trouverai.
Qui étaient-ils l’un pour l’autre restait un mystère. Virginie admirait cette détermination à vouloir protéger quelqu’un. Sa rencontre avec miss Powell lui avait démontré qu’aucun lien du sang n’était indispensable pour chercher le bienêtre d’un autre que soi. Est-ce que cela voulait dire que le raisonnement inverse était vrai ? Que la famille n’avait rien de sacré. Qu’une mère pouvait envoyer sa fille en laboratoire pour sauver… sa peau. Virginie éloignait une fois de plus ce sujet pour répondre à son tour.
-« J’allais voir mon professeur. Je n’ai pas été très sérieuse depuis quelques temps.»
Dire cela à haute voix ramenait la danseuse à ses propres défauts. Elle avait automatiquement baissé les yeux vers le sol. Ces deux jeunes gens n’étaient pas ses parents pourtant elle se sentait honteuse d’avouer ses manquements. Elle avait peut être eu les yeux plus gros que le ventre. La Liberty Corporation, le Fil, le Contrepoison, s’était bien assez pour remplir une vie… surtout ces temps ci. Ne voulant surtout pas gâter l’humeur générale elle effaça son inquiétude pour reprendre le chemin de l’Institut avec eux. Une fuite. Une nouvelle fuite en avant comme elle savait si bien les faire.
-« Je suis venue en avance pour profiter d’une salle. Mais je préfère faire un bout de chemin avec vous. Je ne te vois pas assez.»
Ces derniers mots s’adressaient au plus jeune. Ils étaient sincères. Le train-train du quotidien faisait parti de l’avant zone 56. Elle s’en voulait un peu de ne plus être tout à fait là. Pourtant elle savait, que cette résistance silencieuse, à laquelle elle participait lui était devenue vitale. Parce qu’au fond, Virginie n’aurait peut être jamais cette vie ordinaire, à laquelle elle croyait tant aspirer. Ils poursuivaient leur chemin alors qu’un énorme nuage gris venait envahir le ciel. La menace se précisait. Elle lançait une discussion à propos de ces « ombres » faisant un parallèle entre celle qu’on devait créer sur le papier et celles qu’on dessinait sur la scène. Ou peut être l’inverse ? Elle leur demandait beaucoup leur avis aussi vive et souriante que la jeune fille qu’elle était. L’odeur des marrons chauds avait naturellement fait dériver le pas dansant de la blonde.
-« Après l’effort le réconfort. On en prend ? Ca vous tiendra chaud !»
Un petit vent se levait. La mutante le discernait au mouvement des cheveux bien plus qu’à la sensation. Il allait pleuvoir bientôt. Ils avaient évincés le dernier arrêt de bus pour marcher un peu dans la ville. Ce qui semblait être un mauvais calcul à présent. Parish connaissait Londres. Elle y avait grandi. Il existait toutes sortes de raccourcis pour retrouver Essex. Ils pouvaient, par exemple, couper à travers l’un des parcs. Une option qu’elle était prête à prendre. Ses yeux bleus s’arrêtaient un instant sur Aaron. Il était le genre de personne dont elle écoutait l’avis. Le fait qu’ils aient tous les deux le même objectif rendait enclin à la confiance.
Par une vivacité étonnante ses doigts rattrapaient juste à temps un jeu mécanique qui arrivait à toute vitesse sur eux. Un petit bambin de cinq ans, courrait le plus vite possible, les yeux affolés en voyant son héros de fer capturé. Son père arrivait dans son dos et remerciait les jeunes d’avoir réagis. Ce n’était rien que le hasard. Mais le sourire avenant que cet humain leur avait offert déstabilisait Virginie. Elle restait sans voix avec un air timide. Le mouvement du petit attirait son regard. Est-ce que lui aussi il les détesterait un jour ? Le sourire devint presque affectueux. Père et fils reprenaient leur trajet. Elle, elle, observait leurs silhouettes. Un jour… oui un jour, (quand la paix serait assurée) elle aurait des enfants se disait-elle en allant jusqu’au passage piéton. C'était bien la première fois qu'elle assumait ce désir là.
- Je venais aux nouvelles. Ulrich m’a dit où je te trouverai.
Artie dévisagea Aaron pendant un instant. Comme toujours, un million de questions fourmillaient dans sa tête. Que pensait Aaron de son orientation ? L'acceptait-il, ou faisait-il juste semblant ? Tout en se le demandant, Artie finit par réaliser qu'il ne se serait pas posé ce genre de questions pour quelqu'un auquel il n'aurait pas réellement tenu. Il fallait qu'il l'admette, malgré le fait qu'Aaron ait un peu forcé Artie à accepter sa présence, le garçon avait fini par s'attacher à lui. Il lui trouvait un certain charisme, sans arriver à savoir pourquoi. Peut-être Artie était-il devenu plus tolérant envers les autres maintenant qu'il se sentait moins seul et triste.
Artie rit à l'explication de Virginie. Rire à nouveau lui faisait du bien, mais c'était surtout parce qu'il adorait Virginie et l'imaginer à faire des bêtises au lieu de travailler faisait remonter en lui toute l'affection qu'il avait pour elle. Ils ne s'étaient pas souvent vus depuis la Zone 56, et c'était bien dommage car Artie aurait souhaité passer plus de temps avec elle afin de mieux oublier ce qu'il s'y était passé. Là aussi, il se posait des questions. Il savait que Virginie était quelqu'un de très doux et très tolérant - il doutait qu'il n'y ait jamais être plus tolérant que miss Parish sur Terre -, mais son côté pessimiste, toujours terré au fond de son coeur et de son esprit, le chatouillait : et si elle ne le voyait plus comme avant, à cause de ce qu'il allait devenir ? Si elle avait décidé de s'éloigner de lui parce qu'il pourrait la blesser en grandissant et en se transformant ? D'un côté, il savait que ça ne pouvait pas être le cas. Mais il était tellement habitué à penser négativement maintenant, que c'était presque devenu une seconde nature chez lui.
- Effectivement, répondit-il à la jeune femme, ça m'a manqué de ne plus pouvoir te voir.
Il adressa un autre regard à Aaron pour lui montrer qu'il ne l'avait pas oublié. Il lui avait rendu service plus d'une fois, et par-dessus tout en l'amenant à l'Institut ; Artie serait le dernier des ingrats de ne pas lui en être redevable pour ça. Il lui adressa un petit sourire en coin et, fourrant ses mains dans les poches, commença à descendre la rue à leurs côtés, parlant de choses et d'autres avec ses deux amis. Regardant Virginie bondir de son pas dansant, il échangea un regard avec Aaron et haussa les épaules :
- Des marrons chauds ? D'accord. Je n'en ai jamais goûté de toute façon.
Il n'aimait pas tellement goûter de nouvelles choses, mais il se sentait trop content aujourd'hui pour refuser quoi que ce soit. Il sentit une légère bise l'embrasser et ses mèches brunes commencèrent à danser dans l'air glacial qui les entouraient. Le ciel commençait à s'obscurcir, signe que leur promenade allait sans doute devoir être écourtée. Il se tourna vers Aaron :
- Il faudrait prendre un raccourci, non ?
Le jeune homme lui sourit en coin et répondit :
- Oui, mais il faut encore attendre Virginie pour ça. Ce ne serait pas très galant de l'abandonner ici, je pense.
A ces mots, les deux garçons rigolèrent. C'était la première fois qu'Artie entendait Aaron rire, et une impression de déjà-vu le frappa alors. Il s'arrêta de rire pour fixer le jeune homme, qui lui aussi s'arrêta et le regarda à son tour, un sourire toujours suspendu au coin de ses lèvres.
Comme beaucoup de ses camarades c’était à l’Institut que Virginie apprenait à vivre comme tout le monde. Elle découvrait encore ce que c’était que d’être attendue quelque part. Ni à Londres ni à New York sa famille ne lui avait donné le goût du retour au foyer. Mais Artie avait raison cela lui manquait à elle aussi. Alors elle se jura de tout faire pour être plus souvent au manoir, autant que faire ce peu. Elle voulait de toute façon passer plus de temps avec eux.
-« Je vais faire en sorte que ça change.»
Son sourire était sincère autant que sa volonté. Elle ressentait le besoin de veiller sur ce garçon. C’était quelque chose qu’elle ne contrôlait pas. Sa faculté à aimer l’autre entrainait quelques conséquences. Souvent elle se demandait comment elle avait fait pour vivre dix-sept ans sans tisser des vrais liens avec les autres. Sa mère lui avait tant répété qu’elle était incapable de s’en préoccuper. Pourquoi l’avait-elle crut ? Le bienêtre qu’elle recherchait pour toutes ces personnes était bien réel.
-Va pour les marrons chauds. Elle mange à chaque fois que je la vois.
Les trois comparses repartaient avec leurs cônes de papiers d’où jaillissait le fumet gourmand. C’était plus par plaisir que par faim que la mutante avait agit. Il en était ainsi depuis pas mal de temps. Beaucoup de filles se seraient damnées pour avoir sa silhouette en mangeant autant. Tandis qu’elle n’y voyait qu’une facilité pour entrer dans le monde de la danse… si celui-ci voulait encore un peu d’elle. Le son d’un clacksons extirpait Virginie de sa contemplation. Elle tournait la tête de chaque côté à la recherche des garçons. D’un pas vif elle traversait la rue et s’arrêtait en s’excusant avec un sourire.
-« Pardon ! On passe par là ?»
Tout en croquant dans l’un de ses marrons la jeune fille désignait l’entrée d’un parc qui coupait la zone. Une première goutte tombait sur le sol. Il était temps de rentrée. La mutante passait devant et se mit à marcher à reculons pour pouvoir observer ses compagnons. Elle aimait jouer avec l’équilibre de son corps. Elle faisait confiance à son ouïe pour l’avertir à l’approche d’un passant. Les nuages se gonflaient d’eau. Les promeneurs ouvraient leurs parapluies. Virginie se moquait du temps comme d’une guigne. Elle racontait une anecdote. L’autre matin en passant dans le parc de l’Institut elle avait vue un renard. Rencontre anodine qui avait attirée son imagination vers tout un tas d’hypothèses. Les animaux mutants existaient peut être !
Ils quittaient le parc pour rejoindre l’arrêt du Bus D. Bien entendu tous le monde s’était déjà mit à l’abri sous le dôme de verre. Virginie regardait le plus jeune du groupe avec un air soucieux. Une pluie froide de février ce n’était pas très bon pour la santé. En particulier pour quelque comme Artie. Sa main attrapait délicatement la capuche, qui pendait dans le dos de l’adolescent, pour en recouvrir sa tête. Pour une fois elle ne demandait pas la permission. C’était bien parce qu’elle voulait prendre soin de lui avec cette fâcheuse tendance à materner. Elle fonctionnait comme ça et son regard pétillait d’une tendresse qui parlait pour elle. Elle en avait même oublier son rendez-vous.
Le ciel s’était couvert de nuages d’orage, gris et gigantesques, plongeant la ville de Londres dans une semi-obscurité et une lourdeur moite. Nathaniel et le vieil homme n’avaient pas bougé du banc, ni esquissé le moindre geste, ni même échangé de nouvelles paroles. Un silence aussi pesant que le ciel s’était installé entre eux. L’infirmier se sentait pour le moins dérouté par la situation, et l’ambiance de l’instant, cet orage à venir et ce fantôme décrépi, le plongeait dans un état d’impatience tel qu’il n’aurait su le décrire. Quelque chose allait se passer, quelque chose de monstrueux et de gigantesque. Le vieillard à sa droite toussa, moins par nécessité que pour le rappeler à son bon souvenir. Nathaniel se tourna vers lui, le visage crispé et tendu. Pour une fois, il ne lui était pas possible de cacher l’appréhension qui le gagnait peu à peu. L’ancien s’éclaircit la gorge, resta silencieux pendant un temps court et calculé, puis déclara d’un ton sec :
« Tu es un sale con, mon garçon. »
Nathaniel ne broncha pas, attendant la suite qui se révèlerait très certainement plus assassine. Le vieux le fixa, sûr d’avoir désormais son attention.
« Nous te quittons. C’est ce pour quoi je suis venu. Nous te quittons car nous sommes las de toi, de ta façon d’être, de ton inutilité. Nathaniel Albenco, pendant trop longtemps nous sommes restés silencieux tandis que tu faisais grossir nos rangs sans même en avoir conscience. Aujourd’hui, nous sommes suffisamment nombreux. Aujourd’hui, nous sommes assez forts pour te tenir tête. Fils, nous partons et tu ne pourras rien y faire. Car tu n’es qu’une peau morte, dont nous nous débarrassons sans le moindre remord. »
Le mutant cligna des yeux. Une première fois, puis une deuxième et une troisième, jusqu’à ce que sa vision se troubla. Il n’était pas certain d’avoir bien compris. Cela n’avait pas de sens. De quoi parlait l’homme, et de qui ?
Un craquement sinistre dans le ciel retentit. Un grondement menaçant qui agita les nuages épais, et fit vibrer le cœur des hommes. Le vieillard le fixa, Nathaniel en fit de même. Il voyait désormais de quoi parlait ce fantôme d’outre tombe. Derrière lui, il perçut le bruissement d’une foule. Des gens, là sans l’être vraiment, qui lui parlaient, qui l’insultaient ou qui le suppliaient. Leurs voix résonnèrent dans sa tête, creuse comme une cloche, et dont les échos faisaient vibrer la moindre parcelle de son corps. Il saisit pleinement le sens de tout ce que cela impliquait. Qu’eux veuillent partir, cela signifierait une totale désertion de son esprit. Il avait construit sa personne sur leurs souffrances, à défaut des siennes, si elles venaient à disparaître, lui-même n’aurait alors plus rien. La peur le gagna, bête vicieuse et rampante. Elle l’envahit, le rongeant de l’intérieur bien mieux qu’un poison. Il voulut protester. Il n’en eut pas l’occasion.
Des centaines de mains s’abattirent sur lui. Il sentit des poignes lui écraser les épaules, des doigts se tordre et labourer son visage. Il ne s’attendait pas à un tel déchaînement de violence. Dans chaque coup, dans chaque griffure reçue, il pouvait percevoir toute la hargne, la haine et la colère qui animaient ses bourreaux. Les mains se plaquèrent à son dos et le poussèrent vers l’avant, le forçant à marcher. Et au milieu des cris et des grondements, il entendait le même refrain qui se répétait.
« Son masque, son masque, qu’on lui mette son masque ! »
Il avançait en titubant, tentant de résister à l’immense pression qui le poussait, mais rien n’y faisait, il ne pouvait lutter. D’autres doigts glissèrent sur son visage tandis qu’on lui enfilait son masque contre son gré. Si le contact du caoutchouc était habituellement rassurant, ici il n’en fut rien. La peur fit place à la terreur la plus absolue. Lui, et Eux, traversèrent le parc. Il ne contrôlait aucun de ses gestes, désormais il était le pantin de réminiscences d’êtres humains. Grossier, désarticulé, son masque barbouillé de sang, il devait-être simplement effrayant. Ils le poussèrent hors des sentiers, hors des chemins jusqu’à parvenir à la grille. Gesticulant en tout sens sous la masse invisible, Nathaniel criait comme un dément. La rue était bondée, les passants nombreux et les véhicules filaient en tout sens. Des gens se tournèrent vers lui, leurs yeux s’agrandirent d’effroi et beaucoup reculèrent. Les fantômes propulsèrent leur marionnette vers chaque personne qu’ils croisaient. Ils reniflaient l’air quelques instants avant de s’en détourner en déclarant d’une même voix :
« Pas lui, pas lui. Continue, va ailleurs, tout droit ! »
Et sous ces injonctions, Nathaniel ne pouvait qu’obéir. La tête ballotante, les membres tordus et au supplice, il n’avait de contrôle sur rien. Soudain, un frémissement agita la masse spectrale. L’infirmier releva les yeux vers ce qui avait attiré leur attention. Un groupe de trois personnes. Deux garçons et une jeune femme. Nathaniel la reconnut comme l’une de ses victimes, sans pour autant savoir précisément dans quelles circonstances il l’avait rencontré. Le plus étrange, c’est qu’elle était face à lui, avec les deux garçons, mais également dans la foule de ses souvenirs, à le pousser toujours plus avant comme le reste de ses compagnons. Vivante et morte, elle comblait les deux états, tout comme lui. Un éclair zébra le ciel obscur, et toute la puissance de l'orage se concentra en un roulement de tonnerre. En cet instant, la réalité bascula et il ne fut plus vraiment conscient de ce qui se passait. Il se vit bondir, du moins son corps comme si lui, en tant qu’esprit, restait là à contempler la scène d’un point de vue extérieur. Il se regarda se précipiter vers eux. Les vêtements en morceaux et tachés de sang, le masque lui donnant l’air inhumain, il ressemblait à un fou. Sa main qu’il ne contrôlait plus s’écrasa sur le visage du plus vieux des garçons. Avec une force qu’il ne se soupçonnait pas, il le plaqua au sol et sentit le nez de sa victime éclater contre sa paume. Il sentit les mains le repousser en arrière, et des silhouettes informes se mirent à le bousculer pour se rapprocher de sa victime. Le garçon hurla, de douleur ou d'angoisse, ses émotions étaient bien trop confuses, trop entremêlées pour être perceptibles. Un cri sortit de la propre gorge de Nathaniel, un cri à la fois effrayé et effrayant. Toujours penché sur le jeune homme, il put voir des silhouettes translucides se glisser dans le garçon, dans sa chair et se fondre avec elle. Enfin les mains qui labouraient son dos disparurent brutalement, évaporées vers il ne savait quel endroit. Nathaniel se redressa, l’âme étrangement vide et silencieuse. Le ciel ne lui avait jamais paru aussi menaçant.
Artie prit un marron et l'examina. Il sentait l'ovale bosselé dur et chaud sous ses doigts malgré son gant. Il regarda Aaron qui haussa les sourcils et l'invita à essayer d'un petit signe de tête. Décortiquant tant bien que mal le marron, il se mit à rire quand il se trouva ne pas vraiment savoir s'en sortir.
- Attends.
Aaron prit le marron et lui retira lestement sa coquille, puis le tendit à son jeune compagnon :
- Et voilà monsieur !
Artie le remercia d'un sourire surpris et croqua un peu timidement dans la boule difforme et jaune. Aaron lui lança un regard malicieux :
- Alors ?
Artie regarda ses deux amis tour à tour, mâchonnant un peu puis avalant le morceau qu'il avait dans la bouche. Il fit une petite moue puis répondit :
- J'ai pas de quoi en raffoler, mais c'est pas dégueu...
Ils avaient repris le chemin vers l'arrêt de bus qu'Artie et Virginie avaient l'habitude de prendre à intervalles différents pour revenir à l'Institut. Aaron marchait à côté du garçon, son cône dans une main, l'autre décortiquant les marrons d'un seul geste.
- Alors, ça va ? demanda-t-il brusquement à Artie.
Ce dernier leva les yeux vers lui, haussant les sourcils.
- Oui, pourquoi ça n'irait pas ?
Aaron avala un marron avant de lancer un coup d'oeil à Virginie, qui avait rabattue la capuche du sweat d'Artie sur sa tête brune. Le garçon lui prit la main et lui sourit, ce qui n'empêcha pas Aaron de répondre :
- Ce n'est pas de ça que je veux parler.
Artie le fixa autant qu'il le put, c'est-à-dire en essayant de faire attention à ne pas rentrer dans quelqu'un devant lui. Il mit une poignée de secondes à comprendre ce qu'Aaron sous-entendait. Il baissa les yeux sur son cornet de marrons, déjà presque vide et qu'il avait délaissé pour tenir la main de Virginie.
- Ça va.
- Tu es sûr ?
Artie leva les yeux vers le grand blond. Pour la première fois, il ne se sentait pas agacé par son opiniâtreté.
- Ne t'inquiète pas, Aaron. Tout va bien. Ce qui s'est passé là-bas... c'est du passé, d'accord ? J'aime autant ne pas en parler, c'est pas la peine. J'ai pas besoin d'aller voir un psy ou quoi que ce soit. Je me suis jamais senti aussi bien, à vrai dire.
Aaron haussa les épaules :
- Si tu le dis. Je veux bien te croire mais si jamais...
Il s'arrêta de parler, son attention soudain distraite par l'agitation qui régnait dans la foule devant eux. Les gens se regardaient, l'air confus, effrayé, avant de se pousser pour laisser passer un inconnu qui était visiblement la source du problème. Et pour cause, songea Artie, car il n'avait jamais rien vu de tel. C'était un homme, bien que le garçon n'en soit pas sûr, en train de gigoter dans tous les sens, comme possédé. Ses vêtements, qui se devinaient originellement de bon goût et de marque, étaient dans un état déplorable, taillés en pièces de telle sorte que même un membre de la Chambre de la Haute Couture n'aurait pas l'idée de lancer une mode avec ça. Il portait un genre de masque, assez étonnant bien que terrifiant, qui lui procurait une aura presque monstrueuse, infernale.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce taré... fit Artie.
Il eut à peine prononcer ces mots qu'il se rendit compte que ledit taré venait dans leur direction comme une locomotive emballée. Artie commençait à peine à réaliser qu'il leur fallait changer de trajectoire afin de l'éviter lorsque le dingue prit tout son élan et se jeta sur Aaron. Il n'était pas plus grand que le jeune homme qui avait déjà de sacrées gambettes, ni bien plus fort, et pourtant il réussit à le plaquer à terre avec une force et une violence clairement anormale. Il avait littéralement éclater sa main contre le visage d'Aaron, le projetant sur le pavé la tête la première et s'entraînant lui-même dans la chute à la fois. Aaron se débattait et tentait de repousser la main de l'agresseur, mais il s'y agrippait comme du lierre sur un mur de garage.
- Virginie ! Fais quelque chose ! s'exclama Artie, qui avait lâché la main de la jeune fille, hésitant entre rester en retrait et se jeter sur le fou, au risque de se voir réduit en bouillie au vu de sa force manifeste.
Il se figea. Le taré avait poussé un hurlement à glacer le sang. C'était un cri mêlant la haine, la peur et l'impuissance. Quelque chose qui montait dans les aigus, et qui se mélangeait à l'orage qui désormais commençait à poindre au-dessus d'eux.
« Merde ! » se dit le garçon, en s'apercevant que quelque chose se passait. Des formes étranges et quasiment irréelles glissaient entre les deux hommes. Elles semblaient... sortir du taré pour s'insinuer en Aaron. Ce dernier se crispa et poussa un mugissement indescriptible, presque étouffé par un gargouillis.
Ce fut le déclic qui permit à Artie de se mettre en mouvement. Il se précipita sur le dingue et lui rentra dedans, bien qu'il douta que son frêle corps puisse y faire grand chose :
- Dégagez ! Foutez-lui la paix espèce de barré !
Il n'avait aucune idée de ce qui se passait, il ne savait pas quoi dire ni quoi faire, il se sentait perdu ; mais une chose était certaine, ce type était en train de faire du mal à Aaron - qui était en ce moment-même en train de se convulser sur le trottoir, au milieu de tous ces passants qui ne semblaient pas vraiment enclins à vouloir venir les aider -, et ce fut en cet unique instant que, pour la première fois, Artie souhaitait être déjà ce qu'il était condamné à devenir afin d'aider son ami.
-« En rentrant je te fais goûter à la crème de marron. C’est … splendide !»
Virginie s’était volontairement mise en retrait pour laisser les garçons papoter. Certains sujets devaient rester privés. La pluie la poussait tout de même à intervenir de façon discrète. Ce fut presque sans hésitation qu’elle serra doucement la main de l’adolescent. Un geste qui était anodin. Pourtant pour cette jeune fille il représentait une réelle évolution. Elle ne pouvait faire mine de ne pas entendre ce qu’ils se racontaient. Elle pouvait même entendre les londoniens à l’autre bout de la rue courir vers les cafés. Ou la jeune fille qui parlait au téléphone d’une voix sourde.
Toute son attention se concentrait sur Artie lorsqu’il donna enfin son ressenti sur les événements survenus en Arizona. Elle était reconnaissante à Aaron d’avoir fait le premier pas. Elle-même n’aurait jamais osé confronter le mutant à ce sujet. La simple perspective de rappeler des mauvais souvenirs l’arrêtait avant même d’essayer. La réponse était rassurante quoique peut être un peu trop. Virginie le soupçonnait d’enjoliver un peu la situation et elle n’était apparemment pas la seule à le penser.
Elle vit le pantin humain à peine quelques secondes avant le reste de la foule. Ses jambes avaient enclenché un mouvement de recule inconscient. Le mur de verre la stoppait à temps. Elle était médusée par la démarche désarticulée de l’inconnu. Elle n’arrivait pas à donner un sens à cette scène complètement hallucinante. Ce furent les mots d’Artie qui détournèrent un peu son attention. Elle ne savait pas quoi dire ou faire. Ses gestes étaient du à l’instinct et la vivacité. Sa main ferme entrainait le jeune en arrière pour l’éloigner.
Aaron était la cible du fou à lier. La jeune fille se retrouvait déchirée entre le désir de protéger le garçon et d’aller aider l’autre. L’abri bus se vidait à vue d’œil. Tout allait trop vite. Elle voyait distinctement les signes de la souffrance prendre leur ami d’assaut.
-« Non Artie ! Ne…»
Virginie sursautait comme l’ensemble des spectateurs. La cacophonie des cris et de l’orage éveillait une peur sans nom. Ses yeux observaient le ciel avec angoisse. Elle détestait ce temps. Les éclairs la terrorisaient plus que tout le reste. Le combat à quelques mètres était inégal. Il s’apparentait à ces scènes de films d’épouvantes dont elle n’arrivait jamais à voir la fin. Le monstre attaquait un innocent. Mais que ce passait-il ? Quelles étaient ces lumières qui passaient de l’un à l’autre ? La mutante était tétanisée. Elle avait l’impression de reconnaître cette silhouette…
L’attaque insensé de l’adolescent eu au moins un effet sur l’inaction de Virginie. Elle ne pouvait pas laisser Artie risquer sa vie sans réagir. La peur de tout fut ainsi supplantée par la peur qu’il arrive un nouveau malheur. Une formidable dose d’adrénaline parcouru son corps. Elle courue pour le rejoindre avec cette énergie décuplée.
-« Reviens ! » Elle bousculait des inconnus sans même s’excuser. « Appeler des secours ! »
Ses yeux passaient un court instant sur le pauvre Aaron étalé sur le béton. Il était dans un triste état. En relevant la tête elle aperçue des passants qui prenait enfin leurs téléphones pourvu qu’ils n’appellent pas la police. Elle arrivait à la hauteur des deux autres. Il n’y avait pas à transiger. Ce fut sans ménager l’adulte, qu’elle le sépara de l’enfant, avec la force de trois hommes. Quand Virginie lâchait la bride elle trouvait une sorte d’équilibre naturel. Ses pensées et ses actes s’accordaient enfin à la perfection. Elle tournait la tête vers son protégé.
-« Artie, Aaron a besoin de toi là bas… »
Ses yeux, brillaient d’une concentration et d’une autorité, qu’elle n’atteignait que lors de rares moments. Elle ne laisserait pas le petit mutant se mettre en danger une seconde de plus. Les gens murmuraient tout autour d’eux. Le quartier était en émoi. Les autorités finiraient par arriver… La fuite était sans doute plus sage. Mais comment savoir de quelle façon ils pouvaient soigner Aaron ? Consciente que dans cet état Virginie ne craignait presque rien elle se campait devant le coupable avec détermination.
-« Qu’est-ce que vous lui avez fait ? Comment on le soigne ? Dites le moi ! »
Cette fois il n’y aurait pas de mort ! Non. Ils allaient l’empêcher. Ça coute que coute. Si elle devait menacer pour cela alors elle le ferait.
Nathaniel Albenco
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Fateful Meeting Dim 2 Oct 2011 - 22:28
Alors c’était ça, ce qui leur imposait. Ce silence terrible. Ses actes avaient toujours été égoïstes, il ne s’en cachait pas. Lorsqu’il se nourrissait de quelqu’un, c’était avant tout pour lui-même. Quelque part toutefois, Nathaniel pensait les aider, du moins un petit peu. Les soulager d’un poids, alléger leur fardeau, effacer ce qui les chagrinait et les rendre à un bonheur sans tache. Comme il se trompait. Il n’avait plus rien, il n’était plus rien. Ses souvenirs étaient maintenant ternes et sans couleurs ; rongés par une indifférence implacable. Ses pensées lui paraissaient venir d’un autre âge, comme si des siècles les séparaient d’elles et que cette distance ineffable les transformait en échos lointains.
« Toutes ces choses que j'ai vues, senties, goutées, entendues, touchées, toutes ces choses là et d'autres encore, celles ayant été apprises, vécues, comprises, assimilées puis partagées et enfin perdues. Il ne me reste rien de ces choses. Dans l'ombre vide où je suis maintenant, il n'y a plus que ton visage. »
Il avait parlé à haut voix. Il se souvenait de ce message, il prenait maintenant conscience de ce qu’il signifiait. Ses doigts glissèrent sur la surface caoutchouteuse du masque, et d’un mouvement, il le détacha. Nathaniel se voyait, dans le face à face, et ce qu’il y distinguait le troublait. Ses yeux n’avaient plus aucune expression. Son regard ne s’accrochait plus à des faux semblants d’émotions, ses traits s’étaient figés en quelque chose d’effroyablement dur et hostile, dépourvue de la moindre compassion, de la moindre humanité. Par un phénomène dont il saisissait encore à peine l’ampleur, son âme s’était plaquée à son visage.
Quoi ? Que s’était-il bien passé ? Il avait perdu le contrôle, et il en payait le prix. Et pourquoi si élevé ?Mais en plus de ses yeux devenus verre, il n’éprouvait plus le moindre intérêt pour la scène qui se déroulait devant lui. Alors qu’il aurait dû en ressentir ! Des cris, des pleurs, du désespoir à foison ! Des malédictions lancées au ciel, des injures, des menaces, des promesses de mort ; mais rien ! Rien ! Il ne se sentait pas ancré dans cette réalité là, il ne parvenait pas, malgré ses efforts, à lui accorder la moindre importance. Et sa faim, cette compagne de tous les instants, n’était plus. Comment ? La question le hantait. Les rouages de son esprit s’étaient mis en marche. Habituellement fonctionnels, ils ne répondaient plus que par grincements et plaintes. Sa concentration se perdait au fil des pensées, et le problème restait insoluble. Et puis il y avait cette fille devant lui, qui le fixait sans ciller, une détermination flamboyante dans les yeux. Il l’avait connu. Du moins, il avait pensé la connaître. Mais elle était partie aussi, avec tous les autres dans le gamin hurlant. Elle l’avait laissé seul. Avec au fond de l’être, une désolation amère.
Nathaniel plaqua ses mains sur le visage de la jeune femme. Il lui sembla se saisir d’un rocher. Ses lèvres vinrent à la rencontre de son front, et délicatement, elles s’y posèrent dans un effleurement incertain.
« Et je ne parviens même pas à être désolé », murmura-t-il dans un souffle.
Artie Chastel
Type Alpha
Sujet: Re: [RP] Fateful Meeting Sam 15 Oct 2011 - 23:36
Le hurlement – car c’était bien un hurlement, et non un cri – d’Artie retentit dans l’air électrifié de Londres, en ce moment même en proie à une atmosphère lourde et orageuse, aux nuages gris qui semblaient déplorer ce qui venait d’arriver dans la petite vie de l’adolescent qui était d’ailleurs revenue depuis peu à un équilibre quotidien décent.
Il se tourna vers le fautif, la respiration saccadée à cause de l’incompréhension et de l’impuissance qu’il éprouvait. Ce dernier ne lui prêtait pas la moindre attention. Il retira lentement son masque, laissant apparaître un visage indescriptible : le physique était facilement exprimable, mais la dureté des traits ne l’était pas. Il marmonnait quelque chose que la rage d’Artie ne lui permettait pas de comprendre. Le garçon hésitait entre lui sauter dessus ou aller voir l’état d’Aaron.
Il décida finalement d’aller s’accroupir auprès de son ami.
On aurait pu croire que le jeune homme était trop fatigué pour rester éveillé. Ses paupières semblaient lourdes, et, ne serait-ce le râle laborieux qu’il entretenait – et le fait qu’il se trouvait allongé au milieu de la voie publique –, il ne lui aurait plus fallu que bailler pour faire croire qu’il allait s’endormir.
Ses paupières s’ouvrirent et ses yeux pivotèrent pour fixer Artie. Il n’avait pas vraiment l’air de le voir, d’avoir conscience qu’il était là, mais juste de le sentir, de voir une forme bouger devant ses yeux, qui étaient attirés comme par un aimant. Artie lui rendit son regard. Il ne savait plus quoi penser. Les yeux d’Aaron semblaient exprimer tant de choses à la fois qu’ils avaient l’air d’en souffrir.
- Aaron… ?
Aaron continuait de le fixer, ses yeux brillant d’une intensité mouvementée. Artie avait l’impression de voir des volutes de fumée glisser derrière ses pupilles.
- Aaron, écoute-moi, tu dois te réveiller…
Le râle s’intensifia légèrement avant de prendre la forme d’une voix qu’Artie ne connaissait pas : il s’agissait de la voix familière d’Aaron, mais pas de son timbre habituel. C’était un timbre bien plus profond, bien plus souffrant et lent, comme celui que le jeune homme aurait eu une fois vieillard, un timbre qui fit frissonner Artie.
- Il n'y a que ceux qui rêvent qui peuvent espérer se réveiller…
Artie le dévisagea, le visage tordu par la détresse. Il tourna la tête pour voir où était Virginie. Elle était là, plantée devant l’agresseur, à lui parler comme si c’était un vilain petit garçon… Artie sentit sa rage augmenter. Malgré toute la force qu’elle possédait, elle n’avait pas su intervenir à temps. Elle aurait pu l’en empêcher, mais elle ne l’a pas fait. Des larmes de frustration apparurent aux coins de ses yeux, mais elles n’allèrent pas plus loin. Il ouvrit la bouche pour hurler au secours mais d’un coup brusque, Aaron lui attrapa le bras avec une vivacité inattendue :
- Ne fais pas ça…
Artie baissa à nouveau les yeux sur lui. Aaron avait l’air tellement lucide tout d’un coup que c’en était inquiétant. Il cligna des yeux rapidement plusieurs fois et prit une longue inspiration râleuse.
- Tais-toi, fit Artie, parlant précipitamment, la voix confuse d’émotions, on va appeler les urgences, ils vont venir te sauver…
Aaron secoua légèrement la tête, ce qui sembla lui demander un effort inouï. Pendant un instant, l’adolescent crut voir réapparaître les mystérieuses volutes blanches derrière ses iris, mais Aaron répondit avec une voix faible mais ferme :
- Non. Je n’ai pas besoin de secours… juste de te dire combien je suis désolé de ne pas avoir pu veiller sur toi comme il le fallait.
Artie secouait la tête, regardait autour en quête de quelqu’un pour venir les secourir, lorsque Aaron resserra sa prise sur son avant-bras :
- Tu veux bien me faire le plaisir de m’écouter pour une fois ?!
Il le regardait à la fois l’air grave et furieux. Artie resta bouche bée et se contenta de le fixer sans comprendre.
- Ecoute au lieu de parler… tu veux savoir pourquoi j’ai toujours voulu te protéger, te suivre, depuis que je t’ai trouvé dans cette ruelle ?
Il se prit à rire, rire immédiatement interrompu par une quinte de toux. Il secoua la tête à nouveau et dit :
- Ah, c’est dingue, on se croirait dans un mauvais film dramatique… enfin, bon… je pensais que tu saurais le deviner, ne serait-ce qu’avoir des doutes… je sais pas, tu t’es jamais demandé comment j’ai pu te trouver là, près des docks, là où ne traîne quasiment que les fonds de poubelle de Londres et les ouvriers travaillant au port ?
Il planta ses yeux dans ceux d’Artie :
- Regarde-moi…
Artie le regarda. Aaron sourit. Un vrai sourire, qui, comme plus tôt dans la journée, frappa le jeune mutant de nouveau.
- T’as pas changé, Arthur, toujours un train de retard, soupira doucement Aaron, presque dans un murmure.
Il ferma les yeux et, pendant un instant, Artie crut qu’il n’allait pas les rouvrir. Mais c’est ce qu’il fit, et le jeune homme lui sourit de nouveau.
- Les liens invisibles laissent les marques les plus profondes, Artie, et c’est ce qui m’est arrivé… je ne veux pas que ça t’arrive, à toi aussi. Lorsque j’ai dû quitter la maison pour l’Institut, j’ai cru ne jamais être capable de vous revoir. Je ne savais pas à l’époque que tu étais comme moi. Je croyais que j’allais être séparé de ma famille à jamais. C’est ce que j’ai toujours cru jusqu’à ce que maman me contacte pour me demander de garder un œil sur toi. Lorsqu’elle a vu que tu t’étais échappé de ton lit d’hôpital, elle m’a appelé et m’a demandé de te retrouver, de t’amener à ce bon vieil Institut et de t’y…
Il toussa.
- … de veiller sur toi. Ce que j’ai fait, considérant la chance que j’avais alors de me rapprocher de toi, espérant que tu pourrais alors percer par toi-même le lien qui nous unit. J’ai été déçu de voir que ça n’a pas été le cas.
Artie restait sans voix, perché au-dessus du grand blond, pétrifié.
- Mais… pourquoi…
- Pourquoi ? Tu étais trop petit pour garder un vrai et consistant souvenir de moi. Et je ne voulais pas retourner auprès de maman, comme tu ne veux pas le faire aujourd’hui. Tu vois à quel point nous pouvons être proches, toi et moi.
La main d’Aaron glissa le long du bras d’Artie avant de serrer sa main dans la sienne, plus grande et plus calleuse. Aaron cligna des yeux lentement et Artie aperçut des volutes de fumée réapparaître derrière ses prunelles.
- On ne peut pas me soigner. Je le sens, parce que ça n’a rien d’une blessure, ou d’une maladie. Mais j’ai pas envie de vivre avec ça… pas toute ma vie… c’est déjà insupportable. Je les sens, en moi, ils crient. Toutes leurs douleurs, c’est insoutenable.
Il dévisagea son petit frère et caressa sa joue glacée d’un doigt tremblant. Une larme coula du coin de son œil.
- Fais quelque chose, s’il te plaît.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Fateful Meeting Mar 1 Nov 2011 - 20:15
Virginie avait –l’étrange- impression que le temps se dilatait. Les secondes lui semblait des heures. L’absence de réaction de son interlocuteur devenait insupportable. Pourquoi ne parlait-il pas ? Elle avait presque envie de le secouer, de le malmener, pour avoir une réponse. Parce qu’elle pouvait entendre chaque mot échangé entre Aaron et Arthur et que cela la paniquait.
-« Répondez-moi ! »
Un « pitié », aurait put suivre cet ordre, tant le ton était désespéré. Mais rien ne se passait. La mutante n’avait pas le choix. Pile au moment où son pied faisait un nouveau pas le geste du criminel suspendait sa décision. Encore… Au fur et à mesure que le masque glissait la lumière se faisait. C’était cet infirmier ! Lui. Les sentiments confondus de la peur et de la colère prenaient Virginie en otage.
-« C’est vous ! »
Tandis qu’il déblatérait la jeune fille revoyait la scène de l’hôpital. La sensation, désagréable, qu’il avait provoqué. Cela remontait à plusieurs mois. Virginie avait immédiatement essayé d’oublier cette expérience. La réalité se fissurait. Son regard perdait un peu de son innocence. Aaron allait vraiment mourir. Elle en avait à présent la certitude. Elle ne savait pas exactement, pourquoi elle en était aussi sûre, mais quelque chose en elle bloquait toute illusion.
Une boule de chagrin prenait sa jolie gorge. Le mutant aussi le savait. Il pouvait bien crier maintenant ! Ca ne changerait rien. Des grosses larmes tombaient sur les joues de la mutante. Sa bouche tremblait de peine. Elle était incapable d’endiguer le chagrin. Dés qu’ils commençaient à retrouver un équilibre il fallait que la vie redevienne mauvaise. Pourquoi ?!
Ce n’était pas juste. Le courage lui manquait pour annoncer la fatalité aux deux frères. Car ils étaient frères et maintenant Artie devrait vivre sans lui.
-« Vous auriez du le faire sur quelqu’un d’autre ! »
Dans cette accusation sourdait une pensée informulable. Elle. Il aurait put le faire sur elle. Aaron avait une famille, des amis, des personnes qui l’aimaient. Que pouvait-elle faire ? Frapper ne résoudrait rien. Blâmer, damner, il n’y avait rien à faire. Elle ne pouvait même pas en vouloir à cet homme. Tout montrait qu’il avait perdu pied. Sa mutation l’avait dépassé. Virginie avait trop conscience de ces risques pour les reprocher à un autre. Monstre malgré lui.
Elle sentit son souffle se couper. Que faisait-il ? D’autres âmes avaient besoin d’un refuge. La peur et la fascination paralysait son corps. Ses yeux se concentraient sur les prunelles sans vie. Où était-il maintenant ? Le baiser sur son front la laissait complètement désarçonnée. Ce geste plein de douceur était incohérent avec ce qui venait de se produire. Et surtout il plaçait Virginie devant ses propres faiblesses. Elle voulait se dérober et rester à la fois. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fait ça ?
Au prix d’un réel effort ses muscles se remettaient en mouvement. Ses mains attrapaient les siennes, comme seules elles pouvaient le faire, avec délicatesse pour les éloigner de son visage. Avoir peur ne servait plus à rien. S’il avait voulu la tuer il avait eu tout le temps nécessaire. Elle ne savait pas quoi dire. Il n’y avait en fait rien à dire.
-« Vous aussi vous avez besoin d’aide. »
Un frisson d’effroi faisait trembloter sa silhouette. L’instant d’après, elle rejoignait le mourant, avec le teint presque aussi maladif que le sien. Le plat de sa main chassait les larmes de son visage. Elle avait un sourire dont la compassion était intolérable. Aaron avait raison. La seule chose qu’ils pouvaient faire c’était l’aider à vivre ce calvaire. Même si ces « choses » ne pouvaient pas partir des calmants pouvaient peut-être soulager l’agonie. Elle observait le visage du plus âgé.
-« Je peux te transporter dans un endroit plus tranquille si tu veux. »
Le bruit de la pluie, de l’orage, s’accordaient parfaitement avec ce drame. Virginie ne s’était jamais sentit aussi … résignée. Elle avait l’impression qu’un poids se posait sur ses épaules. Elle n’avait pas été assez vive et le prix en était bien trop grand.
Quelque part ce mutant avait de la chance de ne rien ressentir.
Les mains de la jeune femme sur les siennes furent la dernière choser qui éveilla une quelconque émotion chez Nathaniel. Cette micro-étincelle de compassion qui lui permettait de saisir toute l’horreur de son acte, cette flamme vacillante, ce petit rien fut balayé, malmené, étouffé et assassiné par un torrent d’indifférence. Il avait toujours connu ce sentiment de détachement, mais jamais il ne lui avait paru si fort. Quand cette fille, Virginie, se détourna de lui avant de s’éloigner, il sembla au mutant qu’elle n’était rien. Les deux garçons aux cotés desquels elle s’agenouilla n’avaient pour eux pas plus de signification. Leurs cris, leurs pleurs qui jadis étaient autant de chœurs et de symphonies avaient perdu tout attrait. Cette musicalité de la souffrance et de la douleur d’autrui s’était faite silencieuse.
Était-ce bien ? Sans doute pas, non. Qu’il fut un salaud autrefois, il en avait conscience. Il avait renversé les codes moraux habituels et s’était crée un système de valeurs inédit et égoïste, tourné entièrement vers lui-même. Il s’était cru libéré de ses semblables, car trop étranger à eux et sans avoir le souci de leur rendre des comptes. Maintenant que son âme était vide, il comprenait toute l’ampleur de sa bêtise. Il avait été un parfait salopard, reniant ses émotions et scellant son cœur dans une carapace de pierre. Où était ce cœur à présent, si ce n’est battant à l’unisson avec des milliers d’autres dans la poitrine d’un garçon. Nathaniel toucha son torse, sûr d’y trouver une béance sanglante. Ses doigts ne caressèrent que le tissu de sa chemise salie.
Il quitta des yeux le trio et porta son attention sur la foule béate de stupeur. Des hommes et des femmes les dévisageaient. Des fonctionnaires médiocres, n’ayant compris qu’un cinquième (ou moins encore) de ce qui s’était passé. Ils avaient assisté à la tragédie sans plus de réaction qu’un troupeau de bœufs. L’infirmier aurait voulu les haïr, maudire leurs noms et tout ce qu’ils représentaient. Il ne fut même pas capable de ce simple geste de haine, car la haine et la colère lui étaient maintenant inaccessibles. Et il y avait cette réaction animale, chaque fois que ses yeux croisaient les leurs. Il les voyait se recroqueviller et reculer, comme frappés d’une terreur soudaine. Ce sentiment qu’il inspirait, il devrait se l’approprier et le faire sien. Car il n’était plus homme, mais monstre ; et les monstres font trembler le cœur des hommes. Ce constat ne le réjouit pas plus qu’il ne l’irrita. C’était un constat, froid, impersonnel et à peine affecté.
Soudain une pensée le traversa, elle tint davantage de l’intuition animale que de la formule raisonnée. Il se livrait depuis quelques minutes déjà à un travail d’introspection tout en ayant mis de coté les conséquences de ses actes. Il n’avait plus aucun moyen de culpabiliser (si tant est qu’il en ait eu) mais pour la première fois, il se retrouvait dans la posture dérangeante du coupable prit en flagrant délit. Quand il vit un homme dans la foule braillant de l’aide à l’adresse de son téléphone, Nathaniel songea qu’il était peut-être temps de quitter les lieux. Ayant perdu toute considération pour lui-même, s’enfuir comme le dernier des lâches ne lui posait plus le moindre problème. Il jeta un coup d’œil à ses trois victimes et certain qu’ils ne le regardaient plus, le mutant fit volte face et partit à grandes enjambées. Les gens s’écartèrent de lui comme si son contact fut au mieux contagieux, au pire mortel. Aucun ne tenta de le retenir et de le confronter à ses crimes. Si l’un d’eux avait tenté, son sort aurait été bien pire que le garçon écroulé au sol quelques mètres plus loin. C’était un autre signe évident de leur lâcheté et de leur insignifiance. Ils étaient toujours des brebis, dociles et imbéciles. Il arrive parfois que ces tendres agneaux se rebellent contre leurs oppresseurs, et mettent à bas ces loups sournois. Mais ces moutons ne faisaient plus face à un loup mais à une entité nouvelle, incompréhensible, tant pour eux que pour elle-même. À chaque instant, Nathaniel s’attendait à voir quelqu’un s’écrouler mort, la mine figée sur un masque d’épouvante. À chaque pas, il constatait sur leur visage tout l’effroi qui les habitait. Qu’importe, il devait partir au plus vite. Son allure s’accéléra jusqu’à ce qu’il se mit véritablement à courir. Il aurait tout le temps de penser à cela. La Confrérie l’attendait, et elle ferait office de refuge, pendant un temps du moins. Malgré son état, finir sa vie en prison n’était pas une option qu’il trouvait très excitante.
Il quitta la zone du parc et s’engouffra dans une grande avenue. Les passants le regardaient passer avec une curiosité mêlée d’appréhension, davantage au fait de sa mine épouvantable et ses habits en lambeaux, que de ce qui s’était produit un peu plus tôt. Il héla un taxi, et aussitôt un véhicule se figea devant lui. Il ouvrit la porte et le chauffeur le dévisagea d’un air écœuré. Nathaniel n’y prêta pas la moindre attention et grimpa dans le véhicule. Il indiqua sa destination, et après un long moment d’hésitation, le chauffeur finit par démarrer. L’apparition de billets dans sa main n’eut que peu de rapport. Le mutant regarda de nouveau sa montre. Oui c’était parfait, il ne raterait pas son vol. Avec un peu de chance, peut-être même pourrait-il se changer avant d’embarquer en trouvant un magasin sur la route. En quelques instants, il cessa de se préoccuper des derniers événements afin de se pencher sur des questions bien plus pragmatiques. Et ce ne furent pas les sirènes au loin qui le firent réagir. Cela n’avait pas vraiment changé au fond. Il avait toujours été capable de disparaître et d’effacer ses traces, sans le moindre remord.
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[RP] Fateful Meeting
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