Il faisait un temps magnifique, vraiment, même le soleil de Californie semblait pâle au regard de celui-ci. L'avion faisait un dernier tour avant d'amorcer sa descente sur la petite piste d'avion, baignée par les rayons généreux du soleil. Le jet était bien gros au regard du petit aérodrome, et le luxe étant ce qu'il est, le gabarit de l'appareil semblait inadapté. Un bi-moteur aurait été plus efficace, mais les haut-gradés de l'assistance ne souhaitaient pas se séparer de leur confort de voyage.

Sur la piste, une escorte armée, des techniciens et deux agents spéciaux dans un costume trop bien taillé attendaient la délégation. Mondragon n'était pas en grande forme, il n'avait que très peu dormi et avait été sommé, sans grand ménagement, d'accompagner cette pompeuse délégation.

Sur le tarmac de la piste, de luxueux 4x4 attendaient la délégation, et après quelques kilomètres, à contempler une nature inviolée et battue par les vents salins, tous arrivèrent sur zone. S'en suivit une interminable visite de plus de deux heures dont Mondragon se serait bien passé. Néanmoins, techniciens et pontes semblaient extrêmement ravi de parader et de montrer l'avancée des travaux. Le centre était pratiquement terminé, le béton sentait encore le frais. A la surface, seuls les barbelés, les caméras et quelques tumulus bétonnés trahissaient l'activité de la zone, mais les infrastructures en sous-sol étaient impressionnantes. Et climatisées. Mondragon profita d'une longueur dans l'exposé de la visite pour s'emparer d'un café, dans ce qui semblait être une salle de repos pour les ingénieurs. Sans surprise, le café était infâme soupira Mondragon.
La plus haute technicité avait été demandé pour la réalisation du centre, en plus du plus haut degré de furtivité et bien-entendu, d'une sécurité absolue. Des équipements de haute technologie et un parc informatique en boucle fermé, partout le plus haut degré d'excellence technologique et logistique avait été exigé, et à en juger par l'avancement des travaux, obtenu.

Puis vint la réunion en sale de conférence, une table en noyer laqué, sublime. Une quarantaine d'invités, techniciens, ingénieurs, le docteur responsable du programme, des agents du BCGCDA dont le directeur adjoint Lynch lui-même, quatre militaires, un Secrétaire de l'administration locale et un délégué de la société Chester & Wong. Ah, et un grand bonhomme à l'air assuré et à la mâchoire carrée, surement le guignol d'une agence, NSA, FBI, CIA, peu importe. Mondragon avait lu le brief, il avait fait semblant d'écouter la première demi-heure, celle qui consistait essentiellement à lécher les bottes des investisseurs et à assurer à tout le monde que tout se déroulait selon les plans:
"...et voilà pourquoi nous sommes heureux de vous annoncer que les délais seront tenus, sans le moindre retard. Notre équipe d'ingénieurs table même pour une exploitation dès le prochain trimestre, tout ceci bien sûr sous réserve de la variable technologique. Je vous remercie infiniment." balbutiait le chef de projet. "Je vais laisser le directeur adjoint Lynch, qui nous fait l'honneur d'encadrer cette visite, conclure cette conférence."

Ce grand tocard grassement diplômé, parachuté par la NSA, avait le charisme d'une remise à bois et n'avait jamais su faire autre chose que cirer des pompes. Ce qui finalement le rendait très compétent dans son rôle de Directeur Adjoint du BCGCDA:
"Merci, merci beaucoup. Avant de terminer cette conférence, il me semble important de remercier Chester & Wong Engineering et plus spécialement son représentant parmi nous aujourd’hui, Monsieur Coleman Cole, pour la masse de capitaux investi dans le programme et pour les facilités logistiques qu'ils ont mis à notre disposition." Ils applaudissent.
Eugène Chester Jr et Oda Wong étaient des grands décideurs au sein du Cercle, Mondragon en était persuadé. Eux et leur compagnie, grand équipementier, leader mondial sur des centaines de brevets, engraissaient le complexe militaro-industriel national depuis quinze ans. Et bien entendu, leur lobby était parmi les plus puissant. Lynch continuait:
"Et enfin nous tenons à remercier le FBI pour son étroite collaboration avec nos services, et en particulier l'agent Munroe ici présent." Le grand gaillard à la mâchoire carré sourit comme un benêt, il venait bien du FBI, finalement.
"Merci à tous." termina le directeur adjoint Lynch.

Après les habituelles vingt minutes de serrage de main et de congratulations interminables, toute la délégation sorti pour repartir vers les voitures et l'aéroport. Mais quand Mondragon voulu passer la porte pour enfin s'extirper de cette excursion, on l'attrapa par l'épaule:
"Restez s'il vous plait."
Ah, Mondragon se dit qu'il allait peut-être connaitre la raison de sa venue ici, lui qui n'était ni un officiel ni un militaire. Toutes la délégation sorti de la pièce, à l'exception du directeur adjoint Lynch, du docteur, de deux militaires et de l'agent Lynch. On ferma la porte. Mondragon s’asseya, de même que l'un des gradés, alors que le docteur resta debout et que le deuxième militaire préféra poser une cuisse sur le rebord de la table, en enlevant sa casquette. Cette lavasse de directeur adjoint, qui prenait rarement la moindre décision, s'était assis à l'autre bout de la table de réunion et avait allumé une cigarette en enlevant ses lunettes d'un mouvement fatigué. Le Général T. prit la parole, d'une voie agacée:

"Vous avez bien suivi tout ce foutu speech?
-Oui, Monsieur." répondit froidement Mondragon.
"Bien. Vous devez savoir que tout ne se passe pas exactement au mieux, et si nous vous avons trainé jusqu'ici c'est que les cols blancs du Cercle pensent que vous aurez quelques "idées" pour nous aider. Personnellement, le Colonel M. et moi pensions régler ça à notre façon mais on à insisté en haut lieu pour que le Cercle règle lui-même ce léger "désagrément".
-Mais de quel "désagrément" parlons-nous, Monsieur?" interrogea Mondragon.
"Le Docteur Lynch va vous en dire plus." répondit le Général T., laissant la parole au Dr Lynch:
"Voilà, le programme est absolument dans les temps pour tous les aspects robotiques, mais la vérité c'est qu'une nous nous confrontons à une incertitude du point de vue technologique...
-Parlez clairement, doc." interrompit le Colonel M.
"Bien... bien..." balbutia le docteur Lynch "Le cœur du programme réside sur notre base de donnée génétique, c'est grâce à elle qu'est élaboré les vecteurs de l'Arme. Mais nos tests depuis trois semaines enregistrent un trop grand taux d'échec. Nous en sommes arrivés à la conclusion que nous ne pourrons pas développer notre technologie et donc mener à l'aboutissement du projet sans solder de toute urgence le problème de la base de donnée génétique. En d'autres termes, nos échantillons génétiques ne sont pas assez productifs. En... en d'autres termes ils sont trop vieux, obsolètes. Ils nous en faut des nouveaux. Il nous faut des échantillons génétiques neufs."

Mondragon s'enfonça dans son fauteuil, il avait peur de comprendre. Le directeur adjoint Lynch avait relevé les yeux, les deux militaires se frottaient les tempes. Le Général T. s'énerva:
"En d'autres termes, le Blue K sera une saloperie de coquille vide sans jus s'il n'a pas la technologie nécessaire! Le programme est menacé, vous devez assurer au programme le renouvellement des échantillons. Vous devrez les ramener ici. Avez-vous compris, Mondragon." Ce n'était pas une question.
"-Oui, Monsieur." Le Colonel M. prit le relai:
"Si vous échouez le programme prendra un retard indésirable, il sera peut-être même menacé. Vous bénéficierez du soutien nécessaire ainsi que la coopération des autorités locales si nécessaire. L'agence a même certifié qu'elle pouvait vous assurer une certaine marge de bavure. Ecoutez-moi bien Mondragon, personne n'a envie d'annoncer à tous ceux qui soutiennent le programme que le projet n'est plus fiable, vous comprenez! Est-ce bien clair?
-Oui Monsieur." Le Général T. reprit:
"Nous devons accélérer les choses, où en est l'opération Désunion?
-Le Major K. vient d'accepter la mission, j'aurais des résultats sous peu." répondit sans faillir Mondragon.

"Aurais-je plus d'informations sur...
-Vous n'aurez rien besoin de savoir de plus." trancha le Colonel M.
Le Docteur Lynch bredouilla:
"Avez-vous les moyens d'identifier des échantillons inintéressants? Peut-être pourrais-je vous soumettre une liste qui...
-Ce ne sera pas nécessaire Docteur, nous avons nos propres fichiers." trancha Mondragon.

Mondragon se releva et rajusta sa veste de costume, il tourna la tête vers l'adjoint Lynch:
"Ceci constitue-t-il un ordre de mission officiel?
-Oui." répondit en soupirant, les yeux baissés, le directeur adjoint.

Et Mondragon sorti de la pièce le front plissé, laissant derrière lui le Général T. et le Colonel M. aux visages inquiets. Mondragon avait l'habitude qu'on lui confiasse le sale boulot, mais là c'était un gros morceau. Jamais le secret n'avait été si extrême. D'énormes responsabilités, d'énormes pouvoirs et une mission aux conséquences capitales. Même Mondragon ne savait pas toute la vérité, mais une seule chose était sure, ce qui se tramait était au dela de toute imagination.