Madame Ridgway refermait le quotidien, qu’elle était entrain de parcourir, d’un geste sûr. Il était temps de partir. Il lui fallait exactement 17 minutes pour East Park et Monroe. Un timing qui ne prenait pas en compte la neige et le réservoir presque vide. Elle déposait sa tasse vide dans l’évier avant d’ouvrir la penderie dans le living-room. Son écharpe sentait encore un peu de ce parfum que lui avait offert sa mère à noël. Elle enfilait son long manteau d’hermine et le refermait.
Elle conduisait avec souplesse et assurance. Les méandres de cette ville n’avait presque plus de secret pour elle. Il n’y avait pas de musique à l’intérieur de son véhicule. La musique était une source de distraction. Hors, pour l’heure, son esprit était au travail. Qui avait bien put la recommander pour une mission dont aucune information n’avait filtré ? Quelqu’un voulait faire appelle à ses connaissances en armement, ou plus probablement, à celles concernant les mutants. Ce rendez-vous l’intriguait.

Quand elle était en civile Tess se fondait parfaitement dans la masse. Bien qu’issue du milieu militaire elle excellait dans la sphère publique. Cela faisait d’elle le parfait agent de liaison. Depuis qu’elle avait prit son poste certains politiciens écoutaient, avec plus d’attention, les conseils du Cercle. Leurs efforts allaient finir par payer. Elle en était convaincue tout autant que Douglas.
Il était étrange d’avoir choisi un tel lieu pour une entrevue. Son interlocuteur avait sans aucun doute ses raisons. Elle ne discutait jamais un ordre. Le parking souterrain était presque vide. C’était une chance. La jeune femme prenait le temps de faire demi-tour avant de se garer. Elle aimait partir dans sans se retourner. Si tout se passait bien elle serait à l’heure pour au bureau pour la réunion de onze heure.

Ses talons claquaient à un rythme régulier dans les escaliers. A son arrivée dans le hall une légère rougeur enjolivait ses joues. Elle inclinait sobrement du chef pour saluer l’employé derrière son comptoir. L’horloge murale indiquait 9h56. C’était parfait. Sa main gantée poussait fermant la porte du patio.
Le froid était vif. Tess ne reculait pas et avançait dans la cour intérieure. Ses pas marquaient le duvet blanc presque immaculé. Elle faisait encore quelques pas et s’arrêtait prés du banc ouest. Le dos tourné à la porte le major appréciait le calme de ce début de matinée. Ses yeux foncés observaient l’aménagement de ce petit paradis urbain. La lumière hivernale finissait par attirer son visage.

Son ouïe à l’affut entendait l’homme approcher. Dans une parfaite synchronisation de mouvement elle se retournait pour le regarder s’arrêter.
« Bonjour. »
Sa silhouette était droite. Elle exécutait le salut en vigueur. Cela faisait quelques semaines qu’elle n’avait pas été en contact direct avec un agent de la BCGDCA. Cet homme lui était totalement inconnu. Elle n’avait pas besoin de savoir qui il était. L’ordre émanait de suffisamment haut dans la hiérarchie. Un sourire exclusivement poli humanisait son élégant visage.
« En quoi puis-je vous être utile ? »

Il était possible que cette suggestion ait émanée du Général King. Le réseau de ce soldat retraité était toujours actif. Il aimait placer sa progéniture au cœur des affaires les plus… sensibles. Tess n’avait de toutes façon plus besoin de prouver sa valeur. Sa carrière -sans la moindre- faille parlait pour elle.
Léolagus n’était pas un nom anonyme pour quiconque s’intéressait à la question mutante. L’homme d’affaire avait fait grand bruit, en annonçant son entrée dans la Confrérie moderne, quelques semaines plus tôt. Son épouse était beaucoup plus discrète, et en cela beaucoup plus dangereuse, aux yeux de l’humaine. La curiosité pouvait se lire dans la fugace lueur qui passait dans son regard. Son souffle chaud créait une mince buée sur le cliché, qu’elle étudiait, comme un chasseur entrain de choisir sa nouvelle proie.
« Quel est l’objectif ? »
Ses yeux se concentraient à présent sur les traits de son interlocuteur. Son apparence était soignée. Il dégageait une assurance un peu sombre. C’était typiquement le genre de personne qu’elle avait voyait sortir d’une berline noir.

C’était une mission classique nonobstant le facteur (risque) mutant. En réalité c’était bien plus le lieu de celle-ci, que sa teneur, qui l’ennuyait un peu. La Suède était loin. Son équipe écoperait d’un chef temporaire. Les choses seraient moins évidentes sur le plan privé. Ce genre d’infiltration pouvait durer plusieurs mois. D’autant plus pour enter dans la société de l’homme.
Si Tess était aussi douée c’était parce qu’elle savait se faire oublier de sa victime. Elle pesait déjà les pours et les contres. Infiltrer cette branche servirait tout autant ses propres intérêts.
« Concernant les enfants. Pas de restrictions ? »
Trois riches petits héritiers potentiellement mutants. Ils étaient souvent très utiles pour approcher la sphère familiale. Il suffisait d’un peu de finesse et de cajolerie.

Un hochement de tête validait la conclusion. En s’organisant bien elle pouvait être sur place dans une semaine. Elle devait d’abord s’informer un peu mieux sur cette famille et construire son identité. Savoir quel genre de personne appréciait madame Lina Léolagus.
La neige volait tendis qu’elle fermait vivement le porte-document.
« Suis-je restreinte en temps ? »
La question de l’argent était beaucoup moins importante. En tant que fille, de l’une de la meilleure trafiquante d’arme, Tess était au-dessus de ces considérations purement financière. Ni avait-il pas un ami de Doug qui s’était installé à Uppsala l’an dernier ? De toutes façon le major préférait se débrouiller seule. Limiter les risques.

La jeune femme bougeait infiniment les épaules pour en dégager la neige accumulée. Ses muscles s’engourdissaient un peu à l’inverse de son cerveau. Ses yeux sombres brillaient d’intelligence. Les perspectives de cette mission lui plaisaient. Avec de telles informations le Cercle pourrait avancer. Il n’y avait pas à hésiter face à une pareille opportunité.
« Oui. »
Le principal était dit. Il ne restait plus que des détails à discuter.

La surprise disparaissait avant même que la phrase de son contact ne soit terminée.
La première pensée qui lui vint fut insignifiante et pourtant révélatrice de sa personnalité. Elle ne serait pas là le jour de la saint Valentin. Elle serait à des milliers de kilomètres de son époux. Ce qui allait une fois de plus mettre sa vie de couple à mal. Ceci dit les conditions étaient spéciales. Comme à chaque fois.
« Bien. »

Les informations arrivaient dans son cerveau et entraient dans des cas. Dates, lieux, matériaux. La situation géopolitique du pays ne lui était pas tout à fait inconnue. Sa mémoire était prévue pour emmagasiner vite et bien. Il fallait la même rigueur qu’un comédien. Le passeport diplomatique lui simplifierait les choses.

Sa mâchoire se contractait très légèrement. Interpréter ce tressautement comme un signe de peur aurait été stupide. Les peurs de cette femme étaient totalement détachées de sa propre personne. Elle avait peur de voir le monde devenir la proie d’une race belliqueuse. Elle avait peur du mal. Son raisonnement était façonné par une philosophie très simple. Tous les moyens étaient bons pour préserver l’ordre général.
La mission prenait toute son ampleur. King serait seule. Ce n’était pas la première fois qu’elle travaillait en solo. Elle aimait ce genre de défi. On s’était contenté, jusque là, de l’introduire dans l’univers politique. La nouveauté promettait d’être intéressante.
Une pointe d’excitation rehaussait la couleur de ses joues. Le challenge était à la hauteur de ses aspirations. Elle avait conscience de s’engager dans quelque chose de dangereux. C’était exactement ce qu’elle recherchait dans ce métier. En digne héritière contemporaine des traqueurs américains. Elle était là pour faire ce que les autres n’avaient pas le courage de faire.

La serviette était glissée sous le bras droit et maintenu avec fermeté. Tout était clair. Elle n’avait qu’à agir. Elle était le maillon d’une énorme chaîne. Cette mission était maintenant son seul objectif pour les prochaines semaines. Les intérêts qu’elle servait n’avaient pas besoin d’être porté à son attention.
« A bientôt. »
Rien de plus. Il n’y avait rien de plus à dire, à un homme qu’elle ne reverrait peut-être jamais en chair et en os. Tess le regardait partir. Elle mémorisait sa façon de marcher, sa taille, sa corpulence, le son de sa voix. Qui était-il ? C’était la seule question qui l’intriguait un tant soi peu.
Ses doigts se contractaient sur le cuir de la serviette. A son tour la jeune femme quittait la cour dans la direction opposée.

[HRP : Je suppute que ce sujet est clos. ]