Ce matin là, un évènement aussi exceptionnel qu’inattendu frappa l’Institut : Pour la première fois depuis une éternité, Tony DiFury s’était levé avant les douze coups de midi.
Pour être précis, cet exploit inenvisageable pour le punk à l’humeur nocturne était dût à une grossière erreur de manipulation de son holophone, la veille avant d’aller se coucher aux environs de 3h59 du matin. Ce jeune homme doué mais distrait avait malencontreusement enclenché une alarme automatique en reposant le maudit appareil sur sa table de chevet, à une heure évidement indécente (décidément, le tactile, même s‘il avait grandi avec, c‘était vraiment une technologie casse-gueule).
Et ce matin, ce fut donc à 6 heures tapantes que l’infernale système automatique se connecta aux enceintes de l’ordinateur via wifi et se mit à hurler un bon vieux rock bien démoniaque, à fond les ballons (cliquez ici pour vous faire une idée). Ce qui eut pour effet, naturellement, de réveiller Tony de la façon la plus brutale et définitive qui soit. Le glandeur semi-professionnel (il aurait pu passer pro, mais il a eut la flemme de se présenter à l’examen) avait bien essayé de se rendormir après avoir violement pulvérisé son appareil. En vain. Ainsi donc, après avoir plus ou moins émergé de son coma cotonneux, c’est de fort mauvaise grâce que le grand blonds réussit à sortir du lit. Il enfila son jean rapiécé, s’y reprit à trois ou quatre fois pour mettre un t-shirt, s’emmêla dedans, s’énerva, jura, puis renonça. La tête dans le sceau, il entreprit d’aller se passer la figure à l’eau pour se réveiller complètement. Grand mal lui en prit, car il se cogna le pied nu contre un meuble, ce qui lui fit mal jusque dans sa montre. Quelle horreur.
*
Bon d’accord. Aujourd’hui, c’est vraiment une journée à la con.*
Les nerfs en pelote, excédé par tant de violence de bon matin, Tony décida donc une petite entorse au règlement : Il récupéra une cigarette et un briquet, ouvrit la fenêtre de sa chambre et s’assit sur le rebord pour fumer à l’air libre. Les pieds dans le vide, le vent sur le visage et de la nicotine dans les poumons, tout allait tout de suite beaucoup mieux. Que c’était beau ! D’ici, il avait une vue magnifique sur le domaine qui entourait le manoir. L’entrée sur sa gauche, le lac sur sa droite…
Ah tiens, en parlant du lac…
Alors qu’il se perdait en souvenirs et observations, Tony aperçut la frêle silhouette d’une petite fille qui flânait sur les berges herbeuses. Cela faisait un mois qu’il était arrivé, mais il n’avait jamais croisé cette jeune élève (il faut dire qu’il évitait de côtoyer les plus jeunes, pour ne pas les intoxiquer avec ses fumées). Il se demandait ce qui avait poussé cette petite à s’aventurer là-bas à cette heure matinale… lorsqu’il la vit choir et disparaître dans l’eau.
Sept interminables secondes passèrent, avant que le punk endormi ne se rende compte qu’elle ne remontait pas.
Tony senti ses entrailles se glacer, et un horrible frisson lui parcourir l’échine. La cigarette à demie consumée s’échappa de sa bouche ouverte sous l’effet de la soudaine compréhension du drame qui se déroulait.
«
BORDEL DE MEEEEEERDE !!! »
Sur ce cri du cœur on ne peut plus poétique, le punk désormais tout à fait réveillé s’élança à corps perdu en direction de l’étendue d’eau. Le missile humain franchit d’un bond les quelques centaines de mètres qui le séparait du lac, et percuta puissamment la surface liquide qui s’éleva en un geyser monstrueux. Les yeux grands ouverts dans l’eau sombre, Tony aperçut la petite qui coulait à pic et plongea pour la rattraper. Sans être secouriste, le français était un excellent nageur : Ses longs membres faisaient des merveilles sous l’eau, sans même compter le nombre incroyable de baignades en mer, en lac et en océan qu’il cumulait. Il prit donc trois secondes pour s’assurer de l’état de la pauvrette : elle était inconsciente.
« Mais quel idiot !! Pourquoi perdre encore du temps alors qu‘elle est en train de se noyer ???», me dites vous ? Eh bien pour une raison très simple, cher lecteur : Lorsque quelqu’un se noie, il panique. Et lorsqu’une bonne âme vient les attraper pour les sortir de l’eau, neuf fois sur dix la victime le tue son sauveur en s’accrochant trop fort autour de son cou, lui maintiens la tête sous l’eau pour pouvoir rester à la surface, ou l’assomme à coup de poing en se croyant attaqué par un quelconque requin.
Heureusement pour Tony, là, tout se passerait bien à ce niveau. Le seul problème, c’est qu’il manquerait probablement d’oxygène avant de la ramener à l’air libre. Poussé par la peur, il déclencha encore une fois sa mutation. La roquette humaine refit donc surface de façon un peu erratique, avec la fillette dans les bras, puis nagea jusqu’à rejoindre la terre ferme. Hissant sa prise sur l’herbe grasse, reprenant son souffle, il se rendit soudain compte que la pauvrette ne respirait plus… Okay, là, il paniqua un peu. Les manœuvres de soins, c’était pas son domaine de prédilection.
«
HEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEELP !!! » fut le seul mot anglais qu’il se rappela. Il le hurla avec toute la force du désespoir, avec toute la puissance qu’un habitué des concerts peut déployer.
En désespoir de cause, il tenta quant même un massage cardiaque. Impeccablement rythmé, mais peut être un peu fort… Miracle ! Le petite recracha un long filet d’eau… puis se redressa, vomit, et toussa comme une perdue.
Satisfait mais épuisé (et encore sous le choc), Tony se laissa tomber à son tour dans l’herbe, les yeux fermés, et poussa un soupire qui fêlerait une plaque de blindage.
«
Ils sont fous, ces Bretons… »