« … cela n’a bien entendu échappé à personne, les dernières apparitions publiques de la nouvelle sous directrice de l’association, mademoiselle Judith Appleby se compte sur les doigts d’une main et remontent à plus de deux mois désormais. Plus étrange encore, la directrice de la Lib ’Corp, Miranda Blake demeure toujours aussi évasive sur l’absence prolongée de sa sous directrice qui serait, nous assure-t-elle dans un sourire, en bonne santé mais dans l’incapacité de répondre à l’ensemble de ses obligations actuellement. Voilà bien une réponse on ne peut plus politiquement correcte pour nous cacher ce que la Lib’Corp ne souhaite guère révéler. Mais peu importe, nous trouverons ! Nous trouvons toujours l’information pour vous, chers lecteurs !
En agissant de cette façon, Miranda Blake laisse le champ libre à notre imagination curieuse, sans cesse en quête de sensations. L’association connaitrait-elle des difficultés qu’elle tente péniblement de cacher ? Serait-elle, contrairement à ce qu’elle prétend depuis que sa responsabilité a été partiellement reconnue dans cette triste affaire, dans l’impossibilité de surmonter le drame de la TransAtlante ? Ou bien s’agit-il d’un problème, à tendance personnelle entre la directrice et sa subordonnée ? Toutes les interrogations demeurent permises, tout comme leurs explications. Même les plus folles ! C’est ainsi que nous avons droit aujourd’hui à tout un panel de rumeurs, certaines plausibles et d’autres beaucoup plus farfelues. Mais pourquoi Miranda, si ce n’est parce que l’association risque le scandale, aurait-elle intérêt à cacher la véritable raison de l’absence de mademoiselle Appleby ? Je vous laisse méditer sur cette question cruciale en attendant de mettre la main sur le fin mot de cette histoire… John Rickdan, votre humble et dévoué chasseur d'infos ! »

Assisse en tailleur sur le divan, la jeune femme terminait de lire un article dans le journal. Au fur et à mesure de la découverte des mots, elle avait senti une colère sourde l’envahir. Et furieuse, June avait finalement arraché la page du journal avant de la rouler en une petite boule qu’elle avait férocement balancé contre le mur de son salon. Pourquoi dès que vous étiez un minimum connue, fallait-il que les journalistes à scandales braquent leurs projecteurs sur votre vie privée ? L’humaine avait ensuite passé le reste de la soirée à maudire ce morceau de papier qui reposait à présent par terre, tout chiffonné victime de sa colère, ainsi que son auteur qu’elle ne connaissait que trop bien pour ses articles acides et bien souvent dénués de propos cohérents.

Evidement, presque trois mois d’absence, lorsque vous occupez un poste haut placé dans une organisation plutôt connue luttant pour l’égalité des mutants et davantage mise sur le devant de la scène depuis l’accident de la TransAtlante, tôt ou tard, ça finit par se remarquer. Et forcément, il y a toujours des petits curieux qui y voient l’occasion de faire leurs choux gras ou mieux encore, lancer de nouvelles rumeurs. L’humaine passa une main sur son ventre désormais bien arrondi par six mois de grossesse et soupira.

Bien sûr, Miranda avait râlé lorsqu’elle avait fini par l’avertir dès le mois d’octobre qu’elle ne pourrait plus se rendre au bureau. Sa supérieure savait que cela ne lui ressemblait pas. Sur le moment, l’humaine avait prétexté ce qui lui semblait le plus évident, maladie. Seulement, au bout de deux mois, c’était un mensonge qui ne pouvait plus durer et début décembre, la jeune femme avait bien été obligée de lui dire la vérité. Il était hors de question que June se rende à la Lib’Corp, alors qu’elle affichait maintenant un joyeux taille 46 de femme enceinte. Ses collègues auraient rapidement jasé, étant donné qu’ils ne lui connaissaient aucune relation stable depuis plusieurs années…

A sa grande surprise, Miranda s’était plutôt montrée compréhensive et si elle avait bien évidement fait preuve d’une certaine curiosité concernant l’identité du père, que June avait naturellement tue ; devant le silence de la jeune femme, elle n’avait pas insisté davantage. Chacun ses petits secrets. June lui avait assuré qu’elle continuerait de travailler depuis chez elle, et Miranda lui faisait suffisamment confiance pour savoir qu’elle disait vrai. C’était le principal

Il n’était donc pas étonnant de retrouver éparpillés autour du lit où dormait à présent profondément une future maman, un tas de dossier en cours de lecture par l’humaine. Cela pouvait paraître effrayant de savoir que l’on pouvait pénétrer chez vous sans que vous ne vous en rendiez compte et tout individu censé aurait été bien incapable de trouver paisiblement le sommeil dans de telles conditions. Seulement voilà, l’inconscient de June savait depuis longtemps que son compagnon pouvait emprunter la voie des airs quand il le voulait, de plus, un véritable cambrioleur pénétrait rarement dans un bâtiment par le velux du dernier étage…

June se promenant actuellement dans les plaines du pays de Morphée, elle n’entendit pas son compagnon grimper les escaliers, arborant prudemment une tasse de thé. Et si elle lui donnait l’impression de dormir d’un sommeil calme, en réalité, celui-ci n’en était pas moins agité. Son subconscient prenant encore un malin plaisir à la projeter dans l’un de ses nombreux cauchemars récurrents. L’humaine se retourna lorsque le mutant s’assit près d’elle, toujours endormie, un murmure plaintif à peine audible franchissant ses lèvres et bien vite couvert par la voix de son compagnon

…ne me descend pas …

L’humaine se retourna encore une fois sous sa couette, s’agitant un peu plus, un nouveau murmure sur le bout des lèvres

"Non ! pas ça… je vous en prie"

Enfin, la jeune femme se réveilla brusquement, des images de son passé encore solidement ancrées devant ses pupilles dilatées. Elle se redressa, sa main sur un oreiller et hurla. Non pas de surprise, son regard absent et endormi n’ayant pas encore détecté la présence du mutant à ses côtés, mais de peur. L’humaine hurlait de peur. La peur de les voir à nouveau surgir et la menacer avec leurs lames…

"LACHEZ-MOI !"

Il fallut un mouvement malheureux -découlant d’un instinct de survie indéniable- un peu trop vif de la part de l’humaine qui avait réagit à l’aveuglette et d’une tasse se trouvant malgré toutes les précautions qu’avaient prises le tatoué, sur la trajectoire d’un oreiller balancé en guise de défense pour que June se rende compte de la présence de son compagnon au bord de son lit, tandis que le liquide soigneusement préparé par le mutant se répandait à présent sur la moquette. L’humaine le dévisagea un instant, interdite. Les images de son cauchemar s’effaçaient lentement

"Kenjiss ?!

Déjà, l’humaine se tenait sur ses gardes. Si son compagnon débarquait à l’improviste chez elle au plein milieu de la nuit, c’est qu’il devait avoir une bonne raison, non ? Et dans leur situation, une bonne raison signifiait à coup sûr un méga souci. Cette inquiétude suffit à réveiller l’humaine pour de bon qui éjecta sa couette d’un coup de pied et cherchait déjà quelque chose d’autrement plus efficace pour se défendre qu’un simple oreiller

"Mais… qu’est ce que tu fous ici ? Tu m’as fait une de ces peurs ! Quelle heure il est ? Qu’est ce qu’il se passe ? Y a un problème ?"

Par la force de l’habitude sans doute, elle ne remarqua pas tout de suite que l’air calme et serein affiché par son compagnon niait toute existence d’un quelconque problème... tout comme elle ne se rendit pas compte qu'elle venait de ruiner les efforts de son tatoué qui avait réussi à lui préparer une tasse de thé correctement pour une fois. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il restait encore un peu d'eau chaude...

RAAAAAAAAAH PUTAIN !

Ce fut une exclamation de rage qui accueillit le coup d’oreiller de l’humaine. Si Kenjiss était habitué à encaisser oreillers, traversins, couettes et coussins sur le coin du museau dès que June se réveillait en sursaut, ou plus simplement qu’elle voulait lui reprocher quelque chose, c’était en revanche une nouveauté que de se faire brûler par une tasse de thé. Ou presque. A deux centimètres et une bulle de gravité près, Kenjiss était bon pour l’hôpital et l’avortement forcé de son projet…

La tasse s’écrasa par terre et macula la moquette sans que Kenjiss y prête davantage attention. Il se dépêcha en revanche de saisir l’arme que June cachait dans sa table de nuit, vérifia que le cran de sureté était mis et éjecta le chargeur avec des gestes instinctifs, sans même y prêter attention. Connaissant June, elle était capable de le flinguer en le confondant avec un intrus quelconque ressurgit de son passé… Ce ne fut donc qu’après avoir écarté de sa compagne tout objet dangereux pour sa petite personne que Kenjiss daigna enfin reprendre la parole. Calmement, et avec un sourire qui démentait son agression et la perte de son précieux thé qu’il s’était échiné à faire, lui qui faisait la grimace rien qu’en sentant la fumée.

June June… Calme toi. Calme toi ! Il lui saisit doucement un bras. Il est bientôt cinq heures du mat’.

Kenjiss sourit. A vrai dire il n’était pas peu fier son projet . C’était un énorme bras d’honneur dressé à toutes les menaces qui pesaient sur eux, et cela suffisait à faire le bonheur du directeur de la Confrérie…

Et nous sommes le 23 décembre… Donc je viens te réveiller... Pour les vacances ! Na.

Kenjiss se redressa brusquement, de toute sa taille. Il avait bien le droit à son petit quart d’heure de gloire non ?

Pour t’enlever. Dans trois heures, on sera étalé au soleil, pour un mois, minimum..
Vois tu June, il se trouve que la Confrérie possède une petite île privée, quelque part dans un coin paradisiaque… Tu vois le genre ? Jungle, eau claire, sable chaud…

Kenjiss battait des mains à présent, tel un gosse.

Pour le bébé, c’est une bonne chose, pour notre stress, pareil. Coupés du monde pendant un mois… Ah au fait, tu m’en voudras pas, mais j’ai piraté ton mail pour envoyer un certificat de maladie à la lib’corp. Jsui désolé June, tu as une maladie très grave qui te force à être hospitalisée… Oh, un mois environ. Pas de soucis de ce côté-là.

Le tatoué se doutait bien que sa compagne n’apprécierait pas. Et à vrai dire, il n’en avait rien à faire. June était dans le même état de stress intense que lui . Et la seule solution à ce stress maladif, c’était de siroter des cocktails de jus de fruit (June n’avait évidement pas le droit à l’alcool) dans une eau à 38°C (merci le réchauffement climatique) avant de retourner se coucher, nus sur la plage.

Tant pis pour le thé. Dis, ils sont où tes maillots de bain ? On décolle dans dix minutes j’ai peur que le jet finisse par attirer l’attention sur ton toit, même en camouflage…

"5h du mat’ !? Mais on n’a pas idée de réveiller les gens à une heure pareille !"

Surtout quand ceux-ci venaient à peine de s’endormir deux heures plus tôt… L’humaine soupira mais ce fut à peu de chose près ce que marmonna June en se frottant péniblement –et surtout inutilement- les yeux tandis que le mutant lui arrachait son arme des mains. A présent certaine qu’elle ne risquait plus une quelconque agression, June se calma et s’assit sur le bord de son lit, le temps d’écouter la déclaration de son compagnon. Il fallut à peine quelques secondes pour que l’humaine se réveille totalement en entendant la révélation du tatoué. Celle-ci ayant particulièrement buté sur un détail, hélas pas le plus important.

"T'as fait quoi ?? Mais t’es dingue !"

Oui, bon. Constatation parfaitement inutile puisqu’elle le savait déjà depuis longtemps. L’humaine se releva et arpenta sa chambre de long en large entre son lit et Kenjiss, visiblement contrariée. Elle stoppa net à deux pas de son compagnon et se retourna

"Malade !? s’écria t-elle à grand renfort de gestes inutiles. Je serai bientôt plus grosse que Jupiter, ça oui ! Mais je suis pas malade ! Et Miranda n’est pas une idiote. C’est déjà un miracle qu’elle n’ait pas fait une crise lorsque je lui ai dit que j’étais enceinte … Mais maintenant, elle va me tuer, c’est sûr !"

Certes, June était stressée. Et de plus en plus à cran. Elle en était la première consciente. Tout autant qu’elle se doutait être particulièrement… pénible à supporter en ce moment, entre ses crises de nerfs, ses crises de larmes et ses crises de panique. Mais si elle se plongeait dans son travail de nuit comme de jour c’était justement pour éviter de craquer, de trop penser à ce qui les attendaient. Et maintenant, Kenjiss voulait lui enlever son seul échappatoire et l’emmener… en vacances ? Ah, elle l’avait quand même entendu...

Mais il en était absolument hors de question ! Sauf que… elle n’avait pas vraiment le choix, en fait.

June le devina sans mal. Son compagnon avait visiblement tout préparé et il était à peu près aussi borné qu’elle. Si elle lui disait vouloir rester ici, il trouverait le moyen de l’emmener de force avec lui ! En plus…un mois au soleil… il fallait avouer que c’était tentant. June soupira en passant une main dans ses cheveux complètement ébouriffés -et un peu plus longs qu'à l'ordinaire, l'humaine n'ayant hélas pas eu le temps de passer chez un coiffeur ces derniers mois :

"… elle se trouve où exactement cette île ?"

Cela faisait si longtemps que la jeune femme n’avait plus pris de congé qu’elle ne se souvenait même pas des derniers en date. Et puis, Kenjiss avait été malin… en l’écartant d’office de la Lib’Corp, même si elle restait ici, elle n’aurait plus rien à faire à part se tourner les pouces. Face à un tel programme, les plages de sable fin étaient évidement bien plus attirantes.

"On sera vraiment… seuls ? Je veux dire, pas de tarées, de coups de fils et de rappel urgent à la Confrérie ? Juste nous… trois ?"

Car si June acceptait de le suivre, après avoir été réveillée en pleine nuit, si c’était pour voir son compagnon menacé dans la journée par ses cinglées de service pour qu’il rentre, ça n’en valait pas la peine. Et autant l’avouer, June l’aurait alors très mauvaise. Néanmoins, l’humaine parvint enfin à esquisser un sourire en imaginant la tête de son voisin s’il savait qu’un jet capable de le broyer se trouver à cet instant au dessus de sa tête. Lui qui ronchonnait déjà quand l’ascenseur faisait trop de bruit…

"Tu me prends au dépourvu là… il faudrait regarder dans ma garde robe, en espérant qu’ils ne soient pas trop petits J’ai pas grossi que du ventre, figure-toi…"

Reconnaitre que son amant était dingue au bout de quelques mois de vie commune, c'était un bon début ! Toutefois Kenjiss était encore dans la limite tolérée par la société. Oui bon évidemment il fallait omettre quelques petits meurtres et autres choses peu recommandables, tout à fait capable de vous ruiner un mois de vacances en amoureux si vous vous mettiez à les déballer, mais dans l'ensemble le tatoué était sain. Ou plutôt, il ne s'était pas enfui d'un hôpital en plantant quelques bouts de métal dans la colonne vertébrale d'un malheureux infirmier payé au SMIC russe, soit peu de choses.

En attendant, le mutant encaissait la tempête sans faiblir. En général, June se calmait assez vite. A plus forte raison lorsqu'on lui agitait le redoutable combo vacances+plaisir+calme+isolement total sous le nez. Kenjiss croisa les bras, aussi calme que Twikjeya plongeant une main dans un friteuse bouillante.

Miranda n'est pas idiote mais Miranda n'est pas extralucide non plus, et si Miranda en est au point de douter d'un certificat d'arrêt maladie remplis de mots capable de vous tuer sur place, Miranda ferait bien d'aller se faire soigner illico pour paranoïa excessive !

Y avait des limites quand même. Les membres de la Lib'corp étaient sans doute très compétents, mais Miranda Blake, même si idolâtrée par sa subordonnée (Oh ce que ça l'énervait... ) était incapable de distinguer le vrai du faux dans un vrai certificat écrit par un vrai médecin, c'était un fait. Kenjiss fut soulagé que sa compagne change de sujet. L'île. Ha. Bonne question. Malgré toute sa bonté et sa générosité, le tatoué n'avait pas acheté l'île pour faire plaisir à sa compagne. Elle existait bien avant cela, et si sa surface était l'équivalent d'un paradis terrestre, les souterrains eux étaient... heu... le rêve de tout agent du Cercle ou même journaliste en vadrouille. Il y avait dans les sous sols de quoi faire tomber quinze fois la Confrérie. Et accessoirement, exploser l'île et quelques milliers de kilomètres carrés.

Si je te dis où est ce paradis terrestre, je devrais te tuer... Pacifique sud. Soit 25°C en pleine nuit et avec du vent, c'est tout ce qu'il y a à savoir ! Paradis jte dis !

Seuls ? Quelle question. Twikjeya fondait sous le soleil, et Kenjiss avait sur l'île de quoi descendre tout aéronef s'approchant à quelques centaines de kilomètres. Autant dire que les consignes étaient strictes, et que si le moindre confrère s'aventurait à proximité, il n'aurait qu'un tir de semonce avant d'aller nourrir les poissons !

Absolument seuls. La Confrérie a ordre de ne pas approcher, point final. Quant aux coups de fils... ptet un ou deux, mais je m'en occuperais quand tu dormiras et tu ne seras même pas au courant ! De toute façon ils peuvent me rappeler autant qu'ils veulent, ils se démerderont, point final.

Kenjiss jeta un coup d'œil à la pendule. Il restait cinq minutes sur le délai qu'il s'était fixé intérieurement. Ce qui, objectivement, ne correspondait à rien mais c'était particulièrement important dans l'esprit du tatoué. Un petit défi en somme... Embarquer sa compagne à l'arrachée, pour un mois, avec un délai particulièrement court. June affirmait ne pas avoir grossi que du ventre ? Kenjiss le savait. Pour avoir traversé l'Atlantique en long en large et en travers tous les deux jours, il pouvait se vanter d'avoir un oeil particulièrement exercé. Et ce n'était pas pour le décevoir. Cette grossesse le réjouissait de plus en plus si l'on prenait en compte des critères uniquement physiques finalement... Le tatoué décocha un sourire ravageur à la future maman.

Pas le temps ma beauté ! De toute façon on a pas besoin de maillots, y a personne sur cette île !De toute façon ils ne te vont plus, et moi j'adore les tenues d'Eve ! Le tatoué joignit le geste à la parole en saisissant un sac au hasard, ouvrant une armoire tout autant au hasard et fourrant pèle mêle sous vêtements et vêtements léger dans le sac, jusqu'à ras bord. Allez ouste on décolle ! Il lui envoyant un clin d'œil. Je veux ma noix de coco face au soleil levant d'ici dix heures, zou ! Va devant le velux, jte rejoins ! De toute façon j'ai déplié les couchettes dans le jet, tu finiras ta nuit là bas. Dans dix heures et trois minutes on court tout nu sur le sable, loin des tarés et du stress ! Ouste !

En quelques minutes, Kenjiss était parvenu à faire plus de gestes du bras qu'un maitre d'opéra...

Qu’obtenait-on de la fusion détonante d’un joyeux taré et d’une dingue avérée? Un mini dingue en puissance ? A vrai dire, ni l’un ni l’autre ne devait être pressé de le savoir. Dans l’immédiat, l’humaine et le mutant avaient bien assez de problèmes à affronter pour en plus se soucier des petits bonheurs quotidiens que leur réservait la future éducation de leur enfant. Et malgré tout le calme dont Kenjiss faisait preuve, June voyait bien qu’il était impatient de se retrouver les pieds dans le sable chaud, au bord d’un océan turquoise.

"Le Pacifique…" répéta l'humaine, rêveuse

Bien que vague, cette précision eut sans doute l’effet escompté par son compagnon, celui d’occulter pour de bon de son esprit la menace ‘Miranda’. Si Kenjiss ne supportait pas la Directrice de la Lib’Corp, cela n’empêchait pas June d’admirer son travail et son implication dans une cause que les deux jeunes femmes avaient toutes les deux choisi de défendre. Et cela malgré les points de désaccord que les deux activistes pouvaient parfois rencontrer. June finit par sourire et admettre, sachant que sa supérieure saurait parfaitement se débrouiller sans elle

"La paranoïaque en ce moment, je crois bien que c’est moi… Et si j’en crois ce que tu dis, j’aurais de bonnes raisons de l’être. Tu débarques chez moi en pleine nuit, pour m’enlever vers une destination inconnue…"

Tout en parlant, l’humaine avait enfilé un jeans extensible spécial femme enceinte (une trouvaille qu’elle s’efforçait de ne pas brûler en la repassant cette fois !) et un gros pull de laine

"Si ce n’était pas toi… j’aurais toutes les raisons d’avoir peur"

Tandis que son compagnon s’afférait à embarquer ses affaires, June attrapa son communicateur. Juste au cas où. Même à l’autre bout du monde, June resterait en contact avec au moins une personne… De toute façon, ce n’est pas elle qu’on rappellerait de force au bureau avec le certificat en béton armé que Kenjiss leur avait envoyé. Devait-elle aussi prévenir Sam’ ? L’humaine hésita quelques secondes avant de finalement fourrer le communicateur dans sa poche, à regret. Après tout, la mutante ne s’était toujours pas manifestée depuis qu’elle avait reçu sa réponse. Certes, elle avait été soulagée de recevoir cette lettre, mais… cela faisait déjà plus d’un mois maintenant… Si elle voulait avoir de ses nouvelles, c’était à elle de faire le premier pas désormais. Malgré la perspective des vacances au soleil, l’humaine sentit son cœur se serrer. Son amie lui manquait énormément… Et parfois, elle se demandait comment Samarah parvenait à s’éloigner d’elle avec autant de facilité. A moins bien sûr que leur amitié ne signifiait déjà plus rien aux yeux de la mutante… L’humaine chassa un soupir attristé et se dirigea sous son velux, comme ordonné.

"Tu as intérêt à les envoyer chier… sinon, je te ferai regretter de m’avoir tirée de mon lit si tôt."

Et Kenjiss savait que les menaces de l’humaine n’étaient jamais à prendre à la légère. Toute trace de sommeil à présent envolée, celle-ci ajouta, un sourire collé aux lèvres en observant son tatoué gesticulant dans tous les sens

"J’espère que tu as enclenché le pilote automatique du jet… maintenant que tu m’as réveillée, je compte pas finir ma nuit seule, malgré tout le confort de tes couchettes !"

Après tout… le mutant avait parlé de vacances, non ? Alors autant les commencer en beauté !

Finalement, être réveillée à 5h du mat’, cela avait quand même parfois du bon. Mais seulement lorsque vous quittiez un brouillard persistant et une température frisant le zéro pour vous retrouvez sous 30 degré à l’ombre, minimum, moins de dix heures plus tard. Heureusement pour lui, le tatoué ne se fit pas prier et il rejoignit rapidement l’humaine, qui le gratifiât d’un sourire à faire fondre la couche de neige recouvrant Big Ben, sous la douce chaleur de la couette pour le reste de la nuit.

Chaleur qui leur fut bientôt tout à fait superflue lorsque le jet invisible aux radars de détection satellite, eut franchit les tropiques. Lorsque June émergea de sa torpeur, ils étaient arrivés à destination. Et si cela ne gênait visiblement pas son compagnon de débarquer dans une tenue d’Adam sur la plage de sable fin, June extirpa néanmoins du fond de son sac un paréo aux couleurs vives pour dissimuler –inutilement- ses rondeurs. Réflexe quand tu nous tiens…

La vue de l’océan et de l’île paradisiaque qui s’offrit aux yeux de l’humaine valait tous les réveils en pleine nuit du monde. June en resta bouche bée. Elle avait déjà beaucoup voyagé pour la Lib’Corp de par le monde afin de secourir des mutants aux quatre coins de la planète, mais jamais ses pérégrinations –souvent risquées- ne l’avaient amenée dans un endroit aussi... beau. Et surtout si calme.

C’est sans doute cela qui frappa le plus la petite humaine. La sérénité du lieu et surtout le dépaysement total qu’il offrait à une petite londonienne, bien trop à cran depuis 6 mois. Kenjiss pouvait être content, tous les doutes et les questions qui taraudaient l’esprit de l’humaine venaient de s’envoler en un clin d’œil, vaincus par une végétation luxuriante et ses animaux environnants. La jeune femme savoura le contact des grains de sable sous ses pieds nus. Chauds et doux à la fois.

"C’est…"

Oui oui c’est à moi tout ça…

Voilà qu’il répondait à ses questions avant qu’elle ne les pose maintenant ! Mais June toujours ébahie se rattrapa

"C’est vraiment… magnifique, Kenjiss"

Cette île avait du lui coûter une véritable petite fortune, davantage encore si l’humaine avait eu connaissance de ce qu’elle renfermait sous ses pieds. Et avant qu’elle ne se décide à penser qu’elle n’avait pas à savoir tout ça, sa curiosité naturelle s’interrogea néanmoins sur l’origine des fonds que le mutant avait investi dans ce petit paradis terrestre. Des affaires sans doute pas très nettes dont elle préféra finalement ignorer l’existence. Ils étaient là. Ils étaient seuls. Et ils avaient cette île rien que pour eux pour tout un mois ! Que demander de plus, sinon que d’aller s’étendre sur la plage et siroter des cocktails ? Nul besoin de se torturer l’esprit avec des questions financières et autres magouilles en tout genre. June rejoignit son compagnon sur la plage et lui glissa à l’oreille, non sans lui avoir déposé un baiser sur ses lèvres

"Tu me fais visiter ? C’est la première fois que je vais passer Noël sous les tropiques… qui plus est avec mon ravisseur préféré. Le lait de coco, à défaut de batida, me semble tout indiqué pour fêter ça, non ?"

Seul le clapotis des vagues sur le sable et le chant des oiseaux dans la jungle toute proche venaient briser le silence du lieu. Et ce calme soudain n’était visiblement pas pour déplaire aux deux tourtereaux, trop habitués à la civilisation et son vacarme destructeur de tympans. L’humaine écouta son compagnon, main dans la sienne, tandis qu’il lui décrivait son île dans les moindres détails. Tel un adolescent vantant les mérites de sa dernière voiture (quoique dans le cas du tatoué, cela aurait été plus certainement une moto). Elle sourit. Il était surprenant de constater ce visage double chez le puissant mutant. D’un côté, le visage de marbre réservé à ses apparitions publiques et de l’autre, celui plus doux et enfantin qu’il arborait en privé. Cela suffit à éveiller sa curiosité. Déjà et malgré la fatigue, elle avait hâte de découvrir cette petite crique.

"On peut aller y faire un tour cet après-midi ! déclara sans hésiter l’humaine enjouée, ou ce matin…", ajouta-t-elle après un moment d’hésitation

Avec le voyage, June ne savait plus très bien quelle heure il était, sa petite horloge interne était restée coincée sur celle de Londres. Et puis elle avait toujours eu un peu de mal avec les décalages horaires. Quoiqu’il en soit, c’est avec un sourire qu’elle accueillit la noix de coco galamment proposée par le mutant. Elle jeta un œil intéressé à l’intérieur de la maison. Simple mais charmant. Il ne lui en fallait pas plus. June n’était pas difficile et la jeune femme s’adaptait facilement. Elle attrapa le lait exotique et ajouta, toujours parée de son éternel sourire :

"A nous, plus simplement…"

Et très égoïstement, mais il était évident qu’ils en avaient tout deux vraiment besoin. Son autre main attrapa celle du tatoué et la posa doucement sur son ventre. Il était temps, aussi bien pour lui que pour leur enfant, que Kenjiss découvre les premières joies de sa future paternité et en profite enfin. Au calme. Loin des regards. Et des menaces –tant anti-mutantes que d’origines psychopathes -susceptibles de leur tomber sur le crâne à tout moment lorsqu’ils étaient encore à Londres.

Imperceptiblement, l’humaine se détendait. Et ce n’était pas le sourire rassurant de son compagnon ni son regard aiguisé qui allait l’en empêcher. Au contraire. Le lait de coco était exquis. A la fois sucré et rafraîchissant. Une véritable merveille ! Elle gratifia son compagnon d’un baiser avant de le rassurer

"L’eau de mer… ça ira très bien. Elle est à notre portée, autant en profiter, tu ne crois pas ?"

L’humaine suivit son compagnon sur la terrasse et se cala contre son torse sans se faire prier. Même si elle avait un peu honte de se l’avouer, des vacances comme ça, elle en voulait bien tous les jours ! A son tour, June ferma les yeux. Elle se sentait bien. Encore un peu et toutes les conditions étaient réunies pour qu’elle puisse terminer sa nuit, brusquement interrompue quelques heures plus tôt. Quel meilleur endroit en effet que les bras de son compagnon pour cela ? Sauf que l’humaine se redressa brusquement lorsqu’elle sentit de légers coups contre son ventre. Si elle n’avait pas eu son quota d’heures de sommeil, cela ne semblait pas être le cas de tout le monde… June soupira

"On dirait que je suis pas la seule à avoir du mal avec le décalage horaire…"

Un regard vairon attentif suivait le tracé imaginaire laissé par les doigts du tatoué sur son ventre. Là où d’ordinaire, June se serait tortillée sous les chatouilles, elle sentait aujourd’hui des coups de pieds de l’autre côté de sa peau. Et lorsque bébé s’était manifesté, le tressautement de son compagnon, tous les muscles raidis de surprise, n’avait pas échappé à l’humaine. June sourit. Kenjiss semblait tout aussi préparé qu’elle à accueillir ce bébé au sein de leur couple. C'est-à-dire, absolument pas.

Cela dit, cette constatation ne la rassurait pas spécialement. Et la jeune femme ne comptait plus les nuits où elle s’était réveillée en sueur, la peur ancrée au fond des tripes de ne pas être à la hauteur dans son rôle de mère. Malgré tout ce qu’elle pouvait bien dire pour se rassurer, elle restait persuadée qu’il lui manquerait toujours quelque chose. Difficile de se construire sans modèle. Parfois, elle hésitait à se lancer à la recherche de sa mère. L’ignorance n’était-elle pas parfois préférable à la déception ?

Elle n’y pensait pas souvent, ou plutôt elle s’interdisait d’y penser trop souvent mais June en aurait sans doute damné plus d’un pour connaître la raison de son abandon par sa propre mère… Le devenir à son tour avait plutôt tendance à faire ressurgir ses vieilles interrogations. Quoiqu’il puisse arriver, cependant, la future mère s’était jurée de ne jamais se comporter comme sa génitrice. Certes, tout comme son compagnon, June avait encore du mal à accepter sa situation, malgré la présence de plus en plus tangible de leur bébé qui grandissait de jour en jour en elle, mais elle ne l’abandonnerait pas. Jamais. Et il faudrait sans doute lui passer sur le corps pour le lui arracher. Ses actes, la jeune femme les assumait jusqu’au bout…

"Très bien oui, rassure toi. Et vu les coups qu’il donne, je dirais même qu’il pète la forme…"

L’humaine attrapa le reste de la main qui suivait le doigt hésitant de son compagnon et la plaqua doucement à un endroit précis sur son ventre. June étant une femme, elle se voyait inévitablement dotée d’un certain 6ème sens dont les puristes auraient sans doute remis la légitimité en question. Mais à cet instant précis, elle devina aisément dans les gestes mal assurés de son compagnon qu’il n’était pas encore à l’aise en face de son futur enfant. A nouveau, le tatoué sentit sous sa main un petit coup timide. L’humaine éclata de rire devant l’air toujours peu assuré du puissant mutant. Les aléas de la vie étaient parfois bien étranges. Alors qu’elle était persuadée que terrasser ses ennemis par dizaine ne constituait pas un problème en soi pour le tatoué, le voir aussi hésitant face à sa propre chair, son propre sang, était assez… amusant pour l’humaine. Et surtout paradoxal.

"Je crois que ça veut dire oui"

June n’en mena pas plus large que son compagnon lorsqu’elle l’entendit évoquer leur future situation de parents et sa main toujours sur la sienne se crispa, elle ne put retenir un léger soupir. Elle se cala confortablement dans les bras du mutant et son regard se perdit lentement sur les vagues turquoises au loin.

"Je ne m’y fais pas, Kenjiss. Je vais jamais y arriver… J’ai aucune idée de la façon dont on s’occupe d’un enfant, même Virginie a l'air plus au courant que moi. Et si… si je suis pas à la hauteur ? Je ne veux pas vous décevoir."

Surtout pas quand son compagnon commençait à prendre conscience de sa future paternité. Et pour la première fois de sa vie, June envisagea la possibilité que sa mère avait peut-être été confrontée aux mêmes doutes qu’elle aujourd’hui. Jusqu’à présent, l’humaine avait toujours vu son abandon comme une trahison. Mais dans le fond, peut-être que cette femme ne s'était tout simplement pas sentie prête ? Et elle avait peut-être préféré se séparer de sa fille pour lui offrir une meilleure vie. Malheureusement, elle ne pouvait pas prévoir que ça ne serait pas tout à fait le cas en agissant ainsi... Un murmure franchit ses lèvres.

"C’est peut-être pour ça qu’elle m’a abandonnée…"

Malgré la voix rassurante de l’humaine, Kenjiss n’était pas DU TOUT apaisé. Pour lui, lorsqu’on cognait quelque part, c’est qu’on était mal. Bien sûr, quarante ans d’une vie plus ou moins éduquée étaient parvenus à faire oublier ses réflexes primitifs au mutant –encore que- mais le tatoué n’en avait pas moins du mal à se faire à l’idée qu’un organisme vivant, son bébé, son enfant, était en train de prendre forme dans le ventre de sa compagne et qu’il ne pouvait communiquer qu’en tapant. Voir la peau du ventre tressaillir et un petit pied lui cogner la main, c’était à la limite de le faire tourner de l’œil…
June perdit toutefois son air enthousiaste en moins de temps qu’il fallait pour le dire, tandis que le mutant luttait toujours pour faire apparaitre sur son visage un début de sourire timide. Lui, il était traumatisé par ce qu’il sentait bouger sous ses doigts. Qu’est ce que ça allait être quand il allait le VOIR. Ne pas y penser. Surtout ne pas y penser… Mais sa compagne s’inquiétait de ses aptitudes de mères… Et si elle n’y arrivait pas ? Kenjiss poussa un léger soupir. L’espace d’un instant, il se vit très nettement en train de jeter un panier plein de jeunes chiots dans une rivière dont ils ne ressortiraient jamais. Pensée fulgurante, mais suffisamment nette pour lui laisser une désagréable impression. Si June ne voulait pas de son enfant, qu’est ce qu’on en ferait ? Le futur père n’en avait aucune idée.

Fort heureusement pour lui, entre deux pensées inquiétantes si elles traduisaient un état d’esprit permanent, Kenjiss n’était pas encore tout à fait demeuré. Il était parvenu à enlever une humaine gardée par une psychopathe télépathe, alors rassurer une jeune mère, vous pensez bien que la tâche était aisée… Le mutant prit néanmoins son temps pour répondre, s’adossant confortablement en laissant son regard dériver sur son paradis terrestre. S’il n’était pas complètement stupide, Kenjiss n’en était pas à savoir inventer des conseils de gestion de son enfant… Heureusement pour le brave tatoué, il possédait à la Confrérie une experte dans ce domaine. Malheureusement pour lui, Twikjeya n’aurait jamais ouvert la bouche sur sa période pré accouchement, et elle l’aurait dépecé dans l’instant si elle apprenait que June était enceinte. Et ce ne fut qu’au bout d’efforts surhumains, de précautions inouïes et d’une chance hors du commun que Kenjiss était parvenu à lui dérober discrètement ses manuels de médecine, de psychologie et pire encore, ses notes post accouchement. En d’autre termes, le mutant avait signé quinze fois son arrêt de mort.

June… C’est normal d’éprouver des doutes. Primo, tu as les hormones en ébullitions. Tu te souviens de la fois où tu m’as jeté une assiette en pleine figure parce que j’avais oublié le pain ? Ca prouve dans quel état tu te met parfois… Ensuite tu mène l’existence d’une mère célibataire. Cela pèse sur ton moral...

Kenjiss ne se leurrait pas. Trois voyages par semaines ne remplaçaient en aucun cas une présence permanente, aussi attentif était il lors de ses brefs instants avec elle. Son départ à chaque fois ne devait en être que plus cruellement ressenti…

Ensuite, à ce que j’ai lu, l’instinct maternel est étrangement puissant… Si tu ne sais que faire avec l’enfant dans le ventre, crois moi tu réagiras instinctivement en le voyant dans tes bras… De toute façon tu n’auras pas le choix. Il ricana. Je serais sans doute étalé par terre, dans les vapes, ou en train de pleurer toutes les larmes de mon corps. Voir les deux. En réalité cette solution n’était pas envisageable mais Kenjiss se gardait bien de le dire. Il devait rester conscient pour envoyer deux chevrotines dans la Twik folle furieuse qui ne manquerait pas de débarquer, hachoir brandi…

Le mutant sourit et caressa la nuque de l’humaine aux yeux vairons. Finalement il n’avait pas si mal restitué ses connaissances… Si l’on omettait le fait qu’il ait fusillé environ deux semaines de sommeil pour se souvenir uniquement de ça. En revanche, il fit l’impasse sur sa mère. Hors de question de remuer un sujet pareil. D’expérience, il savait que quoiqu’on dise, on plongeait les pieds dans le plat. Il avait suffisamment connu ça avec sa propre génitrice, l’adorable miss torture…

Si tu abandonne mon gosse, je te retrouverais Judith Appleby… Kenjiss l’embrassa dans le cou, conscient qu’il allait vraisemblablement se faire arracher la tête pour avoir utilisé son prénom complet. Tout était bon pour éloigner les nuages qui obscurcissaient l’horizon de June… Si quelques pointes d’humour pouvaient lui faire oublier sa passion numéro 1 du moment, à savoir broyer du noir, il sacrifiait bien volontiers une tête entière.

Heu au fait. C’est qui Virginie ?

Oh l’hypocrite tatoué… Comme s’il n’avait pas lu en long en large et en travers la fiche ultra détaillée remise en main propre par Twikjeya. Dix pages manuscrites, aux longues boucles effilées tracées à la plume d’oie. Foutue tarée…

Evidemment, elle s’en souvenait parfaitement. Et c’est sans surprise que l’assiette en question n’avait jamais atteint sa cible. Kenjiss l’avait interceptée, presque nonchalamment, bien avant qu’elle ne devienne un danger potentiel pour son visage tatoué. L’humaine en ressentait d’ailleurs à chaque fois une légère frustration. Lorsqu’elle était énervée, elle ne pouvait strictement rien lui balancer à la figure et savourer tout l’effet libérateur que pouvait avoir ce geste sur ses nerfs rudement menés. Réellement frustrant. June soupira et avoua, légèrement gênée

"J’ai cru que je pourrais surmonter ces conditions. Après tout j’ai longtemps vécu comme une célibataire. Mais en fait… je n’y arrive pas."

Voir son compagnon repartir à chaque fois était insupportable, mais ils n’avaient hélas pas le choix. Et puis, c’était mieux que de ne pas le voir du tout. L’humaine avait appris à se satisfaire de peu. Alors elle s’empressa d’ajouter, pour que son compagnon ne s’imagine pas prendre plus de risques qu’il n’en affrontait déjà pour venir la voir

"Mais 3 jours par semaines, c’est pas si mal… c’est juste que je n’aime pas te voir repartir"

Repartir pour l’autre côté de l’océan. Repartir dans une Confrérie remplie de tarés qui étaient prêt à lui planter un couteau dans le dos s’ils apprenaient leur situation. Chaque fois qu’il la quittait pour retourner au Canada, l’humaine devait empêcher ce petit pincement au cœur de la tenailler. Cette vicieuse inquiétude… Et s’il ne revenait pas ? June préférait ne même pas l’imaginer. Leur situation était déjà bien assez compliquée comme ça, alors si elle devait en plus se retrouver seule… Que ferait-elle ? Où irait-elle ? Non. Surtout ne pas y penser. Heureusement, l’humour douteux du mutant balaya ses éternels tourments. Elle accueillit sa remarque dans un sourire et un air faussement menaçant

"Alors ça, tu n’as pas intérêt ! Je voudrais bien voir que le terrifiant mutant que tu es, serait effrayé à la vue de son propre bébé au point de s’évanouir ! J’aurai besoin de tout ton soutien, moi à ce moment-là !"

Et il était hors de question que Kenjiss la lâche ainsi ! Qu’il préfère un sol quelconque à la naissance de son enfant ! Bien qu’elle n’envisageait certainement pas le même soutien que Kenjiss. Elle pensait plutôt à un soutien moral, psychologique alors que le mutant voyait certainement un soutien du genre sécuritaire. Voire assurance-vie. Mais June était déjà suffisamment stressée pour envisager de devoir –en plus- accoucher en présence d’une folle furieuse qui ne songerait qu’à la disséquer et dépecer son bébé, non ? Elle se tut un instant et ajouta, toujours en souriant,

"Mais tu pourras pleurer, je ne t’en voudrai pas..."

Cependant, elle espérait bien que l’instinct dont parlait Kenjiss prendrait le dessus car jusqu’à présent, la jeune femme avait l’impression qu’il ne se manifestait pas vraiment. Elle tenta de plaisanter, pour cacher son ressenti de plus en plus persistant, cette impression que tout le monde, absolument tout le monde autour d’elle semblait plus au courant sur comment devenir mère. A se demander si c’était bien elle qui le portait cet enfant ! Désespérée, elle décida d’en plaisanter

"Et depuis quand es-tu devenu un expert en bébé, toi ?"

Si elle trouvait cela désespérant, elle ne songea pas un instant d’où le mutant tenait ses sources. Leur enfant… June aussi se demandait tous les jours comment elle réagirait lorsqu’elle le verrait. A quoi il ressemblerait surtout. La couleur de ses cheveux. Noir peut-être, vu ses parents ? A moins que le couple ait des antécédents blonds dans leur arbre généalogique respectivement inconnu. Et puis ses yeux. L’humaine espérait vraiment qu’ils seraient ‘normaux’. Elle ne souhaitait pas que son enfant affronte la méchanceté gratuite qui avait bercé ses jeunes années.

Même si elle sentait la distance et l’appréhension que son compagnon éprouvait, elle était loin de se douter qu’il était aussi peu à l’aise dans son nouveau rôle de papa. Evidemment, la relation que June entretenait avec leur enfant était déjà légèrement différente que celle qu’avait son compagnon. June sentait leur bébé grandir dans son ventre depuis 6 mois. Une présence qui évoluait et bougeait en permanence. Une présence involontaire à laquelle elle avait du s’habituer. Kenjiss, lui, était toujours confronté à cette barrière qui le séparerait encore de son enfant pendant 3 mois.

Malgré le contact de ses lèvres sur sa nuque, June eut une moue agacée, voire franchement énervée lorsque son compagnon prit le risque de la taquiner avec le seul sujet susceptible de réellement lui faire péter les plombs.

"Ne m’appelle pas comme ça ! Je t’ai déjà dit que cette Judith n’existe plus ! Je suis June et seulement June !"

Judith était morte lorsque sa mère l’avait abandonnée et June s’était jurée de bannir à jamais de sa vie ce prénom –non seulement hideux- mais en plus honni. Pardon ? Il doutait ? Il pensait encore qu’elle pourrait l’abandonner ? June planta son regard parfaitement déterminé, vous savez celui presque étincelant synonyme de colère, dans celui de son compagnon et déclara, un peu trop brusquement peut-être

"Jamais je ne lui ferai ce que j’ai subi, tu m’entends ?"

Bien sûr, elle ignorait tout de ce que leur réservait l’avenir, mais Kenjiss pouvait se rassurer, elle n’abandonnerait pas leur enfant. Elle veillerait à sa sécurité, par n’importe quel moyen. Même les plus difficiles. Le mutant pouvait être content, il avait réussi au moins partiellement, à repousser ses inquiétudes

Qui était Virginie ? June lui lança un regard étonné avant de se souvenir Ah oui, c’est vrai. Pour finir, ils ne s’étaient jamais croisés à son appartement puisque l’adolescente venait toujours la voir lorsqu’il se trouvait à Vancouver. Ignorant, ou ne voulant pas savoir que son compagnon analysait ses relations dans le moindre détail ?- June lui précisa le plus honnêtement du monde

"Mon assistante et une jeune amie. Une adolescente vraiment remarquable. Elle est au courant pour nous. C'était inévitable... mais je lui fais confiance. Pour l’instant, elle me représente à la Lib’Corp et parle en mon nom là-bas"

En effet, depuis qu’elle l’avait chargée d’espionner, l’adolescente était en quelque sorte devenue ses yeux et ses oreilles à l’association. Tandis qu’elle parlait, son regard suivit celui de Kenjiss vers l’océan. Et puis, June eut soudain envie de découvrir l’île. Un esprit aventureux restait rarement en place très longtemps. Ils étaient en vacances, oui ou non ? Alors autant en profiter !

"Et si tu me la montrais cette crique ? Je suis sûre qu’un baptême dans l’eau de mer ça va lui faire plaisir aussi…"

Elle passa une main sur son ventre, comme pour souligner ses paroles. June avait-elle conscience de son humeur pour le moins déstabilisante et surtout versatile ? Pas sûr… Vraiment étrange, ces petites choses appelées hormones !

Le terme « repartir » restait bien en deçà de la réalité qu’affrontait l’étrange couple à chaque séparation. Dans le cas de Kenjiss, il lui fallait d’abord s’arracher aux bras (ou aux draps, selon l’heure du départ) de sa compagne, ce qui était loin d’être une sinécure. Puis, une fois la séparation accomplie, combler le gros vide que même lui ressentait au plus profond de son être alors qu’il n’avait même pas fait décoller le jet. Tracer le plan de vol de l’engin en essayant de ne pas trop penser au fait que chaque commande l’éloignait un peu plus de sa dulcinée. Passer trois heures au dessus de l’Atlantique, dans un silence glacial à peine perturbé par le discret couinement de quelques appareils de bord. Faire atterrir l’avion à la Confrérie, où il savait ne trouver que des adversaires en ce moment. Et pour finir, avoir l’immense privilège de contempler la silhouette morbide de Twikjeya qui l’attendait, imperturbable, quelque soit l’heure de son retour. Passer de June à Twikjeya, même pour le tatoué, le contraste était rude. Puis, toujours selon l’heure de son retour, la dame des tourments l’abandonnait aux griffes de Maria qui lui jetait une pile de dossier sous les bras, assortis de quelques noms d’oiseaux. La chaude ambiance confrériste qui avait un temps existé (hé oui) était belle et bien morte, et le climat sibérien qui s’y était installé était particulièrement rude pour les nerfs d’un tatoué qui dormait de moins en moins, et de plus en plus mal.

T’en fais pas pour moi June, ils ne peuvent rien contre moi…

Assurément, le tatoué tentait de faire preuve de plus de confiance qu’il n’en éprouvait réellement. Mais le climat tropical, la plage de sable chaud, le cocktail délicieusement rafraichissant, les bras de sa compagne et quelques autres éléments qui incitaient à l’optimisme le poussaient sans doute à extrapoler une réalité guère reluisante.

Quand au risque d’évanouissement et de crises de larmes… Kenjiss préféra éluder le sujet. On n’effaçait pas quarante ans de racisme inflexible par quelques mots et autres spermatozoïdes, même s’il s’agissait des siens. Le tatoué refusait bien évidement de l’avouer à June, qui était suffisamment concernée par ses propres problèmes, mais il n’était TOUJOURS pas à l’aise avec cette histoire de bébé. Bébé dont il ignorait toujours la race. Sapiens ou Superior. Honni ou accueilli. La différence tenait parfois à si peu de choses, qui signifiaient pourtant tellement…

Il n’eut toutefois pas l’occasion de s’inquiéter davantage. Bouleversée par ses hormones, June éclata plus violement qu’une bonbonne de gaz. Bonbonne. Certes, la comparaison était mal trouvée. L’humaine passait autant de temps à se plaindre de son embonpoint que des psychopathes à ses trousses. Ah les femmes…

Le tatoué n’en dressa pas moins un index impérieux. Il voulait bien encaisser des assiettes, des plats, des portes et tout ce que June était capable de lui balancer –lui permettant ainsi de découvrir une patience qu’il ne soupçonnait pas-, mais il était hors de question de la laisser retomber dans ses traumatismes infantiles et autres élans de spontanéités. Lui aussi avait connu ça, et à seize ans, il pouvait déjà aligner une liste impressionnante de séquelles, de chocs psychologiques, de meurtres et d’une bonne dizaine d’actes tous plus illégaux les un que les autres. Sauf qu’il n’avait que seize ans et qu’il n’était pas enceinte. Laisser une June enceinte, c’était de la folie furieuse.

Stop ! June, je te l’ai déjà dis, ce n’est qu’un nom, et cela ne signifie pas grand-chose. Il y a vingt ans, Kenjiss rimait avec crises de folies, assassinat, paranoïa et abus de drogues.

Bon, il n’avait pas tant changé que ça. Mais au moins le reconnaissait il.

Je t’interdis, Oui il se donnait des droits maintenant. De ressasser le passé. Cela n’est jamais bon, crois moi.

Et deux secondes plus tard, elle faisait volte face… Kenjiss eut un léger soupir. Cette humaine avait donc juré la perte des derniers nerfs encore intacts qui lui restaient… Virginie mh ? Une adolescente. Au courant pour eux. Note. Redemander à Twikjeya une évaluation psychologique de la jeune femme et une estimation des nécessités d’élimination. June était une femme intelligente, mais elle était aussi du genre à trainer avec n’importe qui. La preuve, elle était actuellement dans les bras d’un psychopathe humanophobe qui, non content de l’avoir enlevée en pleine nuit, n’avait rien trouvé de mieux que de lui coller une armée de harpies aux fesses.

Kenjiss gémit. Visiter la crypte ? Le miss... Ah non. La crique. Oups. Ouf. Il gémit à nouveau en tendant les bras derrière sa tête.

Désolé beauté, l’homo superior est fatigué… Je refuse de faire le tour de l’île maintenant, alors qu’on a une eau bleue à souhait à environ trente mètres de la maison. Il nous reste encore une trentaine de jours pour aller se balader… On trouvera bien un moment où je n’ai pas trente six heures de rush dans les pattes, sans parler du décalage horaire, tu veux bien ? Il plongea ses yeux noirs dans les fascinantes pupilles de sa compagne dans une mimique de supplique désespérée.

Kenjiss avait beau dire, June n’en était pas moins rassurée. Mais la bande de tarés était loin. Ici, ils n’avaient effectivement rien à craindre. Il fallait qu’ils en profitent tous les deux. Un peu de calme et de zen attitude ne ferait pas de tort à leur couple. C’est donc au prix d’un immense effort sur elle-même que l’humaine accepta la remarque du tatoué sans –trop- broncher face à l’index pointé en face de son nez. Elle précisa seulement, la voix lointaine

"Ca signifiera toujours quelque chose tant que je ne saurai pas…"

Et en parlant d’ignorance, il y avait quelque chose que le tatoué ne savait toujours pas. Le sexe de leur futur enfant n’était plus un secret pour June depuis près de 3 semaines et l’humaine se demandait toujours comment elle pourrait le lui annoncer de la façon la plus douce possible. Exténué, le mutant avait reporté l’exploration de l’île et la découverte de la crique à plus tard. June eut une moue un peu déçue qu’elle fit rapidement disparaître en le taquinant

"Tu veux dire que l’humaine aurait encore plus d’énergie que son Superior de compagnon ? C’est le monde à l’envers dis-moi !"

Cependant, si elle avait envie de rentabiliser ses heures de sommeil perdues par une baignade dans les eaux cristallines du Pacifique, elle comprenait aussi que son compagnon avait besoin de repos. Elle déposa un baiser sur les lèvres du tatoué avant d’abandonner sa noix de coco vide sur une table basse et de se relever. En revanche, elle tint à préciser les choses tout de suite concernant son assistante, Kenjiss ayant parfois tendance à envisager des solutions… assez radicales

"Tu peux compter sur la discrétion de Virginie, il n’y a aucun problème de ce côté-là."

Il n’était pas question que l’humaine perde l’une de ses rares alliées, même par souci de sécurité selon son compagnon. June disparut à l’intérieur de la maison le temps de mettre la main sur son communicateur et de revenir se lover, tel un chat, dans les bras de son compagnon, l’air de rien. Elle pianota quelques secondes sur les touches du petit appareil avant de le déposer sur ses genoux. Son petit manège avait certainement du attiser la curiosité du mutant mais l’humaine se contenta de sourire. Un sourire et des paroles délicates valaient mieux que tous les triturages de neurones possibles, non ? Un air taquin accroché au visage, June déclara le plus innocemment du monde

"En tout cas, j’espère que notre enfant aura l’esprit un peu plus aventureux que son cher papa. Les garçons sont réputés pour être des petits casse-cous en général…"

Et voilà. Instant de vérité. Le message passerait-il ? Le tatoué n’était pas connu pour sa subtilité mais… il pouvait peut-être faire un effort lorsqu’il s’agissait de son fils, non ?

June assista impuissante au vol plané sans retour de son communicateur à l’intérieur de la maison. Oui, bon, évidemment. Il y avait une chance sur deux pour que son compagnon réagisse de cette manière, à la voir avec son gadget électronique à la main. Bien qu’il s’agissait là d’une profonde injustice (elle aussi aurait bien aimé envoyer le communicateur du tatoué à l’autre bout de son appart’ quand la confrérie le rappelait au Canada), June continua de sourire. Sa remarque avait fait mouche et l’air du mutant valait à cet instant tous les rappels à l’ordre de ses dingues du monde.

"Tu devrais voir ta tête !"

Et son sourire se transforma en éclat de rire, rapidement calmé par les réflexions de son compagnon. Un Kenjiss Junior… à vrai dire, elle n’y avait pas encore pensé. Mais elle espéra bien que non. Un Kenjiss adulte était déjà bien suffisant à surveiller non ? Hélas, avec les antécédents joyeusement fournis par les parents, leur enfant avait de fortes chances d’être une véritable boule de nerfs intenable. La vie de famille s’annonçait franchement joyeuse… entre la Confrérie, la Lib Corp, les réunions, les menaces de mort et autres joyeusetés aussi diverses que variées

"Un petit garçon oui… il va falloir lui trouver un prénom maintenant qu’on sait"

June n’avait pas vraiment cherché comme elle ignorait toujours le sexe de leur bébé il y a encore 3 semaines. A présent, les choses se précisaient. L’existence de leur enfant et tout ce qu’elle engendrait se concrétisaient davantage.

Embryon. Fœtus. Bébé. Garçon. Fils. Leur fils. Le fruit d'une union improbable. Et pourtant...

June lança un coup d’œil teinté d’amusement et de reproches à son compagnon

"Mais si tu veux le voir… va falloir ramener mon communicateur. Je l’avais pas amené pour rien…"

L’humaine n’avait pas assisté à la première rencontre entre le père et l’enfant. Situation oblige, June avait du laissé les premières échographies du bébé entre les mains du mutant avant que celui-ci ne reparte, appelé par ses obligations (ce qu’elle en avait voulu d’ailleurs à cette voix de lui avoir arraché son compagnon de cette façon !). Et même si aujoud’hui, elle attendait cette nouvelle confrontation avec impatience, elle n’avait pas envie de se relever encore une fois alors que le tatoué pouvait le faire revenir de la même façon qu’il l’avait fait partir. June aussi par moment avait quelques tendances paresseuses. Et puis surtout, élément non négligeable. Elle était bien dans les bras de son compagnon. Calme. Paisible.

En un mot, rassurée. Pour la première fois depuis 6 mois, June parvenait à penser à autre chose qu’à une entrée fracassante dans son appartement par des confréristes armés jusqu'au dents toutes les 5 minutes…

C’est avec un air surpris que l’humaine se vit déposer son communicateur dans les mains par… une sorte de robot au bras anormalement long, oui, appelons-le comme ça. Mais qu’importe, elle l’avait récupéré et c’était le principal. La jeune femme lança un coup d’œil amusé au mutant. Alors qu’il pouvait presque se battre contre une armée entière sans hésiter, son manque d’assurance devant sa paternité la faisait sourire. De son côté, June n’en menait pas large non plus, mais inutile d’affoler davantage les troupes n’est ce pas ?

Les doigts de l’humaine voltigèrent sur le clavier du petit appareil électronique. Depuis qu’elle y avait enregistré certaines données, June avait revu le système de sécurité de son communicateur à la hausse. Bien que les possibilités pour que cela arrive soit minimes, elle n’avait pas très envie que n’importe qui tombe sur les échographies de leur enfant. Après plusieurs heures de recherche (et surtout de patience), elle avait découvert qu’il était possible de scinder la mémoire du communicateur à la manière d’un ordinateur. Très pratique pour stocker des données évidemment, mais également lorsqu’il fallait en dissimuler car on pouvait sécuriser l’accès d’une partie de la mémoire et laisser l’autre libre. Les petits curieux pensaient alors qu’ils avaient accès à toute la mémoire. Erreur !

L’humaine bascula son communicateur en mode projection holographique (miniature évidemment, ça valait pas encore les systèmes publicitaires que vous pouviez trouver partout dans votre centre commercial) et lança un sourire à son compagnon

"Prêt ?"

A part les toutes premières échographies qu’elle lui avait donné dans le parc, Kenjiss n’avait pas encore été réellement confronté à son fils. Et en trois mois, un bébé changeait vite à ce stade. Alors qu’il avait du voir un simple fœtus, ébauche d’un futur bébé, les échographies d’aujourd’hui lui renverraient enfin l’image d’un ‘vrai’ bébé. Encore un peu petit mais, il ressemblerait déjà beaucoup plus à un être humain miniature qu’un fœtus de 3 mois, à peine plus grand qu’un haricot.

La première image tridimensionnelle apparut face au tatoué. Une tête, un bras, une main, un pouce. Un corps, des jambes et des petits pieds. Un tout petit être. Un bébé. Son bébé. La projection était saisissante ! Beaucoup mieux que les échographies 2D datant du début des années 2000. On aurait déjà presque envie de tendre la main et de le prendre dans ses bras… mais le vide que vous auriez alors saisi vous aurait vite rappelé que le p’tit bout n’était pas encore tout à fait dans ce monde. Bientôt. Plus que trois mois de patience…

June tendit le communicateur et le déposa dans les mains du tatoué en lui murmurant délicatement au creux de l’oreille

"Je te présente ton fils…"

Puis, elle s’écarta légèrement –non sans laisser glisser furtivement ses lèvres sur celles du tatoué- et attendit sa réaction. La dernière confrontation serait le jour de l’accouchement. Il valait mieux pour tous qu’il y soit bien préparé…

Ah ouais effectivement ça change…

C’était en substance la première réaction du tatoué. Loin d’être le soupir blasé que l’on imagine, c’était plutôt un sourcil frémissant qui s’était dressé, impressionné par l’apparition soudaine de son fils en trois dimensions. Il y a quelques temps, le tatoué n’avait vu qu’une forme claire sur un fond sombre et avait supposé que c’était son fils, ému certes, mais guère plus… Et voilà que son enfant se jetait littéralement sur lui, parfaitement formé, visiblement en pleine forme, presque prêt à sortir… Kenjiss retint son souffle en dévorant chaque détail de la projection holographique, comme s’il craignait d’effacer l’image d’un simple soupir.

Salut petit…

Il avait instinctivement posé une main sur le ventre de sa compagne, réflexe qu’il se forçait à avoir dès qu’il voulait dire quelque chose concernant le bébé. Son bébé. Bon ça, par contre, il avait encore du mal à s’y habituer. Mais le tatoué faisait des progrès, lents certes, mais habiter à 5000 km de l’appartement de sa compagne aidait rarement un couple à partager suffisamment de moments d’intimité pour s’habituer à un évènement pareil. Heureusement, Kenjiss possédait dans ses comptes en banque l’équivalent du PIB de l’Angola, quelques jets dans son garage et ne pouvait donc pas vraiment se plaindre du coût des transports ou de leur lenteur. On avait vu pire comme couple déchiré par la distance. Ce n’était pas pour autant que c’était un type de relation agréable…

Il est… beau non ?

Ce petit être ne se doutait pas encore de ce qu’il représentait pour ses parents, dans quel monde il débarquerait et quelles furies voudraient sa peau, mais il paraissait ne pas s’inquiéter du futur, paisiblement assoupi dans le ventre de sa mère… Kenjiss sourit en se tournant vers l’humaine.

Je suis presque rassuré de ne pas le voir déjà défiguré par des tatouages dans tous les sens, un code barre entre les omoplates… Il ne sait pas encore quelle veine il a de nous avoir tu sais ?

Sa main mutilée dériva lentement le long du ventre rebondi de sa compagne. Le tatoué se demandait souvent comment sa compagne faisait pour supporter cette charge sans s’écrouler, épuisée dès ses premiers pas, mais il était convaincu que cet enfant ne faisait que l’embellir. Contrairement à ce qu’une June tourmentée par des hormones en furie lui confiait parfois, il ne l’avait jamais trouvée plus belle que maintenant. Et tout particulièrement aujourd’hui, radieuse sous le soleil du Pacifique malgré un teint tiré et des cernes qui laissaient deviner des nuits au moins aussi agitées que les siennes. On ne dormait pas mieux dans une baraque luxueuse que dans un studio londonien… Le tatoué caressa doucement l’écrin de son enfant.

Tout va bien petit… Il fait chaud et nous sommes bien. D’ailleurs… Le tatoué releva la tête, dégageant une mèche qui lui dégringolait devant les yeux. Tu as déjà songé à un nom ?

Fasciné. Et surtout intrigué. Tel était son tatoué alors qu’il découvrait son fils. June avait posé sur lui un regard à la fois bienveillant et amusé tout en suivant le mouvement de ses yeux. Tantôt sur les petites mains, tantôt sur ses pieds minuscules le regard du mutant glissa finalement vers la tête de leur bébé. Dans son monde de douceur et de silence, loin de la folie qui l’attendait malheureusement à l’extérieur, leur fils était paisible. Qu’il en profite encore tant qu’il le pouvait encore. Une fois dehors, sa vie ne serait pas simple. Tout deux en avait bien conscience

"Je dirais même qu'il est très beau. Finalement, on s'en sort pas trop mal, tu ne trouves pas ?" Pour deux parents amateurs, s'entend

L’humaine posa sa main sur celle de son compagnon, à présent parfaitement sereine. Son studio londonien et le stress quotidien était loin désormais. Un mois de tranquillité et de bonheur parfait l’attendait en compagnie du mutant qu’elle aimait. Pour l’instant, c’était tout ce qui comptait. Ses doigts glissèrent dans le sien tandis qu’il caressait délicatement la peau de son ventre. Bientôt, l’unique frontière avec son fils serait abolie… June murmura pour son fils

"Tu vois, là c’est ton père. Tu l’intimides un peu mais ne t’en fais pas, je sais qu’il a hâte de faire ta connaissance dans ce monde-ci"

L’humaine sourit à l’évocation des inquiétudes de son compagnon. A vrai dire, elle n’avait jamais imaginé leur enfant avec des tatouages partout. Non. Elle s’interrogeait sur d’autres détails. La couleur de ses cheveux, ses yeux… ce genre de choses. En revanche, l’humaine ne savait pas si elle pouvait réellement parler de ‘chance’ lorsqu’elle pensait à la vie compliquée que leur histoire déjà extraordinaire risquait d’offrir à leur enfant. Mais ils s’en sortiraient, n’est ce pas ? En tout cas, le couple ferait tout pour y arriver !

"Une maman dingue et un papa réputé taré… ça promet en effet de belles choses ! J’espère qu’on ne déteindra pas trop sur lui…"

June plongea son regard bicolore dans les yeux du tatoué. Un nom… maintenant qu’il abordait le sujet… June n’y avait pas encore songé sérieusement, même si quelques idées lui avaient bien traversé l’esprit durant les longues journées qu’elle passait seule à l’appartement

"Il y a bien quelques prénoms que j’aime bien. Comme Adam ou Noah par exemple mais… je crois que mon préféré reste celui-là..."

Elle s’approcha de son compagnon et le lui glissa doucement au creux de l’oreille

" Il a une signification particulière et... cela reflète un peu notre relation. Qu’est ce que tu en penses ? Tu préférerais autre chose ?"

"Mais bien sûr, oui…"

June n’était pas dupe. Et elle savait parfaitement que son compagnon stressait tout autant qu’elle –si pas davantage- à l’idée de la venue au monde de leur enfant. Mais elle n’eut pas le temps d’épiloguer une fois de plus sur la question. Voilà que le tatoué repartait dans l’une de ses manœuvres favorites pour détourner l’attention de la jeune femme. Il la complimentait. Et il savait hélas très bien que la technique avait déjà fait ses preuves. Pourtant, June ne s’était jamais considérée comme belle. Attirante, peut-être, vu ses courbes que certains qualifiaient d’affolantes. Mais belle, non. Pas avec une tignasse impossible à coiffer et ce regard étrangement double. Il y avait femmes bien plus belles qu’elle de par le monde, elle en était persuadée. Mais résignée, elle finit par murmurer, un fin sourire sur ses lèvres :

"Peu importe de qui il tiendra, pour nous je suis sûre qu'il sera le plus beau"

C’était une vérité aussi vieille que le monde. Aux yeux d’un couple, leur enfant serait toujours le plus adorable et resterait à jamais cet être pour lequel ils seraient prêts à mourir car il s’agissait de leur chair et de leur sang. Et même si le couple qui profitait désormais du calme paradisiaque était pour le moins atypique, le mutant et l’humaine n’échapperaient pas à cet adage sacré. Malgré tout le stress qu’ils pouvaient l’un comme l’autre manifester, l’instinct tant maternel que paternel (oui, oui) finirait par prendre le pas sur leur crainte mutuelle de ne pas être à la hauteur. Du moins, il fallait l’espérer car ils auraient tous les deux bien besoin de cela –au moins- pour faire face aux difficultés supplémentaires qui les attendraient dès la naissance de leur fils.

Si Kenjiss semblait penser qu’ils s’en sortiraient sans davantage de problèmes qu’aujourd’hui, June ne parvenait pas à se montrer aussi enthousiaste que son compagnon. Il lui était déjà parfois difficile de veiller sur sa propre vie, alors prendre soin d’une nouvelle vie aussi fragile que précieuse… Cette simple idée lui donnait encore des vertiges. Vertiges qu’elle se hâta de faire disparaître devant la mine déconfite de son compagnon. L’enfance et l’adolescence du tatoué avaient été jalonnées d’évènements tragiques, tout aussi douloureux qu’inacceptables. Les lacunes qui s’inscrivaient dans ses connaissances paraissaient donc bien dérisoires aux yeux de l’humaine, qui avait également connu une adolescence mouvementée. Ce qu’ils connaissaient aujourd’hui, ils l’avaient l’un comme l’autre appris sur le tas au fil d’expériences, parfois heureuses mais souvent douloureuses. Un tel parcours avait au moins le mérite de les avoir dotés d’une volonté exceptionnelle. Ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour l’éviter à leur progéniture. June prit la main de son compagnon dans la sienne et le rassura de son éternel sourire, bienveillant.

"On ne peut pas tout savoir… Mais je suis contente que tu aimes. Cela veut dire ‘celui qui suit le chemin de son cœur' "

Une signification poétique, que l’humaine trouvait de plus en plus adaptée à la situation. Et surtout que Kenjiss se rassure, June n’avait pas la science infuse. Le prénom qu’elle avait proposé lui tenait à cœur, mais elle n’en avait trouvé la signification que très récemment… La silhouette du mutant pouvait donc retrouver sa fière allure. June serait bien la dernière sur Terre à lui tenir rigueur de son manque de culture. Après tout, il y avait bien plus important dans la vie... Comme profiter de l'instant présent, par exemple !