Depuis son entrée au nouvel Institut, Joshua s’ennuyait ferme. Il n’avait pas encore intégré l’université pour étudier la médecine comme il le faisait autrefois en Amérique. Même si rien ne l’empêchait toutefois de bouquiner des cours sur le net pour ne pas prendre de retard. De plus, il ne s’était pas encore fait des amis à l’Institut, car pour l’instant il ne savait pas encore sur quel pied danser. Se retrouver envahi avec des mutants l’avait aussi un peu déstabilisé alors que lui-même ne s’était pas encore résolu à manifester le moindre don ou pouvoir. Il était très discret à ce sujet. Faut dire aussi qu’en Amérique il n’était pas prudent de s’afficher comme mutant…

En cette fin d’après midi, il eut envie de se dégourdir les jambes. Une ballade avec son skate fétiche le titillait. Le jardin de l’Institut ne lui suffirait pas pour combler son besoin de s’aérer ou de changer d’air. Sans plus attendre, telle une ombre, il se faufila à l’extérieur. Avec une impulsion de son pied gauche, il élança son skate sur la route goudronnée en direction d’Harlow. Il prit de plus en plus de vitesse. L’adrénaline commença à monter. Il s’agenouilla pour aborder le premier virage serré sur la droite. Il était heureux. Il ne pensait plus à rien. Il amorça ensuite une longue ligne droite descendante où il mit le turbo avec un vent dans son dos qui le poussait. C’est pour vous dire que là il carburait !

Et puis des bruits de moteurs arrivèrent dans son dos. On le klaxonna tout d’abord…C’était un groupe de trois à quatre motards. Ils avaient largement la place de passer…Alors qu’il entendit un moteur grondé à sa gauche en train de le dépasser, il se prit un coup de pied dans sa jambe le propulsant sur le bas côté. Il évita le pire avec une roulade qu’il maîtrisait grâce au judo. Toutefois ses genoux et mains étaient en sang…

- Prochaine fois tu dégages quand on te klaxonne, sale mioche de l’institut !

Les motards ne s’arrêtèrent même pas, le laissant sur le bas côté. Joshua se releva en silence, grimaçant de douleur atténuée par la colère qu’il eut à l’égard de ces fous furieux. Il aurait pu se tuer en tombant sur la tête ! (surtout quand on est si imprudent que Joshua en ne portant pas de casque). La sagesse l’intima de faire maintenant demi-tour pour retourner à l’Institut. Il évalua la distance qu’il avait parcourue, soit un bon cinq cents mètres. Il souffla de découragement. Il ne pouvait plus monter sur son skate et devrait faire le chemin de retour à pied.

"Lady Lemington risque de me passer un de ces savons…"

C’est donc en boitant, qu’il reprit le chemin de retour, maudissant chaque mètre effectué…

- La voilà, elle est prête et comme neuve !

J’offre un grand sourire au vieil horloger, prenant la petite boite qu’il me tend. Je l’ouvre avec délicatesse, découvrant une montre à gousset en argent (Enfin, c’est ce qu’on m’a toujours dit que c’était, ce que j’espère vu le prix que j’ai payé !). A l’intérieur, une montre sans verre, les deux aiguilles à l’air libre. C’est grâce à ce petit tour de passe-passe que je peux lire l’heure, une protection ne me renverrait qu’un rond plat.

«  Elle est parfaite, je vous remercie »

Refermant avec délicatesse le couvercle, je range le petit boitier dans mon sac.

«  Je vous dois ? »

Le prix qu’il m’annonce, bien qu’habituel, me tire un frisson. Mon dieu que c’est cher. Heureusement pour lui qu’il est le seul dans la ville à pouvoir réparer ma montre. Maudit handicap… sans lui je pourrais avoir une protection qui m’éviterait de la casser tous les quatre matins… Enfin, je n’ai pas un budget montre pour rien !


C’est avec un pincement au cœur que j’inscris le nombre à trois chiffres sur mon chéquier et le signe, prenant comme repère le bord du chéquier et appuyant assez pour que j’arrive à détecter le sillon du stylo. L’horloger me regarde avec un magnifique sourire.

Celui d’un vautour.

- Je vous remercie !

Je lui offre un petit sourire.

«  C’est moi qui vous remercie pour votre travail ! »

- A très bientôt j’espère !

J’hoche rapidement la tête en sortant.

*Je n’espère pas !*

Un vent frais m’acceuil à l’extérieur. Regardant ma montre – et en priant pour qu’il ait au moins eut l’obligeance de la mettre à l’heure – je remarque que l’après-midi touche à sa fin. Le temps donc de rentrer à l’Institut.  Me basant sur le comportement d’autrui et sur mon ouïe pour qu'ils soient mon radar, je me débrouille pour passer les quelques carrefours qui me sépare de l’allée où se trouve le manoir. Au loin, des klaxons se font entendre. Ce que les gens peuvent être pressés…

Je continue ma route en soupirant. Un miaulement attire alors mon attention. Un chaton rentre alors dans mon champ de détection. M’accroupissant, je l’appelle doucement, lui tendant une main immobile pour qu’il puisse m’examiner. D’abord peureux, il finit par s’approcher, curieux, et sent du bout du museau mes doigts tendus.

«  N’aie pas peur. »

L’animal finit par me lécher un doigt avant de se frotter contre ma paume, réclamant des caresses. Je lui gratte avec affection la tête tandis que son ronronnement s’élève.

«  Tu es adorable, tu sais ? »

Le miaulement qu’il émet me fait rire. Me répondrait-il ? C’est à ce moment-là qu’un homme apparait dans mon dos. Je me concentre sur lui avant de me retourner. Il semble plutôt jeune, ses traits étant encore bien lisses. Et… Il boite ?

Je me retourne. Ce chemin n’est emprunté que par les membres de l’Institut, ce jeune homme doit être un élève… Je me redresse en me dirigeant vers lui.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu as besoin d’aide ? »

C’est alors que je détecte son pantalon déchiré au niveau des genoux. Il porte son skate. Mauvaise chute sans doute…

« Viens, je vais t’emmener à l’infirmerie. »

Lui offrant un grand sourire, je lui propose mon bras pour qu’il s’y appuie. Le chaton nous regarde fixement.

Joshua se maudissait de n’avoir pas été plus prudent d’autant que sans porter de casque, il aurait pu  se faire bien plus mal. Ses genoux saignaient. Il avait mal mais c’était un dur à cuire. C’est alors qu’une voix féminine lui fit stopper sa marche, de toute façon il n’allait pas bien vite en boitant. Il la dévisagea du regard pour examiner qui elle était. Il se montra dans un premier temps méfiant, n’acceptant pas immédiatement l’invitation du bras de la jeune femme. Puis il se souvint de l’avoir déjà croisée à l’institut. Elle ne passait pas en effet inaperçue avec ses grandes lunettes. Quelqu’un qui aimait les chats ne devait pas en plus être un monstre…

« Bonsoir Lady. En effet j’ai fait une mauvaise chute avec mon skate. Pour tout vous dire, j’ai croisé une bande de motards et l’un d’entre eux m’a poussé d’un coup de pieds. J’aurais pu me faire bien plus mal sans ma maîtrise des chutes…Heureusement que j’ai une bonne pratique du judo ! Je ne comprends pas pourquoi le fait d’être mutant attise tant de haine. La bêtise et la méchanceté m’étonneront toujours. Enfin bon, il n’y a pas mort d’homme. Plus de peur que de mal »

C’est alors que la douleur fut plus prononcée, l’obligeant à lâcher une grimace. Il se força  à sourire, comme si cet acte positif lui ferait oublier la douleur. Joshua n’était pas du genre à se plaindre ou à exprimer ses sentiments. Cela avait ses qualités comme ses défauts dont le principal était son isolement récent à l’institut. Il était un peu perdu…

« Il me semble vous avoir déjà croisée à l’institut. Avec vos cheveux blancs et vos lunettes, vous ne passez pas inaperçue si je puis me permettre. Moi, je viens seulement d’arriver et donc je ne connais pas encore grand monde. Mon nom est Joshua Teynold. J’habitais les States avant que je sois forcé de me réfugier ici. Vous ne m’en voudrez donc pas si j’ignore qui vous êtes…»

Levant la tête, il fut soulagé de voir la grille à quelques mètres. Son calvaire allait se terminer.

« En tout cas je remercie la providence de vous avoir mise sur mon chemin. Je pense en effet qu’un passage à l’infirmerie s’impose. Je vous serai gré d’éviter d’en parler à Lady Lemington de ce petit incident car elle est du genre à se faire du mouron pour rien…En plus, j’aimerai ne pas me remarquer alors que je suis à peine arrivé à l’institut»  

Joshua savait –il qu’elle était aveugle ? En tout cas, dans son comportement et ses gestes rien ne laissait présager qu’il le savait ou alors s’il le savait il s’en moquait totalement…

Méfiance.

Je retiens un sourire amusé en le voyant hésité, me dévisageant. Il conserve tout d’abord une distance de sécurité. Le bras toujours tendu vers lui, j’attends patiemment. Comme avec le chaton. Il réagit exactement de la même façon. Il semble tâter le terrain avant de finalement s’appuyer légèrement, ne posant que sa main. Puis il se laisse un peu plus aller, m’offrant un brin de confiance. Tout cela à la manière du jeune félin qui commence par renifler avant d’accepter les caresses de l’inconnu.

- Bonsoir Lady. En effet j’ai fait une mauvaise chute avec mon skate. Pour tout vous dire, j’ai croisé une bande de motards et l’un d’entre eux m’a poussé d’un coup de pieds. J’aurais pu me faire bien plus mal sans ma maîtrise des chutes…Heureusement que j’ai une bonne pratique du judo ! Je ne comprends pas pourquoi le fait d’être mutant attise tant de haine. La bêtise et la méchanceté m’étonneront toujours. Enfin bon, il n’y a pas mort d’homme. Plus de peur que de mal

Lady

Je ne peux cette fois dissimuler un petit gloussement. Que voilà un jeune homme très maniéré… Et aussi très bavard ! Vantard aussi ? Avais-je vraiment besoin de savoir pour sa « maitrise des chutes ? » Et ses paroles… Elles me font penser aux discussions que l’on peut entendre ne se promenant dans un parc. Celles prononcées par de vieille dames sur le banc et commentant tout ce qui se déroulent sous leur yeux.

Vieux avant l’âge ?

Je ne peux cacher le ton légèrement amusé de ma réponse.

«  Je ne comprends pas non plus… Dis-toi que tu as de la chance que la tienne ne se voit pas à l’œil nu ! »

Une grimace apparait sur le visage du jeune homme. Puis un sourire. Forcé. Comme s’il voulait que rien ne transparaisse. Sembler fort et en forme.

Stupide.

Je l’oblige délicatement à se reposer plus sur moi, l’aidant à marcher vers l’Institut.

- Il me semble vous avoir déjà croisée à l’institut. Avec vos cheveux blancs et vos lunettes, vous ne passez pas inaperçue si je puis me permettre. Moi, je viens seulement d’arriver et donc je ne connais pas encore grand monde. Mon nom est Joshua Teynold. J’habitais les States avant que je sois forcé de me réfugier ici. Vous ne m’en voudrez donc pas si j’ignore qui vous êtes…

Bavard…

Je lui offre un doux sourire.

«  Je m’appelle Hellen Irrisen, j’aide les élèves à mieux contrôler leur sentiments à travers des ateliers. Tu devrais bientôt bénéficier de ces cours. Nous nous y retrouverons sans doute ! »

Nous continuons lentement notre chemin vers l’Institut et passons enfin la grille nous menant vers l’entrée principale. A cette heure avancée de la soirée, tout le monde doit déjà être en train de se presser vers le réfectoire. Ce qui m’arrange grandement, nous n’aurons pas à slalomer entre les élèves.

- En tout cas je remercie la providence de vous avoir mise sur mon chemin. Je pense en effet qu’un passage à l’infirmerie s’impose. Je vous serai gré d’éviter d’en parler à Lady Lemington de ce petit incident car elle est du genre à se faire du mouron pour rien…En plus, j’aimerai ne pas me remarquer alors que je suis à peine arrivé à l’institut

Je me concentre de nouveau sur la blessure. En effet, elle ne semble pas très propre…

«  Je vais t’y conduire, quelqu’un devrait encore être là pour s’occuper de toi et désinfecter. Et ne t’inquiète pas pour Miss Lemington, je n’irais rien lui rapporter. Ou si on me pose la question je resterai sur une vilaine chute complétement accidentelle. »

L’aidant à grimper les quelques marches menant à l’entrée, je le guide avec patience jusqu’à l’infirmerie se situant juste à côté des laboratoires. L’endroit semble particulièrement calme.

Voir désert.

Mais ma vision ne me permet pas sonder toute la pièce. Trouvant un lit, j’accompagne Joshua et l’aide à s’assoir. Personne ne vient à notre rencontre. J’en déduis que nous sommes pour le moment seuls.

«  Bon, les infirmiers doivent être en train de manger, je vais désinfecter en attendant. Il faudra attendre quelqu’un de plus qualifié pour le reste ! »

Me dirigeant vers un placard, j’en sors quelques compresses avant de buter sur trois bouteilles. Impossible d’en lire l’inscription.

Soupir.

Je déteste me retrouver dans ce genre de cas. Impuissante face à une écriture, ou un écran. Je n’aime pas non plus quémander de l’aide… Encore moins à un élève. Prenant les trois bouteilles, je les ramène vers le jeune homme et lui demande à contre cœur :

«  Tu peux me lire ce qu’il y a écrit sur ces bouteilles et trouver l’alcool  à désinfecter ? »

Lui tendant l’objet de ma frustration, je me force à lui offrir un sourire décontracté.

Joshua lança son regard ténébreux, qui avait l’art de déstabiliser celui ou celle qui le croise, sur la jeune femme professeur.

"Alors les professeurs de l’Institut ne savent pas lire ? "

Se moquait –il d’elle ? Était –il sérieux ? Ignorait-il qu’elle était aveugle ? Le jeune homme ne laissait rien transparaître sur son visage. Son regard se détacha enfin de la jeune femme pour chercher le désinfectant. D’ailleurs il fouilla dans les différentes étagères ramenant ciseau, bandes, adhésif et  coton. Il découpa avec le ciseau son pantalon à hauteur de genou là où il s’était blessé.  Toujours en silence, il examina sa blessure, tout en débouchonnant le flacon, puis imbibant le coton de son contenu. Il inspira fortement portant en même temps ce coton sur sa blessure. Il serra ses lèvres, devant la douleur mais n’émit aucune plainte.  Il s’appliqua comme le ferait un vrai infirmier, à croire qu’il avait l’habitude de le faire.  Il finit ses soins en appliquant un pansement encerclé d’une bande. Ce fut rapide et efficace.

" Voilà ça devrait être bon. Dans quelques jours, il n'y aura plus de traces. En tout cas, merci pour votre aide. Si je veux devenir un excellent médecin, je dois savoir pouvoir soigner une blessure aussi simple. Ah oui autre chose…Je ne vous ai pas demandé de mentir en prétextant qu’i l s’agit d’une simple chute. Je  déteste les mensonges et donc je ne peux laisser qu’on mente pour me protéger.  De plus, Lady Lemington est un radar à mensonges à deux pattes. Complètement idiot d’essayer de lui mentir ! Je vous demandais juste de rester discrète mais bon faîte comme vous voulez et puis je m’en fous."

Il se mit enfin à lâcher un sourire, comme s'il venait de découvrir qu'il avait un peu désagréable...

" Moi aussi je lis dans vos pensées ! J’y lis « mais quel caractère de cochon il a ce jeune homme ! ». Et vous aurez bien raison de le penser ou de le dire. Mais dans le fonds je ne suis pas bien méchant vous verrez.  Vous disiez que vous aidiez les élèves à contrôler leur sentiment ? Voilà bien un étrange métier…Vous êtes une sorte de psychologue alors ? Je n’ai jamais cru à ce genre de pratique…Sans vous offenser,  ce milieu est truffé d’arnaqueurs : écouter les gens parler tout en prenant leur pognon…C’est vraiment du foutage de gueule. Le jour où on me trouve un fou guéri qu’on me fasse signe ! par contre je crois plus dans le pouvoir de l’art…"