Vancouver, juin 1951 :

Le soleil se levait alors que Miguel arrivait, enfin, devant les locaux de la Confrérie moderne. Vêtu d'un vieux T-shirt élimé, d'un short en lambeaux et de baskets à la limite de la désintégration, le mutant mexicain n'était pas beau à voir. Ses cheveux étaient crasseux, et à mesure que le soleil éclairait la scène, on pouvait remarquer ça et là de petites zones de plaques rougeâtres comme il se grattait pour taire la morsure de ses compagnons de voyage : Une colonie de poux !
Son œil gauche était poché, sa joue déformée par une rage de dent. Il avait au biceps droit une entaille gonflée, visqueuse... Ça puait l'infection. Des tremblements agitaient son corps meurtri par le manque de nourriture. Il n'avait pas mangé depuis quatre jours, et son dernier repas avait été constitué de déchets pour lesquels il s'était battu contre d'autres crève-la-faims.

Il laissa tomber le sac de sport aux fermetures éclairs explosées. De toutes façons, le sac était presque vide, hormis une bouteille d'eau qui ne sentait pas bon, et un paquet de clopes. Ou plutôt de clope, au singulier...

Alors c'était ça? C'était ici que Miguel pourrait redémarrer une nouvelle vie? Ici qu'on lui apprendrait à se servir de son don? Ici qu'il pourra échapper au gang de Los Lobos? Ici qu'il sera à l'abri des radicaux anti-mutants? Ici qu'il mangera à sa faim et qu'il prendrait sa première vraie douche depuis un an?

Est-ce qu'il avait bien fait de venir ici?
Il n'y avait qu'une seule façon de le savoir...

Le visage grave, le teint cireux, il amena à ses lèvres son ultime cigarette, comme un condamné à mort. Il sortit de sa poche un briquet abimé, et lutta quelque peu pour allumer son clou de cercueil. La fumée jaune qui s'en échappa trahit la piètre qualité de cette marchandise cancérigène, mais Miguel s'en moquait. Ça le calmait. Et il avait besoin de calme. Besoin de se poser pour récupérer, avant de reprendre vie.
Las, finalement, d'hésiter devant cette lourde porte de fer, il trouva le courage de sonner, trempé d'une sueur glacée, les genoux s'entrechoquant sous des tremblements incontrôlables...
Et ses premiers mots furent :

"¿ Hola ?"

24 juin 51

Finalement la « grande » réunion, au sous sol, n’avait quasiment rien changé aux habitudes de la maison. Maria continuait à rouler dans des robes blanches, telle la veuve noire déguisée. Son acolyte, de sang et de menace, refusait toujours la canne blanche. Il n’avait pas vu Vanessa depuis un bon moment. Quant à Terry il était à son bar comme tous les jours. Autrement dit les piliers de la Confrérie avait échappé au chiisme sans évoluer d’un yotta. Tout allait bien dans le meilleur des monde vous dirait les mioches qui affluaient chaque semaine.

Des fils et filles de riches où de rue les deux camps pour qui la Confrérie devenait la plus attractive des colonies de vacances. Et si cela rendait les couloirs un peu trop dangereux au moins la bource restait à peu près pleine. Heureusement puisque seule la finance soudait à peu près les cohabitant. Depuis le fameux crash de la plateforme les médias restaient collés aux fenêtres. Les confrériste étaient assez intelligents pour jouer avec ces voyeurs plutôt que de s’enfermer à double tour. C’est ce qui faisait que les mutants les plus fiers s’acoquinaient avec Vancouver.

Daniel l’avait bien comprit. Depuis une semaine il passait ses journées à réveiller tous ces contacts. En 24 ans de vie privilégiée il avait accumulé une somme astronomique d’ami. Disons en plus clair un réseau très utile, qui avait l’avantage de lui faciliter l’existence. Il n’avait pas hésité, à jouer de son charme, pour que les retombés de la catastrophe touchent le camp adverse : l’Institut. Il suffisait de rappeler quelques anecdotes croustillantes à tel camarade de promo, d’envoyer des fleurs à telle journaliste de télévision… Un jeu d’enfant. Une partie d’échec grandeur nature. Une partie dont lui seul sortirait le gagnant.

C’est en sortant d’un déjeuner tout à fait intéressant que Daniel Gray roula à toute allure vers ce « logis de fonction ». La chemisette juste entrouverte, les lunettes noires sur le nez et un sourire émail-diamant sur le visage. Il freina comme un prince juste devant la Grande porte. Son front se plissa en apercevant la silhouette tremblante d’un nouvel ado. Encore pour sa pomme… Il allait devoir prendre l’habitude de passer par derrière. Il arrêta Euterpe à quelques centimètres. Bon. C’est parti. En glissant la clé dans sa poche arrière son regard noir reluqua l’inconnu. Mal en point. Comme beaucoup de pommés venait ici. A croire que Confrérie signifiait refuge.

Le mutant passa juste à côté de lui et poussa la porte sans dénier lui adresser la parole. Ce n’est qu’une fois sous le plafond du hall que monsieur montra son visage au jeune arrivant. Tourné vers lui avec un sourire indéchiffrable aux lèvres il l’attendit. Pour commencer ce gars devait se remplir l’estomac et une baignoire. Bien sûr aucun agent n’était visible dans les environs. Okay. On s’adapte. Un peu comme avec la petite Arya. D’ailleurs où était-elle passée celle-là ?

-« Wouhai salut le jeune. Bon. Mutant ? Tu parle au moins un peu anglais ? Sinon côté inté ça va être compliqué. Viens. Tu verras le grand chef plus tard. Je vais prévenir les cuisines de te faire un truc. En attendant faudrait monter au dortoir prendre une douche. »

Il n’y avait pas à opposer de résistance devant ce prince là. Déjà ses chaussures claquaient sur le marbre vers la première porte. Pas de temps à perdre ou il allait s’effondrer sous ses yeux et ça ce n’était vraiment pas dans ses projets. Est-ce que la sorcière serait de service ? Un petit bilan était indispensable à ce stade de décomposition. D’où est-ce qu’il venait ce camé ? Oui l’adulte jugeait. C’était un travers familial dont tout le monde devait s’accommoder.

-« Au fait. Bienvenu. Ton nom ? Appelle-moi Gray. »

Miguel regardait la nouvelle tête avec quelque colère. Certes, il lui fallait une douche et c'était indéniable, mais ce n'était pas une façon de la lui proposer. A croire qu'il empuantissait le Canada tout entier...
Il se garda bien pourtant de répliquer. Qui sait, ce type-là, ce fameux Gray, était peut-être dangereux. Après tout, s'il était ici, c'était parce qu'il était lui aussi un mutant.
Est-ce qu'il crachait du feu? Est-ce qu'il pouvait lui faire exploser la cervelle d'une pensée? balancer des rayons laser avec ses yeux?
Dans le doute, Miguel se montra le plus charmant possible...

"Si. Je parle americano. Je m'appelle..."

Il hésita. Son estomac lui lança une douloureuse réprimande. D'accord, il allait jouer carte sur table.

"Miguel... Appelle-moi Miguel, amigo Gray. Et si. Une douche me fera du bien. Gracias."

Malgré tout, le regard presque suffisant de l'amerloque ou quoi que ce soit d'autre avait quelque chose d'insultant. Comme s' il jugeait Miguel, et n'y voyait qu'un clodo de plus. Ou un junkie. Alors, il n'avait pas complètement tort, mais il n'empêche...

"Donde?... Euh... Où c'est les douches, mister Gray?"

Il était très difficile pour Miguel de ravaler sa fierté, mais à choisir entre survivre et claquer devant les locaux de la Confrérie. Le choix n'était pas difficile. Il attendit donc que le premier autre mutant qu'il rencontrait dans sa vie lui montre où il pourrait faire partir l'épaisse couche de crasse et de poussière qui le recouvrait.

Miguel attendit que cet angliche arrogant décide enfin de dégager avant de répondre à son "Et frotte bien surtout !"...

"Hijo de..."

Il cracha sur le sol carrelé des douches. Le genre de glaviot jaunâtre qu'on n'aime pas recevoir au visage. Il entreprit ensuite de se déshabiller, balançant ses nippes sur un lavabo.
Son corps brûlé par le soleil et séché par la faim qui lui dévorait les entrailles était constellé d'une galaxie de tatouages. Les gueules écumantes de bouledogues, terrifiantes malgré un style à la limite du cartoon, un loup aux crocs serrés, les babines retroussées en signe de menace, un doberman en train de fumer un joint géant, la langue pendante d'aise... Et pas mal d'autres encore, dans le même genre.
L'eau chaude coulait le long des muscles de Miguel, dégoulinant sur son dos, glissant sur lui comme son avenir lui glissait des doigts. La sensation était très agréable, presque addictive.
Il se demandait quand même ce qu'il était venu foutre ici. Certes, il y'avait des douches, et sans doute à manger. Un toubib aussi, visiblement, et Dieu savait qu'il en avait besoin : Sa chique lui faisait un mal de chien...
Il s'effondra, assis, au pied de la douche, laissant l'eau le recouvrir, le déchargeant de la crasse qu'il avait ramené depuis le Mexique. Il espérait que les tarés de Los Lobos ne le retrouvent jamais.
Mais sa poisse légendaire lui murmurait que c'était bien trop simple, et que tôt ou tard, il devrait assumer ses conneries...

Plus tard, il s'était changé. Il avait enfilé un marcel gris-bleu, un short de basket et... Et rien d'autre...
Pieds nus, il descendit au Hall. Son ventre lui mordait les tripes. Où était cette foutue cuisine?
Dans le Hall, Daniel l'attendait déjà...

De la viande! Miguel n'avait pas mangé de vrai viande depuis si longtemps que son estomac en hurlait de joie. Il avait de la salive plein la bouche, et ne se fit pas prier pour se jeter sur le contenu magique du frigo!

Sans même un regard pour son "bienfaiteur", il commença à baffrer comme un malpropre, avec une voracité comparable à celle du grand requin blanc des dents de la mer. Il sentait en lui l'effet presque mystique de la nourriture qui emplissait enfin son corps affamé.

Il ne lui fallut pas cinq minutes pour terminer son plat. Son estomac menaçait d'exploser de cette soudaine et rapide abondance, mais Miguel n'en avait rien à foutre. Après avoir mangé de la merde pendant des semaines, il avait enfin en face de lui un festin digne de ce nom, et ce survivant des rues ne comptait pas repartir avant d'être gavé comme une oie!

Son repas terminé, il se dirigeait à nouveau vers le réfrigérateur. Malheur à celui qui se mettrait entre lui et ce trésor alimentaire...