Novembre 2026

Une pluie fine tombait ce jour-là. La voiture, un taxi noir anglais, se gara dans une flaque d’eau, juste devant l’entrée de l’orphelinat. Une dame à l’air austère, suivie d’une fillette en sortit une fois la portière ouverte. Derrière la grille en fer forgé, une Soeur les attendait sous son parapluie.
Une pluie fine perlait sur les joues de la fillette. Un regard qu’on ne croisait pas tous les jours et des cheveux noirs, elle affichait un air mélancolique, presque absent. Elle jeta un coup d’œil à la grille qui s’élevait devant elle. Elle lui semblait tellement grande, froide et inacceuillante. Comment ne pas se sentir emprisonné une fois de l’autre côté ? La fillette se posa la question au moment où la Soeur vint leur ouvrir.

- Bienvenue, Madame Fitz, nous vous attendions

Un maigre sourire plus tard, Madame Fitz et la fillette se retrouvèrent dans la cour de l’Orphelinat, suivant de près Sœur Marie Espérance.

- La Mère Supérieure vous attend dans son bureau, pour remplir les papiers administratifs

Madame Fitz acquiesça d’un signe de tête et suivit la Sœur jusqu’au bureau de la Mère Supérieure, tandis que la fillette resta là, seule sur le perron. Seule. Une fois de plus. Mais elle ne s’en vexait plus, elle avait l’habitude maintenant. Elle balaya du regard la cour devant elle et à sa grande surprise, aperçut un groupe d’enfants sous un préau qui ne protégeait plus vraiment de la pluie. Même de loin, elle put voir sans difficulté qu’il y avait deux groupes bien distincts. Enfin pour être plus précis encore, une fillette se trouvait face à un groupe de 3 autres filles. Celles-ci, il n’était pas nécessaire d’être devin pour le comprendre, étaient en train de lui chercher des poux. Des éclats de voix lui parvinrent et poussée par la curiosité, elle s’approcha de ces petites demoiselles qui semblaient régler leurs comptes

-… Ca sert à rien de nier, on sait bien que c’est toi ! Qui d’autre aurait pu faire ça à Lucy ?

La plus grande des trois s’en prenait avec véhémence à la fillette qui lui faisait face. Mais même si cette dernière était plus jeune que son interlocutrice, elle était loin d’être effrayée. Ses yeux sombres affichaient une haine et une colère non dissimulée.

- Je n’ai rien fait ! Ce n’est pas de ma faute si cette cruche ne sait pas mettre un pied devant l’autre dans un escalier !

Pas plus tard qu’hier, cette fameuse Lucy était tombée dans les escaliers et tout le monde l’avait d’office soupçonnée de l’avoir poussée, car personne n’ignorait que les deux filles ne s’appréciaient vraiment pas.

- Tu manques vraiment pas de culot ! Espèce de sale petite menteuse ! On va te le faire payer !

L’adolescente, Jessie de son prénom, se précipita sur la fillette qui lui tenait tête. Il ne leur en faudrait plus beaucoup pour se retrouver à terre, sauf….

- Hey !

Peut-être l’intervention de la fillette qui les observait depuis maintenant cinq minutes.

- On t’a jamais appris qu’il fallait t’en prendre à des personnes de ta taille ?

Jessie et l’autre fillette s’arrêtèrent net dans leur mouvement pour toutes deux jeter un coup d’œil à la nouvelle arrivante. Elle n’était pas beaucoup plus grande que Jessie, détail qui n’échappa pas à la demoiselle.

- T’es qui toi, d’abord ? Ne te mêle pas de ça ! A moins que tu ne préfères que je m’en prenne à toi ?

En signe de réponse, la nouvelle dévisagea Jessie et se contenta de dire :

- Eh ben, viens me chercher alors… qu’est ce que tu attends ?

Jessie oublia sa victime précédente et se rua dans un élan de rage sur la petite nouvelle. A cause de l’impact, elles tombèrent toutes les deux sur le sol et il ne fallut pas longtemps pour que les cheveux se mettent à voler. Peu leur importait qu’elles soient à présent trempées et tâchées de boue, elles ne voulaient que s’en prendre à l’autre. Alors tout était bon pour y arriver : doigts dans les yeux, tirer les cheveux ou donner des coups de pieds. De vraies petites chipies… La fillette et les acolytes de Jessie regardaient impuissante la bagarre qui se déroulait devant leurs yeux. Elle aurait pu encore continuer, ou pire mal se terminer si un cri aigu ne les avait pas stoppées net.

- Sainte Marie, mère de Dieu, mais que faites-vous donc, petites malheureuses ?!

Une Sœur, Sœur Régina, accourait en tenant les pans de sa soutane, l’air complètement catastrophée.

- Mais pour l’amour de Dieu, arrêtez-vous !

Elle parvint tant bien que mal à séparer les deux petites furies. Elle aussi, d’ordinaire calme et douce, était très fâchée. Elle souleva les deux fillettes pour les remettre debout.

- Non, mais regardez-vous, on dirait deux petites chiffonnières ! Vous devriez avoir honte !

Sœur Régina était véritablement outrée. Elle exigea des explications sur le champ. Les bagarreuses eurent toutes les peines du monde à justifier leurs actes de façon cohérente et se retrouvèrent toutes penaudes devant la Sœur. Heureusement, Sœur Régina, connue pour sa bonne humeur légendaire se calma rapidement et décida de ne rien rapporter à la Mère Supérieure si les filles promettaient de ne plus recommencer. Ce qu’elles firent… en croisant les doigts derrière leur dos. Inutile de préciser en effet, qu’une haine sans merci est née ce jour là entre le clan de Jessie et la petite nouvelle…

Quelques heures plus tard, dans une chambre de l’orphelinat :

- … C’était pas la peine de faire ce que tu as fait tout à l’heure, elles vont te rendre la vie impossible maintenant… C’est bête, à peine arrivée…

La nouvelle s’était vue attribuée la même chambre que la fillette dont elle avait pris la défense dans le courant de l’après-midi. Destin ou hasard, difficile de savoir… Toujours est-il qu’il ne leur avait pas fallu longtemps pour reparler de la bagarre. La nouvelle regarda sa colocataire et lui répondit en rigolant :

- Ne t’en fais pour ça, c’est pas une bande de petites chipies qui va m’empêcher de vivre !

C’est qu’elle en avait déjà vu d’autre la demoiselle, et elle n’avait vraiment pas peur de quelques gamines qui se prenaient pour le centre de l’univers. Soudain, elle reprit la parole :

- Au fait, je me suis pas présentée, je m’appelle June et toi ?

La fillette regarda la main que June lui tendait et répondit en la regardant droit dans les yeux. Elle ne le savait pas encore, mais jamais elle n’oublierait l’œil bleu et l’autre vert qui la regardaient en souriant…

Décembre 2026

Des bruits de pas résonnèrent dans un escalier en cet veille de Nouvel An. Dehors, la neige fouettait vigoureusement les carreaux. Une fille aux longs cheveux châtains déambulait le couloir principal telle une furie. Une autre aux cheveux noirs lui courait après.

- Attends ! Mais attends-moi s’il te plaît !

L’adolecente s’arrêta et fit face à son amie. Elle se mit à hurler de colère :

- J’en ai marre, June ! Elles me poussent à bout ! Je… Je….

Elle serra les poings. Les paroles refusaient de sortir, tellement la rage avait prit possession de son corps.

- Chaque fois qu’il lui arrive quelque chose, forcément c’est de ma faute ! Regarde ce matin, à la cuisine avec son verre d’eau… Comme si j’aurais pu le renverser d’où j’étais ! Cette fille est une vraie paranoïaque !

June fit signe à son amie de se taire et de se calmer. Elle la prit dans ses bras et murmura :

- Je sais, je sais. Mais c’est ce qu’elles cherchent ! Des filles pareilles n’en valent pas la peine. Ne les écoute pas. Ignore les, c’est la meilleure chose à faire. Et surtout, surtout… apprends à rester calme. Elles n’attendent que le jour où tu pêteras les plombs. Ne les laisse pas gagner…

Octobre 2027

De la fumée.
Des cris.
Des gens qui couraient partout.

L’enfer.
L’enfer sur Terre.

June suffoquait à cause de la poussière dans l’air et suivait la foule à l’aveuglette. Tous comme les gens autour d’elle, elle n’avait pas eu le temps de comprendre ce qu’il s’était passé. Elle avait juste entendu une explosion quelque part au-dessus d’elle dans le bâtiment. Après, l’instinct de survie ayant pris le dessus, elle ne pensait plus qu’à une chose, sortir de là vivante. Elle arriva au milieu de la cour de l’école où elle put reprendre son souffle. Mais rapidement, une interrogation s’empara d’elle. Où était son amie ? Et là, un frisson d’horreur traversa le corps de l’adolescente. Son amie avait cours dans les étages à cette heure-ci…. Alors, ignorant les consignes de sécurité, June fit demi-tour et se précipita dans le bâtiment, à contre courant des derniers élèves qui en sortaient encore. C’était de la folie, elle le savait, cependant June n’avait jamais été raisonnable et ce n’était pas maintenant qu’elle allait commencer. La fumée lui piquait les yeux mais elle continua à monter les étages. Elle appelait son amie, mais chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, elle avait l’impression d’étouffer à cause de la poussière. Finalement, elle aperçut une silhouette qui se détachait doucement de la fumée devant elle. Celle-ci avançait à pas lent, comme si elle ne réalisait pas le danger qui l’entourait.

- Mais bon sang, qu’est-ce que tu fais ? Il faut sortir d’ici ! Ca peut s’écrouler d’un moment à l’autre !

Son amie leva les yeux vers June et murmura calmement :

- June… Tout ça… je crois… je crois que c’est moi…

Pétrifiée par la déclaration de son amie, June la regarda de la tête aux pieds sans comprendre. Elle ne savait de toute façon pas quoi faire d’autre…

Mars 2028

- Tu peux pas me faire ça ! On s’était promis !

Cela faisait plus d’une heure maintenant que le silence, habituel et sinistre, dans les couloirs était ponctué de cris. Les ‘inséparables’ de l’Orphelinat se disputaient et c’était loin de passer inaperçu pour les oreilles des autres pensionnaires.

- Mais je n’y peux rien ! Tu sais bien que si je le pouvais, je resterais avec toi !

June comprenait parfaitement la colère de son amie. Le fait qu’elle se sente trahie. Elle l’avait été elle aussi dans le passé et elle acceptait le fait que son amie lui en veuille. Ca lui faisait autant de mal qu’à elle. Pire encore, savoir que tout ce qu’elle pourrait lui dire ne changerait rien était une vraie torture.

-Mais alors reste ! Reste avec moi ! Qu’est-ce que je vais faire sans toi ?

June s’avança pour prendre son amie dans ses bras, mais celle-ci recula. Elle refusait de lui dire au revoir. Dépitée, June ne put que se diriger vers la porte.

- Je passerai te voir, c’est promis ! N’oublie pas, ne te laisse pas faire… Je penserai à toi. Un jour, on se reverra.

Son amie ne l’écoutait plus, elle lui tournait même le dos pour ne pas lui montrer ses larmes. En cet instant, elle la détestait plus que tout…

Juin 2030

Londres, quelque part en banlieue...

- C’est décidé, Bernie, cette fois je me tire d’ici !

June jeta le reste de son ‘pétard’ à terre et se releva du vieux divan. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle. Décidément, non, elle ne regretterait pas ce squat… Seulement, peut-être, les gens avec qui elle vivait là depuis plus d’un an maintenant. Le dénommé Bernie crachota une ou deux fois avant de prendre la parole.

- Ne me dis pas que c’est encore cette histoire ? Laisse tomber, tu as aucune chance de la retrouver ta copine. Tu t’es déjà pointée là-bas et elle y était plus… Point barre.

En son fort intérieur, June savait que Bernie n’avait pas tout à fait tort. Elle était retournée à l’Orphelinat, dès qu’elle avait pu, comme elle le lui avait promis. Mais on lui avait annoncé qu’elle était partie… Qu’elle avait fait une fugue et qu’elle n’était plus tout à fait la même depuis l’incident…

- Je sais que ça sera pas facile… et que je mettrai peut-être des années à la retrouver mais je lui ai promis… Tu peux comprendre ça ?

June prit son sac, y enfourna les quelques affaires qui représentaient toute sa vie et se coiffa de son traditionnel bandeau. Bernie, lui, la regardait l’air complètement dubitatif. Ca faisait des semaines qu’elle lui parlait de partir et il savait qu’il ne pourrait pas l’en empêcher.

- Bien sûr que je comprends, et je sais que je pourrai pas te retenir quoique je dise. Mais par où tu vas commencer ?

June lui adressa un sourire confiant et lui répondit :

- Là où j’ai le plus de chance de la retrouver… à Boston !

Janvier 2031

June maudit la terre entière ce jour-là. Et tout y passa, de la connerie humaine, au gouvernement américain en passant par la petite vieille qui promène son chien. C’était tous des cons, des abrutis, des imbéciles, enfin vous avez compris l’idée. Elle en oublia même le froid qui ne la quittait plus depuis qu’elle dormait dans les rues. Cachée au coin d’une rue, elle contemplait les restes de ce qui avaient été l’Institut. Détruit pendant la nuit, il n’en restait que des ruines fumantes, les bulldozers se chargeant d’écraser les derniers pans de murs encore intacts. Parmi les soldats, quelques adolescents mutants tentaient encore de fuir mais ils ne les lâchaient qu’une fois ‘piqués’ comme des animaux, délivrant ainsi dans leurs veines le vaccin qui se disait salvateur à tous leurs problèmes.

- Faut pas rester ici ma p’tite dame, ils vont vraiment tout raser…

June se tourna vers la personne qui lui parlait, un sans abri qui comme elle observait la scène et elle ravala péniblement un élan de colère et de dégoût. Non, vraiment les humains n’étaient pas mieux que les mutants qu’ils essayaient en vain de détruire. Cependant, une chose la rassura. Parmi les victimes de cet assaut, elle ne vit pas son amie. Apparemment, elle avait réussi à fuir. Si elle en était contente, June savait aussi qu’elle devrait dorénavant redoubler d’efforts pour la retrouver. Alors qu’elle avait été si proche du but, c’était vraiment râlant.

Année 2032

Finalement, les recherches furent moins difficiles que prévu. Après plus d’un an, elle avait retrouvé la trace de son amie. Celle-ci avait pris la fuite via un réseau organisé pour rejoindre l’Angleterre. Sachant que les Etats-Unis n’étaient plus une terre d’accueil pour les mutants, June avait directement commencé ses investigations du côté des organisations illégales. Elle n’eut ensuite pas besoin de négocier très longtemps pou profiter des voyages qu’ils proposaient. Il suffisait de savoir se montrer assez persuasive. Arrivée en Angleterre, retrouver la trace de son amie fut un jeu d’enfant. En effet, il n’était pas très difficile de deviner où elle se rendrait. C’est ainsi qu’elle la suivit pendant plusieurs mois, hésitant à se montrer. Chaque fois, elle repoussait le face à face, pensant que ce n’était pas le bon moment.

Février 2033

Mais elle ne pouvait le repousser indéfiniment. Ce jour là, elle continuait sa filature discrète. Son amie se rendait dans un endroit inconnu, mais il ne fallut pas longtemps à June pour comprendre. La vieille bâtisse qui se dressait au milieu de la campagne, solitaire, était la seule chose qui rattachait encore son amie à son passé. Son ancienne maison. C’est ici que se trouvaient les dernières réponses à ses questions. June attendit encore, le temps que son amie fasse le tour du propriétaire et qui sait, se rappelle peut-être certaines choses, avant de se montrer. Elle surgit à l’entrée de la propriété au moment où son amie empruntait l’allée principale. Lorsque leurs regards se croisèrent, les deux jeunes filles s’arrêtèrent. Et le silence s’empara des lieux.

-Je…je …

June avait tant attendu ce moment et à présent, elle n’arrivait pas à dire ce qu’elle avait gardé sur le cœur pendant tant d’années

- Ca fait longtemps que tu me suis… Je suis contente que tu te montres enfin

L’esprit de June retrouva sa rapidité et l’air déconfite, elle demanda :

- Comment… comment as-tu su que je … ?

Son amie la regardait, ravie mais l’air relativement calme et un sourire s’imprima sur ses lèvres.

- Tu penses trop fort…

June ne resta interloquée que quelques secondes avant d’éclater de rire.

- Alors on ne s’était pas trompées !

C’était plus une affirmation qu’une question. La jeune femme en face d’elle lui sourit et elles se précipitèrent dans les bras l’une de l’autre.

Année 2041

June regardait les ouvriers sur le chantier, les travaux allaient bientôt commencer. Il leur avait fallu du temps pour récolter les fonds, presque 8 ans, mais ils y étaient arrivés. Et ils n’auraient pas su faire autrement s’ils désiraient rester discret. La grande aventure allait pouvoir démarrer. Bientôt, certains allaient payer pour leur folie destructrice…

Année 2046

June trépidait d’impatience. Comme tous les gens présents autour d’elle, elle avait travaillé d’arrache pied pour que ce jour se déroule sans encombre et reste gravé dans les mémoires. Le Nouvel Institut rouvrait ses portes et June en cela, y voyait un beau pied de nez envers le gouvernement américain qui avait mis tant de hargne à détruire la fabuleuse institution à Boston, voilà plus de 10 ans. Cependant, elle n’avait pas fait beaucoup de chose comparé à son amie, l’investigatrice de ce projet, qui s’y était engagée corps et âme. Et si au départ, ses collaborateurs avaient été surpris par l’investissement de June, elle mit vite les points sur les ‘i’. June faisait partie du projet, ce n’était pas discutable. Et puis, toute paire de bras supplémentaire n’était pas à négliger. De plus, qu’une humaine endosse leur cause ne pouvait que leur être bénéfique. Elle croisa le regard de son amie sur le perron et elle lui murmura :

- C’est le grand jour…

De nos jours

June a rejoint les rangs d’une association lutant pour l’égalité entre les humains et les mutants, la Lib’Corp, abrégé de Liberty Corporation. A force de travail et d’acharnement pour faire valoir les droits des mutants, elle a rapidement gravi les échelons. De plus, de par ses relations, elle a apporté un soutien inestimable à l’association : celui de l’Institut…