Le trajet fut en effet plutôt silencieux, en partie pour les raisons évoquées par Kenjiss mais aussi parce qu'elle ne tenait pas vraiment à mourir bêtement asphyxiée après avoir survécu au mutant. Ce serait plutôt con. En dessous d'eux les toits de la ville se firent de plus en plus rares et la civilisation fit place à la nature. Quand elle trouva la force d'ouvrir enfin ses yeux -qu'elle avait gardé fermés pour éviter un éventuel mal de l'air- June cessa de lancer des coups d'oeil frénétique sur sa montre après deux minutes. Ils avançaient. Vite. Et c'était le principal. Elle s'abstint aussi de regarder trop souvent ce qu'il se passait en bas. Fallait pas tenter le diable ! Alors elle fit la seule chose que son état lui permettait. Elle profita honteusement du contact prolongé dans les bras du mutant. Pour deux individus qui étaient censés se détester, voire s'entretuer, c'est clair qu'à les voir ainsi, c'était vraiment l'image qu'ils donnaient. Cette journée aurait des conséquences. Importantes. C'était à présent inévitable. La jeune femme en était parfaitement consciente. Et se maudit de n'avoir jamais su faire les choses simplement. Pour leur sécurité réciproque -et à son humble avis, surtout pour sa propre sécurité- ils allaient devoir taire cette étrange rencontre, le plus longtemps possible. Même si, se rapprocher ainsi à toute vitesse de l'Institut n'était pas vraiment la meilleure des perspectives pour garder tout cela secret. Mais avaient-ils vraiment le choix ? Non, car pour le moment, un enfant risquait de se tuer. Alors June plaça sa priorité sur lui. Et tanpis pour elle. Tanpis pour eux. Kenjiss devait en être arrivé à la même conclusion puisqu'il ne lui avait même pas demandé son avis avant de la ramener quasi aux portes de ses ennemis. Avec un seul et unique but. Tenter de sauver le jeune Ted. Pour des supposés adversaires, avoir un objectif en commun, c'était peu courant. Quasi exceptionnel en fait. Encore plus vu les circonstances qui devaient normalement les opposer.

Cramponne toi !

Ca, elle ne se le fit pas dire deux fois, resserrant encore un peu son emprise -pas très musclée- sur les bras du mutant. Ils devaient sans doute approcher et June espéra vivement que ce fut le cas, voyant perler des gouttes de sueur sur le front du mutant. Il était probablement en train de pousser son pouvoir au maximun. Au risque de se payer une belle crise cardiaque ! Il devait vraiment être certain de ses performances pour son âge. D'ailleurs quel âge pouvait-il bien avoir ? Elle n'en avait aucune idée et ne le lui demanderait pas maintenant. S'il ratait la dernière ligne droite, June mourrait, écrasée comme une crêpe après une chute vertigineuse. Une fin peut-être directe au moins, au vu de ce qui risquait de lui tomber sur la tête dans les prochains jours ou les prochaines semaines.

La jeune femme ne sut pas très bien ce que le mutant tenta durant sa dernière manoeuvre aérienne, elle avait vivement refermé ses yeux lorsqu'elle sentit son estomac faire un bond du à une subite accélération verticale. Un instant, la confiance -relative- qu'elle avait en Kenjiss vacilla. Ils allaient s'écraser. Le sol s'approchait beaucoup trop vite. Mais heureusement, elle se trompa. Et au lieu du fracas qu'elle s'attendait à subir, elle ressentit juste un freinage lent et délicat avant de retrouver la terre ferme. Elle posa ses pieds sur le sol l'un après l'autre et le tâta prudemment une ou deux fois. D'une pour s'assurer qu'elle était bien arrivée. De deux, pour vérifier que ses jambes suivaient toujours le mouvement. Ce qui ne fut pas tout à fait le cas, en tout cas pour les premiers pas hasardeux qu'elle fit. Comme si l'absence de gravité et la vitesse lui avait ramolli ses muscles. Pour le coup, elle devait avoir l'air fine à tituber comme un gosse qui apprenait à marcher ! Mais elle se retint de retomber dans les bras du mutant, il avait l'air suffisamment épuisé comme ça.

"Non... je crois que ça va, laisse moi juste deux minutes pour retrouver mon équilibre et ça ira" répondit-elle hésitante. De toute façon, je ne peux pas arriver si vite. Ca paraitrait trop suspect. D'autant que... ma voiture est restée à Londres ! Je me vois mal leur expliquer comment j'ai parcouru 50 kilomètres en 10 minutes sans bagnole !

Sur le coup, elle n'y avait plus du tout penser ! Elle allait devoir encore inventer un truc pour ne pas éveiller les soupçons.

"Je dois attendre quelques minutes encore... continua-t-elle à regret car elle n'avait qu'une seule idée en tête, se précipiter au chevet du jeune garçon ! Toi, tu récupères ?"

Dos fermement calé contre l'arbre qui le soutenait, Kenjiss observa, amusé, June vaciller pendant quelques instants, titubant de droit à gauche en tentant de conserver son équilibre. La gravité y était sans doute moins pour quelque chose que la façon dont il l'avait portée, immobile, jambes cassées... Mais Kenjiss n'avait pas envie de la prendre sur son dos, pour la bonne et simple raison qu'à la moindre défaillance de June, elle aurait glissé sans qu'il puisse la rattrapper. Et accessoirement, il préférait la sentir contre lui, accrochée à son bras et à son cou que vaguement appuyée sur son dos... Le résultat était devant lui, June, bien que légèrement choquée, se remettait rapidement.

Kenjiss inspira profondément. Une goulée d'air frais se fraya un chemin jusqu'à ses poumons, encore agités de soubressauts. La course l'avait moins épuisé qu'il ne l'avait craint... C'était plus l'utilisation intensive de son pouvoir qui l'avait vidé, que ses muscles qui protestaient. Il ne s'était pas souvent entrainé à porter des gens sur de longues distances, faute de volontaires...

Oh ça ira... Répondit il à June. Faut croire que je me fais vieux.

Le tatoué retira son manteau. Sa longueur avait des avantages, comme celui de permettre de dissimuler un fusil sans trop de problèmes, mais une épaisseur de cuir, alors qu'il était en plein effort... Il l'aurait retiré bien plus tôt s'il n'avait pas eut June dans les bras. Ses muscles apparurent, saillants de partout... Pas en forme le papy ? Trop vieux ptet ? Certes, la moitié de ces muscles étaient d'origine chimique et préprogrammée depuis longtemps, il n'empêchait que Kenjiss tenait une forme à faire pâlir d'envie un champion olympique...

N'oublie pas que t'as encore deux kilomètres à faire, et à pied ! Tarde pas trop...

Kenjiss s'interrompit en se rasseyant contre le tronc, s'étirant au soleil en songeant au jeune mutant qui était vraisemblablement en train de hurler, s'enflammant sans réussir à s'éteindre... Eux aussi avaient parfois eut des cas difficiles à la Confrérie. Plusieurs s'étaient terminés... Tragiquement, hélas pour les gosses. Genesis n'était pas toujours à l'origine des catastrophe. Des mutants perdaient parfois le contrôle de leurs pouvoirs, paniquant et amplifiant d'autant la puissance dont ils disposaient...

Un pyro... Essayez de le prendre avec une couverture isotherme et balancez de la flotte dessus. Ca étouffera les flammes sans trop le faire paniquer lui, l'eau ne touchera que la couverture.

Kenjiss s'interrompit. C'était triste à dire mais ils ne pouvaient plus rien pour le jeune Ted, à part attendre... Et comprendre peut être aussi. Comprendre autre chose... Bras croisés sur ses genoux, Kenjiss observa sa compagne encore quelques minutes, admirant la fine silhouette qui se découpait dans la campagne environnante. Il sourit... Avant de se décider à prendre la parole, une fois son souffle revenu à la normale, lorsqu'il put parler sans haleter.

Tu sais dans quelle situation on s'est foutu ?

Ce n'était pas un reproche, plutôt une phrase teintée d'ironie... Ils étaient encore en sécurité. Pour l'instant. Autant en profiter.

Petit à petit, June récupéra la mobilité de ses jambes et ses pas récupèrent son assurance habituelle. Elle consulta sa montre, son angoisse montait de plus en plus. Encore deux minutes. Et puis elle décollait d'ici. Enfin plus au sens propre du terme cette fois. Qu'est-ce qu'elle attendait pour avancer plus vite cette fichue aiguille ?! Kenjiss lui assura qu'il récupérait plutôt bien... pour son âge. La question la titillait mais elle verrait ça plus tard, quand Ted n'aurait plus besoin de ses médicaments !

Puisqu'elle n'avait rien d'autre à faire que d'attendre -quel supplice !- elle reporta son attention sur le mutant, profitant sans doute des derniers moments 'tranquilles' que le destin leur accordait. Il en profita pour retirer son manteau avec lequel il devait avoir bien chaud au vu de ses dernières performances, exposant ainsi à la jeune femme son étonnante musculature. La sentir était une chose, la voir en demeurait une autre et June dut faire un effort monumental pour ne pas -trop- le dévorer du regard. Loin de se douter que le corps qu'elle avait devant elle provenait en partie d'un nombre d'expériences pas très nettes dans le but d'en faire une machine à tuer. Elle lorgna une dernière fois sur ses épaules avant de reprendre la parole.

"Ne t'en fais pas, niveau course à pieds, je me défends et j'ai bien l'intention de sprinter ! Ca me rend malade de devoir attendre ainsi..."

Puis il lui conseilla une méthode pour tenter d'aider le jeune mutant dans sa détresse. Elle sourit, reconnaissante.

"La première fois que c'est arrivé, nous n'étions pas équipés de couvertures spéciales... Ca a failli très mal se terminer. En effet, le garçon n'avait du son salut qu'à l'intervention in extrémiste de Léon, leur aquaman de service. Depuis, on a toujours veillé à avoir ses médocs sous la main. C'est la première fois que ça a l'air d'aller si loin. Et c'est ma faute..."

La jeune femme s'en serait mordue les doigts et si jamais, il ne s'en sortait pas... Elle s'en voudrait jusqu'à la fin de sa vie. Heureusement -ou pas ?. Kenjiss détourna sa terrible angoisse sur un sujet tout aussi brûlant. Leur sujet. Elle ne put que lui renvoyer son sourire, un léger pétillement amusé dans ses yeux vairons.

"Je dirais dans une sacrée merde... Pas toi ?"

C'était le mot qui convenait le plus, sachant que l'un comme l'autre venait indirectement de se faire quelques ennemis tenaces, sans même les avoir fréquentés.

"Je..."

Les mots ne sortirent pas. Ce qu'elle voulait dire était trop dur à entendre. Elle fouilla dans son sac et en sortit un bic avec un morceau de papier sur lequel elle griffonna nerveusement un numéro et une adresse. Elle s'approcha du mutant et lui donna.

"Mon numéro... privé. Et mon studio. J'y vais rarement. Appelle-moi avant si tu veux m'y retrouver."

De cette façon, ce serait au premier qui rappellerait l'autre. Pour mettre les choses à plat et discuter calmement des conséquences. Ils seraient obligés d'y passer. Paradoxalement, June n'était pas pressée que ce jour arrive car qui sait ce qui ressortirait de cette conversation? Mais d'un autre, ce serait aussi la prochaine occasion de le voir... Terrible et ô combien cruel dilemne.

"Je dois y aller maintenant. Ils m'attendent. Le petit Ted surtout."

Elle caressa le visage du mutant une dernière fois et l'embrassa délicatement. Qui sait quand elle aurait l'occasion de le refaire ? Et surtout si elle en aurait la possibilité. Puis, elle s'éloigne, laissant Kenjiss sans doute aussi pensif qu'elle. Il n'y avait encore aucune promesse de continuation. Seulement, une vague certitude qu'ils se reverraient. Le tout serait de savoir quand...

Alors qu'elle atteignit l'orée du bosquet, elle se retourna et déclara sincèrement :

"Merci pour ce que tu as fait pour lui."

Et elle entama un sprint, bien décidée à battre son propre record personnel, si bien qu'elle ne tarda pas à disparaître aux yeux du mutant. Elle ne s'arrêterait plus avant d'être arrivée à l'Institut !

Et c'était de sa faute... Kenjiss secoua la tête en entendant l'histoire du jeune Ted. Le mutant qu'il ne verrait sans doute jamais, et qu'il avait pourtant contribué à sauver... S'il survivait. Et malgré tout, June ne pourrait être accusée de sa mort...

Quoiqu'il arrive ce ne sera pas de ta faute. Si tu ne m'avais pas croisé, tu aurais encore attendu à la pharmacie. Quand à sortir de Londres... A cette heure ?! Tu serais encore en plein centre ville, coincée depuis une bonne heure ! Ses chances de survies se sont peut être accrues, au contraire...

Kenjiss sourit, étonné de voir une étincelle d'amusement briller dans les yeux de June lorsqu'il évoqua leur situation. Le mot était faible oui. Sans le savoir, June devenait la cible potentielle d'au moins une personne, une russe fanatique des litres d'hémoglobines, et à travers elle, de toute la force de frappe de la Confrérie... Kenjiss souriait toujours lorsqu'il pensa à sa propre situation, broyé par Lemington, étouffé par Léon... Lui non plus n'était pas en sécurité.

Et bien profond ouais... Son sourire s'effaça. Va falloir être prudent. Sérieusement.

Amène moi Lemington si ça t'amuse... Mais aucune foutue journaliste névrosée par pitié...

Et après l'instant de plaisanterie, le tatoué devina que s'annonçait la phase réellement délicate... June hésita, bafouilla. Il n'ouvrit pas la bouche. Il ne savait pas comment faire, que dire. Kenjiss avait passé sa vie à étouffer ses sentiments, à les dissimuler au plus profond de lui même. Il se contenta de croiser le regard vairon de sa compagne, hochant la tête en silence, brusquement muet...
Quelle ironie. Le colosse confrériste, capable d'abattre une centaine d'hommes sans lever le petit doigt se retrouvait muet, incapable de réagir... Elle lui tendit un bout de papier. Ses coordonneés. Numéro personnel et studio discret. De quoi éviter une nouvelle vague de problème qui ne demandaient qu'à leur sauter à la figure. Ou d'en créer une nouvelle, selon ce qu'ils auraient à se dire... A se réveler... A s'expliquer... Il restait bon nombre de questions en suspens mais aucun des deux n'avait ni l'envie ni le temps de lancer le sujet. On en resterait là. Pour l'instant. Quelques minutes dans une ruelle, puis dans un bosquet pollué longeant une départementale, ce n'était pas vraiment l'idéal pour un premier rendez vous... Ils voulaient plus...
Kenjiss saisit le papier, retint rapidement ce qui y était noté et l'enfourna dans la poche de son jean, juste à côté de son communicateur. Hors de question de laisser ce papier trainer n'importe où...

En attendant, June ne pouvait pas s'attarder davantage. Bien qu'il ne demandait qu'à rester avec elle, à exposer toutes les zones d'ombres qu'il restait à éclaircir, Kenjiss sut faire la part des choses. Un gosse risquait de mourir. Ils batifoleraient plus tard... Autrepart.

Fait gaffe à...

Elle ne lui laissa pas le temps de finir. Leurs lèvres se croisèrent à nouveau, plus légèrement cette fois. Kenjiss ne bougea pas, se contenant de fermer les yeux et de déguster une dernière fois la saveur sucrée des lèvres de celle dont il ignorait encore le nom voilà une demie heure. Puis elle se dégagea. Il effleura ses lèvres de l'index, comme s'il voulait en garder une trace... Et elle se détourna, partant vers l'orée du petit bosquet... Kenjiss fit deux trois pas avant de s'arrêter, la suivant du regard. Elle se retourna pour la remercier.

Bonne chance. Sauve ce gosse...

Le tatoué hocha la tête en silence. Merci... Pour ce qu'il avait fait ? C'était normal après tout, non ? Il n'avait fait que prendre un ou deux risques dérisoires pour une vie d'enfant... La silhouette de June atteignit la sortie du bosquet. Le tatoué leva sa main encore intacte, agita le bras jusqu'à ce qu'elle se retourne. Puis elle se mit à courir et il la perdit rapidement de vue...

P'tain...

Cela résumait bien l'heure qui venait de s'écouler. Pour le moins chaotique. Ce fut à ce moment là que Kenjiss s'aperçut avec horreur qu'il n'avait plus qu'une heure pour retourner à Londres, et assister à la conférence... Il soupira. Avança lentement jusqu'au bosquet récupérer son manteau, encore perdu dans ses pensées... Un curieux vide semblait déjà se creuser quelque part en lui. Mais il n'avait pas le temps pour ça. Vérifiant instinctivement que le papier était au fin fond de sa poche, le tatoué prit son élan... Il devait ressembler à un agent de sécurité du British Museum d'ici une heure. Un agent blond par dessus le marché !