Il était parti, il venait de tout quitter, pour une simple promesse, celle d’un pari gagné, une victoire. Les adieux n’avaient pas été aisés, ses parents s’étaient accrochés à lui, ils n’avaient pas compris sa décision mais à chacune de leur tentative pour le retenir, il avait sapé leur léger chagrin tarissant ainsi cette volonté irritable de le conserver près d’eux. Il fut plus simple de quitter ses « amis », en fait il ne leur avait rien dit et s’était enfui sans un regard en arrière, après tout il attachait autant de valeur à ces gens qu’à un steak, il n’eut aucun remord, et même si des reproches furent formulés à voix basse par ceux qu’il quittait, ils ne l’atteignirent jamais quand bien même il en eut connaissance.
L’avion vrombissait depuis quelques heures déjà, Nathaniel n’avait emporté avec lui qu’une valise à peine, dont l’intérieur était jonché de quelques vêtements, guère plus. Il avait passé quasiment tout le voyage à somnoler ou à regarder les nuages, monstres cotonneux à la solidité incertaine et qui pourtant pouvaient faire œuvre d’une grande destruction. Une des hôtesses fut particulièrement collante durant le trajet, une gentille fille sans doute, plutôt mignonne également, mais dont le cerveau était principalement concentré sur les envies libidineuses de son corps. Principale raison pour laquelle il avait fait mine de dormir une grande partie du trajet et comme cette emmerdeuse trouvait encore le moyen de venir l’enquiquiner, il avait cessé sa comédie et l’avait renvoyé plutôt sèchement là où elle aurait dû être, c'est-à-dire très loin de sa vue, au fond de la cale peut-être voir même dans le vide à 2000 pieds d’altitude après avoir au préalable sauté de l’avion.
Et le temps s’étirait, à croire qu’une minute se transformait en heure. Les autres passagers baillaient, s’ennuyaient ou bien ronflaient bruyamment. Tout ce petit monde rassemblé dans l’appareil métallique rappelait l’image presque morbide de sardines écrasées les unes contre les autres et nageant dans l’huile de leur boite de conserve, c’était plutôt chouette comme comparaison, Nathaniel avait toujours rêvé de se sentir sardine.

« Deux sièges derrière, sur ma gauche, il y a un type maigre à faire peur en train de se curer le nez avec son index osseux, ses yeux sont jaunes et injectés de sang, il a les ongles sales et les lèvres gercées. Six rangées derrière lui, un homme obèse qui s’empiffre de cuisses de poulet salement, son estomac doit avoir au moins la taille d’un tonneau si ce n’est plus. Et là bas encore, une vieille fille à n’en pas douter, ce genre de femmes qui doivent ressentir une douleur dans le bas du dos à chaque fois qu’elles s’assoient. Un autre phénomène devant moi cette fois-ci, un chauve qui se touche la cravate toutes les trente secondes et qui coule des regards vicieux sur les hôtesses à chaque fois qu’elles passent près de lui, et il se retient à grande peine de ne pas élancer sa main vers des orifices obscures et moites qu’il ne peut que désirer. Et ce sont mes semblables, lorsque nous disons que la vie est un zoo, ce n’est pas à tort, nous sommes des macaques. »
Gravures sur le dossier d’un siège.

C’était donc cela le changement ? Maria avait engendré le premier bouleversement dans la vie de Nathaniel qu’il avait voulu tranquille. Alors que rien ne le rattachait à elle, il l’avait suivi. Même cette promesse qu’il avait faite de la détruire un jour complètement ne valait pas toute cette révolution. Et pourtant il se préparait à descendre de l’avion, après avoir été guidé par le feu follet sanglant qu’il l’avait trainé sur des kilomètres, loin de chez lui et de tout ce qu’il connaissait. Il dévala l’escalier de sortie, passa sous de quelconques portiques, suivit quelques embranchements et parvint enfin dans le cœur de l’aéroport, une salle où l’affluence de voyageurs y était considérable et ininterrompue, tant de personnes à peine croisées, parfois ignorées, mais dont le grouillement incessant ne manquait pas d’attirer l’attention.
Il avait rendez vous ici, près d’un banc lui-même situé à coté d’une des grandes baies donnant vue sur la piste de décollage. Son feu follet rougeoyant ne tarderait pas à arriver.

Tandis que Twikjeya en était encore à batifoler avec sa nouvelle amie, Nathaniel laissait son regard errer sur la piste d’atterrissage. Il s’interrogeait sur la probabilité qu’avait un avion de s’écraser près de l’aéroport, et plus encore les causes du dit crash. Une vulgaire panne technique n’aurait rien d’amusant, en revanche une maladresse de l’équipe de vol ou un détournement terroriste le serait davantage. La colère et la rancœur s’ajouteraient aux émotions des familles éplorées ce qui les rendraient dix fois plus savoureuses et…
Il s’égarait, il se devait de méditer sur des idées un peu plus saines, penser constamment à la souffrance des autres risquait de lui porter préjudice à terme. Mais après tout, ce qui lui portait préjudice attisait sa propre douleur donc de ce fait son propre contentement, non ? Fort de cette nouvelle logique, il se remit à s’imaginer témoin extatique de guerres sanguinolentes, de catastrophes naturelles et autres joyeux massacres.
Le fil de ses douces espérances fut finalement interrompu lorsqu’un objet incongru pénétra dans son champs de vision, sur sa gauche. Ce qu’il prit d’abord pour une nappe volante se trouvait être en réalité une femme à l’allure revêche, ce qui contrastait avec son jeune âge. Il la fixa à son tour, et n’eut à attendre que quelques secondes pour qu’elle réagisse enfin :

- Monsieur Albenco ? Je viens de la part de mademoiselle Yevgeniyen

Il mit quelques secondes avant de reconnaître le nom abracadabrant de Maria. Et s’il était déçu de ne pas voir cette dernière, il n’en laissa rien paraître. Il s’approcha de la femme en lui souriant gentiment, sa valise roulant derrière lui. Il semblait y avoir de sacrés phénomènes dans cette confrérie, et celle face à lui ne dérogeait pas à la règle. Emmitouflée dans une robe invraisemblable, portant des boucles d’oreilles qu’on aurait pu trouver grotesques sur un autre visage que le sien, tout en elle respirait le décalage. Nathaniel se figea à une cinquantaine de centimètres d’elle, toujours aimable. L’étrange froideur qu’elle dégageait l’empêchait de s’avancer plus près, visiblement le mot « chaleur » était proscrit de son langage corporel :

- Bien ! Je suis étonné de constater que Maria n’est pas présente, elle m’avait promis de venir elle-même, mais qu’importe. Je suis bien Nathaniel Albenco, je ne vous serre pas la main, je risquerai d’y prendre goût, il n’y a rien de plus désagréable que de commencer une relation sur une telle base, finit-il l’air nonchalant.

Ce qui suivit fut sans doute le plus beau sourire de fausseté qu’on eut jamais vu, un concentré d’hypocrisie voilée et de sarcasmes dissimulés, l’homme politique aurait tout sacrifier pour la maîtrise d’un tel sourire.

« C’est toujours un bonheur que de rencontrer de nouvelles personnes, c’est comme une galerie de peintures, certaines sont fades et sans couleurs, d’autres resplendissantes. Maria brille d’un éclat vermillon sans pareil, peu peuvent se vanter d’être à son égal. J’ai pourtant l’intuition que cette Twikjeya fera un excellent tableau elle aussi, une banquise bleu d’acier peut-être ? Tandis que Maria semble effusion, elle est au contraire parfaite claustration. Elles sont toutes les deux antagonistes, le feu et la glace réunis en un même lieu, j’ai toujours douté être jamais témoin de la cohabitation entre une chose et son contraire. Avec l’élément adéquat, ce doit être explosif… »
Écrit du soir.

- Sommes nous prêts ?

Le sourire de Nathaniel était sans doute rassurant pour beaucoup de ses interlocuteurs mais Twikjeya n’en avait cure. La mission qu’on lui avait confiée était banale, et si monsieur Albenco devait arriver vivant à la Confrérie, il n’était pas spécifié qu’il devait y parvenir joyeux, aimable et détendu. La sombre dame aurait pu tomber sur un abruti complet sans se départir de son air qu’elle espérait agréable. A vrai dire, on évitait en général de lui confier des tâches aussi complexes que le recrutement et le transports des nouveaux arrivants. Si elle était aimable, la jeune slave n’en restait pas moins une interlocutrice déplorable doublée d’une aura de mystère parfois déplaisante. Qu’importe. Twikjeya se força à étirer ses lèvres sur quelques millimètres, non sans en profiter pour s’étirer légèrement, forçant les agrafes plantées dans son dos à déchirer la peau sur quelques millimètres de plus. Elle avait retiré son cilice voilà quelques heures. Le métal commençait à entailler sérieusement la peau, et si la douleur allait crescendo, elle ne tenait pas à en être réduite à boiter, ce qui aurait singulièrement limité son efficacité.

Twikjeya refusait de porter le moindre jugement sur ses interlocuteurs, mais elle ne put s’empêcher de noter qu’il appelait la recruteuse de la Confrérie par son prénom. Maria avait visiblement réussi à mettre à l’aise cet individu, en plus de le convaincre de voyager outre atlantique… La sombre mutante hocha la tête et rouvrit la bouche pour expliquer l’absence de celle qu’elle n’allait certainement pas appeler par son prénom en public.

Mademoiselle Yevgeniyen a eut un empêchement de dernière minute, mais il est probable qu’elle rallie la Confrérie rapidement.

Ne pas lui serrer la main ? Soit… Twikjeya laissa ses longs doigts reposer le long sa robe. Tout le monde pouvait avoir une névrose personnelle… Elle même n’était pas fan des contacts corporels permanents et n’était pas fâchée de les éviter. Gray, la semaine dernière, avait eut le droit au même traitement que Nathaniel, à savoir une chute de température rapide suivant l’arrivée de la mutante. Celui si n’avait visiblement pas l’air choqué par son attitude puisqu’il lui décocha un sourire éblouissant, exactement le genre de sourire qui vous faisaient complexer pendant quelques heures sur la qualité de votre dentiste. Twikjeya se força à un nouveau sourire. Ce type n’était visiblement pas mal à l’aise et elle ne voyait que peu d’intérêts à faire semblant d’être contente de le voir. A l’inverse, les sourires qu’elle s’était forcée à montrer à Virginie avaient permis de progresser rapidement dans un dialogue, d’ailleurs bourré de phrases inutiles, qui avait abouti… A une catastrophe le lendemain matin, même si la jolie petite blonde n’en était pas le moins du monde responsable.

En effet. Suivez moi je vous prie…

Un nouveau déluge de bruits métallique s’éleva lorsque Twikjeya fit volte face pour reprendre la direction du parking. Elle ne prit bien évidemment pas la peine de proposer de porter la valise du jeune homme, pour la bonne et simple raison que l’objet pesait probablement la moitié de son poids. De toute façon, si Nathaniel était galant, il ne s’en formaliserait pas.

Il fallait toutefois croire que le Destin avait décidé qu’aucune récupération de nouveaux venus ne pouvait se dérouler sans la moindre anicroche lorsque Twikjeya en était en charge. A peine l’étrange couple fut il sorti de l’aéroport qu’une sonnerie retentit. La jeune slave décrocha avant même que la première note ne s’éteigne, portant simplement la main à son oreille. Les merveilles de la technologie… S’il était basique, le portable de la dame des glaces était aussi invisible et ne tranchait donc pas l’esthétisme si cher à son cœur. En réalité, une minuscule puce avait été implantée juste avant le tympan. Grâce à l’explosion du marché des nanos technologies ces vingts dernières années, il suffisait désormais de poser une main sur son oreille pour décrocher, et raccrocher. Evidemment, l’engin était également pourvu d’une interface plus pratique pour les autres tâches, mais étant donné l’amour de l’efficacité de la prêtresse, elle n’allait certainement pas sortir son barda pour un simple appel !

Elkash… Pardon ? Dans la boite… Encore ? Attendez moi…

Twikjeya raccrocha. Bande d’abrutis… Comme toujours, le chirurgien en chef avait prit son fix de morphine habituel, était incapable de se souvenir de ce qu’il avait fait des clés de la salle d’opération et en était réduit à appeler la moitié de ses aides soignants pour savoir s’ils pouvaient l’aider à trouver un double rapidement… Ce type était décidément une véritable nuisance. Non content d’être un médecin relativement peu compétent, souvent drogué et incapable de dresser un bilan sans une faute d’orthographe, l’individu était également pourvu d’un physique d’Apollon et avait ainsi gagné les faveurs de la directrice de l’hôpital, laquelle pardonnait les « quelques erreurs » souvent commises. La dame des glaces se revoyait encore rappelée d'urgence pour maitriser une hémorragie tandis que son supérieur se pâmait dans les bras de madame, complètement défoncé...

Twikjeya se retourna vers son protégé qui la suivait bien sagement avec sa valise… La sombre mutante se força à lui décocher un sourire éblouissant, espérant bien réveiller les pulsions masculines basiques, les seules qu’elle parvenait en général à contrôler. Histoire de faire bonne mesure, elle força également l’envoutante mélodie de sa voix, ce qui permettrait par la même occasion de vérifier si monsieur Albenco était un crétin de base ou si Maria avait réellement eut raison de l’inviter à la Confrérie…

Monsieur Albenco ? Seriez vous dérangé par un léger détour à l’hôpital de Vancouver ?

Lorsque Twikjeya lui annonça un détour par l’hôpital, Nathaniel ne laissa pas paraître son exultation. Alors que son visage était toujours figé sur le même sourire, son esprit bouillonnait d’excitation. Il était comme un gosse qui voulait essayer son nouveau jouet, et plus encore, le partager avec sa nouvelle copine. Bien qu’il semblait évident que cette dernière n’en aurait rien à cirer.

- Oh et bien non, cela ne me pose aucun problème, je suis toujours enchanté de voir le lieu de travail de mes connaissances, cela en dit toujours beaucoup sur leur personnalité. Mais sans paraître indiscret, quel est précisément votre fonction au sein de cet établissement ?

Nathaniel remarqua alors que Twikjeya souriait, chose qui dès le départ lui avait paru improbable. Il haussa un sourcil, légèrement étonné. Et pendant qu’ils avançaient tous les deux, le jeune homme s’interrogeait sur la signification du dit sourire sans se rendre compte pour autant qu’une ombre ténébreuse s’approchait d’eux sur leur droite.

- J’te bouffe la chatte salope !

Perdu dans ses méditations, Nathaniel mit quelques secondes à comprendre que le…machin ? qui se déhanchait de manière obscène était en fait une jeune fille à la dégaine provocante. Et forte de cette nouvelle assurance, elle se permit un doigt d’honneur dans la direction de la Dame des glaces. Il se tourna vers Twikjeya et demanda d’un ton amusé :

- Une amie à vous peut-être ? Ou plutôt, qu’avez-vous fait à cette charmante demoiselle pour qu’elle vous en veuille autant ?

L’énergumène ne cessait de s’agiter en tout sens, mimant grossièrement la copulation entre deux chimpanzés. Ils passèrent devant elle et sa silhouette disparut derrière une voiture après quelques injures supplémentaires.

« C’est après ce genre de rencontres que l’on s’interroge sur le bien fondé du voyage. Bien que je sois friand des personnes au profil original, j’espère simplement que les habitants de cette ville ne sont pas tous comme ça. Et pourtant j’ai des doutes, c’est ça l’Amérique, le pays de l’excès, la mesure n’existe pas dans un tel endroit. Je ne me pose la question que maintenant, mais qui vais-je croiser dans cette Confrérie ? Maria est déjà un phénomène, la femme qui marche à mes cotés la vaut largement, dois-je m’attendre à en rencontrer des semblables ? Autant dire que l’intégration ne sera pas chose aisée… »

Ils traversèrent le parking, leur rencontre avec l’adolescente était déjà oubliée car trop insignifiante pour des esprits aussi occupés que les leurs. Qui sait à quoi réfléchissait la sombre princesse, rien d’agréable sans doute, en revanche l’esprit de Nathaniel était beaucoup plus accessible et durant tout le temps qu’ils prirent à arriver à la voiture, l’homme s’interrogeait sur cette impression de déjà-vu qu’il avait ressenti après que le voile glacé se soit abattu sur la conversation. Il n’avait jamais croisé Twikjeya il en était sûr, mais quelqu’un d’autre avait eu avec lui ce même reflexe de rétractation.

« Quelqu’un qui avait un secret à protéger sans doute… »

Jte bouffe la chatte salope !

Tout individu normalement constitué aurait sursauté, hurlé de rage contre la décadence de la jeunesse ou tremblé de peur en aggrippant son sac à main… Twikjeya n’avait pas de sac à main et considérait beaucoup d’adolescents comme des êtres perdus qu’elle se devait d’aider. Ce fut donc avec une surprise remarquablement maitrisée (ou inexistante, certains auraient juré que la jeune slave avait entendu les claquements sourds des semelles de métal de sa tendre amie avant de la voir) que Twikjeya fixa un instant le majeur dressé puis l’accouplement aussi grotesque que révélateur de la dépravation de la jeunesse que la malheureuse lui offrait. Décidément, à chaque fois qu’elle escortait quelqu’un à la Confrérie, quelqu’un en voulait à son corps… Néammoins ce comportement était inadmissible. Twikjeya entrevit brièvement un visage tordu de douleur puis vite effacé par le pare choc de son véhicule mais n’envisagea pas une seconde d’appliquer cette correction. Tout d’abord parce qu’ils étaient en présence d’une foule nombreuse, ensuite parce qu’elle devait mener Nathaniel le plus vite possible à la Confrérie et enfin parce que le demi kilo de métal que la gothique se trimballait sur elle risquait fortement d’érafler sa peinture. Hors, s’il y avait bien une chose que Twikjeya détestait, c’était une apparence mal entretenue, qu’il s’agisse d’elle ou de son véhicule… La jeune slave resta donc de marbre en se demandant toutefois comment la jeune femme, qui fuyait à présent, pouvait marcher avec des bottes de quatre kilos de métal aux pieds. Puis elle tourna légèrement la tête vers son compagnon.

Une simple connaissance monsieur Albenco. Une jeunesse désoeuvrée en mal de repères…

Malgré tout le noir que son aggresseuse portait sur elle, elle n’avait pas le moindre piercing ou marque sur le corps. Hérétique… Ne pas savoir affronter sa propre souffrance. Encore une qui préférait jouer sur son apparence que sur ses convictions profondes. Bien que largement moins excentrique que la malheureuse, Twikjeya ne s’était pas privée d’introduire une sorte de crochet dans son gros orteil gauche, de façon à ce qu’une douleur aigue remonte le long de sa jambe à chaque mouvement. C’était… délicieux, sans être trop distrayant. La jeune slave ouvrit le coffre de sa voiture, sans prendre la peine de vérifier la présence d’un petit sac de voyage noir sur le côté gauche. Il était là, elle le savait parfaitement. Suffisament anodin pour ne pas éveiller l’attention de son client, tout en abritant le nécessaire habituel. Sans compter bien évidemment les quelques lames qu’elle portait sur elle. Depuis la rencontre de charmants individus en accompagnant monsieur Gray à la Confrérie, Twikjeya avait eut le temps de se rééquiper… Et elle était plutôt fière d’elle même. Se taillader à la gorge donnait finalement de bons résultats une fois les premières faiblesses maitrisées… L’ennui était la légère marque que ses lames avaient laissé. Fort heureusement et grâce aux progrès de la médecine, dans quelques jours, le fin liseret blanc aurait disparu.

Je vous en prie monsieur. Quant à votre question… Je suis chirurgienne à l’hôpital général de Vancouver.

A temps partiel, certes, mais chirurgienne tout de même. Ne pouvant appliquer leur politique discriminatoire ouvertement, l’hôpital la payait bien plus que n’importe quel chirurgien à temps plein, du moment qu’elle ne faisait pas de vagues… Sans être riche, Twikjeya était particulièrement aisée, à plus forte raison que la majorité de ses dépenses consistaient à payer le loyer de son appartement, qu’elle n’occupait quasiment jamais. Cependant, mademoiselle Elkash restait un médecin fort compétent et ses capacités étaient plus appréciées de ses collègues que de la direction…
Une personne normale aurait aussitôt interrogé Nathaniel sur ses propres occupations, mais Twikjeya s’en tenait à sa discrétion habituelle. Son compagnon ne connaissait même pas son nom et elle n’allait certainement pas le lui imposer. Son existence importait peu après tout…

La jeune slave ouvrit la porte à son invité, martyrisant sans pitié son orteil gauche en même temps que les principes galants de ces quinze derniers siècles et s’installa à son tour au volant d’un geste coulant, sans le moindre heurt contrairement à quatre vingt dix pour cent des conducteurs qui enchainaient un choc contre le toit, puis qui s’écroulaient sur le volant avant de se redresser en posant leur main sur un coin du siège qui s’affaissait avant de s’affaler dans leur siège, lequel protestait vigoureusement devant le peu de délicatesse de leur passager.

Avez vous des questions monsieur Albenco ? Nous avons cinq minutes de voyage…

Les GPS indiquaient en général un trajet de huit minutes à condition d’avoir une circulation fluide. Quatre minute trente cinq après avoir démarré sa voiture, Twikjeya faisait un créneau parfait sur sa place de parking, ouvrait sa portière sans arracher la peinture du véhicule voisin malgré les trente centimètres à peine qui l’en séparait et se glissa par l’étroit interstice sans le moindre bruit, à l’exception de ses éternelles boucles d’oreilles dont les multiples pièces s’entrechoquaient au moindre mouvement, comme toujours. Nathaniel, de son côté, disposait de près d’un mètre pour ouvrir sa portière d’un geste viril et assuré sans risquer d’envoyer le rétroviseur voisin dans le caniveau.
L’hôpital se dressait devant eux. Twikjeya sourit légèrement en se tournant à nouveau vers Nathaniel. Si ses calculs étaient exacts, ils pouvaient être repartis dans une dizaine de minutes environ, à condition de mettre la main sur son abruti de chef de service, lequel se terrait quelque part dans un recoin de l’immense et sinistre bâtiment gris sale. Peu engageant à vrai dire… Une rumeur circulait parmis les employés, à propos du nombre d’arrêts cardiaques qui augmentaient singulièrement dès que les blessés ou malades sortaient de l’ambulance et s’apercevaient de l’antre qui s’apprêtait à les avaler. Fort heureusement, l’intérieur était bien plus chaleureux…

Je vous en prie monsieur, vous êtes mon invité… Désirez vous voir quelque chose de particulier ici ?


[Hrp : Je n’ai toujours pas le net et je profite d’une fraction de seconde pour poster s’machin écrit hors connexion… Soyez sages, jvais tenter de multiplier les passages de ce genre mais c’est pas gagné. En théorie le net arrive à l’école la semaine, ça pourrait améliorer les choses. Pour le reste, priez France télécom et peut être vous reviendrais je… ]

Son accompagnatrice ne se formalisa qu’à peine de son enthousiasme déplacé, il ne savait pas vraiment si c’est parce qu’il s’était montré particulièrement convaincant ou simplement parce qu’elle s’en moquait éperdument. Sur ces dernières interrogations, ils pénétrèrent réellement dans l’hôpital. Le hall était bondé, des jeunes et des moins jeunes s’entassaient dans une file d’attente qui ne semblait jamais se finir, d’ici une heure les patients feront la queue sur le parking. Mais visiblement Twikjeya semblait privilégier d’un statut particulier, ce qui n’était pas surprenant puisqu’elle travaillait ici, elle dépassa toute cette plèbe empilée pour se présenter directement près des portiques de sécurité qui menaient bien plus loin aux tréfonds du bâtiment. Et bien qu’ils sonnèrent (la raison étant certainement ses boucles d’oreilles qui devaient bien peser une dizaine de kilos chacune) le vigile la laissa passer avec un hochement de la tête. Nathaniel sur les talons de la jeune femme hésita quelques instants à la suivre, mais n’ayant pas réellement le choix, il lui emboitât le pas. Le gardien lui jeta un coup d’œil désintéressé et reprit la lecture de son magazine people ( Au cœur des étoiles, numéro 23457). Le tourbillon de couloirs qui s’en suivit fit perdre tout sens de l’orientation à l’infirmier, le seul point commun qu’il y avait ici avec l’établissement de Londres était l’odeur de formol, en dehors de cette enivrante senteur, il ne reconnaissait rien. Les coloris chaleureux contrastaient avec les teints froids qu’il connaissait, les lumières diffusaient une lueur de bienheureux et les chambres étaient effectivement aménagées afin de remonter le moral aux patientes, Nathaniel cru même apercevoir une frise de ses nounours impies. Après une déambulation qui semblait relever de l’errance, mais sa guide savait où elle se rendait, ils se retrouvèrent face à un casier. La jeune femme apposa son pouce sur un détecteur et l’ouvrit, curieux Nathaniel se pencha sur le coté pour observer l’intérieur du placard métallique, il était vide. C'était moins ce néant qui l'intriguait que l'empressement avec lequel elle referma la porte. En avait-elle honte de son désert?

La spirale de ferraille qu’était sa guide vira brutalement sur elle-même et repartie dans une toute autre direction, ce brutal revirement surprit tellement Nathaniel qu’il faillit s’emmêler les pieds et tomber, ce qui n’aurait pas manqué de lui faire perdre ce qui lui restait de crédibilité. Ils quittèrent le vestiaire et se rendirent dans ce que la jeune femme avait nommé « Laboratoire d’analyse biologique », qu’on appelait simplement labo à Londres. À priori Twikjeya conservait autant de distance avec les autres êtres humains que de kilos d’acier à ses oreilles. Seuls deux timides saluts accueillirent son arrivée dans ce qui ressemblait à une salle de repos. Nathaniel était captivé par la nonchalance avec laquelle la jeune femme clamait sa répulsion d'être approchée, il fallait une certaine forme de courage pour revendiquer son droit à la solitude, et visiblement ses collègues l’avaient très bien compris. Et puis il vint vers eux, indolent et souriant, cet homme qui était la raison de leur présence ici.
Son visage habilement dessiné et entouré d’une flamboyante crinière blonde, sa mâchoire carrée tout juste virile mais suffisamment , sa bouche onctueuse qui s’ouvrait des dents étincelantes qui incarnaient le rêve de tout dentiste, son nez légèrement retroussé et sur lequel s’étalait une petite tache qu’on surnommait parfois selle à fées, et enfin ses yeux bleus, intenses et amoureux, ce genre de regard qui vous donnait des ailes littéralement. Sans que Nathaniel ne sache vraiment pourquoi, il ne l’aimait pas. En réalité il le détestait, il abhorrer ce qu’il était, il haïssait tout ce qu’il représentait, tout en lui le répugnait. Si le jeune homme avait eu sous la main une barre de métal, il lui aurait certainement cassé la gueule, gratuitement et avec rage, afin de faire disparaître ce visage dans des décombres d’os sanglantes. Combien il rirait au dessus de son faciès ainsi détruit, combien il lui balancerait son mépris à la figure, c’était purement jouissif. Mais c’était aussi simple, bien trop simple, un tel homme ne vivait que pour son physique, ôté le lui cet unique avantage et il se retrouve sans rien. Aucune intériorité vraiment, tout dans l’image et la lumière éclatante de ses dents.

- Nous allons à présent rejoindre la Confrérie monsieur Albenco. Kenjiss, le directeur, vous y attend probablement, vous le rencontrerez en même temps que deux nouveaux arrivants.

- Comment ? Ah, oui, bien sûr, et bien je vous suis, répondit Nathaniel après quelques secondes, tiré trop brutalement de ses pensées pour ne pas laisser transparaître son malaise.

« J’ignore pourquoi ce type m’a affecté autant, je n’ai jamais honni qui que ce soit, pas même les brutes qui me tabassaient au collège. Pourquoi alors ? Je crois qu’il me renvoyait une image de moi-même que je n’aime pas, que je voudrais bien détruire. Au fond je suis las d’avoir mal, et je le suis davantage d’en tirer du plaisir. Ma vie ne se résume qu’à ça. Je pars perdant dans tout ce que j’entreprends et cela me satisfait.
Ma mutation m’a enlevé le droit de changer les choses et de vivre pour et par moi-même. »