FELLATION

...

Non…
Aucun effet…
Maria fit une grimace d’agacement et tapota nerveusement la surface du bureau avec ses ongles.
Habillée en tailleur blanc, elle était langoureusement avachie dans le fauteuil présidentiel de Kenjiss, les jambes croisées sur le bureau, déchaussée.
Prise d’une soudaine douleur dans le bas du dos, elle s’étira et repositionna ses fesses de façon plus confortable.
Diable ! Elle allait devoir faire preuve d'un peu plus d’imagination ! Elle tendit le bras et retira d’un vieux pot à stylo métallisé un crayon à papier à la mine bien aiguisée. Les yeux dans le vague, le nez en l'air, elle se mit à en suçoter l’extrémité, cherchant l’inspiration dans la trajectoire de vol d’une mouche.

Nouvelle idée... Les doigts de sa main droite s’agitèrent sur le clavier d’ordinateur :

NUTELLA

...

Toujours rien…
Maria se mordit la lèvre et cassa la mine du crayon sur le bureau. A cet instant précis, l’holophone se mit à vibrer.
Déjà ?
Elle savait exactement qui était au bout du fil. Elle soupira un bon coup et décrocha.
"_ Ça fait exactement un quart d’heure, miss Yevgeniyen."

Maria tourna un regard morne vers l’holoécran. Le sexagénaire au visage de bouledogue atteint de calvitie qui y était apparu la dévisageait avec des yeux de fouine.
"_ Je sais, monsieur Widmore, répondit-elle en reportant immédiatement son attention sur l’écran d’ordinateur, malheureusement, j’en suis toujours au même point !"

"_ Vous êtes une incapable !"

"_ Je vous présente mes sincères excuses, Monsieur Widmore, récita-t-elle d’une voix monocorde sans même le regarder, mais, comme vous, je ne fais que subir la situation actuelle et j'en suis la première désolée. Monsieur Kenjiss avait promis de rentrer avant-hier, juste à l’heure pour signer les contrats. Apparemment, il a décidé de prolonger ses vacances sans avertir personne, ni même laisser ses nouvelles coordonnées. Mais soyez rassuré, Monsieur Widmore, dès son retour, je lui ferai part de votre profond mécontentement !"

Les pixels ultra-sensibles représentant Charles Widmore, président-directeur général d’une multinationale spécialisée dans les énergies électromagnétiques, se mirent à verdir sur l’instant.
"_ N’en… N’en faites rien je vous prie, balbutia-t-il, après tout, avec toutes ses responsabilités écrasantes, Monsieur Kenjiss a le droit à un surplus de vacances."

Maria eut un sourire carnassier : spectacle jouissif d'un dégonflement instantané d'une poule mouillée !
"_ Donc, reprit-il sur un ton beaucoup plus posé, vous n’avez toujours pas pu accéder aux documents qui me concernent ?"

"_ Tout est vraisemblablement dans son ordinateur personnel, monsieur Widmore, lequel est protégé par un mot de passe. Depuis un quart d’heure, j’essaie de l’ouvrir… Armez-vous de patience, je vais y arriver…"

KRONENBRAÜ

...

"_ Hélas, Miss Yevgeniyen, vous le savez, dans notre métier, le temps c’est de l’argent. Je ne peux me permettre de vous octroyer plus de vingt-quatre heures supplémentaires ! Au-delà, je considérerai que nous annulons définitivement nos accords."

"_ Pas d’inquiétude, monsieur Widmore, je suis sur la bonne voie ! Je vous tiens au courant.'

Du gros orteil gauche, elle appuya sur un bouton pour stopper la communication holonet.
Merde ! La disparition subite du patron les mettait tous dans le caca ! Et Mossieur Kenjiss n’avait même pas daigné les prévenir… Sûrement trop occupé à taquiner l'inferior ! Elle sortit son portable et rédigea rapidement un SMS à l’attention de Twikjeya qui, dès les trois premières minutes de retard du patron, avait fait ses valises pour partir enquêter chez Appelbidule à Londres. Maria l'avait encouragé dans sa démarche. Les menaces de mort de la chirurgienne à son encontre flottaient toujours dans l'air, la savoir de l'autre côté du globe était plutôt reposant.
"J’essaie d’accéder à l’ordinateur du boss pour y trouver des indices. Il y a un mot de passe. Une idée ? Moi, je commence à sécher !"

Avant de l’envoyer, elle le relut pour vérifier qu’elle ne laissait aucune faute d’orthographe... Elle savait que c'était susceptible de rendre complètement dingue sa consœur. Elle reposa le téléphone et se reconcentra sur le mot de passe.

En entrant dans le bureau du patron, elle avait commencé par vouloir fouiller les tiroirs. Hélas, ceux qui pouvaient l'intéresser étaient tous munis de serrures biométriques inviolables. Avant de partir, Kenjiss s'était assuré de ne laisser à leur disposition lui que le minimum de paperasse nécessaire... N'avait-il donc aucune confiance en eux ?

Maria s'était alors rabattue sur l'ordinateur et, pour l'ouvrir, avait commencé par tester tous les trucs super évidents : confrérie, mutant, Snake, password, gravity, maman, papa, date de naissance… etc…
Puis, elle avait tenté les noms de personnes importantes pour lui : June, Twikjeya, Lemington, Terry, Maria, Marcus…
En vain...
Depuis quelques minutes, elle passait en revue tous les vices inavouables du patron.

CATCH

...

SUPERBOWL

...

POP IDOL

...

Bide, bide et bide !
Quelqu’un frappa à la porte. A la vitesse de l’éclair, Maria retira ses jambes du bureau, les rangea soigneusement sous elle et reprit une position digne.
"_ Entrez !" Clama-t-elle sur un ton très sérieux.

Avec un peu de chance, la personne qui entrerait apporterait de nouvelles idées !

Quand la porte du bureau s’ouvrit, le visage de Maria fut touché par l’illumination :
"_ Eh, salut-salut Vanessa ! Quelle bonne surprise !"

Elle se leva prestement, contourna le bureau pieds nus et, faisant fi de tous les risques de maladies vénériennes, alla lui faire la bise.
"_ Jouer la boss ? Penses-tu ! J’aimerais vraiment… Hélas, en son absence, Kenjiss ne m’a laissé qu’un maigre os à ronger… Une longueur de laisse tout juste suffisante pour que je puisse me taper toutes les sales corvées administratives qu’il a laissé derrière lui. Je suis encore loin de la couronne !"

Comme une petite fille recevant la visite de sa meilleure copine pour le goûter, Maria rayonnait. Lui attrapant les mains de ses mains gantées, elle détailla la prostituée des pieds à la tête.
"_ Mais dis-moi… Tu es magnifique ! Ce ne serait pas un tailleur Diormani ? Les affaires marchent vraiment du tonnerre pour toi, hors Confrérie !"

La porte-parole avait été la première chagrinée du départ de Tousled. Kenjiss n’était qu’une vieille tête de mule aux idées rétrogrades. Elle avait bien essayé d’intercéder en la faveur de la prostituée mais, depuis le débriefing du naufrage de la plate-forme transatlantique et sa tentative ratée de putch, ses avis ne pesaient plus très lourds.
"_ Tiens, reste là, je vais sur-le-champ te prendre en photo et la mettre en fond d’écran sur l’ordi de Kenjiss… Juste pour le faire baver et lui donner quelques regrets."

Toute sourire, elle saisit son portable laissé sur le bureau pour exécuter son plan machiavélique.
"_ Ah… Excuse-moi une petite seconde... Message vocal de Twikjeya, fit-elle en levant l'index, sans quitter sa mine réjouie, la connaissant, ça devrait être concis !"

Elle porta l’appareil à son oreille et écouta le message. Comme prévu, l’infirmière avait été économe sur les mots. Dès la première phrase, le visage Maria s'affaissa d'un seul coup.
Elle raccrocha, une moue indécise estampillée sur les lèvres.

Kenjiss aurait-il réellement disparu ? Un enlèvement ? Connaissant la bête, cela semblait bien improbable.
Et puis... Quel crédit pouvait-on accorder aux paroles de cette psycho de Twikjeya ? Elle lui conseillait de rapatrier de toute urgence les confréristes… Une attaque était-elle vraiment à craindre ? Ne sombrait-elle pas dans la paranoïa ?

Maria reposa délicatement son holophone sur le bureau et croisa les bras, rongée par le doute. Elle croisa le regard de Tousled.
"_ Désolée, on a un souci, crut-elle bon de lui préciser, notre boss chéri semble avoir bel et bien disparu… Ce qui n’est pas une ultra-mauvaise nouvelle en soi… Mais ça laisse la Confrérie vulnérable en cas d’attaque."

En pleine réflexion, l’index se frottant le menton, elle tourna les yeux vers l’ordinateur personnel de Kenjiss. Tous les bons côtés de cette situation d’urgence se révélèrent subitement à elle.
Cool !
"_ Je sens que je vais être obligée de monter temporairement sur le trône, ajouta-t-elle, une lueur avide s’embrasant dans ses yeux bleus glace, en fin de compte, la couronne n'était pas si éloignée... Veux-tu assister à mon avènement ?"

Le sourire avait replanté sa tente sur le visage de la russe… Un sourire plein de malice…
Voilà un programme qui s’annonçait grisant !

Maria alla s’installer confortablement dans le fauteuil de Kenjiss.
"_ Le programme ? Répéta-t-elle, sincèrement, pour l’heure, je n’en ai aucune idée… Mais tout ce que tu viens de proposer est envisageable ! On avisera au fur et à mesure que l’affaire s’éclaircira. Pour l’instant, ce qui est sûr, c’est que j’occupe une position stratégique."

Avec un doigté agile, Maria entra les deux codes d'accès donnés par Twikjeya.
Sonia… Suivi de Typhanie…
Comme attendu, l’écran s’illumina. Tous les secrets de Kenjiss étaient maintenant à portée de main.
"_ Quand j'aurai un peu de temps devant moi, je fouinerai dans les dossiers, murmura-t-elle, je devrais pouvoir y trouver deux ou trois choses exploitables... Voyons les fonctionnalités de cette machine..."

En quelques clics, elle se retrouva connectée au réseau d’holocaméras. Ce qui innovait par rapport aux moniteurs de la salle de contrôle était la possibilité d’écrire le nom d’une personne dans une barre de recherche pour qu’elle soit immédiatement localisée et que l’holocaméra la plus proche s’active et fasse un zoom… En cas d’échec, l’ordinateur extrapolait en fonction de ses données et émettait une hypothèse quant à la probable localisation du sujet. En clair, une véritable fonction "Carte du Maraudeur". Épatant ! Un rêve pour les voyeurs !

Poussée par une curiosité de fouine, elle testa à la suite les premiers noms qui lui vinrent à l’esprit :
Nathaniel Albenco : en train d’arpenter le couloir menant à la salle d’entraînement.
Daniel Gray : appuyé contre un mur près de la salle D05, faisant le coq devant un groupe de jeunes étudiantes en chaleur admiration.
Terry Nohlann : absent… Localisation probable : Green Scale.
Emmett : dans sa chambre, en peignoir, affalé dans son canapé face à une télé antique diffusant un vieux film en 2D poussiéreux…
Marshall Lewis : absent… Localisation probable : extérieur, à faire un footing dans le parc.
Nash Di Stefano : absent… Localisation probable : Centre de Vancouver, à la recherche d’un bureau de tabac ouvert.
Henry : salle D05… en train de dispenser un cours d’économie devant une classe d'adolescents studieux.
Miguel Ramos, le nouveau : couloir A2... En pleine discussion avec le chef-cuisinier de la Confrérie.

Un soupçon de déception pointa son nez dans le cœur de Maria, elle en fit part à Tousled qui regardait l'écran par-dessus son épaule :
"_ Mes confrères sont désespérément sages, tu ne trouves pas ? Soupira-t-elle, ennuyeux à mourir même ! Mais je parie que Kenjiss garde sous le coude quelques vidéos compromettantes de chacun d’entre nous ! Je fouillerai plus tard !"

Et sur elle ? Que pouvait-il avoir sur elle ? Si la chambre d'Emmett était accessible... La sienne devait sûrement y être. Cela vaudrait certainement le coup de passer au peigne fin sa salle de bains et sa douche.
"_ Pour l’heure, reprit-elle en passant sur une autre fenêtre d'exploration, il y a plus urgent. Il faut protéger tous ses petits innocents et les habituer à la douce voix de leur future directrice."

En une série de clics, elle entra dans le système de défense de la Confrérie et activa toutes les sécurités. Elle ouvrit le micro connecté à l’ordinateur. Sa voix serait répercutée aux quatre coins du bâtiment et serait même entendue dans le bureau de Terry au Green Scale :
"_ Votre attention à tous, fit-elle sur le ton qu'utiliserait une vendeuse de supermarché pour vanter une promotion de 50% sur un quelconque article de plage, suite à un problème de sécurité, nous venons de passer au niveau d’alerte DEFCON 4. Par conséquent, vous le savez, les cours sont annulés jusqu’à nouvel ordre, tous les élèves sont conviés à rejoindre leurs chambres. Ils seront placés sous la surveillance d’Emmett, épaulé par les délégués de classe. Les sorties sont suspendues, le système de défense du parc est activé. Les communications avec l’extérieur seront temporairement surveillées. Le repas de ce soir sera servi aux heures habituelles. Tous les adultes concernés doivent rejoindre le centre de contrôle de toute urgence. Bonne journée à tous !"

Elle coupa le micro et repassa en mode Maraudeur. Dans la salle D05, elle vit les élèves se lever calmement et ranger leurs affaires dans la bonne humeur. Aucun mouvement de panique à l’horizon. Sans doute prenaient-ils cette annonce pour un de ces entraînements de 24h qu’ils subissaient une fois tous les six mois. Peut-être en aurait été il autrement si elle avait avoué qu'ils étaient directement passé au niveau DEFCON 3.
"_ Et voilà le travail, fit-elle en croisant les bras, l’air satisfait, il ne reste plus qu’à descendre au centre de contrôle et à briefer toute la petite équipe.
Vanessa, maintenant que Kenjiss est aux abonnés absents, tu es la bienvenue ici ! Par contre, si tu souhaites partir c’est maintenant ou jamais… Je n'ai aucune idée de comment la situation va évoluer."

Dany était rentré de Broadway voilà deux jours. Un petit séjour improvisé chez la sœur ainée. Ça n’était pas arrivé depuis au moins cinq ans ! La raison ? Car Claire Smith Gray avait toujours une raison pour le contacter. Leur relation était ainsi, basée sur une suite de bons procédés. Deux raisons à cela. Daniel n’aimait pas beaucoup son beau-frère. Et sa sœur était mal à l’aise avec la mutation. Ces deux faits réunis ne leurs laissaient pas beaucoup d’occasion de faire des efforts. Ceci dit, à bientôt vingt-sept ans, la fille s’était assagie avant le fils. Elle avait donc proposé que son petit frère vienne passer une quinzaine aux states. Drôle d’expérience…

Ce qui fût le plus épatant, fût ce petit nourrisson qui l’accueillit en gazouillant, sur le palier de leur appartement. Molly. Molly Caroline Smith Gray sa petite nièce. Elle avait déjà les cheveux bruns des Gray et les yeux verts de son père. Deux semaines à peine qu’elle était entrée dans cette famille. Cette révélation l’obligea à accepter qu’il ne s’était pas soucié de la vie de sa sœur durant au moins les neuf derniers mois. De quoi lui asséner une bonne claque. Daniel n’avait jamais été particulièrement attiré par les enfants. Ils le gênaient plus qu’autre chose.

Pourtant le 26 décembre 2051 resta bien planqué dans un coin de sa tête. Voila au moins une date qu’il n’oublierait pas. Claire aussi avait changé. Bien sûr elle avait prit des hanches et sa poitrine avait doublée de volume. Plus encore elle semblait apaisée. Son congé de maternité lui permettait de se découvrir tous les instincts protecteurs. Elle avait aussi beaucoup lut. Sur les enfants d’aujourd’hui. Et la question s’était irrémédiablement posée. Est-ce que sa fille serait comme Dany ? Alors enfin le sujet avait put être abordé.

Maintenant il était entrain de montrer une photo de cette petite nièce à trois jeunes confrériste tout à fait charmantes. Et derrière le masque de l’oncle charmé s’était un véritable protecteur qui était entrain de voir le jour. Cette rencontre l’avait persuadé. Il éprouvait enfin le désir de prendre soin de quelqu’un d’autre. Claire qui connaissait mieux son frère que lui-même entretiendrait ce lien avec pertinence. A l’inverse de madame Gray elle avait encore espoir en l’héritier mâle.

La voix de Maria lui déclencha immédiatement une réaction disgracieuse à la bouche. Mais comme les triplettes écoutaient avec attention il dû faire de même. Tiens, tien… DEFCON 4. Alors pourquoi une convocation ? Il fit une petite plaisanterie sur son futur rôle de superman, salua avec jeux ses petites proies avant de marcher en sens inverse dans le couloir. Ça faisait plusieurs semaines qu’ils n’avaient pas eues droit à une « réunion ». la rumeur disait que le patron se prélassait aux Bahamas. Le jeune Confrériste n’avait pas oublié celle qu’il avait lui-même lancé en début de juin. Il y avait une chance sur deux pour que le flirt se poursuive sur les îles privées…

Il fût le premier à entrer au Centre de Contrôle. Les lumières s’allumèrent automatiquement. Une petite machine se déclencha aussi pour lui préparer sa manzana. Il était peut être un peu tard pour l’apéro mais quelque chose lui disait qu’un petit remontant allait être utile. Il poussa l’un des sièges en milieu de ligne. S’installant les pieds sur la table avec un petit sourire amusé. Kenjiss allait encore devoir se plaindre. Les manches de son polo blanc remontées jusqu’aux coudes. On lui avait toujours dit que les colles roulées lui allaient bien. Un petit air sage en plus. Il avait sur les genoux l’un des portables à disposition de la salle. Il pianotait tranquillement à la recherche d’une idée de voyage pour l’anniversaire de son père.

Terry n’avait pas pu s’empêcher de jeter un œil au calendrier ce matin. Pas encore inquiet, mais presque. Bien que Kenjiss faisait ce qu’il voulait de sa vie privée (et qu’il lui avait assuré qu’il le laisserait bien tranquille à ce sujet), ce n’était pas dans ses habitudes de rentrer à la Confrérie plus tard que prévu. Alors bien sûr, l’hypothèse du séjour prolongé en compagnie de June était plus qu’envisageable. Si le tatoué avait pu passer par delà son statut d’humaine, il était fort probable qu’il parvienne à supporter son caractère plus que… flambant dirons-nous. Mais le Caméléon avait un pressentiment. Quelque chose –il ignorait encore quoi- le dérangeait dans cette histoire. Peut-être s’en faisait-il trop. Peut-être était-ce du à cette escalade de violence et la recrudescence de la haine envers les mutants aux environs de la frontière américano-canadienne. Peut-être.

Le mutant tenta de s’en persuader tandis qu’il vérifiait les stocks de son bar, aidé dans sa tâche par la jeune Hailey. Jared était dans la salle et s’occupait des commandes tandis que Joe préparaient les cocktails derrière le bar. Des cheveux noirs de jais et assez longs émergèrent de derrière une pile de cartons

"On a plus de citrons verts, ni de sucre de canne. Tu peux en ajouter sur ta liste ?"
-C’est comme si c’était fait !

La jeune femme lui envoya un grand sourire et griffonna à la volée la quantité de provisions manquantes. En fait, elle aimait bien bosser ici. Bon, le patron était parfois bizarre, mais dans l’ensemble elle devait reconnaître qu’il était plutôt sympa. Et surtout, pas contrariant. Elle n’avait pas à se plaindre. La jeune femme savait qu’elle aurait pu tomber ailleurs et avoir beaucoup moins de chance. S’assurer du bien-être d’un caméléon et d’un perroquet c’était quand même plus cool que de supporter pendant son service le regard vicelard de votre patron couler en permanence sur vous, non ?

Le mutant lui envoya un sourire ravi. Lui aussi avait conscience de la chance d’avoir des employés sympathiques et –dans le cas de la demoiselle-plutôt jolie. C’était toujours bénéfique face à un client.

"Parfait, après, il ne nous restera plus qu’à… "

Terry s’interrompit, alerté par un signal qu’il n’aimait pas entendre. En général, ce signal n’annonçait jamais rien de bon. Il se précipita dans son bureau, une petite pièce située à l’arrière du bar et écouta attentivement le message. Immédiatement, le caméléon perçut le degré de la menace. Un ‘problème de sécurité’ suivi dans la même phrase d’une ‘alerte de niveau DEFCON 4’ ça n’annonçait VRAIMENT rien de bon. Sans compter ce satané présentiment… Malgré lui, le mutant sentait la catastrophe lui arriver en plein nez

Le mutant ressortit de son bureau aussi vite qu’il en était entré et précisa à son employée

"Je dois y aller. Une urgence. Je vous confie le bar. Terminez de servir les clients qui sont entrés. Et attendez qu’ils sortent. Je ferme derrière moi. N’acceptez plus personne, sous aucun prétexte. Il ajouta même, et soyez prudents quand vous rentrerez chez vous"

Ses employés étaient au courant de son appartenance à la Confrérie. Hailey n’était pas stupide, elle comprit rapidement que son patron ne rigolait pas quand il parlait d’une urgence. Surtout vu sa tête. Et surtout avec toutes les précautions qu’il venait de lui dicter. Elle lui lança un regard inquiet et opina du chef.

-D’accord. Ne t’en fais pas pour nous. On va se débrouiller. Sois prudent aussi

Eh oui, parce que dans le bar de Terry, on se tutoyait aussi. C’est plus agréable pour travailler. Et le mutant se fichait pas mal de l’étiquette.

Terry s’assura que ses employés pourraient gérer la fin de la journée. Il ignorait encore ce qu’il s’était réellement passé à la Confrérie, il était inutile de les affoler davantage. Et sans un mot de plus, il quitta le Green Scale pour se retrouver sur le seuil de la Confrérie vingt minutes plus tard.

Oui, il avait fait vite. Oui, il avait à peu près grillé tous les feux rouges de Vancouver, mais tanpis. La situation pressait.

Lorsqu’il franchit la porte de la salle de contrôle, deux têtes étaient déjà présentes, Daniel et Nath’. Il ne côtoyait pas souvent le second. Quant au premier s’il était là aussi… Daniel était au courant de la relation particulière de leur patron. Ce qui n’était pas le cas de Nath. Cette affaire ne concernait donc pas June ? Par contre, le mutant ne tarda pas à remarquer l’absence de Kenjiss. Et un nœud qui se resserre, un !

"Que se passe-t-il exactement ici ? Pourquoi avoir déclenché le DEFCON 4 ?