-« Donc, je ne dois pas lui parler de vous ? »

L’une comme l’autre était entrain de sous peser ce que leur connaissance commune était entrain de vivre. C’était l’épreuve d’une vie : Perdre l’homme de sa vie. Virginie ne pouvait qu’imaginer la souffrance. Elle n’avait encore jamais perdu personne. Sa mère avait réchappé à son accident de la route. La mort avait épargné son petit monde. Elle avait bien essayé de se mettre à la place de June. Elle avait essayé de voir la vie sans Luc. Mais tout son être s’opposait fermement à cette projection. C’était tout simplement intolérable. Son empathie lui faisait comprendre à quel point une telle perte pouvait s’avérer destructrice.

-« Si seulement on avait été plus rapide à trouver ! »

Cette réplique trahissait toute la culpabilité qu’elle ressentait. Virginie avait beau revivre chaque minutes de la mission elle ne comprenait pas pourquoi ils n’avaient pas put sauver Kenjiss. Que s’était-il passé du côté de la confrérie ? Il y avait des détails qui ne collaient pas. Mais la mutante ne se sentait pas en droit de poser ses questions aux intéresser. Leur communauté devait rester soudée. Montrer des signes de doutes n’était pas une bonne idée. Plus tard peut être aurait-elle le cran, l’audace, de retourner à la Confrérie. Mais chaque chose en son temps !

-« Si vous voulez oui… mais j’ai souvent des portions… gargantuesques. »

Il ne fallait surtout pas se fier à sa petite stature. La demoiselle était une vraie ogresse. Elle brûlait si vite les calories que sa gourmandise n’était jamais totalement assouvie. Les danaïdes auraient été aussi en peine de la nourrir que de remplir leur puit. On lui avait affirmé que son organisme allait progressivement se stabiliser. Cependant elle adorait manger et n’envisageait pas de devenir raisonnable sur ce point. La vie était toujours plus belle après un bon beignet à la fraise ! Elle acquiesçait d’un sourire tout en se levant. C’était facile maintenant qu’elles pouvaient se retrouver sur le réseau du Contrepoison. Ses yeux pétillèrent soudain de malice devant la demande de la jeune femme.

-« Est-ce que vous aimez la cuisine italienne ? Il y a un petit restau pas loin qui fait des raviolis à mourir. »

Une gourmette de sa trempe ne ferait jamais un compliment culinaire à la légère. Les papilles d’une mutante en pleine évolution étaient très (très) exigeantes. Peut être était-ce de parler du diner, ou bien de June, mais Virginie semblait plus à l’aise. Elle plaçait la bandoulière de son sac sur son épaule et se dirigeait souplement vers la sortie. Joé, lui fit un petit clin d’œil en la voyant passé, et lui lançant un « à la prochaine » plein de paternalisme. Le vent de janvier les prit immédiatement d’assaut ne la faisant même pas sourciller.

Elle longea la rue et marchait tranquillement comme celle qui connait son chemin. Elle observait la nuit londonienne avec admiration. Tous ces inconnus ignoraient ce qui se tramait dans l’ombre. Elle songeait à Valérie, à Basile, à Jimmy, loin d’ici et pourtant au cœur de toute cette intrigue. Ils étaient si nombreux à chercher, à espérer, vivre en paix. Ses pieds glissaient sur le trottoir sans perdre leur appui. Le jeun improvisé lui donnait envie de retourner à la patinoire… mais quand en aurait-elle eu le temps ? Elles passèrent non loin de l’appartement des Parish que la jeune fille se força à ignorer.

Et puis l’enseigne se mit à briller à quelques mètres : « Italia y pasta ! » la paire de yeux bleus se tournaient vers la professeur d’un air inquisiteur. Elle avait un air de petite fée sur le point d’ouvrir une porte enchantée. Rien à voir avec une résistante bataillant sur tous les fronts. C’était sans aucun doute dans cette capacité à vivre les choses que résidait sa plus belle force.

[HRP: Je Propose qu’Ève fasse son entrée à ma suite. ^^ Encore merci Elie ! ]

Ce qui se tramait sous la surface lisse des rues londoniennes échappait sans le moindre doute à la plupart de ceux qui y flânaient ce soir. Bien peu d'humains auraient pu ne serait-ce qu'entrevoir les enjeux animant le monde mutant, les enjeux qu'incarnaient ces deux jeunes femmes d'apparence anodine. Plus encore, nombre des mutants eux-même ignoraient presque tout de ces courants d'influence sous-jacents. Ivy, par exemple, aurait été la dernière à pouvoir dire ce qui se jouait ici.
Mais d'un autre côté, ni l'une ni l'autre des deux passantes ne savait quoi que ce soit de son monde à elle.

Depuis plusieurs mois déjà -combien exactement, elle avait perdu le compte- l'adolescente errait dans l'underground londonien. Parmi les marginaux, les camés, les clochards et les fous, elle avait trouvé sa place. D'une manière parfaitement inconsciente, elle était partie à la recherche d'un lieu où personne ne lui tiendrait rigueur de perdre pied, où personne d'ailleurs n'écouterait ses divagations de plus en plus incohérentes. Ce lieu, ou faudrait-il dire ce "non-lieu", elle l'avait trouvé en plein coeur de la ville, sous le regard même des gens normaux. Ce n'était pas un endroit ; c'était un état. Alors, docilement, elle s'était laissé glisser.
En quelques jours, Ivy eut l'air d'être dans la rue depuis toujours. Quelques jours, 72 heures tout au plus passées à manger trop peu, trop sale, trop dégradant ; 72 heures à marcher toute la journée pour dénicher ce qui serait l'abri du soir : aussi loin des cops que possible sans être trop isolé pour autant. 72 heures sans se laver, se changer, ou en avoir quelque chose à faire de sentir de plus en plus mauvais. La constatation étonnée que la crasse tient chaud.
Quelques jours seulement, et déjà tant de découvertes amères sur ce monde sous le monde que les gens "normaux" n'appréhendent même pas. Le goût si particulier de la nourriture des bennes. Ce froid constant qui s'empare de vous passé un certain niveau de faim et/ou de sommeil. L'humidité, terrible, des vêtements qui ne sèchent jamais vraiment. Le regard des gens qui commence, tout doucement, à glisser sur vous comme s'il en allait de leur survie de ne pas vous voir. Les premières nuits et la réalité de la faune qu'on trouve sous les ponts. Les premiers coups. Les premiers viols.

Puis l'abandon progressif de ces valeurs qu'on ne savait même pas posséder.
Ce n'est presque pas pourri. Ce n'est qu'une mauvaise odeur. Ce n'est qu'un coup de latte. Ce n'est qu'une dent déchaussée. Ce n'est qu'un coup de reins. C'est pas grave. C'est pas grave. Je vis.

Puis le néant. Continuer, de temps en temps, à taxer "une petite pièce, s'il vous plait". Par réflexe plus que par besoin. Être en permanence high, perchée, défoncée. Faire pour ça des choses de plus en plus basses, et ne même plus en souffrir.
Voilà ce qu'était aujourd'hui, quelques mois plus tard, le quotidien insoupçonné de la petite mutante qui s'était présentée aux portes de l'Institut - et qui avait fui. Ironiquement, il n'y avait aucun nouveau tatouage "sauvage" à déclarer, son corps n'ayant même plus l'énergie de manifester son pouvoir.

C'est donc sans avoir conscience de qui elle abordait -mais après tout, avait-elle encore quelque chose à voir avec ces deux femmes ?- qu'Ivy sortit de l'ombre d'un porche pour s'avancer vers Virginie et Elie. Titubant légèrement, comme toujours, elle tendit la main dans ce geste universel de la supplique. Et d'une voix rauque, fêlée, elle articula en direction de celles qui n'étaient plus ses semblables :

"Une petite pièce pour manger... s'il vous plait ?"

"Je préférerais que tu t’en abstiennes, en effet. Pour quelques temps encore"

La jeune femme n’était pas sur les lieux au moment tragique. Elle ne savait pas quoi dire et choisit de se taire. Les réponses seraient apportées, un jour ou l’autre. Un crime ne restait jamais impuni, Elie en était persuadée. Tôt ou tard, la vérité et les circonstances exactes de la mort du tatoué verraient le jour. Mais en attendant, les deux femmes avaient faim et l’une d’elle avait apparemment plutôt bon appétit. Elie la rassura d’un sourire

"Ce n’est pas grave. Il n’est pas interdit de se faire parfois plaisir et quoi de mieux pour cela qu’un bon repas ?"

Elles quittèrent le café et laissèrent deux personnes de plus envahir les lieux. Elie inspira l’air nocturne londonien. Il n’était pas spécialement bon, mais se sentir vivante se révélait être une sensation plutôt agréable, surtout en ces temps qui s’annonçaient sombres. La jeune femme suivit Virginie. Elle ne connaissait pas bien Londres et préféra donc lui faire confiance. Français, chinois, espagnol ou italien, elle aurait de toute façon pu avaler n’importe quoi !

"Va pour l'italien, ça me tente plutôt bien !" déclara Elie dans un sourire presque affamé

Lorsque l’enseigne apparut sous ses yeux, Elie sentit son estomac faire un bond. Il était temps de passer à table ! Mais quelque chose d’autre fit également son apparition sous le nez d’Elie. Ou plutôt quelqu’un. Oui, sous la masse de cheveux en bataille qui se présenta devant la jeune femme, il y avait un visage. Et sous les vêtements crasseux, un corps bien humain. Elie s’arrêta stupéfaite et répondit sans réfléchir :

"Je ne pense pas qu’une pièce suffise à te nourrir correctement"

La jeune femme était de nature généreuse et spontanée, peu lui importaient les convenances. Deux qualités qui se faisaient rares de nos jours. Elle se tourna vers l’adolescente, surplombée de l’enseigne du restaurant. Penserait-elle à la même chose qu’elle ?

(pas très inspirée ce soir, désolée les filles, mais l'important c'est d'avancer !)