Le 52éme congrès sur l’énergie propre ouvrait ses portes le lendemain et comme le voulait la coutume, il était précédé par un grand dîner, auquel était convié chaque participant ainsi que leurs proches. Les Gray étaient bien entendu du nombre. L’aînée de la fratrie avait encore une fois décliné l’invitation, laissant ainsi le champ libre, à son frère, seul fils de l’un des plus importants chefs d’entreprises des trente dernières années.

Le grand hôtel était à présent le vivier de tout ce que l’Europe comptait d’hommes d’affaires prêts à rivaliser avec Crésus. Ils y parvenaient et participaient sans conteste au maintien d’un rondouillard PIB. Les employés étaient spécialement briffés pour cet événement, qui faisait une part non négligeable du chiffre d’affaires annuel de l’établissement. Le client n’était plus un roi, mais un empereur dont les moindres petits désirs devaient trouver satisfaction.  

Dans toute la clique, les plus intraitables de tous étaient les héritiers. La jeunesse dorée, élevée dans le luxe et l’éclat, se faisait un plaisir d’abuser de leurs droits. Daniel venait ici pour la troisième année consécutive. Sa réputation de provocateur Casanova le précédait et depuis quelques mois maintenant, sa condition de mutant également. Si cette affirmation publique avait dégoûté quelques camarades de jeu, elle avait aussi éveillé un tout nouvel engouement pour la question.

Bien vite les jeunes en mal de vivre s’étaient fait un plaisir de provoquer les pouvoirs politiques en organisant des soirées très… spéciales. Lors de ces regroupements, aucun humain ne pouvait rentrer sans l’invitation d’un mutant. Et à l’abri des oreilles de leurs paternels, toute une génération, fantasmait un monde à leur pied. Le plus souvent celles du Congrès se déroulaient au dernier étage de l’édifice.

Pendant toute une nuit, aucun individu de plus de trente ans n’avait le droit d’entrer. Les fauteuils de cuir, le champagne, les néons, la musique basse, tout était là pour créer un nid doré. Les festivités ne débutaient pas avant minuit et ne finiraient avant l’après-midi. Les toits étaient investis comme une gigantesque piste de danse plus électro qu’autre chose et pouvant rivaliser avec les clubs de Saint Trop’.

Mai adoucissait enfin l’air londonien. Les filles sortaient des robes plus courtes les unes que les autres. Bien vite une ambiance assez électrique s’emparait de tout l’étage. Daniel entra dans l’assesseur vers les deux heures. Il avait déjà un peu bu. Sa veste avait depuis longtemps rejoint les vestiaires, ainsi que tous les semblants de bonnes résolutions des dernières semaines. On lui avait retiré ses plâtres une semaine plus tôt. Il comptait fêter dignement son retour dans les sarts !  

La silhouette mince, du jeune millionnaire, disparaissait dans la foule. Il ne quittait pas ses tenues noires si pratiques pour disparaître rapidement. Ses traits affichaient une pointe d’amusement, tandis qu’il inspectait la foule, à la recherche d’une victime. Après plus d’un mois dans la peau d’un infirme, il éprouvait un désir vif de se réaffirmer. Un verre dans une main il déambulait dans les couloirs de l’étage avec la lenteur d’un prédateur.

C’est là qu’il aperçut des plumes. Dans son esprit aviné, l’image de l’ange s’alliait parfaitement à une envie puérile de jouer au démon. Loin de la confrérie et de Maria, il pouvait enfin reprendre ses anciennes habitudes… Il alla chercher un cocktail, à l’un des bars les plus proches, avant de s’avancer tranquillement vers la mutante. Elle était un peu jeune… mais bien assez grande aux goûts de Gray.  Il s’arrêta lui tandis le verre, sans vraiment sourire, mais avec au fond des pupilles une malice tout à fait explicite.

-« Tu vas provoquer bien des péchés à déambuler comme ça petit ange. »

Daniel avait la chance d’avoir d’être beau selon les canons de cette époque. Il était en plus riche et sûr de lui. La petite suffisance dont il faisait preuve arrivait à agacer et séduire ses conquêtes. Pour l’heure il s’amusait surtout à jouer au grand méchant loup.

Le mois de Mai montrait enfin le bout de son nez et comme disait le vieil adage : « En Mai fait ce qu'il te plait ». Cela faisait maintenant un petit mois que j'avais rejoint l'Institut et je commençais à m'habituer à mon nouvel environnement, totalement propice à l 'épanouissement de la mutation que je portais. Si au début, j'éprouvais encore une petite appréhension vis à vis du « droit » que j'avais de pouvoir ne plus cacher mes ailes, j'avais bien vite retrouvé le goût de cette liberté que je devais trop souvent brimer en temps normal. Ce n'est pas que je n'acceptais pas ma mutation ou autre chose, bien au contraire, mais c'était juste que dans un environnement non protégé comme celui de l'Institut, être une mutante et le montrer (sans le vouloir) pouvait nous exposer à de nombreux dangers.

Ainsi donc, quel plaisir j'éprouvais au simple fait de ne plus avoir à me cacher. Bon, bien évidemment, seulement si je restais dans le périmètre de l'Institut, mais ce dernier était suffisamment vaste et diversifié pour que je ne me sente pas à l'étroit, moi qui était quelqu'un qui devait avoir pas mal de grands espaces pour me sentir à l'aise. Tout se passait bien dans le meilleur des mondes à priori même si je devais parfois avouer quelques moments de faiblesses sous forme d'une sorte de « mal du pays » (enfin c'était assez vite dit car Angleterre et Irlande étaient tout de même assez proches sur le plan géographique comme culturel) mais j'étais très attachée à mes racines irlandaises et surtout à mon père resté là bas.

D'ailleurs, en parlant de ça, j'avais reçue il y a quelques jours un de ses messages m'annonçant qu'il avait été convié (et moi, par la même occasion) à un diner d'affaire ou quelque chose dans le genre par un de ses supérieurs avec qui il entretenait de très bonnes relations. Cela devait se tenir avant un congrès sur l'énergie je crois et qui devait se tenir à Londres. Bien évidemment, il avait accepté car c'était aussi pour nous la possibilité de se revoir après un mois de « séparation », puisqu'il n'avait pas vraiment d'opportunités avec son boulot de chercheur, de dégager assez de temps pour se permettre de venir sur la capitale anglaise. Ainsi, mon père était venu un jour avant le dit diner pour nous permettre de passer un peu de temps ensemble.


C'était maintenant aujourd'hui que devait se tenir la soirée et, comme me l'avait expliqué mon paternel, il réunissait tout le gratin des industriels du domaine de l'énergie ainsi que leur famille. Si je n'en avais que faire de qui serait présent, de leurs noms ou de leurs « titres », et que socialement parlant, je n'étais donc « rien » selon leurs critères, j'avais concédée d'accompagner mon père car en plus de me permettre de sortir et voir un peu du beau monde, l'alléchant détail qui m'avait fait accepter était que dans ces hautes-sphères, les mutants étaient peut être un peu moins vu d'un mauvais œil car pas mal des héritiers des empires commerciales portaient eux aussi le gène X.

Ainsi, durant cette soirée, je n'aurais pas l'air d'une bossue cachant sa « malformation » dans des vêtement visiblement trop amples, mais pouvais (enfin) porter une petite robe de soirée qui était de mise pour ce genre d'évènement mondain. J'avais donc optée pour une classique petite robe noire (contrastant vivement avec la blancheur de mes ailes), ajustée au buste, épousant parfaitement mes formes et large à la taille, assez courte sans pour autant être obscène (le bas m'arrivant à la moitié des cuisses). Mais la particularité de cette robe était son dos nue s'arrêtant à mi-hauteur qui me permettait à mes ailes de s'épanouir en toute liberté voir même de se déployer en grand sans être aucunement gênées par une couture ou un morceau de tissu les recouvrant. C'était là un de mes rares vêtements qui permettait l'entière liberté de mes attribues de mutante sans avoir a faire de retouches.

Si une certaine appréhension m'avait gagnée quand à l'impression que j'allais donné et à la réaction des personnes présentes, les premières rencontres me rassurèrent quelque peu par leur simplicité et leur apparente non-hostilité. Je n'irais pas à dire que je faisais sensation, non quand même pas, mais il était évident que j'étais l'objet de curiosité de bon nombre de convives, ce qui me dérangeait quand même un tantinet, davantage habituée à une grande discrétion pour échapper au regard des autres.

Si la première partie de la soirée fut d'un ennui profond, ponctuée un grand nombre de fois par des rencontres entre mon père, un illustre inconnu qu'on me présentait comme PDG de tel ou tel entreprise, actionnaire majoritaire de tel ou tel conglomérat ou que sais-je encore, et moi, arriva un moment critique ou mon paternel fut accaparé et introduit dans un petit groupe de personnes pour parler de ses travaux et d'autres choses qui, à n'en pas douter, devaient être d'un intérêt extrême. Ainsi laissée un peu à l'écart, je ne savais plus trop ou me mettre dans cet environnement totalement inconnu et vu comment était partie leur conversation, je savais qu'ils en auraient pour un petit bout de temps. J'aurais pu rester longtemps toute seule sans savoir quoi faire si l'on ne m'avait pas cordialement invitée à rejoindre la « vraie soirée » qui se déroulait apparemment dans les derniers étages du grand hôtel ou se tenait le diner. Sans qu'on m'en dise grand chose, l'ambiance devait y être tout autre car fréquentée uniquement par les héritiers de tout ce petit gratin d'industriels, avec donc une moyenne d'âge à n'en pas douter drastiquement plus basse qu'a ce diner et par conséquent surement quelque chose de plus intéressant à y faire.

Je rejoignis alors cette soirée après avoir indiqué brièvement à mon père que je m'absentais. En effet, je ne fus pas déçue du changement d'ambiance, passant du classicisme classique à quelque chose de plus... contemporain. Si l'étage avait été transformé en un véritable salon propice à l'échange et aux rencontres dans une atmosphère tamisée et visiblement répondant à toutes les exigences des rejetons de « la haute », on pouvait également deviner qu'une piste de danse à l'ambiance bien plus libérée trônait sur le toit (ce que l'on me confirma par la suite). Il fallait dire que je ne m'attendais pas tellement à quelque chose de ce genre et c'est plus ma nature farouche qui reprit le dessus. J'étais quelqu'un de coincée ? Eh bien... oui pour certaines choses.

Disons que je m'interdisais déjà la piste de danse pour la simple et bonne raison que je n'aimais pas ça : de voir mon espace vitale se restreindre au stricte minimum et être compressée dans une foule n'était pas pour moi une partie de plaisir. Je préférais amplement l'ambiance certes assez agitée mais tout de même plus calme qui régnait à l'intérieure. Si je me sentais un peu plus à l'aise ici, préférant être entourée de personnes de mon âge, je n'en restais pas moins assez étrangère à ce lieu qui était visiblement habillé pour complaire à cette petite bourgeoisie. L'argent n'était pas un problème pour mon père ou moi, son salaire couvrant largement nos besoins et nos envies, mais nous étions assez loin de vivre dans autant d'abondance que la plupart des gens présent, à ne plus savoir que faire de leur argent. J’étais,pour ma part, un personne qui n'aimait pas tellement ce qui était extravagant ou m'as tu vu.

Si je m'étais intégrée dans quelques groupes,je ne trouvais pas forcement d'attaches ou d’intérêt communs. Je m’étais donc un peu éloignée pour venir me perdre dans mes pensées devant l'imposante baie vitrée qui donnait une impressionnante vue sur la ville, la très connue London Eye et la Tamise. C'est a ce moment qu'on choisit de me sortir de mes rêveries


« Tu vas provoquer bien des péchés à déambuler comme ça petit ange. » 


Je me retournais un peu surprise pour faire face a celui qui m'avait interpelé. C’était, ma foi, un très charmant jeune homme, a peine plus age que moi, à l'apparence très propre sur lui et a la fois décontractée. Qui était-il ? Étais je sensée le connaitre ? Parce que tout ce beau petit monde m’était complètement inconnu et je ne cherchais pas forcement a le connaitre. Mon charmant inconnu me tendait un verre que j'acceptais d'un petit hochement de tête.

Je pris le temps avant de lui répondre, afin d'analyser la situation et de répondre de manière adéquate. Lui ? Surement un fils d'homme d'affaire, visiblement riche et abordant une expression sure de lui, peut être même un poil hautain si caractéristiques aux clichées de personnes de son rang. Que voulait-il ? A première vue, engager la conversation mais dans quel but ? Son approche était tout de même assez tendancieuse, et choisie à en croire la lueur joueuse qui transparaissait dans son regard. Le mot « ange » aussi m'avait fait sourire car oui, quand on me complimentait en temps que mutante c'était plutôt ce terme qui ressortait alors que c'était plutôt des noms d'oiseaux qui m'étaient donnés pour les insultes.

Je décidais de rentrer dans son petit jeu et de lui répondre sur le même ton :


« Devrais-je m'en inquiéter ? Et qu'est-ce qui te fait croire que je suis vraiment un ange... ? »


Je lui souris ajoutant :


« Je crois de toute façon que je n'ai guère le choix sur la question. Et puis ce serait dommage de les cacher non ? Je parlais bien évidemment de mes ailes. Après tout, tu as surement raison, puisqu'il faut croire que mes parents ne m'aient pas donné le prénom d'Angeline pour rien ! »


Je bus une gorgée du breuvage qu'il m'avait apporté avant de reprendre :


« Et à qui le petit ange a-t-il affaire ? »


La véritable question que je me posais était : est-ce que ce bel inconnu valait-il mieux que les autres ou allait-il s'aventurer dans une discussion aussi stérile que ses petits camarades de « la haute » ?

Mon charmant inconnu se présenta sous le nom de Daniel Gray. Devais-je me sentir honorée ? Particulièrement humble face à ce personnage ? Pour moi Daniel Gray n'évoquait rien de particulier si ce n'est peut être un nom ressemblant à celui d'un vieil acteur du début du siècle dans le rôle du plus célèbre agent secret du MI6 au monde. Quoi qu'il en soit, il ne semblait pas offusqué que quelqu'un ne connaisse pas son nom ni son visage et apparemment il n'attendait pas grande réactions de ma part et c'était tant mieux car je n'en avais pas de particulières.

Daniel posa alors son verre et semblait vouloir m'inviter à autre chose :


« Une créature comme toi, doit être éclairée, par les étoiles. Viens. » 


Une fois encore il gardait un ton tout à fait curieux aux propos un poil tendencieux. Je souris timidement à ce qui était visiblement un nouveau compliment mais cette fois-ci peut être un peu moins dirigée vers ma mutation. Il avait peut être eu ma curiosité mais maintenant il avait mon attention : à quel jeu jouait-il ? S'il s'y été plutôt bien prit pour commencer à me faire la cours gentiment, je doutais qu'un endroit tel que la boite de nuit qui règnait sur le toit de l'hotel fusse un bon spot pour poursuivre ce genre de discussion. Je n'en protestais pas moins car visiblement ce cher monsieur Gray était un gens de bonne famille à l'allure classieuse et surement avec de la suite dans les idées. Quelle était cette suite ? Je l'ignorais, mais au fond de moi, je me doutais qu'il y avait autre chose sur ce toit qu'il voulait me montrer. Pour le moment, je devais avouer qu'avec ma curiosité tout en éveil, il pouvait me mener par le bout du nez. Je me decidais à lui emboiter le pas concluant que de toute façon, je ne perdais pas grand chose ici alors que Daniel me promettait surement quelque chose de plus... intéressant.

Progressant à sa suite en remontant vers le toit, je ne pus que confirmer mon dégout quand à la surpopulation et au manque de place dont on souffrait inévitablement dans ces endroit confinés. Je ne pus qu'admirer la démarche de Daniel qui taillait avec aise sa route dans cet amas compact de corps transpirants et mouvants, faisant prévaloir son charisme indiscutable. Ainsi, grâce à l'efficacité dont il avait fait preuve pour nous frayer un chemin dans cette masse humaine, je n'eus pas tellement à souffrir de la clostrophobie trop longtemps. Il nous mena un peu plus à l'écart, vers le bord du toit, ou la densité de personne était bien plus faible. Je pus d'ailleurs m'y ébrouer les ailes comme pour me prouver à moi même que j'étais bien sortie de la foule et que l'espace ne me manquait plus. Je ne pris pas non plus le luxe de les déployer entièrement ce qui aurait été, j'en conviens, mal venu.

Daniel m'indiqua le toit de l'immeuble nous faisant face ou étaient rassemblés un petit nombre de personne dans une ambiance bien plus calme que l'agitation qui règnait à l'hotel.


« C’est là bas que ça se passe.»


Je ne m'étais donc pas trompée à son sujet et j'avais bien fait de le suivre. Daniel s'aventura alors sur l'échaffaud qui reliait les deux toits entre eux par une échelle. Observant rapidement le dispositif, il ne semblait pas tellement solide, cependant si mon charmant hôte pouvait s'u dresser fièrement, je supposais qu'avec mon poids réduit il en serait de même. C'est à ce moment que j'eus la plus grande peur bleue de toute ma vie : Daniel, toujours présent sur l'échaffaud et prèt à descendre était également juste dans mon dos à me sussurer :


« Tu n’as rien à craindre avec nous petit ange. » 


Mon coeur loupa un battement tandis que je lâchais un petit cri éffrayé avant de me retourner vers Daniel... euh 2 ? Je mis un certain temps avant de comprendre ce qu'il venait de se passer et je dus avoir les deux copies conforme de Daniel en vue en même temps pour m'assurer que je n'étais pas folle. Si ma toute première pensée avait été de me demander s'il avait un frère jumeau, la trop grande ressemblance physique, quand au choix vestimentaire, la même coupe, les même mèches dans le même sens et le même col de chemise à moitié entre-ouvert faisant le même pli me fit plutôt penché en faveur d'une mutation. Ainsi donc Daniel était (ou étaient ?) un mutant et il s'était visiblement appliqué à me le dévoiler avec une petite mise en scène.

Me remettant assez rapidement de mes émotions je pris le temps d'analyser la phrase qu'il venait de me dire : restant encore dans l'ambiguité totale, il s'avait éveiller et titiller ma curiosité tout en me maintenant dans un flou opaque. Visiblement, il aimait jouer avec mes nerfs (et apparemment j'étais consommatrice puisque je continuais à le suivre) car il savait pertinament que cette phrase placée dans le contexte avec sa petite "apparition" avait tout pour me faire craindre justement ! Mais obstinée et naive comme j'étais, je continuais d'accepter ses invitations et le rejoignis sur l'autre toit.

S'approchant du petit groupe, Daniel m'introduit simplement en anonçant :


« Ange va passer un moment avec nous. »


Apparemment, tous se connaissaient ici et tout semblait bien confidentiel et propice aux confidences, aux secrets et aux complots. D'ailleurs, Daniel ne m'avait même pas présenté par mon prénom, mais simplement par la première image que les gens pouvaient se faire de moi, apportant encore une fois son lot de mystère et de questions. Une des personnes présente l'acceuilla avec une phrase tout aussi mystérieuse :


« Tu fais des heures sup’ maintenant Gray ? »


Des heures sup' ? De quoi parlait-il ? Et surtout devais-je m'en inquiéter ? De toute façon c'était trop tard, j'étais déjà inquiète, au point d'avoir dressé la liste de mes échappatoires (dont la plus naturelle et la plus simple était encore de sauter du rebord de l'immeuble...). Bon certes, je ne me sentais la plus à mon aise, mais de la à me sentir en danger, il y avait quand même un monde. D'ailleurs, Daniel m'invita à le rejoindre sur un canapé en cuir à l'apparence très confortable et paradoxalement, me tenir physiquement à ses coté me rassurait un peu alors qu'il était la source même de mes appréhensions.

S'en suivit un silence qui me paru assez dérangeant puisque j'étais à n'en pas douter le point de convergence de tous les regards. Je savais que j'étais et que j'allais être jugée par toutes les personnes ici présentes. Si ce qu'ils pensaient de moi ne m'importait guère, autant ne pas non plus faire trop mauvaise impression et tenter de passer une bonne soirée. Je n'osais cependant pas briser ce silence (car j'affectionnais particulièrement tout ce qui était calme) et ce fut finalement Daniel qui prit les devant en lâchant :


« J’en connais qui tueraient pour avoir ta mutation. »


Cela fit l'effet d'une bombe pour moi. Que voulait-il dire par la ? Était-ce un compliment ? Car je ne le recevait pas comme tel ! Était-ce des paroles en l'air ? Ou alors une sorte de test ? Il avait tout de même touché une corde sensible.

Ne cédant pas aussi facilement non plus à mes émotions, je répondis alors :


« A quoi bon tuer ? A ce que je sache, on ne récupère pas une mutation aussi « facilement ». »


Le mot « facilement » me demanda un peu plus d'énergie à formuler car il se rapportait tout de même à la notion de tuer. Je rajoutais pour faire bonne mesure, en supposant qu'il m'ait dit ça comme un compliment :


« Mais oui, j'imagine qu'il existe d'autres mutations plus difficile à porter, je n'ai vraiment pas à me plaindre... »


En effet, si à la place de jolies ailes en plumes toutes duveteuses il m'était poussé de grandes ailes couvertes de peau et munies de petites griffes à l'image de chauve-souris, je doutais produire le même effet auprès des gens ! De même qu'une queue importune ou toute autre mutation physique peu ou pas esthétique. J'avais de la chance d'avoir une mutation à la fois fonctionnelle, utile et agréable à l'oeil.

Un peu perturbée d'avoir sans le vouloir arrêter les discussions en cours je relançais :


« Donc vous êtes tous ici... mutants je suppose? »


Cela me paraissait quand même assez étrange, de participer à un regroupement aussi... confidentiel. Je me demandais vraiment quelle était la teneur de leurs discussions.

Alors que j'avais posée ma question à l'auditoire tout entier (mais quand même plus dirigée vers Daniel Gray), je ne pouvais que « subir » tout le poids de leurs regards, comme trop souvent. Même si cette fois ci je ne décelais pas vraiment d'animosité dans leurs yeux, mais plutôt de la curiosité voir un soupçon de jalousie, j'étais pourtant trop souvent la cible de railleries et d’agressions verbales. C'est instinctivement que j'avais légèrement refermée mes ailes autour de moi comme un cocon protecteur, mince mais rassurante barrière face au monde extérieur.

Mon charmant hôte quant à lui ne se gênait aucunement pour me regarder, que ce soit pour ma mutation ou autre chose... même s'il gardait une expression détachée, à la limite de la suffisance exactement comme un mannequin de publicité ou autre.

Il finit par me répondre :


« Tous, sans exception, oui. Ils se présenteront un peu plus tard. Rien ne presse. »


J’acquiesçais d'un hochement de tête, consciente de la « particularité » de cette soirée intime, même si le sens m'en échappait. Toutes les personnes ici devaient être des « fils de » et des « filles de » et bien que je ne recherchais pas forcement leur compagnie, j’appréciais surtout l'ambiance plus calme et plus mature des lieux quand bien même je me sentais un peu comme une étrangère dans ce regroupement pour le moment.

Daniel prenait son temps et j'interprétais cela comme une tentative de me mettre à l'aise : rien ne pressait et que je pouvais (ou devais?) me détendre. Essayant de trouver une position un peu plus confortable, chose qui se révélait être plus délicate avec deux immenses appendices fournis de plumes trônant dans mon dos, je finis par me retrouver en biais sur le canapé, bien plus proche de mon hôte.

Ce dernier plongea d'ailleurs ses deux yeux d'un noir de jais dans les miens avant de me demander :


« Est-ce que quelqu’un t’as déjà parlé de tout le potentiel du gène que tu possède ? » 


Visiblement, ils attendaient de mieux me connaître avant de se présenter et je me dis que pour faire bonne figure, mieux valait entrer dans son petit jeu. Rabattant alors mon aile droite vers l'avant, je capturais machinalement ma plume la plus grande que je commençais à lisser avec attention. Si d'autres avaient leurs manies comme s'enrouler les cheveux autour d'un doigt ou se ronger les ongles, moi, c'était bien ce petit geste que je répétais comme un tic lorsque je me sentais dans l'inconnu (ce qui avait aussi toujours son petit effet sur mon entourage). Je lui répondis alors :


« Eh bien oui, on m'a bien prédit l'évolution possible de ma mutation, enfin surtout de la manière dont je pouvais l'utiliser mais sans plus. Après tout, j'imagine bien toute seule qu'à terme, je saurais perfectionner ma technique de vol voir même peut être embarquer un passager, mais à part ça... la génétique a été assez chamboulée avec l'apparition du gène X : elle n'est plus une science aussi fiable qu'on le pensait. »


En effet, à l'Institut tout été fait pour que chaque mutant puisse s'épanouir et que même ceux qui ne comprenaient pas leur mutation ou voulaient à tout prix la rejeter l'accepte. Même si cela provenait de la tristement célèbre « ancienne » confrérie : « Mutant et fier de l'être » était une maxime que j'appréciais particulièrement sans pour autant que je ne défende les idées soutenues par ceux qui l'avait prononcée. Tout ça pour dire que même si je n'avais pas eu ce problème « d'accepter » ma mutation, certains professeur de l'Institut m'avaient expliqués à peu près le potentiel que je pouvais espérer de mes ailes et de leur utilisation : des choses assez encourageantes pour m'aider à persister quand le doute m'envahissait et assez réaliste pour me rassurer. Par exemple : non je n'allais pas déclencher une tornade en battant un peu trop fort des ailes mais oui je pouvais soulever suffisamment de poussières pour rendre très désagréable un endroit, ou ce genre de chose. Au final, je me sentais plutôt bien encadrée et accompagnée à l'Institut et c'était tout ce que je demandais.

Daniel continua alors dans sa lancée, me gardant toujours captive de son regard et m'entrainant à sa suite dans sa réflexion :



« Tu es destinée à de grandes choses. N’as-tu jamais songé, que nous sommes là, dans un but précis ? »


Je haussais les sourcils en écoutant sa chanson : moi ? Destinée à de grandes choses ? Il devait y avoir erreur sur la personne, quant à savoir si l'apparition des mutants était un événement menant à un but précis, je lui répondis :


« Chaque personne peut changer le monde, à sa manière : tout dépend de l'ambition de chacun, mais de là à affirmer que moi, je puisse avoir une grande influence sur le cours de l'histoire, j'en doute fort, ou alors détrompe moi. »


Je marquais un petit temps avant de reprendre :


« Je suis désolée, mais je ne suis pas croyante, quelque soit la religion. J'essaie simplement de raisonner de manière scientifique et je ne pense pas que les mutants aient un but plus précis dans la vie que celui des non-mutants. Je considère juste que nous constituons une nouvelle opportunité pour l'Humanité et qu'un nouveau départ nous est offert. Le seul but que je pourrais voir serait le même que tout autre être vivant sur cette Terre : la survie et l'adaptation. »


Daniel restait toujours très mystérieux sur ses motivations et j'espérais bien qu'à la lumière des réponses que je lui avais fournit il m'éclaire un peu plus. La sensation d'être jugée était assez désagréable mais autant en finir le plus vite possible avec... du moins je l'espérais.