Les deux jeunes femmes arrivèrent assez rapidement au café convoité par l’humaine aux yeux vairons après que Virginie eut accepté son invitation. Une ambiance de café demeurait, et de loin, bien plus chaleureuse pour discuter qu’un hall impersonnel. June se dirigea machinalement vers sa table habituelle, au fond de la pièce à gauche et s’installa sur la banquette, vaguement rétro.

Les premiers indices donnés par la journaliste chauffaient déjà rudement ses neurones pour tenter de comprendre. Car cette dernière, délayait ses informations avec parcimonie, comme si elle se méfiait encore de June. La jeune femme ne lui en tint pas rigueur. De nos jours, il valait mieux se montrer prudent. Très prudent. Et avec tout le monde. Mais June n’était pas tout le monde. Aussi déclara-t-elle dans un sourire franc :

"Rassurez-vous, vous pouvez me parlez librement. Winds… ce nom m’évoque quelque chose. Dans quel cadre l’avez-vous rencontrée ?"

Déjà, elle sentait le sujet brûlant. Sans aucun doute, Virginie avait bien fait de se tourner vers la Lib’Corp. Et elle la prenait très au sérieux.

"Vous parlez du gouvernement… américain, je suppose ?" tenta June, toujours aimable et bienveillante.

Il n’y avait pas trente six mille gouvernements sur Terre qui leur posait des problèmes. Celui des USA occupait la première place du podium depuis pas mal d’années déjà. Le Cercle et ses maudits tentacules de destruction à leur tête.

"Si c’est bien, ça, sachez que vous avez frappé à la bonne porte. L’une des priorités de la Lib’Corp est d’aider les mutants, victimes d’injustices résultant bien souvent d’éléments extrémistes."

Puis, tout à fait légitimement, la jeune fille lui fit part de ses inquiétudes. Ce qui lui confirma au moins une chose. Virginie avait mis les pieds dans quelque chose de gros. Très gros. Et il était clair que la Lib’Corp allait s’engager à ses côtés. Pour défendre la cause mutante, il n’y avait pas de prix.

"Si ce sont des moyens ou une protection dont vous avez besoin… Il suffit de le demander. Mais vous devez me dire tout ce que vous savez. Avez-vous des informations sur leurs prochaines actions ?"

Cela faisait longtemps que l’organisation anti-mutante n’avait plus fait parler d’elle. Et en général, ce n’était jamais très bon signe dans ces cas-là.

"Les zones d’ombres sont les pires erreurs que nous puissions commettre dans nos plans d’actions. Un seul faux pas et c’est toute l’opération qui risque de s’achever sur un échec."

La jeune femme l’avait appris à ses dépens par le passé, hélas. Mais elle rassura vivement son interlocutrice

"Détrompez-vous, je vous trouve au contraire très courageuse pour oser vous attaquer… à cette organisation. Peu de gens auraient l’audace de le faire. Et c’est sur cette peur qu’ils inspirent qu’ils comptent pour mener à bien leurs plans sinistres"

Ne pas citer de nom précis, après tout, elles étaient dans un lieu public. Elle espéra que Virginie le comprendrait.

Rapidement, la langue de la jeune journaliste se délia et June se félicita d’avoir réussi à la mettre en confiance. Elle écouta donc attentivement ses propos. Mémorisant machinalement les informations les plus importantes.

"Moui… il me semble que nous avons déjà eu à faire avec cette personne, mais je devrai me renseigner. Je ne m’occupais pas de son dossier" répondit alors la jeune femme.

Elle commencerait d’ailleurs par vérifier son nom. Avec toutes les menaces qui couraient, il n’était pas rare que les gens ne dévoilent pas leur véritable identité. Surtout lorsqu’ils mettaient les pieds dans certains… domaines et engrenages douteux.

"Les activités de la Lib’Corp restent discrètes, par mesure de sécurité, mais cela ne nous empêche pas d’être présent là où les gens ont besoin de nous, notamment les mutants"

Cette petite semblait être volontaire. Elle plut immédiatement à la jeune femme. D’une certaine façon, elle lui ressemblait beaucoup. June aussi menait un combat acharné car pour elle, toutes les causes valaient la peine d’être défendues. Même les plus difficiles et ce, sans garantie de réussite. La liberté était à ce prix. Du moins, pour ceux qui y croyaient vraiment. De toute leur âme.

Soudain, Virginie sortit un porte-document et le tendit à June qui l’ouvrit. Elle se plongea dans une lecture rapide des documents, tout en écoutant Virginie. Ce qu’elle y découvrit la stupéfia. Et son inquiétude monta d’un cran. Un sacré cran, même. Les informations qu’elle découvraient lui confirmaient que l’affaire était vraiment sérieuse.

"L’EP… oui, nous en avons hélas déjà entendu parler. Honnêtement, nous ne savions pas trop ce qu’il en était. Nous pensions même qu’il ne s’agissait que de rumeurs. Mais avec, ce que vous me donnez là… Ca change tout… Et ça s’annonce très grave ! Je dois savoir précisément d’où vous viennent toutes ces informations. Il se peut que toutes les personnes liées de près ou de loin à ce document soient aujourd’hui en danger"

Un serveur s’approcha de leur table pour prendre leur commande et instinctivement, elle referma le porte document. Elles avaient là en leur possession des informations qui ne devaient pas tomber dans les oreilles de n’importe qui. Pour l’instant du moins.

"Qu’est-ce que je vous offre, Virginie ? Pour moi ce sera un bon café bien sucré, comme d’habitude", dit-elle au jeune serveur.

Puis, elle précisa à l'attention de Virginie :

"N'ayez jamais peur d'affirmer vos convictions, cela prouvera votre véritable valeur".

Le serveur ne tarda pas à revenir avec leurs commandes et June attendit qu’il soit de retour derrière son comptoir pour reprendre la conversation là où elle l’avait laissée. A un point crucial. Et surtout dangereux. Sans le savoir, Virginie venait de lui apporter les dernières preuves qu’il lui fallait pour prouver que les USA n’avaient pas arrêter leur chasse aux sorcières. Le vaccin Genesis n’avait été qu’une palissade, une couverture, une première étape qui dissimule soigneusement les suivantes. La tranquillité à laquelle aspirait les mutants du monde, vaccinés ou non, n’était à présent plus qu’illusoire. La machine de destruction avait repris sa route et elle ne tarderait pas à passer la frontière américaine…

"Jimmy Gornt ? Je ne connais pas ce jeune homme, mais comme je vous l’ai dit, avertissez-le. Il est à présent en danger. Et je devrai le rencontrer le plus vite possible. S’il a eu accès à certains sites classés secret défense, il pourrait nous être d’une grande aide au sein de l’association"

Un appel à peine voilé pour un acte de piratage, mais par moment, il fallait savoir placer ses priorités au bon endroit. Et June n’était pas une femme qui s’effrayait de passer au-delà des lois. Le conformisme, cela faisait des années qu’elle l’avait oublié derrière elle, au fond d’un placard. Alors qu’elle observait Virginie déguster son chocolat chaud, June s’attaqua à son café. Il avait un gout amer… Voilà où en était arrivé leur monde, à envoyer des adolescentes, à peine adultes à la poursuite des pires assassins que leur siècle avait connu. La jeune femme tentait de garder bonne figure, mais ces constatations, tous les jours plus dures et plus nombreuses l’usaient. D’autant que leurs actions n’étaient pas récompensées à hauteur de leurs efforts. Ce combat pour l’égalité qu’elle avait entamé il y avait bien des années à présent, se révélait chaque jour de plus en plus hardu. Et elle savait qu’elle n’était pas prête d’en voir le bout du tunnel. Mais elle ne se permettrait pas d’inquiéter davantage Virginie avec ses préoccupations. La jeune fille avait déjà fait beaucoup.

Elle aperçut son regard curieux se planter dans ses yeux colorés et un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Ses yeux bicolores passaient rarement inaperçus. Si cela la dérangeait quand elle était plus jeune, elle n’en faisait aujourd’hui plus cas. Elle était née comme ça et puis c’est tout. Elle ne les changerait pas simplement pour rentrer dans les normes. Ses certitudes semblaient avoir troublé Virginie et elle s’en voulut. Ce n’était pas le but. Elle reprit, alors confiante

"Je le sais très bien, je suis passée par là… J’ai décidé de travailler à la défense des mutants très tôt et vu mon statut… cela a étonné beaucoup de personnes. Pas mal m’ont d’ailleurs tourné le dos depuis. Mais…, elle s’arrêta un instant, des souvenirs lui revenaient en mémoire, pas tous très agréables. Elle continuait malgré tout de sourire, face à l’adversité, c’était sans doute le meilleur moyen pour garder le moral. C’est quand les difficultés te submergent que tu peux voir qui prend la peine de te suivre sur le chemin… Ceux qui t’abandonnent en route n’en valent pas la peine… L’important, c’est de vivre sereine avec ta conscience. Peu importe ce que peuvent penser les autres."

Comme elle abordait un sujet sensible, pour elle en tout cas, elle était passée au tutoiement, en espérant que Virginie ne s’en froisserait pas. Mais à la voir, elle en doutait. Et puis, elle pourrait la tutoyer aussi. June ne s’arrêtait pas sur ce genre de choses. La norme, l’étiquette, le conformisme… les conventions... tous ces mots qui ne voulaient rien dire lui filaient des boutons ! La vie était déjà bien assez courte, pourquoi la gâcher avec ces stupidités ? Le monde aujourd’hui n’était plus capable de profiter des choses simples…

Néanmoins, quand la jeune fille aborda le sujet des médias, June se crispa, imperceptiblement. Ceux-ci avaient toujours eu une image de neutralité, de moyen de communication. Des gens intouchables. Sauf qu’aujourd’hui, ils étaient à peu près tous corrumpus ou presque. Leur fidélité allant désormais au plus offrant et non plus à la simple vérité.

"Méfie-toi des médias… Ils ne sont plus vraiment ce qu’ils étaient. Et peuvent retourner leur chemise dès que le vent tourne. Faire éclater la vérité est une noble cause, mais je crois qu’aujourd’hui, celle-ci doit d’abord traversé bon nombre de nuages avant de pouvoir briller."

Elle termina son café d’une traite, à présent tout à fait réveillée par la caféine dans son sang et les nouvelles apportées par la petite reporter en herbe. Il était capital que celle-ci rencontre ses supérieures. June se râcla la gorge :

"Vu la situation et les informations que tu viens de m’apprendre, je t'invite à rencontrer le plus vite possible Miranda et Helen, mes supérieures et très estimées collègues."

Et débarquer directement dans leur bureau avec Virginie sur ses talons dans le ¼ d’heure lui semblait être la meilleure méthode

June hocha la tête simplement à la confirmation que son interlocutrice préviendrait sa source. Elle devrait juste prévenir, de son côté, ses supérieures, de ce petit coup de main non officiel. Par contre elle nota d’un simple sourire que la jeune fille continuait de la vouvoyer. Elle ne l’empêcherait pas de le faire si elle préférait. La jeune femme observa la petite reporter jouer avec sa chantilly, une lueur bienveillante dans le regard. C’était au travers de ces petits gestes simples qu’elle croyait encore à l’espèce humaine. Que tout n’était pas encore perdu. Et qu’elle devait continuer, rien que pour ce petit espoir.

Ses paroles semblaient l’avoir touchée mais pas assez, alors la jeune femme précisa, toujours dans un sourire en ancrant son étrange regard dans celui de Virginie

"Le savoir est une chose, en être intimement persuadée et convaincue pour pouvoir ensuite l’appliquer en est une autre. J’espère que tu apprendras à faire la différence. Tu verras, tout te semblera… plus simple après"

Lorsqu’on apprenait à profiter des choses simples de la vie, le monde revêtait une toute autre allure. Plus de prise de tête, plus de stress avec les conventions et surtout plus ce sentiment d’être prisonnière dans le carcan de la routine que la société actuelle prenait un malin plaisir à vous inculquez dès le plus jeune âge. En soit, être border-line avait du bon. June en était totalement convaincue, en son âme et conscience. Le bénéfice de la liberté.

Quand elles en revinrent à parler des médias, June campa sur ses positions. Elle savait les rouages, tous plus pourris les uns que les autres qui régissaient les rédactions des plus importantes feuilles de chou mondiale. Juste bon à filer aux toilettes. Ils ne déversaient plus que haine et ramassis de conneries sur le dos des mutants.

"Raison de plus pour y prendre garde. Si tu ne fais pas attention, ils t’avaleront dans leurs mensonges et te pervertiront. La corruption, ils ne connaissent plus que ce mot. Tu me paraît être une bonne personne, Virginie. Et malheureusement, ce sont la plupart du temps leurs premières victimes. Fais très attention à toi. Davantage maintenant que tu sais… Sans le vouloir, tu es passée de l’autre côté de la scène. Chez les grands de ce monde, qui tirent à eux seuls toutes les ficelles"

Déjà, elle se levait, parfaitement décidée à faire irruption dans le bureau de Miranda. Après tout, elle n’était pas secrétaire pour rien !

"Absolument certaine ! Suis moi ! Ne perdons pas de temps ! A partir de maintenant, il nous est compté… "

June remarqua son air complètement paniqué et la rassura d’un rapide clin d’oeil :

"Ne t’en fais pas, elles ne mordent pas !"

Et sans plus attendre, elle sortit du café, avec Virginie lui emboitant le pas. Le temps qu’elles arrivent, ce serait probablement déjà l’heure de la pause. Avec un peu de chance, elle n’aurait pas à ‘défoncer’ la porte, celle-ci leur serait grande ouverte. De toute façon, ce ne serait pas une porte ou un consensus d’hommes politiques en réunion qui l’arrêterait. Pas avec les informations qu’elle amenait. Et surtout pas quand la survie des mutants du monde entier était menacée !