Luc était resté un peu à l'écart de toutes les discussions qui se déroulaient. Il ne se voyait pas intervenir, d'autant plus qu'il n'était pas de l'institut. Virginie, puis Nakor prirent la parole pour mettre tout le monde au courant des dernières évolutions de la situation. La directrice quand à elle écoutait attentivement et réfléchissait à la marche à suivre.
Quand Artie éleva la voix, Luc leva les yeux au ciel, l'air de dire " il pouvait pas s'empêcher de l'ouvrir celui là ". Qu'est-ce qu'un gamin de 12 ou 13 ans pourrait faire lors d'un assaut mené par une équipe de mutant entrainés? Pas grand chose. Il n'en était qu'au début de sa mutation à priori, et il était plus que désavantagé. Luc le savait, pour avoir connu la situation. Il ne maitrisait pas ses pouvoirs comme aujourd'hui lors de l'assaut sur la TransA, et avait faillit y laisser sa peau. Aujourd'hui encore il était loin d'avoir le niveau de certains mutants présents.

La directrice donna ses consignes. Un groupe allait se préparer à aller à la recherche de Kenjiss et Samarah, tandis qu'un autre resterai pour protéger l'institut. Luc ne bougea pas tandis que tout le monde se dirigeait vers l'armurie pour s'équiper. Il attendit que le gros de la foule se soit déplacée pour rejoindre la directrice.

Madame. Je sais bien que je ne suis pas un membre de l'Institut, mais j'aimerai vous aider. Si vous voulez que je vous accompagne ou que je reste pour aider à la défense de l'institut, dites le moi, et je le ferai.

Luc fixait la directrice droit dans les yeux, attendant sa réponse. Il aperçu à peine Virginie qui repartait avec son équipement sous les bras pour aller se changer.

A peine Virginie eut la parole coupée par la directrice qu’Artie sut que c’était perdu d’avance. Bien sûr qu’il ne serait pas avec eux, il était trop jeune et gna gna gna... en revanche, il ne s’attendait pas à se voir attribuer une mission qui paraissait importante. Il regarda Virginie sans comprendre, évitant le regard d’Aaron qui, les deux garçons le savaient, avait remporté la partie. La jeune fille n’avait bien sûr pas été capable de dire quoi que ce soit, Artie aurait dû s’en douter, au vu de son récent malaise devant tant de gens, et il s’en voulut pour ça.

La jeune fille qui lui avait sourit prit la parole juste après lui. Elle était belle, semblait venir de loin avec tout l’exotisme qu’elle dégageait… hormis la boue, bien sûr. Elle exprima en quelques mots son désir de venir. Et bien sûr, elle, on la laisserait y aller… même si elle n’était là que depuis quelques minutes ! Décidément, c’était trop injuste.

La directrice parlait de « contact avec la Confrérie » et de cercles, aussi. Quel rapport tout cela avait-il avec ce qui se passait actuellement ? Bah, il n’avait qu’à écouter. C’est comme en classe. Il n’écoutait que ce qui l’intéressait…

Miss Hara venait à parler des systèmes de défense de l’Institut. Si aller chercher le danger aux côtés de ses amis ne lui faisait pas peur, le fait que le danger vienne le chercher alors que ceux-ci se trouvaient bien loin de lui l’effrayait. Il capta aussi le nom de Teddy, et devina que la directrice s’adressait à l’énorme ours… qui allait faire office de nounou. Bonne nuit les petits !

« Ça t’apprendra à sortir de ton lit ! » se dit-il en regardant la pas si froide (finalement) asiatique se diriger vers le fond du garage… et ouvrir le mur en apposant la main sur un panneau de verre.

Artie resta bouche bée. Il avait déjà lu des livres de science-fiction et vu des films, des reportages même avec des armes et des équipements de haute technologie, mais rien ne l’avait préparé à ce qu’il avait devant les yeux. Un véritable arsenal s’étalait sur des murs nouvellement découverts, des énormes fusils aux minuscules pistolets, avec des micros, oreillettes et tout le tintouin technologique désigné pour le terrain…

Lorsque miss Hara lui fit signe de s’approcher, il jeta une nouvelle fois un coup d’œil à Virginie, avant de s’avancer en boitant. Il sentait ses côtes lui faire toujours mal, mais ce n’était pas le plus gênant pour le moment. Il sentait tous les regards concentrés sur lui. Il marcha jusqu’à la femme la tête haute, dix mètres à parcourir qui lui semblait être dix kilomètres. Elle se pencha alors vers lui et lui murmura quelque chose. Il sentait son haleine chatouiller son oreille et eut l’impression que le vent hivernal extérieur avait gagné le garage. Il frissonna puis acquiesça lentement lorsque miss Hara se redressa. Les autres étaient déjà en train de se préparer… Aaron et Virginie y compris.

- D’accord, je veux bien vous aider, céda-t-il. Mais est-ce que vous pouvez me faire une faveur ?

Pour la première fois, il osa plonger son regard dans celui de la directrice.

- Est-ce que vous me promettez, quand on sera là-bas, de tout faire pour les protéger ?

C'était un peu délicat.
Sinéad jetait des coups d'œil fréquents vers Basile. Irgit et la jeune femme étaient apparemment nouveaux et avaient sans problème acquis la confiance de Koyuki, mais monsieur Feuillade ?
Ils s'étaient rencontrés par le plus grand des hasards, avaient chacun appris que l'autre était mutant par chance et par une étrange coïncidence, c'était également en ce jour qu'on apprenait que Samarah et Kenjiss avaient disparu tous deux.
En même temps, depuis le départ, on nageait dans le délire. Elle ne rêvait pas, au moins ? Elle regarda le garage. Si c'était un rêve, elle pouvait changer à loisir ce décor.
Hélas non. La réalité dépassait de loin le rêve.

En absurdité aussi. Un garçon, assez jeune, même pas encore adolescent, s'avança et pleurait presque parce qu'on lui interdisait de venir... qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'on était dans un film ? Qu'on allait laisser des enfants se mettre en péril ?
Koyuki était assez habile. Elle lui proposa d'aider en restant ici. Sinéad ne savait pas ce qu'elle lui confiait comme tâche à faire exactement. Probablement quelque chose de pas si important que ça. Probablement...
Chacun s'avança. Koji - un élève brillant, surdoué à ce qu'elle en savait - c'était même son pouvoir - dit qu'il restait, et qu'il proposait une aide intellectuelle, politique et financière. Il avait l'air sérieux. Alex parla lui aussi, en sortant une idiotie, peut-être pour détendre l'atmosphère ? Mais celle-ci était trop électrique.
Elle regarda Koyuki ouvrir l'armurerie. Bon, si Basile était une sorte d'espion, ils venaient de faire une belle bourde. Mais elle ne le pensait pas. Elle avait une sorte d'intuition.
Elle retint Basile d'avancer en l'interpellant :

- Monsieur Feuillade ? Je pense que vous avez saisi la situation. A mon avis, vous pourriez nous être très utile...
Je vais dire à Koyuki que je reste ici. Je ne sais pas pour vous - faites comme vous le voulez. Je vous fais confiance...

"Et j'espère que je ne me trompe pas", pensa-t-elle. Cela n'empêcha pas que Sinéad prit soin de rester avec Basile quand ils se dirigèrent vers Koyuki.
Koyuki qui était d'ailleurs très occupée. Normal, après tout... Elle se mit dos contre un mur, observant les allers et venues de tous ces mutants.
Peut-être qu'elle devrait aussi y aller ? Mais franchement, elle n'était pas sûre d'être très utile... beaucoup de monde s'était déjà proposé - et comme Koyuki avait dit, il fallait aussi que des gens restassent. Elle espérait que c'était inutile - que personne n'allait les attaquer en pleine Angleterre -, mais après tout, n'était-ce pas exactement ce qui s'était passé le premier jour où elle était arrivée à l'Institut ? Elle avait l'impression, parfois, que la folie des hommes atteignait des dimensions imprévisibles.
Personne ne parlait plus à la directrice ; Sinéad avança donc tout droit vers elle.

- Koyuki. Je ne pense pas être très utile si j'y vais...

Elle avait beau savoir tirer - assez bien - et se battre au corps à corps, tout cela était assez vain devant l'armement qu'elle imaginait. Et son pouvoir...

- Je reste ici. Évidemment, dis-moi si je peux vous aider... aider tout l'Institut.

L'Institut qui serait bientôt sans ses plus puissants mutants. Samarah, disparue... sa présence était paradoxalement rassurante, malgré ses cauchemars fréquents - que l'irlandaise seule ressentait, certes. Mais qu'elle avait ressenti assez souvent.
Assez peut-être pour reconnaître son rêve ?

- Je me demande..., murmura-t-elle. Je pourrais peut-être la retrouver dans un rêve... je ne suis pas sûre, mais ça vaut le coup d'essayer.

On voyait par son regard un espoir mince, douteux donc obscur. C'était une lueur - faible certes, mais ce n'en était pas moins une lueur.

Basile se sentait fatidiquement spectateur, comme lorsqu'il regrettait avoir payé si cher une place de cinéma qui ne lui donnait le droit que de voir un terrible navet. Après divers constats de la situation et élans d'héroïsme, sa présence continuait de ne lui évoquer qu'une chute lente vers un sentiment de perdition et d'anxiété. Son regard, qu'il devinait laiteux, jaugeait depuis déjà plusieurs minutes un à un les différents individus qu'ils l'entouraient : au moins eux avait l'air de bien tenir sur leurs jambes, et plus crûment, eux n'étaient pas à deux doigts de se faire dessus.

*Mais qu'est-ce que je fous ici en même temps ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien espérer ? Que je vais enfiler un de leurs collants hideux et qu'ensuite je vais réussir à sauver leurs prétendus VIP ?*

Non, Basile ne voulait surtout pas succomber à sa lâcheté beaucoup trop encombrante. Mais encore fallait-il que sa motivation personnelle suffise. Sorti de sa torpeur, Basile remarqua du mouvement : l'asiatique chef des lieux avait donné l'accès à une véritable armurerie secrète, emplie de gadgets dont Basile ne comprenait même pas l'utilité. Bien sûr, il n'avait écouté que d'une oreille sourde ce qui s'était dit plus tôt, mais nul besoin de dessins pour comprendre ce qu'il se passait. Alors ? Allait-il se décider à agir ? A servir LA cause mutante pour de bon ? Tout semblait si improbable et précipité... Son imagination lui présentait tant de situations les plus alambiquées les unes que les autres que Basile resta figé, comme victime de son propre pouvoir. Jusqu'à que la seule valeur sûre qu'il eût à l'Institut le sortit de sa passivité :

- Monsieur Feuillade ? Je pense que vous avez saisi la situation. A mon avis, vous pourriez nous être très utile...
Je vais dire à Koyuki que je reste ici. Je ne sais pas pour vous - faites comme vous le voulez. Je vous fais confiance...

Sinéad avait tout à fait raison : la balle était dans le camp de Basile, et libre était à lui de rester ou non. Cette marque de confiance suffit à alimenter la décision finale du mutant, qui sans plus tarder, officialisa son soutien :

S'adressant à Koyuki, C'est par où les combinaisons moulantes ? Se tournant vers Sinéad, A défaut de ne pas être un héros, il faudrait au moins que j'en ai l'air...

Tenue ajustée, Basile sentit un autre malaise grandir en lui : cette combinaison, c'était comme lui greffer une seconde peau qu'il n'avait jamais désiré, lui imposer des circonstances qu'il n'avait jamais souhaité. Etait-il véritablement prêt à se jeter dans la fosse aux lions ? Sinéad ne serait de plus pas là pour rattraper le coup, la mutante restant sur place.

*Et alors quoi ? Tu vas regretter de ne pas être resté ? Ta culpabilité t'aurait déjà rongé à l'heure qu'il est. Dis-toi simplement que ce sera un peu comme... Ton baptême du feu ? Oui c'est ça, un baptême du feu comme il se doit de l'être...*

Il était temps.