Entre Samarah et June, la confiance était de mise. Elle l'avait toujours été et pour rien au monde, il n'en serait jamais autrement entre les deux jeunes femmes. Même après plusieurs années de séparation, elle s'étaient retrouvées comme si elles ne s'étaient jamais quittées. Alors non, vraiment, June ne voyait pas la moindre petite chose qui aurait pu venir altérer leur amitié. Alors que la jeune femme avait décidé au dernier moment de se rendre à la Conférence qui se déroulerait dans quelques heures au British Museum, elle avait envoyé June refaire les stock de médicaments de l'Institut. Ce qui était, là encore une preuve de la confiance que le Cerbère accordait à son amie d'enfance.

Après leur retrouvailles, l'une comme l'autre avait tenté de rattraper le temps perdu et elles s'étaient racontées leurs années de séparation. C'est à ce moment que Samarah apprit que son amie avait passé plusieurs mois dans la rue, à sa recherche. Et qu'elle avait, pour diverses raisons, plongé bien bas, notamment en goûtant à des substances dont les noms faisaient frémir la jeune mutante. Elle redoutait comme jamais l'effet d'une drogue quelconque sur son organisme depuis une nuit tristement célèbre... Mais malgré tout, June réussit à remonter la pente et elle décrocha tant bien que mal de son addiction. Le problème, c'est que mettre un pied dans une pharmacie faisait bien vite resurgir quelques vieilles envies chez la jeune femme. Mais elle se montra forte. Aussi, lorsqu'elle arriva devant la vitrine, elle n'inspira qu'une seule fois avant d'entrer, décidée à ne pas succomber à la tentation.

Elle referma la porte dans un léger tintement métallique. Et attendit que la file devant elle diminue. Elle ressortit la liste, soigneusement dressée par Samarah et entreprit de la relire une énième fois, afin de ne rien oublier. Il leur fallait principalement des antidouleurs et des analgésiques, du sirop, des bandages - c'est qu'ils se blessaient souvent ces petits mutants- et des vitamines. Pas de quoi éveiller les soupçons sur la marchandise au final. Mais comme à chaque réapprovisionnement, c'était la quantité qui lui valait des regards interrogateurs, voire suspicieux. Et quand elle précisait les bénéficiaires, les réactions demeuraient bien souvent les mêmes, soit on lui fichait une paix royale -la suspectant sans doute d'être une mutante- soit, on lui lançait des regards encore plus noirs. Mais, comme d'habitude, il en aurait fallut plus pour effrayer la jeune femme.

June jeta un coup d'oeil devant elle et retint un soupir. Cela faisait maintenant presque 10 minutes, que la pharmacienne s'entretenait avec l'homme présent devant elle et la jeune femme eut une moue agacée. Aurait-il lui aussi l'intention de dévaliser la pharmacie ? Plusieurs hypothèses germèrent dans son esprit, en passant de l'hypochondriaque paranoïaque au dealer de quartier. Elle était loin de se douter qu'elle avait complètement faux et surtout de l'identité de cet homme qui lui faisait maintenant perdre son temps depuis presque un quart d'heure...

Derrière lui, June dont la patience avait atteint ses limites soupira aussi, soulevant au passage une mèche de cheveux. La paperasse, ça avait quand même le don d'apporter plus d'ennuis qu'autre chose. Elle comprenait maintenant pourquoi son amie avait gentiment laissé ça pour les autres et eut un sourire amusé. Qui s'effaça rapidement lorsque le ton de la conversation tourna au vinaigre devant elle. La jeune femme s'était approchée de quelques pas pour assister à l'échange pas-encore-musclé-mais-presque entre la pharmacienne et l'individu devant elle. Il lui tournait le dos mais elle pouvait apercevoir qu'il tremblait des pieds à la tête. Il aurait été difficile de savoir si c'était de fureur ou bien de douleur. Mais vu ce qu'il demandait et la réaction de la pharmacienne, probablement les deux. A n'en pas douter.

Derrière eux, la file avait atteint le trottoir et cela n'avait pas l'air de s'arranger pour autant. June avait réussi à entrer dans la pharmacie aujourd'hui, malgré toutes ces petites boîtes qui la narguaient. Elle n'était pas certaine de pouvoir le refaire aussi facilement le lendemain. Et fidèle à elle-même, elle décida de s'en mêler. Elle s'avança jusqu'au comptoir, juste à hauteur de l'homme et lança aussi poliment qu'elle le pouvait à la pharmacienne

"Bon, on va pas y passer la journée non plus. Faut vraiment être aveugle pour ne pas s'apercevoir que cet homme souffre"

Elle planta son regard vairon dans les yeux de la pharmacienne qui hésitait sur l'attitude à adopter. Soit scandalisée que June s'en soit mêlée, soit gênée par le regard bizarre qui ne la quittait plus. Elle allait finalement riposter mais June ne lui en laissa pas le temps.

"J'ai entendu ce dont ce monsieur a besoin. Je comprends votre réticence, mais il a l'air de savoir ce qu'il veut. Alors soit, vous lui donner votre quart de boîte et on en parle plus. Soit, je prends la boite au complet sur mon compte. J'ai des ordonnances de réserve chez vous"

La pharmacienne lui jeta un regard courroucé mais les gens commençaient à s'agiter vraiment derrière eux. Elle préféra donc vérifier les dires de la jeune femme, même si cela lui semblait peu probable. Des ordonnances de réserve ? Qui donc pouvait se permettre de telles manières ?

La réponse lui apparut quelques secondes plus tard sur l'écran de son ordinateur. Et elle blémit légèrement. En dessous du comptoir, son pied s'approcha encore d'avantage de l'alarme. Au cas où.

- C'est... c'est exact. Mais ce n'est pas dans nos habitudes d'agir ainsi. Cependant, si... si ce monsieur ici présent est d'accord. Nous pourrions peut-être faire une exception...

Elle n'osa pas croiser le regard du mutant, alors ce fut June, toujours à ses côtés qui se tourna vers lui, le regardant à peine et enchaîna rapidement :

"On fait comme ça ? Vous aurez vos médocs et moi j'arrêterai de perdre mon temps. Je n'ai pas que ça à faire !"

Et elle attendit que son voisin se retourne enfin vers elle pour confirmer

Parfois, quand on se mêle de la vie des gens, il ne se passe rien. On continue notre chemin après, comme si de rien n'était. Parfois, on s'en sort grandi, on a appris des choses ou bien on a même fait de nouvelles connaissances. Et puis dans certains cas, ça va nous rapporter des ennuis. De très gros ennuis. Et dans le cas présent, June se situait entre les deux dernières possibilités. C'est en tout cas l'impression qu'elle eut lorsque l'homme se retourna enfin vers elle. Et qu'elle aperçut le visage qui la toisait à présent. Si ce visage n'avait éveillé que de la méfiance chez la pharmacienne parce qu'elle l'avait pris pour un drogué de plus, impossible pour la jeune femme de ne pas le reconnaître. Elle en avait tellement entendu parler, et tellement aperçu sur diverses photos. Et puis, ce tatouage ne la trompait pas. Au contraire, il demeurait la preuve infaillible qui confirma son horrible soupçon. Elle n'avait devant elle ni plus ni moins que le Directeur de la Confrérie. Rien que ça. Ses entrailles firent un bond en avant. Jamais, elle n'aurait imaginé se retrouver à moins de 20 centimètres, en face à face avec le célèbre mutant.

Oups ?

La jeune femme croisa le regard noir de son interlocuteur et son assurance vacilla un court instant. Après s'être maudite pour s'être une fois de plus mêlée de ce qui ne la regardait pas, elle se reprit rapidement. Après tout, rien ne lui prouvait que lui la connaissait. La preuve, c'est qu'il lui demanda son nom. Après un moment qui lui sembla incroyablement long, elle entendit sa propre voix répondre :

"... June. Appelez-moi simplement June"

En espérant que cela n'éveille en lui aucun souvenir particulier. Elle ne lui demanda même pas son nom. D'une parce qu'elle connaissait parfaitement son identité. De deux, ce n'était pas la peine de provoquer la panique générale dans la pharmacie. Il était resté plus ou moins incognito et June s'en serait voulue de lui faire perdre sa couverture. Pas pour lui, non. Mais bien dans son propre intérêt. Le pouvoir du mutant était, comme son possesseur, tout aussi légendaire. Elle ne tenait pas particulièrement à terminer aussi plate qu'une crêpe. Restait à savoir s'il comprendrait son geste, ou bien si pire, cela ferait naître des soupçons qui n'avaient pas lieu d'être.

La jeune femme soutint fermement son regard et lui rendit son sourire. Enfin, du mieux qu'elle put. Une pensée -absurde- lui effleura même l'esprit. La première impression passée, le mutant n'était pas si effrayant que ça. Au contraire, il aurait presque fière allure s'il était un peu moins crispé. Un instant, elle regretta la barrière invisible qui se dressait entre eux...

Devant eux, la pharmacienne s'impatienta et June se hâta de conclure:

"Bien, dans ce cas, nous sommes d'accord. Mettez cette boîte sur ma liste et l'Ins... mon donateur vous règlera. Ajoutez juste ceux-là en plus, c'est pour moi"

Et elle tendit sa liste. Tandis que la pharmacienne repartait dans ses rayons chercher les précieux médicaments, elle reporta son attention sur le mutant. Elle s'était reprise juste à temps. Lucide, la jeune femme doutait que le mutant apprécie d'être redevable envers l'Institut. D'ailleurs, elle n'était pas certaine non plus que Samarah apprécie son geste, mais tanpis. Elle n'allait pas changé d'avis maintenant qu'elle s'était engagée.

"Et donc, j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas d'ici. Qu'est ce qui vous amène à Londres ?" demanda soudain June, désireuse de se montrer le plus naturelle possible.

Le pire, c'est qu'elle n'avait presque pas à faire semblant, elle était sincèrement curieuse. Cela avait quelque chose d'excitant d'avoir face à soi une figure aussi emblématique. Pour le coup, elle en oublierait presque le danger...

Après une bonne trentaine d'années de fuites et combats divers, les sens de Kenjiss étaient particulièrement aiguisés... C'est ainsi qu'il nota un léger, un infime, un minuscule frémissement lorsqu'il se tourna vers June. Probablement dût à son aspect peu engageant... Le mutant n'en tint pas rigueur et continua d'afficher un sourire qu'il espérait rassurant. Nobostant le fait que sa tête avait fait les gros titres de certains journaux particulièrement engagés contre ou, -moins souvent- partisans des mutants, il tint tout de même à se présenter...

Enchanté June. Appellez moi... Il baissa la voix Kenjiss.

Le regard tourmenté du mutant avant plongé sans qu'il s'en rende compte dans celui, tout aussi étrange, de la jeune femme, guettant une réaction quelconque à l'annonce de son prénom... Si l'on pouvait le qualifier ainsi. Etrangement, et depuis quelques secondes, Kenjiss avait l'impression de l'avoir entraperçue quelque part. Brièvement peut être... Il en vint à regretter l'absence de son télépathe maison, qui aurait fouillé l'énorme base de donnée confrère en quelques secondes pour en tirer une fiche complète.

La jeune femme soutenait avec aplomb son regard. C'était particulièrement plaisant à vrai dire. La moitié de ses connaissances détournaient les yeux devant sa stature, son visage, ou ce dont il était capable. Certes, Junes n'était pas au courant de tout ça, mais elle n'avait pas l'air effrayée par son aspect. Et elle l'avait aidé... Kenjiss sourit intérieurement en remerciant la solidarité inter mutante, tellement méconnue mais qui faisait ses preuves parmis les non humains. Ils étaient unis devant les inférieurs.... Le tatoué fut tiré de ses pensées par la réponse de la jeune femme à la pharmacienne, qui commençait à s'impatienter sérieusement... Elle bafouilla. Un donateur ? Kenjiss eut un infime froncement de sourcil. Autant devant la taille de la liste qu'au soupçon qui s'infiltrait sournoisement dans son esprit. Un donateur... Ici à Londres ? Il attendit que la pharmacienne reparte.

Vous feriez bien d'être prudente avec votre donateur. Il pourrait avoir des soupçons. Ces calmants sont particulièrement dangereux.Il n'y a que les blessés graves et les junkies qui en prennent...

Il se foutait bien de ce qu'elle pensait de lui, lui laissant le choix de le caser dans une des deux catégories. Son dos recommençait à gémir. Le mutant grinça des dents. Et jeta un regard surpris à June, qui reprenait la parole. Non contente de lui rendre service, elle engageait la conversation ? Kenjiss songea à attaquer directement des questions sur sa mutation mais se retint. En plein milieu d'une pharmacie, il y avait mieux à faire que de clamer son gène X. Lui s'en moquait, elle sans doute pas. Kenjiss darda un regard inquisiteur sur la jeune "mutante", détaillant scrupuleusement son visage... Qui semblait réellement curieux. Interloqué, le mutant répondit aussi franchement que possible. Les meilleurs mensonges étaient ceux qui étaient le plus facile à retenir. Et il préférait éviter d'exciter le soupçon de tension qu'il devinait chez elle.

Je suis en ... voyage d'affaire. Je dois encore assister à une conférence, des investisseurs londoniens, et je repars au Canada. Et vous ? Vous vivez à Londres ? Colonie de vacance vu le nombre de bandages que vous demandez ? Il s'empressa de se justifier, préférant éviter de la faire paniquer en s'imaginant avoir affaire à un matteur enragé. J'ai une vue perçante.

Sa réputation le précédait et June constata, non sans une certaine lueur de malice dans le regard, qu'elle n'était pas usurpée. Certes, c'était le patron de la maison d'en face, certes ses actes demeuraient peu reluisants et son mépris envers les humains, et donc pour elle, n'était un secret pour personne. Mais, June devait au moins le lui reconnaître, ce n'était pas un couard car contre toute attente, il se présenta à elle. Et le fait d'entendre son nom la fit encore une fois frémir. Elle avait beau le savoir, cela faisait toujours son petit effet. Et tout comme le premier, son frémissement ne lui échapperait certainement pas. Mais tanpis, le choc de la rencontre était à présent passé et June avait pu se retrouver une contenance.

Les deux jeunes gens guettaient leurs réactions réciproques, leurs yeux solidement ancrés dans ceux de l'autre. Mais June ne se laisserait pas défaire. Après tout, elle cotoyait des mutants tous les jours. Elle ne craignait donc pas sa nature, juste ses réactions. Elle répondit très simplement en soutenant son regard. Ses yeux. La rumeur disait qu'il pouvait les avoir argentés à certains moments. Elle fut contente des siens, même si l'un était bleu et l'autre vert. C'était nettement plus discret.

"Bien... Kenjiss"

Malgré l'envie qui la tenaillait, June décida de se montrer prudente. Elle fit comme si elle ne le connaissait pas. Tant qu'ils seraient entourés de monde, en tout cas. Mais son regard brillait de ceux qui savent. La pharmacienne revint de ses rayons et tendit la marchandise à la jeune femme. Elle lui tendit une carte.

"Si elle vous appelle pour des explications, dites-lui que vous avez agis à ma demande"

Réponse bien mystérieuse et laconique, mais elle en avait déjà dit assez. Elle se tourna vers Kenjiss et déclara :

"Allons-y, je suppose que vous avez hâte de soulager votre douleur. Et... pour ma source, n'ayez crainte. Je m'expliquerai en temps et en heure. Cela ne devrait pas trop poser de problèmes."

Alors qu'ils se faufilaient vers la porte, ils en eurent encore à faire avec quelques regards. Les gens qui avaient attendus les regardaient intrigués, mais leurs interrogations coulèrent sur le dos de June comme l'eau de sa cascade. Lorsqu'elle fut dehors, la jeune femme inspira un grand coup. Quelque chose lui soufflait qu'elle n'était pas au bout de ses peines. Sa journée s'annonçait longue... et surtout imprévue.

"Mais bien sûr, la Conférence. Au British, je suppose. J'aurais du y penser. Elle attire beaucoup de monde et est attendue depuis longtemps"

Elle se raidit quelque peu lorsque le mutant poussa également sa curiosité plus loin. Mais après tout, elle l'avait fait aussi.

"C'est exact, Londres est en quelque sorte mon point d'attache. Je voyage beaucoup", précisa-t-elle

A la dernière remarque du mutant, elle esquissa un sourire. Une vue perçante, hein ? Perspicace, oui. Il ne tarderait pas à faire le rapprochement si ça continue.

"Hum, pas tout à fait, mais je peux leur proposer cette alternative, je suis sûre que ça ferait des heureux" répondit-elle simplement, le regard vague et un sourire collé aux lèvres.

June obtint rapidement ce qu'elle désirait... Et les deux plus si jeunes gens que ça quittèrent la pharmacie, s'attirant des regards outrés de la moitié des clients. Kenjiss songea une fraction de seconde à tourner la tête pour calmer les ardeurs de ces braves gens mais il se contint. C'était loin d'être la première fois qu'on le regardait bizarrement après tout. Il faudrait qu'il pense à demander à Maria d'aller étouffer l'affaire qui ne manquerait pas d'éclater si un des types présents dans cette pharmacie l'avait reconnu... Le directeur de la Confrérie, un camé en manque ? Le genre de gros titre dont raffolaient les journaux. S'il était vraiment malchanceux et qu'un papier à scandale était réellement vicieux, le tatoué pourrait même lire que le psychopathe pervers de la Confrérie, après avoir consommé une dose de sa drogue habituelle, obtenue grâce à l'aide d'une aimable demoiselle, avait violé la dite demoiselle dans une ruelle sombre. On dégotterait même une nana à peu près correspondante au physique de June pour lui faire faire une confession larmoyante devant micro. C'était presque fatiguant de devoir se méfier de tout dès que l'on foutait un pied dehors de chez soi au final...

Comment ça la conférence au British ? Une bienfaitrice... "Elle ? "

Brutalement tiré de ses pensées par la voix de June, Kenjiss maitrisa rapidement un haussement de sourcil étonné. Il avait parlé d'une conférence. Pas forcément la seule concernant les mutants... Donc ses soupçons étaient confirmés. June le connaissait. En soi, ce n'était pas une surprise, sa tête passait bien (ou mal, selon le point de vue) dans les journaux. Mais c'était plus sa propre sensation, celle d'avoir déjà vu cette masse de cheveux noirs récement... Kenjiss avait la très nette impression que June n'était pas qu'une mutante tentant de vivre tranquillement dans son coin.

L'âge te réussit pas mon vieux... Parano jusqu'au bout.

Le mutant baissa légèrement la voix, dardant sur June un regard inquisiteur, parfaitement sous entendant. Bien que moins persécutés qu'aux Etats Unis, les mutants se réunissaient toujours pour se protéger dans d'autres pays du monde... Et il préfèrait éviter de penser au regroupement le plus évident, ici, à Londres.

Ah... Je comprends. On évite de parler de ces choses là en public.

Le "on" était suffisament partisan pour ne laisser aucun doute quand à la mutation de June... Kenjiss avait suffisament trouvé et aidés de jeunes mutants en détresse pour ne pas se tromper lorsqu'il en croisait une...

Un élancement de douleur cassa net ses réflexions. Sa colonne n'avait pas l'intention de le laisser en paix... Et même s'il n'y avait plus qu'une fraction de la balle, même pas métallique, logée dans sa moelle épinière, elle suffisait à déclencher un enfer de souffrance... L'infime mouvement qui lui avait échappé passa inaperçu sous son long manteau de cuir, il n'était pas sûr que la crispation de son visage ait été si discrète... Le mutant se tourna vers June, rangeant ses histoires de bandages et le sourire étrange de la "mutante" dans un coin de son esprit. Il aurait tout le temps de s'interroger plus tard, lorsqu'il aurait l'esprit clair...

Je vous doit combien pour... ça ?

Kenjiss désigna la boite de calmants que June tenait toujours. Et s'aperçut de son erreur. Trop pressé, trop souffrant, il avait instinctivement utilisé sa main gauche... Celle qui ne comportait plus que trois doigts. Et deux phalanges mutilées et d'aspect peu engageant. En d'autres termes, le genre de truc qu'il préférait éviter d'agiter à un mètre du visage d'une inconnue.... Sans savoir pourquoi il tenait tant à ne pas choquer June, il laissa rapidement retomber sa main le long de son corps, détournant son regard des yeux si fascinants de l'étrange femme.

L'air frais fit du bien à June, fouettant légèrement ses joues. Les bouffées d'oxygène qu'elle inspira lui firent aussi prendre réellement compte de la situation dans laquelle elle se trouvait. A Londres. En plein centre ville. Bon, jusque là, rien d'extraordinaire. Accompagnée de Kenjiss. Là, ça devenait louche. En train de discuter aimablement de médicaments. Même pas occupés à s'entretuer ! Sûr que là, elle s'était foutue dans une merde royale ! A la limite, elle aurait pu imaginer un jour se retrouver dans un face à face plutôt tendu avec le mutant. Mais jamais se baladant, l'air de rien, presque comme un couple le long de Picadilly Circus ! Machinalement, June, passa sa main sur sa ceinture. Et se sentit soulagée. Au moins, elle était armée si la discussion tournait mal. Certainement pas de quoi mettre le mutant KO, elle n'était pas stupide. Mais peut-être juste de quoi lui permettre de fuir...

A côté d'elle, le mutant devint silencieux et en l'observant, June le trouva assez pensif. Ca devait cogiter sévère dans ses petits neurones pour savoir si oui ou non il connaissait la jeune femme. Si oui ou non, il était tombé dans un piège. Si oui ou non, il pouvait lui faire confiance. Et enfin si oui ou non, elle le connaissait. Finalement, June devina qu'ils avaient trouvé ses réponses, du moins en partie lorsqu'il reprit la parole.


"Si ça ne vous dérange pas... oui. Je préférerais éviter tout scandale. La ville est relativement calme en ce moment malgré la sécurité augmentée, spécialement pour la Conférence. N'ajoutons pas d'huile sur le feu inutilement"

Sans s'en rendre compte, elle venait de s'inclure involontairement dans les soupçons de Kenjiss qui la prenait pour une mutante. Il risquait d'être surpris lorsqu'elle lui apprendrait tout le contraire. Mais tant qu'il en restait persuadé, elle augmentait son espérance de vie à ses côtés. Alors pourquoi gâcher ses espoirs aussi vite ?

Soudain, le mutant s'agita et désigna la boite de médicaments. Un peu trop rapidement car, se rendant compte de son erreur, il replongea sa main sous sa veste. Mais le mal était fait. June aperçut sa mutilation et au grand étonnement de Kenjiss sûrement, ne broncha pas. Il faut dire qu'elle en avait déjà tellement vu, que ce n'était pas une demi main qui allait lui faire avoir un haut le coeur.

"Que vous est-il arrivé ? Accident de parcours ?" demanda-t-elle simplement désignant d'un coup d'oeil la veste

Nullement consciente qu'elle aurait pu mettre mal à l'aise le mutant -non mais franchement qui pourrait réussir à mettre mal à l'aise le Directeur de la Confrérie, hein ? Certainement pas une simple petite humaine, comme elle. Et puis June, n'était pas connue pour son tact, mais au contraire même, plutôt pour sa maladresse naturelle- C'est pourquoi, elle mit sur la compte de la douleur le fait qu'il ne la regardait plus droit dans les yeux.

"Oh! Désolée"

Se rappelant soudain que le mutant n'attendait certainement qu'une chose -ces précieuses petites pilules- elle lui tendit la boîte, toujours avec un grand sourire.

"Prenez-là. Vous ne me devez rien... pour le moment"

Comme toujours, Picadilly Circus était particulièrement fréquenté. Et pourtant, June et Kenjiss pouvaient déambuler tranquillement. Personne n'osait bousculer les mutants. La tête du tatoué n'y était sans doute pas étrangère... Ainsi, c'était au milieu d'une fouille grouillante, mais très légèrement en retrait, que les deux étranges personnes fendaient la foule. Il écouta en silence l'aveu de la mutation de June, et respecta son silence. Bien qu'ils ne risquaient pas grand chose, mieux valait éviter de stresser la jeune femme... Qui pouvait devenir une recrue potentielle.

Kenjiss avait intercepté le léger mouvement de main de June. Peu importe. La plupart des mutants préféraient être armés dans un monde qui les rejetaient... En revanche, "l'accident de parcours" lui mit la puce à l'oreille. Puisqu'elle mettait les pieds dans le plat... Kenjiss plissa les yeux.

De parcours vous dites ? Quel parcours ais je eut à votre avis ? Il haussa les épaules. Mais oui. Une sentinelle m'a balancé un parpaing sur la tronche et m'a broyé les doigts.

Si elle n'était pas au courant de ses mésaventures avec l'élite de l'éradication des mutants, June était servie ! Kenjiss venait tout simplement d'avouer avoir été un activiste -et mutant de qui plus est-, bien qu'il avait l'intime conviction que June était parfaitement au courant... Et au pire, que risquait il ? Le tatoué secoua la tête pour rassurer la jeune mutante.

Peu importe. Ce n'est pas vous qui me les avez écrasés ces doigts... En l'occurence, c'était bien la race de June qui en était responsable, mais qu'en savait il ? Etrangement, June arborait toujours un sourire éclatant lorsqu'elle lui tendit la boite. Kenjiss fut quelque peu troublé. Pourquoi souriait elle en permanence ? Lui se serait tiré illicco en se balançant la boite de calmant à la tronche... C'était perturbant en fait. Au moins autant que l'étrange regard... La curiosité commençait à l'exciter. Quel pouvoir avait elle donc ? La diversité mutante faisait tellement bien les choses...

Oh. Il saisit la boite de la main droite et l'ouvrit d'un geste expert, dénotant une longue habitude... Avant de se souvenir qu'il risquait de passer pour un ingrat. Merci, glissa il en détachant quelques gelules.

En temps normal, ces pilules se prenaient avec un grand verre d'eau... Kenjiss en avala deux cul sec au lieux de l'unique recommandée toutes les heures. En temps normal, on n'avait pas une balle antichar coincée entre deux vertèbres... L'effet ne tarderait pas à se faire sentir... Il savoura presque les derniers élancements de son dos. Dans quelques minutes, il serait apaisé... Tranquillisé. Il fourra la boite dans sa poche, frôlant le flingue à plasma qui y était dissimulé. Et leva les yeux sur June, croisant sans hésitation les deux yeux différents de la grande brune en arborant un sourire engageant.

Rien... Pour le moment ? Il hésita. Je ne parlais pas forcément d'argent. Si vous avez besoin d'aide, je peux également la fournir... Si vous voyez de quoi je veux parler. Il désigna ses propres yeux d'un geste discret. Comprendre ça...

La discussion devenait intéressante et alors qu'il aurait été tellement plus sage, tellement plus simple de partir maintenant, June demeura au côté du mutant. Les gens dans la rue semblaient se désintéresser d'eux. Alors, elle en profitait. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'en savoir davantage sur le terrible, le terrifiant, le puissant Kenjiss. De savoir pourquoi il était devenu le mutant qu'il était aujourd'hui.

Ses compagnons à l'Institut lui avait un dressé un bien sombre tableau. Elle même s'était faite sa propre idée. Mais tout ça n'avait pour base que des rumeurs. Et si la vérité était toute autre ? La jeune femme se doutait bien que ses semblables devaient y être pour quelque chose. On ne déclenche pas une haine si profonde et déraisonnée sans avoir un motif valable. Mais, tous les humains n'étaient pas comme ces extrémistes anti-mutants. Il en avait la preuve en personne à ses côtés. Encore faudrait-il qu'il arrive à la voir.

Les choses sérieuses commencèrent lorsque le mutant accrocha à sa question. Tout en restant prudente, June décida de jouer franc jeu.

"Je dirais qu'il a du être assez sanglant et chaotique. Et que votre route n'a pas toujours du croisé les bonnes personnes..."

Lorsqu'il évoqua les Sentinelles, June se figea un instant, surprise. Elle ne s'était jamais retrouvée face à ces choses immondes, mais le récit de son amie sur l'attaque de l'Institut il y a plus de 20 ans était resté gravé dans sa mémoire. Elle avait eu de la chance de s'en sortir vivante. Et manifestement, Kenjiss aussi. Car une fois que ces saletés vous avaient pris pour cible, vous n'aviez que très peu de chance pour vous en sortir.

"Vous devriez vous renseigner... pour vos doigts. La médecine a connu un immense progrès ces dernières années"

Elle ignorait si cela lui était douloureux mais elle pensait sincèrement ce qu'elle disait. Une mutilation était toujours gênante et aujourd'hui, le domaine médical, particulièrement dans le domaine des prothèses faisait des miracles. Le mutant prit la boîte et avala sans attendre ses pilules. Amusée, June remarqua qu'il dépassa largement la dose autorisée. Au moins, s'il se mettait à 'planer', elle ne risquerait plus rien. Mais le mutant devait savoir ce qu'il faisait. Tout comme il avait vite compris le sens caché de ses propos. June fut elle aussi très claire et prudente, préférant parler de service à la place de dette.

"Un service ne se paie pas toujours avec de l'argent, Kenjiss... De plus, je ne vois pas vraiment ce que je pourrais en faire"

Ayant vécu dans la rue après l'Orphelinat, la jeune femme avait cédé toute notion de matérialisme à ses semblables. Pour elle, la richesse n'était pas l'essentiel. Elle se retint d'éclater de rire lorsque le mutant lui proposa son aide. S'il savait qu'il venait indirectement de proposer cela à l'Institut, il n'aurait certainement pas apprécié.

"Mais qui sait... peut-être qu'un jour vous pourrez m'aider, oui" répondit-elle en le fixant droit dans ses yeux, signifiant qu'elle avait parfaitement compris le message.

Et cette fois, elle avait mis l'Institut de côté...

L'effet des pilules ne tarda pas à se produire et Kenjiss senti enfin la douce, l'apaisante sensation de bien être monter peu à peu en lui... Son dos ne devint plus qu'un amas sourd, une douleur sournoise qui fut bien vite balayée par les merveilleuses petites pilules. En d'autres termes, il planait. Peu, mais il planait. Un léger sourire s'afficha sur son visage. Il avait enfin l'esprit clair... Et ce fut d'un air presque agréable qu'il se tourna à nouveau vers June.

Sanglant et chaotique, c'est le moins qu'on puisse dire, ouais. Mais vous êtes au courant n'est ce pas ? Lui aussi savait dévoiler ses cartes...

Elle évoqua ses doigts, la possibilité de les faire remplacer. Bien sûr, il y avait déjà pensé. Dès qu'il les avait perdu en réalité. Lorsqu'à seize ans, fixant sa main mutilée, indifférent au déluge de fer et de flammes qui s'abattait tout autour de lui, il pleurait de douleur, de rage de ne pas pouvoir s'opposer à la puissance mécanique humaine... Ce jour là, il n'avait dû qu'à Typhanie de ne pas périr. Et pourtant... Son regard se durçit. Il ressortit sa main, la fixant sans un remord. June put ainsi observer à nouveau les phalanges mutilées, qu'il n'avait caché que par un élan spontané de délicatesse qu'il n'expliquait toujours pas.

Non. Je ne veux pas remplacer mes doigts par une prothèse. Je n'ai pas à masquer mes cicatrices. Ce qu'ils m'ont infligé...

Ne jamais pardonner... Ne jamais oublier. Kenjiss n'en avait pas l'intention. Mais ce n'était pas tant pour ses doigts que pour ses frères qu'il se battait contre la tyrannie humaine... Il haussa les épaules. Ce n'était pas le moment de repartir en croisade, en plein milieu de Picadilly Circus, et avec une inconnue à ses côtés...

Inconnue qui venait de le fixer dans les yeux. Kenjiss s'arrêta un instant, hésita, avant de plonger son regard dans le sien. Il eut à nouveau cette sensation étrange d'être observé par deux personnes différentes, deux yeux mystérieux... Le tatoué se reprit. Ces pilules faisaient foutrement trop d'effet parfois. Un bref sourire éclaira son visage du mutant tandis qu'il dégainait une carte de visite sur laquelle était simplement écrit un numéro. Ni nom ni adresse. Hors de question d'être pisté par un journaliste inquisiteur... Il la tendit simplement, sans forcer la main à sa compagne, sans préciser qu'il s'agissait d'un de ses numéros personnels. Il imaginait déjà la tête de Maria si June l'appellait, du fin fond de Londres, sans que personne ne sache de qui il s'agissait ou de quel pouvoir elle disposait.

Contactez ce numéro en cas de besoin.

Sans qu'il s'en apercoive, et que ce soit à cause des pilules ou de sa solidarité habituelle avec les autres mutants, Kenjiss s'était quelque peu détendu... Sa main ne jouait plus avec la minuscule lame glissée dans sa manche, capable d'être dégainée en une fraction de seconde... Le tatoué plissa le visage en observant le flot de voitures ininterrompu qui encombraient les rues.

Londres est tellement embouteillée en ce moment... J'vous ramène ? Pas par la route s'entend...

Proposition innocente ? Pas vraiment non... Si elle acceptait, il pourrait infirmer ou confirmer ses soupçons... A savoir si cette mutante n'était pas déjà sous la coupe de Samarah Lemington. Car tout détendu qu'il était, il n'entendait pas se relaxer entièrement... Simple précaution.

On se serait cru lors d'une importante négociation, chacun essayant de prendre au piège l'autre. En abattant ses cartes au fur et à mesure pour mieux en observer l'impact sur l'adversaire. Et June trouvait ce petit jeu particulièrement excitant. La proximité du danger que représentait le mutant, sans doute aidée par une petite poussée d'adrénaline. Celle-là même qui la poussait à rester en compagnie de son 'gentleman' au lieu de déguerpir fissa. Le mutant à ses côtés se détendit, sans doute sous l'effet des pilules et elle eut même droit à un ravissant sourire de sa part. C'est fou l'effet qu'une petite pilule pouvait avoir sur certaines personnes... Fidèle aux règles qu'ils s'étaient lancées mutuellement, elle continua la conversation :

"Vaguement, il est vrai..."

Et voilà, elle venait implicitement de reconnaître à son tour qu'elle savait parfaitement qui se tenait à ses côtés. L'adrénaline monta d'un cran. Son instinct de survie lui hurlait de foutre le camp mais June ne bougea pas d'un poil. Et elle aurait bien été incapable de dire pourquoi. Le Directeur lui confia qu'il tenait à garder les marques de sa mutilation et à vrai dire, cela ne l'étonna pas vraiment. Au contraire, ça entrait tout à fait dans le caractère du personnage. De plus, la fin de sa phrase laissa sous entendre qu'elle avait vu juste. C'étaient bien à cause de ses semblables que le mutant avait perdu la moitié de ses doigts. Le constat fut amer pour la jeune femme. Un instant, un voile passa sur son visage. Avait-elle raison de se battre corps et âme contre un mur de haine aussi invisible que vide de sens ? Elle se sentit lasse. Mais la conversation qu'elle tenait en ce moment même avec 'l'ennemi' n'était-elle pas une preuve à elle seule que c'était possible ? Le découragement la quitta, balayé par cette mince lueur d'espoir.

"Vous avez raison, avoua-t-elle au bout d'un moment, et puis c'est bien connu, ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort!"

Et elle retrouva le sourire, persuadée qu'elle devait continuer dans la lutte qu'elle avait engagé contre la bêtise de l'humanité. Kenjiss sortit de sa poche une carte qu'il lui tendit. June regarda un instant le bout de papier, interdite, avant de l'accepter. Il n'y avait qu'un numéro dessus, le mutant était prudent et elle la fourra discrètement dans la poche de son jeans.

"Bien, je n'y manquerai pas"

Elle avait un peu honte d'avoir accepté, mais une main tendue pouvait toujours être bonne à prendre. Même dans le camp d'en face. Enfin, cela il ne le savait pas encore. Et June pria pour qu'il ne lui prenne pas des envies sanguinaires lorsqu'il prendrait conscience des répercussions que pourraient avoir son geste.

Il lui proposa ensuite de la ramener -oui bon, pourquoi pas- mais par une voie qui semblait propre au mutant. June se figea et dans sa poitrine, son coeur rata un battement. Est-ce qu'il pensait à ce à quoi elle s'attendait ? Pour la première fois depuis le début de leur discussion, la jeune femme eut une hésitation. Serait-elle celle de trop ?

"Euh... c'est à dire, comme je vous l'ai dit, ma journée n'est pas finie, j'ai encore des choses à faire du côté de Covent Garden. Mais si vous connaissez un moyen rapide de s'y rendre, je vous suis"

Oui, oui, elle l'avait dit...

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Si ce proverbe convenait parfaitement à quelqu'un, c'était Kenjiss... Le mutant avait vu défiler plus de fer dans sa chair qu'un forgeron d'il y a deux siècles sur son enclume ! Il sourit à cette évocation, autant que pour le "vaguement" qui ne se voulait pas trop suspect. Les cartes s'abattaient de chaque côté et aucun n'était dupe... En revanche, le tatoué retint une bordée de jurons lorsqu'elle affirma avoir encore des courses à faire. Au moins ses soupçons se confirmaient ils... Mais il n'avait aucune preuve tangible de ce qu'il avançait.

C'est plus rapide, plus agréable et par dessus le marché c'est écolo... Y a des avantages à être mutant ! Kenjiss n'avait pas baissé la voix cette fois. Personne ne prêtait attention à eux outre mesure de toute façon... Venez.

Sans se presser, le mutant se dirigea vers une ruelle moins fréquentée bordant les rues commerciales. Hors de question de tenter un décollage en pleine rue... Les chasseurs de la RAF étaient une réalité et s'ils avaient des difficultés à verrouiller un missile sur lui, les tirs de canons ne pardonneraient pas, qu'importe qu'ils soient au dessus de Londres ! Qui plus est, et bien qu'il ait les moyens de ne pas être touché, June n'apprécierait sans doute pas. Et sa discrétion en prendrait un coup. Il s'arrêta au bout de quelques mètres, ignorant superbement un genre de dealer de quartier trop occupé à se rouler un stick pour prêter attention à l'étrange couple. Il se retourna vers June, tout sourire.

Si mademoiselle veut bien se donner la peine d'embarquer... Fermez vos sacs. Et accrochez vous.

June put ainsi apercevoir les yeux du mutant passer du noir à l'argenté brillant en quelques secondes... Il s'approcha d'elle, prenant son silence pour un acquiecement silencieux... Et passa une main sous ses jambes, posa l'autre, toute mutilée qu'elle était, dans son dos, et fit basculer June sans plus de cérémonie. La demoiselle n'était déjà pas bien lourde, mais en l'absence de gravité, elle ne pesait plus rien du tout... Et ce fut sans plus de cérémonies que Kenjiss se propulsa d'une brusque détente des jambes à une dizaine de mètres de hauteur, reprit appui sur le mur pour gagner une vingtaine de mètres de plus, atterit sur le toit... Et redécolla, sautant en longueur cette fois. Soit sur une centaine de mètres, reprenant un appui pour bondir à nouveau, filant au dessus des toits... Rien que du très normal non ? Il jeta un coup d'oeil à sa passagère, s'assurant qu'elle aussi trouvait cela... normal.

Normal ?

A vrai dire, dès le moment où elle avait accepté l'invitation du Confrère, plus rien ne l'avait été. La jeune femme se sentit entraînée dans une sorte de spirale, pas encore infernale mais presque. Car elle ne pouvait plus faire demi-tour et changer d'avis. Ca, ça aurait été vraiment suspect. Aussi, quand il lui parla des avantages de sa condition, elle ne fit qu'acquiescer vaguement. Son esprit était déjà bien loin, trop occupé à analyser la situation dans laquelle elle s'était embarquée.

"Certes"

Elle se retint d'ajouter qu'elle n'en avait pas la moindre idée, ce n'était vraiment pas le moment. Elle emboita le pas au mutant et se retrouva rapidement au coeur d'une ruelle inconnue qui devait sans doute servir de repère aux junkies la nuit. La vision du probable dealer fit remonter en elle quelques souvenirs, mais elle les chassa rapidement. Soucieuse de garder les battements de son coeur à un rythme naturel. Et à le sentir cogner actuellement dans sa poitrine comme un tambour, ce n'était pas gagné. Sur les conseils avisés de Kenjiss, elle glissa le sachet de la pharmacie dans son sac en bandoulière et le ferma soigneusement. Le mutant avait donc bien prévu le moyen de transport qu'elle avait envisagé. Elle sentit ses jambes se ramollir quelque peu mais elle ne pouvait plus refuser à présent.

D'ailleurs, Kenjiss dut prendre son silence pour un accord entendu car déjà il s'approcha d'elle. La jeune femme eut alors l'immense privilège de pouvoir confirmer la rumeur qui courait sur les yeux du mutant lorsque ceux-ci virèrent au gris argenté -joli le gris d'ailleurs-, en moins de 2 secondes, chronomètre en main. Et avant d'avoir pu dire 'ouf', il la souleva comme si elle n'avait été qu'un simple fétu de paille. Le contact des mains musclées sur son corps lui arracha un frisson. Elle réalisa, non sans une légère ironie, que le mutant tenait littéralement sa vie entre ses doigts. Enfin, ceux qui lui restaient bien sûr.

Et ils décollèrent.

Réflexe oblige, June voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Toute émotion resta coincée au fond de sa gorge. Elle s'agrippa simplement de plus belle à l'épaule du mutant -sans se douter qu'il ne devait pas y en avoir eu beaucoup à sa place avant elle- et la surprise du décollage passée, une unique et horrible pensée s'imposa dans son esprit encore lucide.

*Sam' va me tuer !*

Des cheveux. Oui, c'est à peu près tout ce qu'elle vit du fabuleux et surtout périlleux voyage dans les airs au dessus de Londres. Les siens et ceux de Kenjiss plus probablement, puisqu'il les avait plus longs -et surtout plus doux- que sa tignasse épaisse. La seule fois qu'elle avait ouvert un œil, elle avait juste eut le temps d'apercevoir une cheminée qui s'approchait d'un peu trop près, sous un angle plutôt inquiétant et elle l'avait refermé illico. Décision judicieuse, si elle ne voulait pas terminer avec le contenu de son estomac sur le corps du mutant. Pas certaine qu'il apprécierait la chose, du reste.

*Mais qu'est-ce qui m'a pris ?*

June se le demanderait des dizaines de fois encore les jours suivants. Car, pour ce qui était des cabrioles, il n'y avait -effectivement- que Kenjiss pour les apprécier en ce moment.

*Quand est-ce qu'on touche le sol?*

Bon, si elle pouvait penser, c'est qu'elle était toujours vivante. Plutôt une bonne nouvelle, ça, vu sa situation actuelle. En plein vol, à une centaine de mètres de hauteur, dans les bras d'un mutant réputé dangereux. Bon, okay, dans le genre, on pouvait difficilement faire mieux que ça. Soudain, le son de la délivrance sembla retentir à ses oreilles. Le Confrériste la prévenait de leur arrivée imminente et la jeune femme pria pour qu'il ne rate pas son atterrissage. Aussi près du but, ce serait franchement con ! Elle garda ses yeux résolument fermés, ne se rendant pas compte que tout occupé à voltiger de toits en toits, Kenjiss en profitait également pour l'observer. Curieusement attiré.

Lorsque le mutant s'arrêta pour la première fois, June rouvrit les yeux, pensant être arrivée à destination. Erreur. Elle eut tout juste le temps de voir défiler à une vitesse plus qu'anormale le mur devant elle avant que Kenjiss ne touche le sol -le seul, le vrai- pour de bon, une dizaine de mètres plus bas. Résultat, elle lui enfonça encore davantage ses doigts dans ses bras/épaules/enfin ce qu'elle avait à disposition !

Quand il l'invita à descendre, elle dut commander à ses doigts crispés de lâcher le mutant avant de pouvoir enfin poser un pied à terre. Dans un autre réflexe, tout aussi inutile que le premier somme toute, elle s'empressa de vérifier qu'elle demeurait toujours en un seul morceau. Tête ? Bras ? Jambes ? Tous semblaient être présents. Ouf

Elle se retourna vers le mutant qui la regardait, l'air amusé -forcément- et décréta :

"Wouch, ça déménage un truc pareil. Vous ne devez pas avoir de problème pour vous déplacer vous au moins ! Je crois qu'on peut difficilement faire plus rapide"

Elle se massa légèrement le crâne et en profita pour redonner un peu d'allure à ses cheveux, sa coiffure n'ayant pas trop résisté au voyage elle. Puis, elle regarda autour d'elle. Au coin de la rue, plus loin devant, elle aperçut effectivement Covent Garden

*Tout ça, pour des courses...*

Elle observa à nouveau Kenjiss et déclara :

"J'aimerais juste savoir une petite chose. Et répondez moi honnêtement. Y en a eu beaucoup avant pour accepter un tel voyage, ou je suis la seule dingue a l'avoir fait ?"

Le mutant aux longs cheveux soyeux regretta une fraction de seconde avoir emmené sa nouvelle connaissance dans les cieux... Lorsqu'elle retira ses mains de son épaule, Kenjiss put en effet constater la puissance des phalanges de mademoiselle ! Le tatoué massa son biceps en silence avant d'examiner la teinte blanchâtre qui refusait de disparaitre de son poignet... La douleur s'estompa rapidement et il put observer à loisir June, vacillante, qui tentait tant bien que mal de reprendre ses esprits. Tout sourire après sa balade aérienne, Kenjiss l'observa poliment remettre de l'ordre dans ses cheveux, acceptant le compliment en silence, et peut être avec un brin de nostalgie que cette balade soit déjà achevée...

Le tatoué déplia ensuite sa grande carcasse, étirant un à un les muscles de ses bras comme s'il émergeait d'une nuit de sommeil -mais soulageant par la même occasion son épaule malmenée par la fougue de June-. Il haussa un sourcil encore plus amusé lorsque la femme aux yeux vairon l'interrogea sur son expérience avec passagers... Son sourire s'élargit.

Hé bien en fait... Accepté le voyage ? Il en a eut... Il s'interrompit. Deux. Il omit de préciser le nombres de transportés sans consentements, et ceux qu'il avait évacué d'urgence. Mais on s'habitue à la longue vous savez, ça passe mieux que la première fois. Et puis le coin n'est pas beau à voir d'en haut... Vous savez... Il s'interrompit brutalement, traversé par une pensée fulgurante.

Je fais quoi là ?

Kenjiss redevint sérieux en quelques secondes, s'interdisant d'en dire davantage. Hors de question de proposer quoi que ce soit a cette femme qu'il venait de croiser. Dans le meilleur des cas, il n'y avait que lui que ça mettait en danger... Le tatoué se souvint que cette femme n'était pas claire à bien des aspect. Il pensa à autre chose. Le moment était venu de poser la question qui le tourmentait depuis leur rencontre et la première fois qu'il avait croisé son regard... Il s'approcha de quelques pas, maintenant une distance rassurante pour elle. Ce n'était pas l'étrange intimité qu'ils venaient de partager voilà quelque seconde qui changeait son propre aspect ou sa réputation et il ne voulait pas l'effrayer...

Dites moi... A présent que je vous ai montré, du moins en partie, ce que je savais faire... Je pourrais en savoir plus sur vos... Dons ? Le tatoué s'interrompit, tendant une main apaisante, paume tournée vers le ciel. Je crois que vous êtes au courant mais je suis ... directeur de la Confrérie. C'est une organisation qui s'occupe de protéger les mutants comme moi, comme vous. Si ça vous intéresse, je peux vous emmener à Vancouver sitôt après ma Conférence... Il sourit.En avion évidement. L'Atlantique est plutôt long à traverser, même pour moi.

Et accessoirement, on verra qui tu es réellement...

Bon, au moins, il n'y avait pas eu qu'elle pour accepter. Il y avait donc d'autres fous dans ce monde. Maigre consolation au final, car ce n'était pas nouveau. Elle le vit se masser les bras et rougit, quelque peu gênée d'avoir serré aussi fort. Au moins, elle n'avait pas fait tout ça pour rien. Les médicaments devaient être à action rapide car le mutant ne semblait plus du tout souffrir !

"Vachement efficace votre traitement !" lâcha-t-elle en le détaillant des pieds à la tête alors qu'il étirait ses muscles

L'homme en face d'elle, totalement ragaillardi n'avait plus rien à voir avec celui qu'elle avait croisé dans la pharmacie, tout courbé sous la douleur. Il semblait vouloir continuer la conversation mais il s'arrêta soudain avant de s'approcher de la jeune femme pour reprendre sur un tout autre sujet. Que June aurait vraiment préféré qu'il évite, encore plus dans un tel endroit !

Bon, le moment qu'elle redoutait semblait être arrivé et June n'avait pas d'autre choix que de l'affronter. Elle commença à parler, voulant sans doute apaiser le mutant :

"Ne vous en faites pas, je sais parfaitement qui vous êtes et je.... Mes quoi ?"

Elle s'interrompit brutalement, avant de finalement comprendre. Un frisson de terreur lui parcourut lentement l'échine. Elle venait de comprendre pourquoi Kenjiss s'était montré si agréable avec elle. Il l'avait prise pour une mutante ! Et elle comprit rapidement ce qui avait pu l'amener à penser une telle chose

"Mais je... Oh mon Dieu. Vous avez cru que..."

Bon ! Stop ! On se calme ! June se mordit la lèvre et inspira un grand coup, se prépara délicatement à courir - après tout, valait mieux être parée à toute éventualité- et répondit enfin de manière audible :

"Je ne suis pas porteuse du gène X, Kenjiss. Je suis désolée que vous l'ayez cru. Je devine que ce sont mes yeux qui vont induit en erreur"

Elle eut un mince sourire, plus pour elle-même que pour le mutant.

"Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive. Mais je n'ai absolument aucun pouvoir."

Et pour la première fois de sa vie, elle en fut presque désolée.

"A part peut-être celui de ne pas m'être faite tuée de votre main. Etant une simple humaine, il me semble que c'est là le plus gros risque en restant à vos côtés. Enfin d'après ce qui se raconte..."

*enfin... de ne pas m'être faite déjà tuée...* Parce que oui, ce n'était pas certain qu'elle reste en vie maintenant....

Elle ignora comment, mais elle fut même capable d'arborer un sourire, désirant sans doute détendre un peu l'atmosphère suite à sa révélation. Elle sut même avec certitude que le Directeur serait probablement déçu...

Ce truc fond rapidement dans le sang oui... Miracles de la médecine moderne comme vous dites...

Kenjiss essayait de ne pas darder sur June un regard avide, avide de connaitre ses dons et de développer ses pouvoirs... Il tenta un sourire rassurant en l'entendant s'exclamer de stupeur.

Hé ! Vous avez le droit de refuser... Je ...

Le tatoué s'interrompit au fur et à mesure des balbutiement et hésitations de la jeune femme. Et peu à peu, l'horreur se réléva... Kenjiss se targuait de ne pas être effrayé par grand chose, mais il fut presque touché par ce qu'il entendait... Comment pouvait il s'être trompé à ce point ?

Vous ne...

Ses muscles se tendirent instinctivement. Il n'y pouvait rien. Avoir été si proche d'une... D'une humaine... Cette race honnie qui tentait de tous les exterminer... Kenjiss réagit instantanément, et quand bien même il n'y avait aucune raison pour qu'il s'inquiète, ses yeux se remirent à briller, incapable de se rendre compte que June était gênée, loin du dévoilement triomphant d'un quelconque élément anti mutant infiltré...

T'es humaine ? Humaine ? Le tutoyement venait naturellement...

L'impasse était encombrée de débris de toutes sortes... Une caisse à moitié effondrée s'affaissa tout à fait lorsque la gravité quintupla autour d'elle. Le bruit sec du bois heurtant le sol, brisant le silence glacé qui s'était établi dans la ruelle. Cependant, le cercle de gravité ne s'étendait pas jusqu'à June, pas encore... Il lui suffisait d'un geste de la main pour écraser l'humaine, broyer ses organes en la faisant se rouler de souffrance sur le sol. Etendre son pouvoir sur les inférieurs. Et pourtant elle parlait encore. Elle osait parler ! Et lui, abruti qu'il avait été, berné par de simples yeux ! Celui qui se targuait d'être un protecteur contre les humains n'était même pas capable d'en reconnaitre une ! Kenjiss grinça des dents. Il ne pardonnait que peu de faiblesses, et aucune lorsqu'il s'agissait de son propre cas...

Tuée par ma main ?

Kenjiss eut un sourire triste. C'étaot tentant en effet. Trop tentant. Trop facile. Elle était sans défense, il s'en était déjà assuré. Peut être aurait elle le temps de dégainer l'arme qu'elle avait sur elle, mais elle ne l'atteindrait jamais... Une gouttière s'effondra dans un fracas métallique, arrachée de son mur par la puissance de la gravité.

Te tuer ? Pourquoi ? Pour te prouver que vous avez raison ? Tu crois vraiment que ta pathétique petite vie changera quelque chose dans cette guerre ? Ta mort pourrait au contraire relancer vos campagnes d'éradications... Et puis vous avez l'Institut, ici à Londres... Je n'ai pas envie de devoir broyer Lemington pour t'avoir tuée sans intérêt.

Le grand tatoué haussa les épaules, laissa son pouvoir se résorber, ses yeux revenirs à la normale. Quel intérêt... Et pourtant il ne pouvait pas se départir de la pointe de doute qu'il sentait titiller son coeur. N'était ce pas parce qu'il avait apprécié la jeune femme avant sa pseudo mutation qu'il l'épargnait à présent ? Il grimaça. Hors de question de faire preuve de faiblesse à présent... Il n'avait été que trop vulnérable. Kenjiss braqua un regard dur sur la jeune humaine, toujours aussi décoiffée... Il darda un regard autrement plus agressif dans les yeux vairons, menaçant, ignorant le sourire aussi brave que June l'espérait...

Va. Pars... Avertit Lemington si ça t'amuse...

June ne répondit même pas. Après tout, elle venait de le faire déjà. Et dans l'enfer qui se déchaîna autour d'elle, ce n'était même pas la peine. Il ne l'aurait probablement pas entendue. Elle hoqueta de surprise -et bon, aussi un peu de peur- lorsque le mutant en face d'elle réactiva son pouvoir et laissa parler sa colère contre une malheureuse caisse qui n'avait pas demandé à se faire broyer. Mais entre elle et une caisse, June préférait nettement la caisse.

Comme elle l'avait redouté, le comportement de Kenjiss envers elle changea du tout au tout en quelques secondes. Et, June, décida sagement de ne pas bouger. Ce n'était certes pas la bonne décision à prendre. Une fois encore son instinct de survie lui hurla de dégager. Mais elle avait une chance sur deux. Quitte ou double. Pile ou face. Et de toute façon, elle n'avait que très peu de chance de s'en sortir vivante s'il décidait d'activer son pouvoir contre elle. Or, pour le moment, elle pouvait encore respirer librement. C'est qu'il devait se limiter à cette pauvre caisse. Pour une raison qui lui était parfaitement inconnue. Le grand chef n'était pas réputé pour faire dans le sentimental. Alors pourquoi l'épargnerait-il ? A moins que, ce ne soit là encore que des rumeurs.

A le voir, là, très en colère, elle en douta. Une gouttière s'écroula et le mutant sembla se calmer. Assez en tout cas pour reprendre la parole. Mais ce qu'il dit vexa profondément June. Certes, elle était parfaitement consciente des atrocités perpétrées par ses semblables. Mais elle n'était pas, absolument pas d'accord avec ça ! Et c'est, malgré toute attente et contre toute prudence, une June outrée -limite énervée qui se défendit fermement :

"Je suis la première au courant des agissements de mes semblables. La première aussi consternée par cette éradication stupide ! Chaque jour, je combats cette sordide impression de bosser dans le vide ! Tous les humains ne sont pas aussi bornés et aveuglés de haine envers les mutants que ce tu ne le penses ! Il serait temps de t'en rendre compte!"

Oui, vraiment. Il l'avait blessée. Pour qu'elle en passe elle aussi au tutoiement...Elle plongea son regard vairon dans ses yeux mi noirs mi gris. Tout simplement révoltée. Puis, se rendant compte qu'il ne la tuerait probablement pas tout de suite, elle sentit le poids des émotions la submerger. Ses jambes qui menaçaient de la lâcher depuis tout à l'heure décidèrent que finalement, maintenant c'était le bon moment. Et elle se laissa tomber sur une autre caisse, épargnée par la fureur du mutant.

Quand il évoqua le nom de Samarah, June eut un sourire triste, limite ironique :

"Je doute que ce soit fort utile. Tant pour toi que pour moi... Elle le saura de toute façon bien assez tôt. Et puis vous n'êtes visiblement pas venu ici dans le but d'attaquer l'Institut. Alors non, pas la peine de l'avertir de notre rencontre...pour le moment"

Lasse, June prit sa tête dans ses mains. Là, elle était vraiment sans défense et Kenjiss avait tout le loisir de l'écraser comme une puce s'il le voulait...

*bien joué June...*

Et elle soupira

Les secondes s'écoulaient et elle constata qu'elle était toujours vivante. Petite forme fragile sur sa caisse qui respirait à peine. Au destin ne tenant plus que dans les doigts du mutant tatoué qui la toisait à présent, toujours aussi furieux. Elle était à sa merci et il aurait pu l'écraser de sa simple volonté. La réduire au silence pour qu'elle n'aille pas crier partout que le leader de la Confrérie était réellement dangereux. Pour être honnête, elle n'y pensait même pas. Encore sous le choc de l'échec.

Elle trouva suspect le silence qui s'installait. En avait-il déjà fini à déverser sa haine gratuite sur elle ? Le plus frustrant dans cette histoire, c'est qu'elle même ne le détestait même pas. C'était plus par principe, en fait. Elle n'avait aucune raison de le haïr. Sauf peut-être pour le comportement qu'il arborait à cet instant, son attitude bornée et ses méthodes musclées qu'elle n'approuvait pas. Parce que c'était exactement à cause de ça que les choses n'avançaient pas ! Murés dans leurs certitudes, d'un côté comme de l'autre, elle qui se retrouvait au plein milieu voyait bien que cela ne pouvait pas marcher tant que les deux camps se comporteraient de cette façon.

"Nous n'avons certes pas encore gagné l'égalité des peuples ni une reconnaissance favorable de votre existence. Mais cela ne nous empêche pas de continuer. Ce sont parfois des petites victoires, mais grâce à elle nous avançons. Doucement. Toutes ces choses dont tu parles, je les déplore autant que toi. On se croirait revenu presque un siècle en arrière lorsque l'humanité a commis ses premiers génocides. Et crois moi lorsque ces conneries émergent d'un bout à l'autre du monde, on a l'impression de régresser malgré nos actions positives"

La jeune femme se tut, pour reprendre son souffle et méditer sur ses propres paroles car Kenjiss ne le ferait probablement pas. Ils avançaient d'un pas, et puis reculaient de deux. C'était quasi systématique. A tel point qu'elle avait commencé à douter sérieusement de la confiance des gens qui l'entouraient dans l'association. Il n'était pas impossible que des espions les ait infiltrés afin de contrer leurs résultats et leur optimisme. Mais elle voulait continuer à y croire. Tant que cette foi battrait dans son âme, elle savait qu'elle aurait la force de le faire.

Elle fut surprise d'entendre que le mutant avait déjà croisé la route d'une pacifiste comme elle et June se demanda qui cela avait bien pu être. Peut-être qu'elle le lui demanderait un jour, s'il lui en laissait l'occasion. La jeune femme sentit qu'il s'approchait mais, une fois encore, elle ne bougea pas. Elle n'était pas certaine que ses jambes étaient prêtes à la soutenir de façon durable. Une remarque cinglante faillit jaillir de ses lèvres mais elle la retint. Inutile d'enfoncer davantage le clou, la situation était déjà assez dramatique en soi. Mais peut-être que s'il s'entêtait moins à réagir par la violence, il les verrait ces humains 'biens'...

"Peut-être que mon combat et le tien, par extension, nécessitent d'autres méthodes, oui. Mais je ne suis pas d'accord avec toi. L'Institut a choisi la voie qui lui semblait la moins destructrice. Tu ne résoudras rien dans la violence, Kenjiss. Le pouvoir et la puissance appellent la violence. C'est inévitable"

A côté d'elle, le mutant se calmait. L'atmosphère se détendit quelque peu et elle perçut un infime mouvement sur le corps du mutant sans pour autant l'identifier lorsqu'elle trouva la force de le regarder à nouveau en face. Son regard vairon avait cessé de lui lancer des étincelles, laissant seulement la place à une infinie tristesse. N'ayant pas vu clairement la main qu'il avait voulu lui tendre, June se releva sans son aide. Il garderait comme ça sa dignité, pensa-t-elle amère. Elle vacilla seulement le temps d'un pas ou deux avant d'assurer son équilibre. Et nota qu'il n'insista pas davantage sur la question 'Lemington'. Elle fut soulagée. C'était bien mieux comme ça. Mais elle se sentit honteuse, car si elle ne désirait pas mêler son amie à cela, c'était par pur égoïsme. Tout simplement. Elles ne s'étaient jamais rien caché, depuis que June fut la première à être le témoin de la mutation de la jeune femme. Et à présent, c'est elle qui allait avoir un secret. Un poids lourd sur la conscience car elle ne lui pardonnerait pas facilement cette rencontre. Elle le savait à l'avance.

Bon, de toute façon, elle ne pouvait plus rien y faire maintenant. Le mal était fait. Elle chassa ses sombres pensées de son esprit. Elle règlerait ce problème plus tard. Mais en l'occurrence, elle préféra reporter son attention sur le Confrériste. Celui-ci s'était adossé au mur, semblant avoir abandonné toute idée de meurtre. Pour l'instant, du moins.

"Et toi, Kenjiss ? Quand le comprendras-tu ?"

Elle ne le mettait même pas au défi, non. Le gagnant était connu d'office. C'était réellement une interrogation. Car s'il se braquait ou bien ne trouvait la réponse, alors cela signifiait qu'ils n'étaient tout simplement pas prêts...

"Peut-être que notre génération n'est pas prête à cohabiter, mais nous aurons essayé. Bâti les fondations pour les suivantes. Pour quelqu'un qui a une cause à défendre. Tu es bien défaitiste..."

Kenjiss ne releva pas les paroles de June lorsqu'elle évoqua leurs actions positives. Ouais, bien sûr, certaines associations existaient... Pour maintenir la couverture de la Confrérie, ils avaient même été forcés d'en contacter certaines, principalement au Canada. Leurs rencontres avaient toutes tourné autour d'un même débat stérile et inintéressant... D'autant plus qu'eux aussi, la Confrérie, devaient faire mime d'adhérer à leurs méthodes. Aux yeux de la postérité, ils passaient pour une sorte d'Institut de l'autre côté de l'Atlantique.

La voie la moins... destructrice ?

Le tatoué tourna la tête vers June, s'apercevant qu'elle s'était levée, s'était éloignée de quelques pas. Elle avait visiblement de la ressource... Elle savait maitriser ses peurs. Sans doute avait elle déjà eut affaire à des mutants déchaînés par le passé, via son association. Personne d'aussi dangereux que lui sans doute. Qu'importe. June devait commencer à se douter qu'il n'avait pas l'intention de la tuer à présent. Mais cette idée d'autres méthodes... Kenjiss ferma les yeux quelques secondes. Une salle blanche. Des seringues, partout. La douleur... Ce visage au dessus de lui, ce regard froid... Sa propre mère qui l'observait d'un air dégouté, notant scrupuleusement sur son calepin les quantités de fortifiants qu'elle lui injectait. Ce même regard, quinze ans plus tard, alors qu'il était parvenu à la débusquer, à tenter de l'abattre... Kenjiss rouvrit les yeux. Jeta un regard glacé à June. C'était à présent une rage froide qu'il éprouvait, celle de sa propre impuissance...

Nos ... méthodes comme tu dis, évitent à de jeunes mutants de servir de cobayes partout dans le monde ! Pendant que votre Institut parle, nous agissons ! Nous traquons ces pourritures, nous les abattons comme des chiens ! Ceux qui en viennent à livrer leurs propres enfants, pour leur "science". Ceux qui les empoisonnent, s'en débarassent...

Kenjiss s'interrompit, brusquement conscient d'en avoir peut être trop dévoilé, exposant sa souffrance au grand jour, à cette... humaine. S'il était aussi radical, c'était sans doute à cause de ce qu'ils lui avaient fait. Ils l'avaient miné, transformé en bombe pour éradiquer ses camarades à l'intérieur de l'édifice censé les protéger. Le directeur de la Confrérie lui aussi avait ses faiblesses, ses douleurs, malgré son allure de colosse et ses méthodes expéditives. Mais après tout, il se battait pour ses frères... Ce n'était pas une vengeance aveugle n'est ce pas ?

N'est ce pas ?

Il ne nous reste plus que la violence. C'est tout ce qui marche... Ils sont irrécupérables.

Eux. Les humains. Le tatoué faisait déjà une différence entre ces fanatiques et June... Kenjiss se décolla du mur dans un crissement de cuir, rajusta son manteau. Défaitiste ? Lui ? Malgré leur situation, il eut envie de rire. Et cela se traduisit par un sourire narquois alors qu'il faisait quelques pas dans la ruelle, incapable de rester calme, tout en se maintenant à distance de June.

Défaitiste ? Pourquoi serais je défaitiste ? Nous nous battons contre la planète entière, nos chances de victoires sont inexistantes ou presque... Oui cette génération est foutue. Mais ce n'est pas pour autant que nous abandonnerons la lutte. Nous sommes le seul refuge, le seul abri pour tous les mutants dépassés par la brutalité humaine...

Son poing se serra lorsqu'il repensa au petit corps martyrisé mort sur le perron de la Confrérie, lynché par une foule en colère. Ce gosse avait à peine l'âge de produire une étincelle au creux de ses paumes et ils l'avaient déjà détruit... Lui avait subi encore pire. Voilà bien longtemps qu'il était incapable de pleurer, mais ce n'était pas faute de prétextes...

Et pourtant nous ne sommes pas encore tombés dans la tuerie aveugle NOUS ! Il avait crié, incapable de se retenir, presque indifférent à l'effet qu'il pouvait produire sur June. On ne lynche pas encore de gosses en pleine rue ! C'est leur violence qui provoque la notre, pas l'inverse ! Je refuse de courber l'échine, de parlementer avec ces... choses !

Tu parlais des génocides... Kenjiss s'approcha de quelques pas, dominant June de toute sa stature. Tu peux donc... Pardonner ? Oublier ? Il mit sa main mutilée bien en évidence, à quelques centimètres des yeux vairons. Une égratinure... Ils savent faire pire. Bien pire. Tu pardonnerais ces actes si tu étais de ma race ?

Le tatoué s'interrompit une fois de plus, fixant avidement l'étrange femme, croisant son regard sans la moindre hésitation. Avide d'y trouver une réaction encourageante. Comme s'il tentait de se prouver que cette race n'était pas encore irrémédiablement foutue... Trouver une lueur d'espoir chez une inconnue rencontrée depuis une heure à peine... Il en aurait pleuré de rage.

Qu'est ce que tu ferais si tu étais... Comme nous ? Tu courberais l'échine ?

Sa main eut un tremblement, les phalanges restantes frémirent à cette seule pensée...Abandonner ?

Il est vrai que des déchaînés, elle en avait déjà croisé pas mal lors de sauvetages outre atlantique. Entre le mutant refusant catégoriquement de se faire expatrier car ils ne leur faisaient pas encore confiance ou bien celui, complètement terrorisé qui ne se maîtrisait plus du tout, elle avait vu défiler de beaux ‘spécimen’. Et puis, il y avait Samarah bien entendu… Qui savait se montrer bien effrayante quand elle le voulait aussi. Ce furent sans doute ses expériences passées qui lui permirent de ne pas s’enfuir à toutes jambes. Mais elle devait reconnaître que le mutant était puissant. L’un des plus puissants qu’elle connaisse à ce jour. Car oui, soyons honnête, elle aurait été bien incapable de départager son amie et le Confrériste. Qui demeurait tout deux dangereux à leur façon.

Et en parlant de danger, si le mutant paraissait s’être calmé, son regard restait de marbre. June y vit briller une lueur, glaciale et dangereuse. Mais elle resta. Encore. Paradoxalement et malgré la situation, elle ne se sentait plus menacée de mort imminente. Elle n’était pas dupe. Pour qu’il en soit arrivé à ce point, Kenjiss avait vraiment du subir des monstruosités. Des choses qu’elle n’osait même pas imaginer, ou pire qu’elle aurait sûrement été incapable d’imaginer !

"Celle qui aurait le plus de chance d’aboutir à un résultat, sans trop de dommages collatéraux si tu préfères. Tu dis avoir changé l’image de ta Confrérie, mais il en va de même pour l’Institut, lui non plus n’est plus pareil. Ses dirigeants aussi ont changé..."

Elle se tut, soucieuse de ne pas trop en dire. Après tout, elle était toujours face à l’ennemi. Même si elle se douta que Kenjiss n’était pas vraiment un idiot. Il lui serrait sans doute facile de deviner vers quel camp se dirigeait son appartenance. Mais elle savait aussi que Samarah ne laisserait plus jamais quelqu’un s’en prendre à l’Institut comme à Boston. Et ça, même si la mutante devait y laisser sa vie, entraînant ainsi des conséquences fort peu réjouissantes…

"Il y a peut-être… sûrement même des cibles à abattre. Je ne le nie pas. Mais arrête de mettre tous les humains dans le même panier. Il y en a vraiment plus que ce tu ne le crois qui tentent d’agir pour le mieux avant d’en arriver à la violence. Quoique tu en dises, cette perspective devrait être la dernière à envisager…"

Malgré le ton de la conversation, June avait récolté une victoire, enfin à sa façon, lorsqu’elle avait réussi à le piquer dans son amour propre. Le grand chef lui-même reconnaissait avoir ses propres découragements. La montagne, derrière son imposante stature, avait elle aussi des failles. Mais il continuait aussi. Comme elle. Finalement, ils auraient au moins un point en commun ces deux-là ! Qui l’aurait cru ?

"Hum…même si tu ne l’apprécies pas, l’Institut aussi accueille les mutants menacés par la bêtise humaine" lui rappela aimablement June

Mais pour la suite, elle dut reconnaître qu’il marquait un point. Les massacres menés par des mutants atteignaient un nombre risiblement bas comparé à ceux perpétrés par les extrémistes anti mutant. June se mordit la lèvre. Sur ce point là, il avait raison. Elle le savait et ne pouvait pas le contredire.

"Parlementer avec des fanatiques est inutile, je te l’accorde. J’ai déjà essayé. Sans grand succès. Mais ce n’est pas une raison pour rester hermétique à tout dialogue avec des personnes qui veulent vraiment changer les choses"

A nouveau, Kenjiss la toisa –bon, en même temps, pas difficile pour lui, il était au moins deux têtes plus grande qu’elle- et planta son regard métallique dans ses yeux vairons. Sa main mutilée à quelques centimètres de son visage. June l’observa et malgré la cicatrisation, elle imagina à quel point cela du être douloureux pour le mutant. Et vint le moment de la question piège. Elle l’avait attendue celle-là et fut d’ailleurs étonnée qu’il ne la pose que maintenant. June n’était pas mutante et ne le serait jamais. Mais elle demeurait sans doute parmi les personnes les mieux placées pour savoir ce que ces derniers enduraient tous les jours. Elle avait vu grandir son amie dans la haine de la différence. Cela lui avait suffit.

"Je… pense que je ne pourrais pas, non. Mais j’essayerais. Le pardon est un geste noble pour celui qui parvient à l’accomplir"

Ca c’était le moins qu’elle puisse dire. Et pour autant qu’elle s’en souvienne, elle n’avait jamais vraiment du pardonner un acte ou une personne. Excepté lors de disputes infantiles, mais ces enfantillages faisaient bien pâle figure face au pardon dont ils parlaient maintenant. Il est facile de pardonner un caprice de fillette. Beaucoup moins un meurtre. Et quasi impossible un génocide.

"Je ne courberais pas l’échine non plus. Je crois… que j’essaierais de me faire entendre. Ce qui en soit est légitime. Vous avez des droits… La difficulté réside seulement dans la manière de le faire"

Voilà où on pouvait en arriver à parler avec des inconnus. On se confiait souvent beaucoup trop facilement…