Forum de Jeux de Rôle Futuriste - Inspiré des Mutants de Marvel (X-Men)
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Sujet: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Ven 25 Déc 2009 - 22:50
[Décembre. Virginie.]
Il n'y avait rien que Koji détestât plus, rien qui lui fût plus douloureux, l'irritant presque jusque dans sa chair, que ce lieu infernal, ce lieu où se croisaient toutes les images et tous les passants, ce lieu où les bruits s'entassaient les uns sur les autres sans rien former de cohérents, ce lieu plein d'odeurs âcres ou doucereuses, ce lien maudit : le centre commercial. D'abord, Koji achetait peu, et quand il avait besoin de quelque chose (il n'y avait que les choses dont il eût besoin qu'il achetât), il s'arrangeait pour se rendre non dans un vaste complexe surpeuplé, mais dans une petite boutique, où un vieux monsieur, solitaire, vous proposait d'essayer longuement les stylos qu'il pouvait vous vendre, non tant que pour vous vous fissiez une idée exacte de la plume qui convient le mieux à votre écriture, mais plutôt pour que vous demeuriez plus longtemps à lui tenir compagnie dans son antre déserte. Mais, si ces magasins discrets étaient encore bien présents dans les grandes villes universitaires où le snobisme des intellectuels, qui vont chez l'antiquaire acheter un meuble à chaussures comme une élégante va à l'opéra pour exhiber sa toilette plutôt que pour entendre la musique, ils disparaissaient ailleurs.
D'ailleurs, si Koji détestait tant les centres commerciaux, ce n'était pas uniquement par snobisme d'intellectuel (quoique ce fût un peu le cas), mais parce que leur surpopulation, et pas seulement leur surpopulation humaine, mais aussi leur surpopulation de sensations, lui était dangereuse, ou du moins douloureuse : il y avait là tant de choses que le moindre coup d'œil était susceptible d'amener à son esprit une dizaine d'images, chacune susceptible d'engendrer une dizaine de pensées et de le plonger dans une de ses terribles migraines. Aussi n'avait-il consenti à se rendre au centre commercial que parce que, ces derniers temps, les migraines étaient un peu plus rares : il faut dire qu'un certain sujet occupait beaucoup ses pensées depuis un ou deux mois et, en rassemblant constamment une partie de son esprit, formait comme un molleton qui ne le laissait plus aussi sensible que d'ordinaire au monde extérieur.
Mais même sans cette protection, la crainte de Koji pour les centres commerciaux, et généralement tous les endroits surpeuplés, n'était pas entièrement fondée, car en eux, les bruits, les images et les odeurs, enfin toutes les sensations, étaient si nombreuses qu'il devenait finalement impossible de les distinguer les uns des autres, de sorte qu'il n'y avait plus qu'un immense bruit, la rumeur, qu'une immense image, la foule, qu'un immense magma informe de sensations incompréhensibles, non qu'elles fussent compliquées, mais bien que l'oreille la plus exercée n'aurait pu les distinguer. Ainsi, malgré son incroyable richesse, un lieu comme un centre commercial n'est-il pas propre à la rêverie, car en ne donnant rien, il ne donne qu'une chose, le magma, et tout ce que ce magma évoque, c'est lui-même.
Ce que Koji promenait donc dans les allées (interminables !) du centre commercial (insupportable !), ce n'était donc pas de la douleur, mais une mauvaise humeur qui n'eût été crédible aux yeux de personne, parce qu'elle n'était pas profonde, et ressemblait à une bouderie d'enfant : elle réussissait moins à exprimer son mécontentement, et à en faire craindre les terribles conséquences, qu'à lui donner un air adorable d'enfant contrarié. Les mains dans les poches, il jetait des regards distraits aux vitrines, profondément convaincu que tel article que l'on exposait, par exemple un jeu intitulé « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les femmes », était bien moins intéressant que, par exemple, les principes de la physique nucléaire. Et il ajoutait en lui-même, comme si la réplique qui n'existait que dans sa seule pensée eût pu toucher quelqu'un et lui démontrer que, vraiment, il n'avait pas envie d'être là, il ajoutait donc qu'il n'avait jamais rien voulu savoir sur les femmes, ce qui d'ailleurs, quoique vraie d'une certaine manière, était parfaitement faux.
Il faut dire pour sa défense que Koji avait encore moins de raisons d'apprécier sa sortie au centre commercial qu'il n'était pas là pour acheter quelque chose, quoique ce fût Noël et que les gens se pressassent de magasin en magasin, avides de découvrir le cadeau qui ferait son effet, c'est-à-dire non pas qui plairait à la personne à qui il serait offert mais qui, ouvert pendant le réveillon sous les yeux des convives, ferait comprendre à tous quel goût exquis et quelle merveilleuse subtilité étaient ceux de la personne qui l'avait fort. Ainsi telle jeune fille ressortait-elle d'un magasin de beauté, d'ailleurs très laid, avec un parfum dont elle trouvait le flacon très élégant et qu'elle comptait donc offrir au jeune homme avec qui « elle était », qui eût préféré le dernier jeu qui venait de sortir, Tekken 56.
Dans les rues, des vendeuses déguisées en Père Noël distribuaient des cadeaux promotionnels, ou plus exactement des jeunes femmes aux formes avantageuses tendaient, habillées de vêtements rouges ourlés de fausse fourrure blanche (au début de la journée, et grise à la fin), des coupons invitant les clients à dépenser quelques centaines de livres sterling pour tel ou tel objet, ce qui leur permettrait d'acquérir exactement le même objet, pour une seule livre de plus, et ainsi jouir du plaisir évident qu'il y a à avoir chez soi, non pas une, mais deux machines à café électriques.
Koji, qui ne buvait (par snobisme) que du café kenyan fraîchement moulu, ne jetait pas un regard en passant aux pulpeuses lutines (car il n'y avait pas que des Père Noël) et il ne souriait pas non plus, quelques aimables qu'ils fussent, aux rennes hilares et très probablement alcooliques, puisqu'ils vantaient les mérites d'une marque de whisky. Tel Victor Hugo allant déposer une branche de bruyère en fleurs sur la tombe de sa fille Léopoldine, Koji traversait les couloirs comme une ombre, insensible à aux fastes hivernaux que le centre commercial déployait pourtant pour le séduire, lui et les milliers d'autres clients.
C'était qu'au déplaisir de se trouver dans un centre commercial où il était contraint, bien malgré lui, d'assister à un improbable numéro de claquettes où des jeunes gens tentaient de démontrer qu'on dansait bien mieux quand on s'était lavé les cheveux avec le shampoing Vaillant, le shampoing qui rend vos cheveux brillants, s'ajoutait celui de rencontrer la personne qui lui avait demandé de se trouver ici, déplaisir d'autant plus grand que la rencontre ne devait durer que quelques minutes, qui était le temps nécessaire pour que cette personne lui remît les papiers dont il aurait besoin, quelques semaines plus tard.
Il avait d'abord tenté de suggérer qu'il serait plus simple que ces papiers fussent faxés, puisque l'Institut disposait de tout le matériel nécessaire, mais puisqu'elle se trouverait justement à Londres ce jour-là, c'était vraiment inutile, avait-elle répondu, et ils pouvaient bien se voir, eux qui ne se voyaient pas si souvent, et que d'ailleurs elle ne le dérangerait pas longtemps, puisqu'elle n'aurait que quelques minutes à consacrer (ce qui était en réalité une impolitesse plus qu'une faveur) et qu'elle repartirait presque aussitôt. Koji avait finalement compris (ce qui lui avait pris plus de temps que d'ordinaire parce qu'il ne voulait pas du tout le comprendre) qu'il n'y avait pas d'autre moyen qu'il obtînt ces documents, et il s'était résolu, en ce matin de décembre, à se retrouver au centre commercial, et même à y chercher le magasin de tableaux devant lequel on lui avait, non sans une extrême (mais involontaire) indélicatesse, donné rendez-vous.
Il n'eut pas de mal à la trouver, parce qu'elle était la seule qui, au milieu du flot humain, se tînt immobile. Sans cela sans doute l'eût-il aperçue aussi, car elle était belle, très belle, et, qui plus était, non de ces beautés un peu vulgaires qui, quelques allées plus loin, fourraient dans les mains distraites des passants des publicités pour le masseur de pieds Mercure, la pédicure qui récure, mais d'une beauté noble, altière qui, loin de faire se presser les admirateurs, dessinait autour d'elle quelques mètres où il n'était pas permis qu'on vînt, parce qu'elle était là, et qu'elle méritait le respect.
Elle était consciente de sa beauté, d'ailleurs il eût été impossible qu'elle ne le fût pas, mais elle n'en tirait aucune vanité : depuis toute petite, elle avait un goût sûr, quoique un peu classique, qui s'étendait des domaines les plus recherchés de l'art, et qui lui faisait apprécier ce que la plupart des gens, fussent-ils amateurs éclairés, ne pouvaient contempler sans un certain ennui, tel toile du Poussin ou tel contrepoint de Bach, à ceux, moins sublimes mais non moins complexes, de la mode. Elle était donc convaincu, comme pouvait l'être une aristocrate au début du siècle précédent, qu'une femme ne devait pas se contenter d'être belle, et que quand elle l'était, sa beauté lui créait une obligation, qui était de se vêtir correctement, ce en quoi, plus libre en cela que cette aristocrate, elle considérait néanmoins que cette femme pouvait suivre son goût plutôt que le monde, pourvu cependant que ce goût fût bon.
Ce n'était donc pas le souci superficiel de paraître jolie, mais de véritables conceptions esthétiques, qui guidaient le choix de ses vêtements et de sa coiffure. Elle avait relevé ses longs cheveux noirs en chignon dont la complication quasi architecturale savait prendre, par endroit, l'air de la négligence, de sorte que certaines mèches s'en échappaient pour descendre le long de son cou, et y guider les regards. Quoiqu'elle eût presque quarante ans, sa peau, peut-être aidée par un savant maquillage, demeurait parfaite. Elle portait un tailleur dont le pantalon noir, droit, tombait sans pli sur ses chaussures dont les légers talons accentuaient un peu sa cambrure naturelle, sans qu'elle parût pour autant forcée. Sur les passants, elle posait, mais une seconde à peine à chaque fois, la beauté froide de ses yeux noir de jais.
Elle n'avait pas eu, comme certaines Asiatiques, la coquetterie de se faire débrider les yeux, car elle savait très bien que ce qui faisait son charme, aux yeux des Occidentaux, c'était un certain exotisme, qui d'ailleurs n'est pas toujours vulgaire, parce qu'il se nourrit de beaucoup de rêveries, aussi laissait-elle, sans tenir par ailleurs à paraître aussi Japonaise que possible, ce qui eût bien sûr constitué une faute de goût, s'exprimer en toute liberté certaines particularités de son physique, qui ne laissait pas ignorer son origine, et même la magnifiait.
Elle avait les mains croisées derrière le dos, et elle attendait, mais non de ces attentes impatientes que l'on observe parfois dans la rue et qui font comprendre, sans qu'on puisse se tromper, que la personne qui en donne les signes en atteint une autre, qui aurait dû venir depuis dix minutes déjà ; elle semblait attendre, non ce rendez-vous qu'elle avait avec Koji, mais toute autre chose, et particulièrement un événement mystérieux, incompréhensible pour la foule, comme une déesse qui est contrainte, pour quelques heures, de venir sur Terre attendre que passe un héros, et qui ne s'impatiente pas de son retard, parce qu'elle sait déjà l'heure où il paraîtra, et que celles qu'elle, elle abandonne au monde, ne sont que les secondes de son temps divin.
Cependant, Koji s'était arrêtait quelques secondes dans la foule pour la considérer soit que, ne l'ayant pas vue depuis quelques mois, il éprouvât le besoin de goûter, de loin, pendant quelques secondes, au plaisir de son image, comme un amant, la nuit, se réveille pour pouvoir regarder le visage calme de l'être qu'il aime, soit que cette rencontre lui parût assez terrible pour qu'il ressentît le besoin de la repousser encore un peu. Enfin, il s'arrêta, puis il repartit, et franchit les quelques mètres qui le séparaient encore d'elle.
Alors les yeux de la femme sortirent de leur immobilité marmoréenne pour se poser sur lui, et il semblait qu'en une seconde elle s'était approprié cet être, si intelligent, si complexe, et qui était devenu, ces derniers mois, pour d'autres êtres si respectable, comme un objet, c'est-à-dire non sans une certaine affection, mais avec un air de domination complète, et un peu distante. Lui avait levé vers elle un regard un peu mélancolique, dans lequel vivait toujours son intelligence triste, il avait passé une main dans ses cheveux en bataille, et puis il avait détourné le regard, très légèrement, pour murmurer, d'une voix douce, et un peu soumise.
« Bonjour, maman. »
Dernière édition par Koji Ashton le Jeu 18 Mar 2010 - 19:03, édité 1 fois
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 26 Déc 2009 - 20:35
Les grandes portes de verres s’ouvraient devant elle. On eut dit l’arche entrouverte d’un royaume de lumière. Depuis le printemps la jeune fille ne s’était pas risquée sur ce territoire fantastique. Ce n’est pas faute de quelques merveilles qui aurait put l’attirer. Des senteurs par milliers des couleurs, plus nombreuses que le plumage d’un oiseau de paradis, s’y engouffrait. Virginie aurait put aimer un ilot de séduction comme celui-ci. Mais pour pareil bonheur elle aurait dû l’homonyme de Robinson, condamnée à errer sur un lopin, sinon sableux, au moins cristallin. Seulement, dans un centre commercial, la solitude était peut être la seule denrée incessible au consommateur. Il avait donc fallu une motivation, quasi héroïque, à la petite mutante pour prendre sa voiture ce matin là. Il lui en avait fallu un peu plus pour arrêter le moteur sur une place encastrée au milieu d’une masse de ferraille immobile. Une dose supplémentaire encore pour franchir le seuil de ce monument de la foule.
Petit stature débarquée en pleine euphorie collective. Depuis l’été rien n’avait réellement changé ici. Bien sûr il y avait un peu plus de rouge et sans doute plus de plante verte mais c’était là le bon goût de l’actualité saisonnière. Virginie ne connaissait pas l’agencement de ce lieu. Elle n’avait pas cherché à l’engranger. Elle se souvenait, du petit glacier qui lui avait offert une douceur réconfortante, avant d’avoir rencontrée la belle confrériste tout en charme et envoutement. D’habitude ses achats pouvaient se faire ailleurs. Elle les aurait faits d’ailleurs. Si son idée n’avait pas été aussi soudaine qu’exigeante. Le délai imparti, le but fixé, l’obligeait à quelque endurance psychique. Son envie de faire plaisir avait donc prit le pas sur ses réticences les plus irrationnelles.
Puisque ces quelques heures n’étaient ni à l’étude ni au journal, elle s’était préparée à l’un de ses premiers travaux virginiens. Clore le calendrier sur une victoire personnelle. C’est dans un délicat camaïeu de rose que notre petite naufragée mi pied sur dalle. Elle évoluait dans des mouvements de laine ravissante. Une robe aux points serrés qui dessinait le souvenir d’une fleur. Le tout lui donnait un peu l’air d’une princesse en fuite. Quoi qu’en quelques mois la joliette avait changée. Les dernières réminiscences de l’enfance avaient laissé la place à une jeune femme. Une adulte tout juste extirpée de ses disgrâces d’adolescente. Une métamorphose dont sa vie actuelle n’était sans aucun doute pas étrangère.
D’abord parce que l’Institut lui permettait de prendre sa mutation à bras le corps. On pouvait féliciter quelques adultes d’avoir continuer de l’entourer avec attention. Nakor ce vieux fou, qui sans l’avoir prémédité, prenait une place dans son modèle familial. Mais aussi touts ces individus qui de jour en jour lui avait montré que le quotidien n’était pas qu’un jeu de cache-cache. Ensuite parce que son travail l’aidait à développer ses convictions les plus secrètes. Qu’ainsi petit à petit, elle ne devenait plus que le réceptacle d’espoir, mais bien son fabricant en personne. Il y avait aussi cette tendresse qu’elle apprivoisait chaque matin pour les personnes qui faisaient maintenant partie de ses repères. Au bout du compte de petits progrès en petits progrès Virginie grandissait.
Certes, elle ne pouvait regarder un adulte sans avoir une attitude irrépressible de soumission, ni envisager de prendre une main sans devenir la pir des tragédiennes. Mais tout ceci ne lui semblait plus, ou de moins en moins, irréparable. C’est ainsi qu’elle pouvait maintenant marcher dans les allées bondées sans avoir, tout à fait, l’impression de suffoquer. Son pas était aussi dansant qu’à l’ordinaire si ce n’est peut être, depuis quelques semaines à peine, plus prononcé. Car oui elle se l’était promis. A l’hiver Virginie était entrée au conservatoire de Londres. Deux soirs par semaines ses pieds retrouvaient le contact des planches. Et c’était là aussi une manière de déchirer doucement et surement sa chrysalide. Seuls les directeurs, puisqu’ils avaient dû signer l’accord pour la laisser passer le portail après le couvre feu, étaient au courant. Non, elle n’avait pas encore osé en parler à Luc, ni à Koji d’ailleurs, ni même à ses parents. Cela viendrait…
Pour l’heure elle n’était qu’un minuscule rayon rosé qui allait dans les rayons d’une librairie. Les abandonnant avec un sac remplit pour poursuivre son chemin vers une boutique de couture où elle resta plus encore. Le fil d’Ariane lui restait visible malgré les bras de plus en plus chargés et l’appel du sucré. A vrai dire la petite mutante savait que son compte en banque était assez solide pour lui permettre une et unique matinée de dépense judicieuse. Se cumulait presque une année d’achats reportés. Condamnée pour condamnée miss Parish en prenait son parti. Au fur et à mesure de son labyrinthe ses mains étaient de plus en plus sollicitées. Pourtant sa grâce timide n’était jamais en danger. Parce que telle une funambule chaque poids supplémentaire devenait un appui. Avantage supplémentaire ses talents particulier lui permettait de ne souffrir ni de chaleur ni de lassitude corporelle.
De plus sa spontanéité habituelle l’obligeait à s’attarder devant tel tissu en vitrine, face à tel disque sur le promontoire. Malgré tout son désamour pour ce lieu il l’appelait à chaque seconde vers de nouvelles curiosités. Elle se demandait alors qui porterait ceci avec le plus de prestance et est ce qu’un tel écouterait ce compositeur qui lui était inconnu. Virginie n’avait jamais aimé acheter un cadeau car cela lui semblait trop simple et trop acquit. Elle préférait prendre des heures à rêver un objet et à le construire de ses doigts. Imaginant au fur et à mesure ce qui plairait le plus à la personne à qui elle destinait se présent. Bien sûr il lui arrivait des farces du destin parfois. Une chanson murmurée par hasard ou n’importe quel clin d’œil la projette prés d’un autre et qu’alors elle se mettait en devoir de retrouver ce signe fuguasse.
C’est d’ailleurs pour cela, que passant devant une petite galerie, son regard ne put faire autrement que s’attarder. Non ce n’était pas tout à fait une galerie. Un magasin, un magasin, spacieux et élégant où pouvait parader bon nombre d’œuvre d’art. Si Virginie appréciait cent fois plus une peinture de quelques secondes capturée au quotidien, elle avait apprit aussi un peu plus à regarder les tableaux des hommes. Probablement grâce à Koji, dont l’amour pour cet art était visible, à chaque conversation qu’ils avaient.
Une Vierge à l’enfant figure de circonstance alors que l’enfant naîtrait à nouveaux dans quelques jours. Ses iris doux et respectueux détaillaient le visage de la mère. Il y avait tant d’amour dans ces yeux fictifs que s’en était impressionnable. Virginie était alors entrée dans une bulle imprévisible de paix et de contemplation. Ce qu’elle avait tant attendu se produisait au détour d’un cadre. Alors son corps n’était plus rien d’autre qu’une marque de son existence sur une terre qu’elle ne touchait plus. C’est pourtant cette même trace physique qui la poussa à exploser son monde instantané. Un homme pressé qui la bouscula sans même envisager de s’excuser. La jeune fille resta là une seconde encore sous le charme de cette apparition. Elle ne savait comment interpréter sa sensation qui lui parcourait l’échine. Un sourire ravi embellissait son visage alors qu’elle s’ébrouait de son trouble naïf.
Il faudrait qu’elle parle à Koji de cette expérience toute nouvelle, et… en repartant elle venait de rencontrer une nouvelle vision. La vierge avait cette fois tout d’une impératrice orientale et l’enfant tout d’un innocent petit prince. Virginie resta coi, indécise comme elle l’était si souvent. Il y avait dans cette image une force qu’elle s’interdisait de corrompre. Elle ressentit l’aura de la femme sans même pouvoir voir son visage. Tant à Koji il semblait si doux et soumis qu’elle sentit une tendresse calme se poser sur son cœur. Son ami ne parlait que peu de ses relations en dehors de l’Institut. Encore moins de sa famille. Pourtant Virginie sut l’identité de la dame avant même de penser à approcher. Le hasard avait il un goût si prononcer pour le jeu, à la conduire précisément sur la route de son ami à l’heure d’une rencontre si importante ? Car ces retrouvailles ne pouvaient avoir d’autres poids que l’importance. Déjà la demoiselle pensait à quitter cette scène. Pourtant… la mine de Koji la retenait.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 26 Déc 2009 - 23:19
« Bonjour, Koji. »
Elle avait une voix sèche, mais non de cette sécheresse aride qui est, au mieux, le signe d'une autorité que celui qui tient à l'exhiber maîtrise en réalité mal, et dont il compense la faiblesse par un surcroît de ses signes extérieurs, mais d'une sécheresse froide, économique et minimaliste, qui semble ne dire qu'exactement ce qu'il est nécessaire de dire. Du reste, cette nécessité n'apparaissait pas à Ikuko Ashton comme celle de la simple transmission d'une information : l'avocate brillante connaissait toutes les fleurs de la rhétorique, et elle savait quels ornements mettre à un discours, quelle chaleur y glisser. Mais pour son fils, il ne semblait pas que cette chaleur lui parût nécessaire. Peut-être aimait-elle son fils malgré tout, peut-être même cet amour lui semblait-il si évident que tout ce qui l'aurait exprimé, chez une autre, en gestes ou en paroles, lui paraissait à elle superflu, parce qu'elle ne songeait pas qu'il pût en douter. Il en doutait néanmoins, non qu'elle l'aimât, parce qu'il lui semblait, par moments, que c'était le cas, mais que cet amour fût profond et véritable.
C'était que l'intelligence redoutable que Koji appliquait aux théories les plus complexes, et même l'intelligence du cœur, chez lui très profonde, avec laquelle il embrassait une œuvre d'art pour la comprendre ou bien la douleur d'un être pour la dissoudre, il échouait à les faire se saisir des situations dans lesquelles lui-même se trouvait impliqué, c'est-à-dire dans lesquelles, à cause de quelque douleur, avant de penser à quelqu'un d'autre, il était contraint de penser à lui. Alors, comme lorsqu'en nous déplaçant nous perdons de vue la beauté d'un tableau qui est fait pour être regarder d'un certain point très précis, il lui semblait que les motivations des êtres, les raisons sociales qu'il eût découvert ailleurs et qui ici restaient absentes, les maximes de la philosophie, devenaient confuses. Il y avait bien des hypothèses qu'il formait, qui d'ailleurs étaient très plausibles, et souvent véritables, mais il n'arrivait pas à y faire adhérer son âme, et quoiqu'elles parussent les plus propres à le convaincre objectivement.
Toutes ces hypothèses revenaient en réalité à une même proposition, une racine commune, qu'il eût pu isoler si son esprit ne se refusait pas si obstinément à la voir, et comprendre en la découvrant que c'était elle, et non les hypothèses diverses, qu'il rejetait, et cette proposition, c'était que des gens pussent l'aimer. Il sentait très bien qu'on pouvait l'apprécier, il en voyait les raisons, et quand il recevait des témoignages d'affection, d'estime ou d'amitié, comme ceux de Virginie par exemple, il n'en doutait pas. Mais un amour profond, comme devait l'être à ses yeux celui d'une mère pour son fils ou, d'une autre sorte mais avec autant de pouvoir, celui d'un amant pour l'être aimé, cet amour il ne poussait pas qu'on pût le lui donner ; il croyait en effet que ce genre d'amour exigeait une solidarité profonde entre les âmes qu'il liait, et c'était cette solidarité qu'il croyait à lui inaccessible, parce qu'il sentait, et en cela il n'avait pas tort, que son pouvoir avait modifié son âme trop profondément pour qu'elle pût en trouver qui lui fût semblable.
Un geste d'affection, un mot tendre, pourtant, eussent suffi à dissiper ces doutes, mais les êtres qui l'avaient aimé, et certains qui l'aimaient encore, croyaient qu'une intelligence comme la sienne ne s'embarrassait pas de ces frivolités, et eussent-ils ressenti le besoin – que sa mère ne ressentait d'ailleurs pas – de dire une parole douce, de faire une caresse, qu'ils les eussent retenus de part de froisser Koji dans un orgueil qu'ils lui supposaient et croyaient légitimes.
Ainsi, elle ne l'avait pas prise dans ses bras, elle ne l'avait pas même embrassé, et c'était à peine si elle lui avait souri. Elle ne lui donna pas non plus de nouvelles de son père, qu'elle commençait à éclipser par sa carrière de plus en plus brillante, et que jusque dans leur couple, devenait de plus en plus silencieux. Koji n'en demanda pas. Il avait aimé son père, beaucoup, mais à présent il se sentait coupable envers lui, parce qu'il voyait bien avec quelle douleur l'homme les regardait, lui, son fils, dont l'intelligence effaçait tout-à-fait la sienne, que les gens avaient admirée pourtant lorsqu'il avait fait ses débuts dans la diplomatie, et elle, sa femme, dont la réussite conduisait ses succès de jadis à l'oubli. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, et une ombre dans cette famille.
Parce qu'elle avait l'habitude de considérer que son temps était précieux, Ikuko Ashton faisait toujours plusieurs choses en même temps, quand bien même l'une de ces choses pût paraître, et fût en réalité, parfaitement inutile : ainsi ne buvait-elle son café qu'en lisant les indices de la bourse, ne téléphonait-elle qu'en répondant à son courrier, et ne parlait-elle à son fils qu'en commençant à arpenter les rues du centre commercial, ce qui donnait à leur entrevue une allure de rendez-vous d'affaires pressé (ce qu'elle était effectivement). C'était qu'elle lui accordait les quelques minutes qu'elle avait de libre entre deux réunions : aussi en lui parlant commençait-elle à se rendre à la seconde.
Ni l'un ni l'autre ne regardait précisément où il allait, et d'ailleurs ce n'était pas nécessaire, parce que la femme semblait avoir un don naturel pour écarter les gens de son chemin, si bien qu'ils eussent marcher indéfiniment dans cette foule sans jamais heurter personne. Ils étaient penchés sur les documents qu'ils s'échangeait, qu'ils commentaient, et qui étaient l'objet de leur rencontre et la seule raison pour qu'ils se parlassent. Leur visage avait la même expression de concentration dominatrice, comme celui d'un vieux professeur de littérature qui tombe sur quelque poésie jusque là ignorée d'un auteur qu'il connaît bien, et à qui il ne faut que quelques minutes, mais des minutes concentrées, pour en éclairer le sens.
Cependant, ils continuaient à marcher, et comme ni l'un ni l'autre ne jugeaient utiles (et, au moins pour Ikuko Ashton, digne de soi), de regarder où ils allaient, ils ne savaient pas que c'était précisément vers Virginie, qui les observait déjà depuis quelques minutes, que leurs pas les portaient. Mais Koji, qui n'était pas assez sûr de la propension biblique de sa mère à fendre les flots pour ne pas s'assurer de temps en temps qu'ils ne risquaient pas la bousculade, vit juste à temps Virginie, avant qu'ils ne la dépassassent. Alors il s'arrêta net.
Sa mère s'arrêta à son tour, par instinct, et releva les yeux pour les poser sur Koji puis sur la jeune femme qu'il regardait, pour la regarder à son tour ; ou, plutôt que la regarder, poser sur elle ses deux yeux vastes et noirs qui semblaient posséder la personne qu'ils regardaient, se l'approprier entièrement et la décomposer aussitôt en tous ses traits de caractère, tous ses secrets, pour faire naître de cette analyse froide et sans pitié une compréhension entière de l'individu à qui elle avait à faire, et dont elle n'ignorait plus rien. Ikuko Ashton n'était bien sûr pas aussi perspicace que son regard le laissait croire, ce qui d'ailleurs eût été effrayant ; elle l'était néanmoins, et tout ce qu'elle ne savait pas, par une habitude d'avocat, elle feignait de le savoir, de sorte qu'on ne jugeât pas nécessaire de le lui cacher.
« Virginie, je te présente ma mère, Ikuko Ashton. Maman, je te présente Virginie. »
Il avait abandonné le japonais de leur conversion pour adopter la langue que Virginie pouvait comprendre, aussi sa mère, qui pour être excessivement orgueilleuse n'en était pas moins polie avec une exactitude qui, d'ailleurs, ôtait à la politesse tout ce qu'elle pouvait avoir de douceur, le suivit en cela, s'exprimant dans un anglais aussi parfait que si elle-même était née à Londres, même lorsqu'elle ne s'adressait qu'à son fils, n'adoptant pas en cela l'habitude, qu'elle trouvait détestable, de parler devant un tiers une langue qu'il ne pouvait comprendre.
« Enchantée. »
Elle ne tendit pas la main à Virginie, et ne lui adressa qu'un sourire dont la politesse glaciale semblait dire au contraire qu'enchantée elle ne l'était pas, et qu'à vrai dire, elle ne s'intéressait pas à Virginie, qu'elle ne se serait intéressée à elle, qu'elle n'aurait pu s'intéresser à elle, que si la jeune fille avait eu l'intelligence de prendre rendez-vous, et de s'inscrire sur son emploi du temps. Ce n'était qu'une apparence cependant, car la femme était, sinon enchantée, du moins profondément intéressée par cette jeune fille que son fils connaissait, et dont elle voyait pas qu'elle était très belle, et de son âge. Elle posa sur Koji le même regard analytique qu'elle avait posé sur Virginie.
« Koji, cela ne me regarde sans doute pas, et au demeurant je n'ai rien contre, mais j'avais toujours cru que tu n'étais in... »
Koji, qui avait anticipé la fin de la phrase de sa mère, et qui ne désirait pas que Virginie l'entendît, à la fois parce qu'elle révélait sur lui certains détails qu'il préférait garder secret, et parce qu'il lui semblait qu'elle avait quelque chose d'un peu vulgaire, s'empressa de répondre, sans laisser la femme finir.
« Virginie est une amie, maman, que j'ai rencontrée à l'Institut. »
Alors le regard froid de la femme fondit en douceur sur son fils, par un de ses mouvements rares, parce qu'elle avait compris que ce qu'elle avait supposé, son fils l'avait deviné, et qu'en le forçant à suivre sa pensée, elle en avait fait naître dans l'esprit de Koji d'autres qui lui étaient douloureuses. Mais cet instant de grâce ne dura que quelques secondes, et bientôt ses yeux avaient repris ce qu'elle estimait être leur dignité.
« Mademoiselle, ce fut un plaisir, vraiment, mais je dois partir. Ah, Koji, une dernière chose. A propos de la somme dont nous discutions à l'instant, elle est bien sûr sur un compte protégé, puisque tu n'es pas majeur, pas encore, mais elle sera débloquée et disponible à ton prochain anniversaire. C'est avec les documents bancaires que je t'ai déjà donnés. Il y a aussi la lettre de la Fondation à ce propos, enfin, tu verras tout cela. Au revoir. »
Elle leur adressa un dernier sourire, n'ayant pas plus d'attention pour Koji que pour Virginie, parce qu'elle trouvait impoli, et peut-être gênant pour son fils, de l'entretenir trop longuement, et avec trop de chaleur (dont d'ailleurs elle eût été incapable) devant une amie. Ainsi était-ce presque plus par délicatesse maladroite que par froideur. Enfin, elle partit, à grands pas maîtrisés, fendant la foule, vers une autre réunion où ce serait cette fois, non plus les amis de son fils, mais les actionnaires d'une grande entreprise qu'elle passerait au crible de son regard.
Cependant, Koji la regardait partir avec un air un peu mélancolique, mais finalement résigné : il n'attendait plus rien de cette femme, parce qu'il n'était pas capable de lire sous sa froideur toutes les intentions aimantes qui n'étaient que des germes. Il lui aurait fallu les voir fleurir pour s'en convaincre, et ainsi bien des douleurs naissent des sentiments que nous n'avons pas su deviner, ou que nous n'exprimons pas, parce que nous le jugeons inutile. Néanmoins, aussi désagréable que fût l'impression que lui avait laissée cette entrevue, brève pourtant, Koji n'en était pas moins ravi de retrouver Virginie.
Mais Koji, qui commençait un peu à connaître la jeune femme, sentait qu'il était peu probable que la rencontre avec sa mère, et la froideur qu'elle avait manifesté, eût tout-à-fait plus à son amie, et, quoique peu responsable des agissements de Madame Ashton, il se sentait un devoir de l'excuser.
« Virginie, je suis désolé. Elle n'a pas été très... amicale. Mais ce n'était pas contre toi. »
Son regard se perdit une, deux secondes dans le vague, dans la direction que sa mère avait empruntée pour partir, et dans son passé. Les jours de son enfance où il s'était fait mal, où il avait pleuré, et qu'elle l'avait soigné, mais sans le consoler. Il croyait que c'était par insensibilité ; en réalité, la jeune femme d'alors, désemparée, réparait les blessures du corps à défaut de savoir traiter celles de l'âme.
« Elle a toujours été comme cela. »
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Lun 28 Déc 2009 - 0:01
Ses deux pupilles intriguées avaient suivit l’avancée de ce couple magnifique. Il était impossible d’ignorer leur beauté. Koji était beau. Virginie avait tout de suite vu cette beauté d’esthète. Le doux mélange de deux cultures richesses parfois complémentaires. En les regardant marcher elle voyait se dessiner ce qui les liaient tout les deux. La même façon de pencher la tête. Le même rythme dans cette démarche un peu sévère. La demoiselle n’avait pas rêvé cette femme, la figure maternelle de son ami. Parce que cet être lui apparaissait alors comme un fantasme inaccessible devant demeurer au rang des concepts. Car après tout qu’était-ce qu’une mère ? Une allégorie de la sécurité diraient certains, un garde fou pour d’autres. Qu’était-ce pour ce jeune homme ?
Ils avaient l’air si replier sur eux même et la mutante fût certaine de leur demeurer invisible. Jusqu’à la dernière seconde elle se demanda si elle devait aller vers eux ou bien les laisser continuer leur traversée. C’était un moment où elle n’avait pas sa place… Ce furent les yeux de Koji qui mirent fin à ses doutes silencieux. En une seconde il se retrouva face à elle. La femme à ses côtés s’était arrêtée aussi. Virginie trouva la posture la plus simple et la plus maladroitement efficace, le corps encré dans le sol, pour s’assumer le mieux possible. Un sourire tout à la fois plein de déférence et d’attention se dessina à ses lèvres roses.
Elle se sentit immédiatement intimidée par le regard de cette dame. Plus même, Virginie, se sentait tout bonnement déshabillée. Pour elle, qui ne pouvait supporter le poids d’un regard discret, celui-ci fût une horrible expérience. Seule, la présence de Koji, adoucit un peu cette épreuve involontaire. Car madame Ashton -puisque c’était bien elle- avait une force qui la surpassait. Toujours humble, et sans doute trop réceptrice à ces auras, la demoiselle crut déjà avoir perdue une bataille. Son honnêteté pourtant la poussa à tendre une main. Mais, non, aucun contact physique n’était à envisager. Une règle qui s’arrangeait parfaitement avec sa pudeur en vérité.
La politesse de son interlocutrice la rendit encore plus réservée. Dans ce simple mot, elle venait de retrouver un peu de la glace, qui abîmait si souvent les cœurs. Pourtant malgré cette blessure, que Virginie voulu prendre pour inconsciente, « enchantée » la jeune fille l’était. Pour le simple fait que madame Ashton, était madame Ashton. Pouvoir mettre un visage sur un nom. Sur le nom de celle qui avait, sinon éduquée, au moins amenée son ami sur la terre. Que la chaire prenne ici toute son importance dans l’élégance d’une femme. La londonienne l’admira comme elle le faisait alors pour chaque personne si… impressionnante, essentielle dans son univers.
Cette voix sobre, qui sembla vouloir poser une question, accapara tout l’espace. Qu’est ce qui pouvait troubler une femme pareille ? Sincèrement Virginie n’en avait aucune idée. Elle observa tour à tour le fils et la mère. Une partie de leur dialogue lui demeurait invisible. La précision, que Koji prit la peine d’apporter, déclencha de nouvelles questions. Pourquoi au juste le jeune mutant avait ainsi empiété sur la liberté d’expression de sa voisine ? Plus encore il y eut ce signe de tendresse imprévisible. Quel était le secret qui méritait un tel revirement ? la demoiselle se retrouva au carrefour de nouvelles intrigues. Mais l’empressement de la femme coupa court à toute analyse directe. Et Virginie, cette fois, osa un mouvement de salut, qui n’était ni une révérence, ni une simple inclinaison, mais l’expression de tout son respect dans l’art de son savoir instinctif.
-« Pour moi aussi madame… »
Le fil de leur conversation reprit sous son regard ignorant. Virginie écoutait sans avoir cette curiosité impolie. Ou le désir vulgaire de voler un savoir dont elle n’était en aucun cas la dépositaire. Cela lui permettait de comprendre la raison de ce tableau. Une mère pragmatique qui utilisait son temps, comme d’autre gère leur argent, avec une efficacité quasi draconienne. Pourtant il ne sembla pas à la jeune fille que ce comportement était tout à fait malveillant. En tous les cas pas envers son descendant. Cette femme devait être une femme d’affaire, quelqu'un d’occupée. Ce qui était sans doute tout aussi pénible qu’un père qui fuyait la maison jusqu’à plus soif. Une ombre que l’on aimerait pouvoir toucher tout en sachant cela impossible. Virginie réalisa qu’elle partageait un peu plus encore avec lui, Koji.
Naturellement le sourire fût rendu, quoi que plus hésitant, plus fragile. Non pas par une quelconque dépréciation de son auteur, mais par les émotions, qu’il lui fallait encore avaler sans le montrer. Alors elle regarda la silhouette altière fendre la foule. Celle-ci laissait dans son sillage un désir de perfection, une impression d’échec. Parce qu’il eut été impossible de soutenir le rayonnement qu’elle déversait par quelques minutes immobiles. Virginie se sentait alors aussi secouée que si une marée avait voulue l’entraînée vers le large. Sauf que cette marée était, en plus, tout à la fois belle imposante et irrésistible. Et que malgré tout cela l’adolescente sentait encore au creux de son ventre cette angoisse sourde que la mère avait réussit à y déposer. Elle espérait avant tout ne pas avoir trop manqué sa chance.
Le doute était bien présent. La froideur était-elle due à sa présence ? Avait-elle sans le vouloir provoquer le mécontentement d’une parfaite inconnue ? Virginie savait que cela put être possible. Elle savait, que sa présence, avait probablement bousculée les projets de ce duo. Et pour cela elle se sentait responsable, coupable surtout. Il lui semblait alors que sa moindre chance de plaire à la mère de son ami était ainsi purement et simplement inexistante. Et cela la peinait, plus encore, car aimant Koji avec sincérité, elle aurait voulu pouvoir satisfaire ces autres qui partageaient son existence. Il chercha comme souvent à la tirer du malaise. Et comme souvent elle lui en fût reconnaissante. Cette simple attention, intention peut être, de la préserver à chaque fois la touchait.
-« Non, je comprends… ce doit être une femme exigeante. »
La plus douce façon qu’il lui était donné de le rassurer à son tour. Sans avoir à lui cacher que cette confrontation avait été vécue avec ardeur. Pas un instant d’ailleurs Virginie ne pensa que Koji fût, lui, le responsable de ces réactions. On ne choisissait jamais ses parents, comme eux ne pouvaient –encore que…- tout à fait élire leur progéniture. De plus cette distance qu’elle avait vue, exposée, n’était pas sans lui rappeler celle d’Alison. Qui s’en être aussi phénoménal était tout aussi dévastateur dans le cœur de son enfant. Ces femmes ne savaient peut être pas combien la chaleur pouvait sauver le brasier de l’innocence… Un petit sourire, qui se voulait consolant, prouvait simplement que la jeune fille connaissait tout cela. Peut être pas tout à fait dans les mêmes proportions ou cause mais avec la même impuissance douloureuse.
C’est donc avec la même détermination salvatrice, qu’elle le faisait pour elle-même, que Virginie obligea Koji à se détacher du souvenir de ce court épisode désagréable. Dans un mouvement qui lui était si naturel elle récupéra ses sacs et marcha dans la direction opposée à la disparition. Après s’être assuré que le jeune abandonné ne restait pas sur la place de la déception la voyageuse parla doucement.
-« J’espère que je ne t’ai pas privé de sa présence. Malgré tout c’est toujours important de les voir. »
Elle marchait, plus doucement que nécessaire, de crainte que son attention ne manque une nouvelle collision. Virginie ne l’avouerait jamais, après une telle découverte malheureuse, mais la présence de Koji était pour elle un petit cadeau. Il lui sembla qu’à deux les flots humains étaient un peu moins écrasants. La foule n’avait plus cette agressivité indifférente à son regard. Déjà dans son esprit le contenu de ce court échange faisait naître des idées. Elle essaya d’en savoir un peu plus. Il fallait que cela paru tout à fait innocent. Mais un petit sourire trahissait déjà ses desseins. Virginie n’avait jamais été très douée pour cacher sa joie. Ni quoi que ce soit qui s’exprimait en elle avait une acuité surnaturelle. C’est donc sur un ton assez tranquille qu’elle put demander curieuse.
-« Quel jour est-ce ? Ton anniversaire ? »
Aussi fluide qu’une enfant entre les branches saule Virginie évoluait dans l’océan des corps. Ses saphirs plus inquisiteurs qu’angoissés déjà regardaient chaque vitrine avec une curiosité sincère. Ainsi ses inquiétudes étaient repoussées à plus tard. Ils s’attardèrent sur un chapeau d’homme qu’elle imagina sur le front d’un personnage de roman. Sur une robe que sa mère aurait put porter à son âge. Sur tout ces objets qui appelaient des images, parfois décousues, mais toujours pleines de joies naïves. Et toutes les musiques bâtardes, qui s’échappaient de chaque boutique, lui donnaient la délicieuse envie de laisser ses pieds s’amuser. Ce n’était là que la plus agréable des façons d’oublier qu’un centre commercial ne lui apporterait jamais les dons les plus précieux. Elle ne pensa pas d’ailleurs que ce lieu put non plus plaire tout à fait à Koji.
-« Restes tu encore un peu ici ? »
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Lun 28 Déc 2009 - 1:36
Sans doute Ikuko Ashton, quoiqu'elle aimât sincèrement son fils, et d'un amour profond qu'il ne pouvait pas apercevoir, n'en demeurait pas moins une femme d'affaire, avant d'être une mère, et si son fils ne recevait pas d'elle l'affection qui eût adouci ses peines mais qui, en changeant profondément leurs relations, l'eût changé lui-même et en eût fait un être différent, peut-être un être qui n'eût pas plu à Virginie, il jouissait indirectement de la pugnacité carriériste de sa mère : c'était que, ces dernières années, et singulièrement ces derniers mois, Ikuko Ashton avait, en soutenant des affaires compliquées et extrêmement importantes, acquit une renommée considérable dans le monde de la finance, et la fortune familiale, déjà confortable, s'en était trouvé augmentée.
Quoique Koji n'accordât pas une importance extrême à l'argent, il était loin d'avoir la naïveté de le mépriser, et il savait qu'en toute chose il rendait l'existence, sinon plus agréable, du moins plus aisée, plus rapide, moins contraignante. D'ailleurs, un événement qui s'était produit au milieu du mois de septembre lui avait fait découvrir, dans ce domaine, des horizons qu'il n'avait jamais soupçonné parce qu'il n'avait jamais songé qu'il pût un jour les atteindre. Or, ces horizons, ces domaines et leurs possibilités, se trouvaient désormais à sa portée, et il commençait à former des projets considérables, qui du reste devaient encore attendre quelques mois pour qu'il pût les réaliser.
« Exigeante, oui. C'est sans doute ce qui fait d'elle une si excellente avocate. Et une mère si redoutable. »
Il avait dit cela sans fard, sans essayer de dissimuler quelles douleurs une semblable femme pouvait faire naître dans l'âme de son fils, parce qu'elles lui semblaient si évidentes qu'il eût trouvé superflu de les dissimuler à Virginie ; il connaissait désormais assez la jeune femme pour savoir combien elle était sensible à ces sentiments que les gens n'expriment pas, mais qu'ils diffusent autour d'eux, aussi supposait-il qu'elle avait, sinon imaginé, du moins ressenti, confusément, ce dont cette femme, sa mère, avait pu le priver. Et puis, si Koji confiait plus volontiers ces impressions intimes à Virginie, c'était que leur propre relation avait insensiblement évolué : depuis ce jour où elle l'avait accueilli, et où ils avaient parlé, peu, mais avec profondeur, dans le parc de l'Institut, ce jour dont bien sûr il se souvenait jusque dans les moindres détails, ils s'étaient vu souvent, et entre eux s'était nouée une amitié étroite.
Il y avait bien des choses, cela dit, que Koji dissimulait encore à Virginie, soit que l'occasion d'en parler ne se fût pas présentée, soit que, et c'était le cas le plus souvent, il avait évité soigneusement qu'elle se présentât, car, tout en répugnant à mentir à la jeune femme (et il ignorait s'il en eût capable, si la conversation l'avait exigé), il y avait des choses qu'il ne voulait pas qu'elle sût, qu'il avait, plutôt d'un dessein former de le lui cacher, décidé qu'il était préférable qu'elle ignorât, parce qu'il n'avait pas encore réussi à déterminer les opinions de la jeune femme dans le domaine qui les concernait, et que ce domaine était tel que si Virginie ne partageait pas ses vues (qui d'ailleurs, plutôt que des vues, étaient des inclinations naturelles), il eût été contraint de cesser tout-à-fait de la voir.
Mais, soit esprit de Noël, soit que leur relation eût atteint un nouveau stade, soit encore que, Virginie ayant vu sa mère, il lui semblât qu'une nouvelle intimité venait de fait de se nouer entre eux, Koji sentait que les résolutions secrètes qu'il avait prises de ne pas parler de ces choses à Virginie faiblissaient et, sans qu'il songeât encore à mener la conversation sur ce terrain, il se disait que du moins il ne l'empêcherait plus d'y venir, et que lorsqu'elle y serait, il y ferait des réponses sincères. D'ailleurs, quand il regardait Virginie qui marchait à côté de lui, sous ses paquets (il n'avait pas proposé de l'aider car il avait compris maintenant que la jeune femme n'avait pas besoin qu'on allégeât ses peines lorsqu'elles étaient physiques), il ne doutait plus qu'elle pût comprendre ce qu'il pourrait lui dire, que c'était une jeune femme qu'il voyait à présent, une jeune femme en train de s'affirmer, et pour qui il ne ressentait pas seulement une vive affection, protectrice comme celle d'un vieillard pour une enfant en train d'éclore, mais aussi l'estime profonde que réserve le vieux maître à son disciple qui s'émancipe enfin.
« Elle n'a besoin de personne pour me priver de sa présence, ne t'inquiète pas. »
A ces mots, il avait joint un sourire résigné, comme s'il avait pris son parti de ces souffrances, et ce n'était pas tout-à-fait faux, car depuis quelques années, il avait grandi, il était devenu plus mûr, à vrai dire, il l'était autant qu'un être humain pût l'être, et il comprenait qu'il n'y avait pas, qu'il n'y avait jamais eu, chez sa mère, la volonté de lui nuire, et que leur relation maladroite reposait sur un hasard malheureux, celui qui dans la vie réunit des personnes qui, sans être destinées à se haïr, ne sont pourtant pas faites pour s'entendre tout-à-fait.
Ainsi avait-il appris à se contenter de ces rencontres fugitives, que d'ailleurs il ne cherchait pas à multiplier. Chacune avait une raison précise, un motif déterminé, et devait durer un temps presque chronométré. D'ailleurs, il n'était pas moins occupé que sa mère, et si ses journées, depuis qu'il était à l'Institut, se passait plus tranquillement, c'était qu'il avait décidé de ne plus se soumettre aux rythmes universitaires, à ne plus entasser les diplômes et à faire, comme Virginie le lui avait conseillé d'ailleurs la première fois, quelque chose de sa vie, sa vie à lui. Ce grand projet, du reste, il l'avait commencé avant d'entrer à l'Institut, et le calme qu'il goûtait à présent au sein des murs protecteurs, il le mettait à profit non pour enfanter une œuvre, mais pour suivre la croissance de celle qu'il avait déjà mise au monde, et qui commençait à répondre son nom dans les milieux qu'elle concernait. C'était à cela qu'il consacrait son temps désormais, et pour son projet, il avait compris, enfin, l'intérêt du pouvoir et de l'argent.
Virginie, sans le savoir, avait posé la question qui précisément se rapportait au motif, à l'objet presque, du rendez-vous qu'elle avait surpris.
« Dans quelques semaines, le premier janvier. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle est venue me voir. Maintenant que je vais être majeur, mes ressources financières vont passées sous mon contrôle permanent. Elle est venue me transmettre les papiers nécessaires. »
Il savait bien que les mots « ressources financières » suggéraient assez qu'il ne s'agissait pas de quelques centaines de livres sterling sur un livret d'épargne dans une banque quelconque de Londres, et il allait expliquer à Virginie ce qu'il entendait exactement, parce que c'était un bon moyen de lui dire une de ces choses qu'il lui avait cachée, celle-ci non parce qu'il doutait de sa réaction, mais parce qu'il voulait attendre que la situation fût claire pour lui en parler, mais la jeune femme lui posait déjà une question, à laquelle il trouvait plus poli de répondre.
« Je... »
Mais il n'eut que le temps de prononcer ce pronom avant qu'une accorte Mère Noël, qui devait tout au plus avoir quelques années de plus qu'eux, ne surgît sous leurs yeux et leur fît constater que celui qui avait dessiné son costume n'avait pas songé qu'une femme censée vivre au Pôle Nord, quelque abondante que fût sa poitrine, n'était que peu susceptible de porter un haut aussi décolleté, qu'elle fourrait d'ailleurs allègrement sous le regard, profondément indifférent, de Koji, à qui elle asséna en outre un sourire éclatant de toutes ses dents (qu'elle avait très blanche), sans qu'il fût possible de savoir si la ravissante demoiselle tenait particulièrement à le séduire, ou si un zèle peu commun la poussait simplement à user de tous ses charmes (et ils étaient nombreux) pour distribuer aux clients potentiels que de la pâtisserie Dury, la pâtisserie qui vous rit, des offres promotionnelles. La stratégie était en tout cas très payante car beaucoup d'hommes, et quelques femmes, qui passaient par là ralentissaient un peu le pas pour s'assurer d'être accostés par la sémillante distributrice, et il n'y avait guère que Koji pour lui sourire, certes, mais avec une politesse aussi distraite que s'il se fût agi d'une femme laide, âgée, et vendeuse de merguez.
Ils passèrent leur chemin, et il reprit.
« Je ne vais tout de même pas te laisser seule dans l'antre de la Bête. Je n'ai rien à faire ce matin, et, aussi forte sois-tu, si tu achètes encore quelque chose, tu ne pourras pas le porter seule. »
Ils s'arrêtèrent devant une librairie qui exhibait généreusement les derniers titres des auteurs à la mode, les articles de papèterie à l'effigie des héros en faveur en ce moment chez les enfants, etc. Koji regardait songeusement les livres et, comme sa résolution de ne plus cacher de choses à Virginie, de l'amitié de laquelle il avait eu assez de preuves pour qu'il pût ne plus en douter, comme cette résolution, donc, progressait vite dans son cœur, parce qu'elle avait toutes les raisons de le faire, il décida non plus de laisser les sujets venir et d'y répondre, mais de les amener soi-même ; ainsi sa voix s'éleva-t-elle, songeuse, douce, et d'abord presque inaudible, en fait audible pour eux seuls, et créant autour d'eux une intimité fragile, dans le tumulte du centre commercial.
« Virginie... J'ai quelque chose, entre autres, à te dire. Je voulais attendre un peu, pour voir comment ça tournerait, mais comme tu l'apprendras peut-être, par le journal, je préfère te l'apprendre moi-même. Avant de venir à l'Institut, j'avais écrit un livre... »
Il sourit en regardant les livres étaler dans la vitrine.
« Evidemment, ce n'est pas exactement de ce genre là. C'est une histoire de la philosophie en plusieurs volumes. Ce livre... Comment dire ? »
Il se retrouvait face à son éternel problème : expliquer ce qu'il avait fait, ce qu'il avait pensé et créé, sans que cela parût prétentieux. Après quelques secondes d'hésitation, il se rappela sa décision de donner toute sa confiance à Virginie, et il décida qu'elle saurait comprendre que ce n'était pas pour vanter qu'il disait cela.
« C'est une révolution. Dans la manière de penser. D'ailleurs, il a été très bien reçu. La Fondation pour les Arts, la Science et la Philosophie de Tokyo m'a accordé un prix de cent milles livres sterling pour réalisation exceptionnelle dans le domaine de la pensée humaine. Enfin, humaine... »
Plus que de la mélancolie, l'idée que, pour certains, cette réalisation si exceptionnelle pour la pensée humaine (qui d'ailleurs ne l'était que pour les professeurs de philosophie capables de comprendre l'ouvrage, au demeurant extrêmement complexe, de Koji), fût la réalisation d'une pensée mutante, et qu'elle n'eût pu probablement être produite par nulle autre, éveillait une certaine bonne humeur chez Koji, parce que c'était la preuve qu'il n'était pas si différent que cela du reste de l'humanité ou, plutôt, que même différent, il restait proche d'elle.
« Bref... C'est à cause de cet argent, et aussi il est vrai parce que ma famille n'est pas précisément démuni, que les questions bancaires prennent cette importance. C'est ce dont parlait ma mère tout à l'heure. »
Il ne savait pas trop si Virginie comprendrait quel progrès significatif dans leur relation cela constituait pour lui de dire ces choses, de lui faire partager ce que sa vie avait été ces derniers mots, ce qu'elle serait dans le futur, car cet événement changeait du tout au tout ses perspectives d'avenir ; et, comme cette ignorance, quelque sûre que fût désormais la résolution d'être entièrement sincère avec la jeune femme dans son âme, l'inquiétait, il glissait vers elle des regards doucement interrogatifs.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Lun 28 Déc 2009 - 17:55
Voilà donc le métier de cette femme, avocate. A présent que Koji le lui apprenait, celui-ci lui semblait dès plus logique. La belle japonaise avait en effet la prestance pour un tel rôle. Il eut été inconvenant même que pareille femme soit autre chose qu’une femme d’importance. Il en allait ainsi pour certains individus. Ils ne pouvaient se détourner d’un destin plein de grandeur. Assurément madame Ashton faisait parti de ce panthéon mortel et obligatoirement responsable. Qu’elle le choisisse ou non sa vie serait celle d’une égérie de son temps. Cette certitude acquise ne faisait que répondre aux hypothèses inconscientes de la mutante. Parce qu’il lui semblait si naturelle que chaque autre soit quelqu’un. Chaque individu pouvant se draper de l’étoffe du héros. Plus encore les belles dames à la carrure d’une déesse. Virginie pensa immédiatement à tous ces individus qui pouvaient être sauvés grâce à un bon plaidoyer. Elle imagina la silhouette céleste convaincre un jury de libérer un innocent.
Alors oui, elle devait être redoutable. Sa propre mère l’était à sa mesure. Une institutrice, pour génitrice, imposait certaines désillusions. Impossible pour Virginie de la satisfaire tout à fait d’un point de vu scolaire. Le regard de l’enseignante passait avant celui de la guide maternelle. La fille avait dû apprendre à entendre les reproches des les premiers soirs de scolarités. Alors, elle s’était lentement persuadée, que cet aspect de sa vie ne serait jamais parfait. Elle avait été une élève convenable sans oser être plus. Rien n’avait put faire évoluer ce choix de protection. Puisque laissant sa mère être méprisante, Virginie pouvait alors se convaincre, que leur relation était ainsi justifiée. Une relation qui n’avait même pas trouvé la force de s’adoucir.
L’accident de car du printemps aurait peut être put être leurs chance à toutes les deux. La mère aurait put craindre de disparaitre sans avoir tenté d’aimer son enfant. Malheureusement cette épreuve n’avait rien apporté de bon. Les heures, entres les murs blancs, avaient créées un reproche silencieux et mesquin envers la mutante. Elle qui était un monstre et qui pouvait supporter toutes les blessures du corps. Elle qui était sortit de sa chaire, sans avoir la décence de lui laisser un peu de cette force. La convalescence avait été longue et laborieuse. Obligeant leur semblant de famille à bien trop de compromis. Le mari avait dû enchaîner les petits boulots pour payer le loyer. Virginie avait bien entendu passé toutes ses payes, dans le budget, dont elle ne profitait plus depuis un an. Les cicatrices étaient entrain de guérir sur la peau de la brûlée. Alison reprendrait le travail pour la nouvelle année. Et Alison était devenue amer…
-« Au moins tu sais à quoi t’attendre… les autres sont sans doute moins impressionnants grâce à elle. »
Une relativité que Virginie ne savait pas s’il elle était un espoir où une simple bêtise. Elle savait au fond que ni Koji ni elle ne se faisait réellement d’illusion. Qu’un tyran aurait sans doute été moins effrayant puisque totalement inconnu. Cela dit elle ne pouvait retenir ses élans d’encouragements. Il lui venait aussi facilement que sa douceur ou que la rougeur de ses joues. C’était sa façon d’affronter tout cela. Ainsi et surtout que de partager ce point commun avec son ami. Parce qu’il devenait de plus en plus clair que ce jeune homme et elle avait d’étranges similitudes. Cela la réconfortait tout à en la peinant pour lui. Elle aurait voulu qu’il soit préservé de toutes ces meurtrissures. Plus encore depuis qu’elle apprenait de lui. Ce sage juvénile était devenu un allier sans que cela ne lui paraisse tout à fait angoissant. Son regard sur le monde donnait envie à la jeune fille de grandir et de lui faire confiance.
Petit à petit Virginie avait comprit que Koji n’était pas seulement gentil. Elle avait accepté doucement qu’il puisse trouver un sincère intérêt à sa compagnie. Celui lui avait permit de se montrer plus libre. Elle ne passait plus son temps à ce demandé si la politesse uniquement le retenait prés d’elle. Il y avait entre eux une entente honnête. A vrai dires la toute première que Virginie put concevoir. Alors elle découvrait la simplicité de pouvoir compter un peu sur quelqu'un. Il n’y avait plus besoin d’une excuse pour qu’elle se dise qu’elle avait envie de le voir. Il lui devenait de plus en plus naturel de partager sa vie, ses pensées, avec lui. Ce qu’elle ne disait pas c’était la simple pudeur qui l’en empêchait. Peut être le désir d’anticiper sûr ce qui l’intéressement de connaître d’elle. Ainsi il ne savait pas que Luc existait dans sa vie. Ni qu’elle était déjà allée à la Confrérie.
Pourtant la demoiselle n’en était pas inquiète. Elle se disait que tout ce qu’il voudrait savoir il le lui demanderait. Et qu’à ce moment là elle s’efforcerait de répondre. Alors qu’à l’inverse elle était toujours heureuse d’apprendre d’autres choses sur lui. Parce que en le connaissant de son mieux Virginie pensait pouvoir s’adapter encore mieux pour lui convenir. Car oui même en amitié il lui fallait d’instinct mériter sa place. Elle se retrouvait alors toujours dans l’effort de satisfaire. Sans que cela ne l’empêche tout à fait d’être elle. Mais en transformant ce « elle » de façon plus directe. Chaque autre la changeait.
Le sourire et la résignation de Koji l’adoucir un peu plus. Car malgré ses années à subir le manque Virginie elle ne l’avait toujours pas accepté. Et qu’il lui était impossible de réellement comprendre ses parents. Il lui arrivait donc de leur en vouloir. Comme chaque enfant au droit d’en vouloir à ceux qui le laisse. Parce qu’elle ne pouvait atteindre cette maturité dont son ami profiter. Alors le refus des siens restait ce qu’il paraissait être. Alors son hochement de tête fût tout à la fois une affirmation et le signe de sa compréhension. Parce qu’elle connaissait tout cela sa voix fût pleine d’une complicité discrète et respectueuse.
-« J’en suis désolée. »
Il allait devenir majeur. Oui elle avait comprit que cette entrevue n’avait servie qu’à régler quelques questions financières. Virginie n’avait jamais traitée de ces questions là avec ses parents. En décidant de l’exiler au Canada ils avaient clairement démontré leur désintérêt envers leur enfant. Ainsi juste après la sortie du lycée, avait-elle dû apprendre à devenir adulte, du moins dans ses responsabilités pécuniaires. Sa tante, comme sa mère, s’était contentée de lui apporter ce que le lien du sang l’obligeait à offrir. Le reste Virginie avait dû le chercher seule. Avant ses dix-sept ans elle savait donc gérer un compte en banque et s’occuper de ses papiers mieux qu’une assistante sociale. Une chose assez surprenante quand on connaissait ses inclinaisons au doute. Mais la vie l’avait mise au pied du mur. Et sans en avoir réellement conscience Virginie avait été majeur avant l’heure. L’un des paradoxes de la jeune fille, qui rendait sa fragilité encore plus complexe.
-« Tu as cette sécurité là. C’est toujours mieux. L’argent c’est une chose compliquée à gérer. Ta mère a eut raison de veiller. »
Elle avait d’ailleurs comprit en voyant sa mère, et en le voyant lui la première fois que les ressources de ce côtés là devaient être tout à fait suffisante. Il n’y avait aucune envie de sa part. Ni la moindre jalousie. La jeune femme ne courait pas après l’argent. Il ne s’agissait que du moyen de vivre correctement. Et si on le lui avait demandé devenir milliardaire ne l’aurait pas intéressée. Le centre commercial qui glorifiait l’argent comme accès au bonheur la faisait sourire. Elle croyait beaucoup plus au pouvoir d’un geste que d’un billet.
L’apparition des pâtisseries dans ces mains charmantes détournèrent un instant l’attention de Virginie. Cette femme noël faisait appel au pir de ses pêchés. Elle ne regardait pas vraiment alors la beauté de cette aguicheuse. Evitant ainsi de se sentir gêné face au modèle parfait de la femme de l’an 2051. Mais les pâtisseries elles… Heureusement la voix de Koji l’aida à ne pas céder. Elle offrit donc un petit sourire pleins de retenu à la tentatrice et fila aux côté du jeune homme. Un rire fit échos à la réponse de celui-ci. L’image de la bête était terriblement perspicace. L’idée qu’il ait à porter son propre cadeau par contre.
-« Terrassons tous deux ce dragon alors chevalier ! »
Ils ralentirent tous deux face aux livres. Elle pensa à tout ces noms dont elle n’avait pas prit le temps de les connaître. En réalité Virginie n’arrivait jamais à suivre les modes et cela quelques soient leurs domaines. Car le temps qu’elle réussisse à la comprendre et à peut être l’apprécier celle-ci était remplacée. Tout en écoutant les informations, en écrivant des brèves, la jeune pigiste vivait à deux temps. Elle était entrain d’envisager de lire cette nouvelle écrivaine dont le roman était encensé depuis la rentrée littéraire d’octobre. Son prénom murmuré lui fit tourner le regard. Elle observait son profil calme et doux. Un livre… Koji avait écrit un livre.
-« Ho Koji… tu me rends curieuse. Toi qui me disais que tu n’étais pas fais pour cela. »
La philosophie. Une matière que Virginie avait à peine abordée. Cependant le but de celle-ci lui avait toujours paru humaniste et noble. Ne serait-ce que pour ces deux raisons la jeunette était convaincue que celle-ci conviendrait à Koji. Connaissant ses capacités, plus son tempérament une telle histoire devait être dès plus riche ! Elle devina qu’il voulait en dire plus cette fois. Et sa silhouette tout comme son attention était maintenant parfaitement guidée vers lui. Et… non elle n’envisagea pas qu’il se venta. Il ne faisait que lui exposer ce qui était. Comme quand il essayait de lui faire entendre les raisonnements complexes d’une pensée. Virginie n’était pas prompte à chercher de la vanité chez l’autre. Qui plus est cet autre était peut être le plus intelligent du monde, mais d’une intelligence si belle que la faire briller était inutile. Du moins est-ce que la jeune fille envisageait à chaque fois.
Cette fois c’était un peu plus. Cette nouvelle amenait de la joie dans son regard. Parce qu’en plus de la confidence celle-ci signifiait donc que Koji avait fait quelque chose. Il avait dépassé cette idée que le temps lui serait de toute manière inutile. Il avait prit la peine de marquer les choses.
-« Tu as réussi à retenir un peu de poussière alors… »
Alors que ce soit pour les humains, pour les mutants, pour les dieux, peut importe. Il l’avait fait. Elle était fière de lui. Sans s’en être en rien responsable Virginie était heureuse que Koji ait osé. Elle savait déjà que cet écrit lui resterait inaccessible. Elle était assez intelligente justement et humble pour ne pas en prendre ombrage. Vu les conséquences d’un tel projet la demoiselle comprenait que le patrimoine familial soit aussi protégé. Pourtant elle était certaine que Koji s’en occuperait avec une lucidité infinie. Elle prenait aussi conscience que son ami était riche. Et que de nouvelles portes allaient lui être ouvertes. Cela aurait peut être dû l’inquiéter mais trop généreuse Virginie en fut avant tout ravie pour lui.
-« Et à quoi as-tu réfléchi le concernant ? »
Parce que Koji réfléchissait sur chaque chose. Parce que s’il prenait le risque de lui en parler. C’est donc que l’étape suivante était déjà franchit. Doucement, des hypothèses fleurissaient dans son esprit. Il avait fait l’aveu. Parce qu’elle le connaissait, un peu, Virginie était touchée qu’il prenne la peine de lui en parler. Mais… insidieusement c’est une autre peine commença à monter dans sa psyché. Koji ne souffrait plus autant qu’au printemps de la tête. Il n’avait aucun besoin scolaire de rester à l’Institut. En regardant les figurines d’un air distrait, elle ajouta pour eux deux, avec toute sa sincérité, avec cette angoisse naissante.
-« Est-ce que… est-ce que, cela veux dire que… tu vas t’en aller ? »
Malgré elle, la peur de l’abandon, avait fait trembler sa question. Parce qu’elle comprenait que de telles opportunités ne pouvaient être évitées. Elle n’osait pas, à cet instant, affronter son regard. Il ne fallait pas qu’il devine à quel point cela la rendrait malheureuse. Plus que tout elle voulait que cette liberté il l’ait sans la moindre ombre. Virginie aimait avec cette capacité de s’oublier. Comme la mère qui malgré le déchirement pousse son enfant à franchir le seuil. Comme la femme qui ne peut retenir le marin à quai sans pouvoir éviter le rendre prisonnier. Elle aurait voulu que sa peur reste secrète. Rien ne devait gâcher cette bonne nouvelle. Alors elle inspira une bouffée et s’obligea à la regarder. Un sourire arrivait à détendre sa bouche pour lui offrir la tranquillité de répondre.
Tandis qu’en elle, passait, tout ce qu’elle aurait voulu dire pour le retenir. Tout ce qu’elle avait gardé, pour elle, alors qu’il aurait put le savoir. Toute la place qu’il avait prit dans sa vie et qu’il lui semblait in-envisageable de rendre vide. Touts les sentiments qu’elle avait laissé pousser. Même le chant du père noël ne réussissait pas à la détachée de cette effroyable prise de conscience. Pourtant Virginie savait que cette souffrance quelque part était un cadeau, car elle signifiait qu'elle s'était belle et bien reposé sur un autre.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Lun 28 Déc 2009 - 20:47
Si Koji avait deviné ce que Virgnie s'imaginait, à propos de sa mère, s'il avait pu voir, dans l'esprit de la jeune femme, Ikuko Ashton défendre l'innocent et confondre un jury prêt à le condamner, un sourire d'amertume se fût formé sur ses lèvres, car ce n'était pas les innocents, que défendait l'avocate ; l'innocence ne rapporte pas, aussi ce qui faisait la célébrité de Maître Ashton était-ce les affaires financières de grande envergure, les cas complexes de délits boursiers, où elle alliait la hargne et la verve d'un ténor du barreau avec le scrupule consciencieux de l'expert comptable. Il n'y avait pas réellement dans ces affaires d'innocents, et ce n'était que des litiges entre de grosses sociétés ; d'ailleurs, Koji ne s'y était jamais intéressé, et il ne trouvait pas que ce fût un métier déshonorant. Il n'avait jamais songé à celui de sa mère comme à un métier dans lequel l'honneur eût particulièrement à compter, comme il eût trouvé stupide d'exiger d'un balayeur qu'il balayât avec grâce.
Mais sans doute cet environnement, ces affaires dont elle parlait parfois à son fils, dont elle savait qu'il pouvait la comprendre, avait-il appris à Koji ce qu'était réellement l'argent, c'est-à-dire ni un moyen pour obtenir un objet, comme une simple monnaie d'échanges, ni une fin en soi, comme la source du bonheur, mais une entité complexe, un fluide qui posait des problèmes, qui n'existait pas vraiment, dont la valeur n'était pas fixe, etc. Tout cet argent qui maintenait était à lui, il en sentait donc à le fois le pouvoir et la fragilité : il était loin, comme beaucoup des gens que les deux mutants croisaient dans ce centre, de l'envisager comme bien, mais il était également loin, comme Virginie, de ne pas lui trouver tellement d'importance.
Or, ce qu'il sentait dans cet argent, la possibilité que parmi toutes il isolait, c'était le pouvoir de compenser certaines faiblesses qui, ne naissant que de la société, sont rachetées par ce qui fait vivre la société, l'argent. Ainsi savait-il que tout ce qu'on lui avait refusé lorsqu'il était, non pas démuni, mais médiocrement fortuné, lui était possible désormais qu'il était riche, sans qu'il achetât cette possibilité de quelque don que ce fût, mais simplement le fait d'avoir de l'argent le rendait plus légitime : il lui aurait même suffit d'avoir les apparences de cette puissance pour jouir de ses effets.
Mais il y avait bien une chose à laquelle il n'avait pas songé, c'était à quitter l'Institut, et la question de Virginie le surprit, mais cette surprise n'était pas désagréable, parce qu'elle lui faisait voir combien la jeune femme tenait à lui, et combien, même en ayant l'air de devoir le regretter, elle l'appréciait, puisqu'elle essayait de dissimuler le regret qu'elle éprouvait déjà à simplement évoquer quelque chose qui n'était pas encore, derrière un sourire. Alors il lui répondit avec toute la douceur qu'exigeait un semblable procédé.
« Non, bien sûr que non. Je n'ai pas de raisons de partir, et beaucoup de rester. »
Il n'y avait rien en effet qu'il ne pût faire à Londres, où il trouvait à sa disposition tous les livres qui lui étaient nécessaires, ceux qu'il ne trouvait pas il pouvait les commander, à la rigueur s'éclipser un jour ou deux pour les consulter, maintenant qu'aucune barrière financière ne retenait ses voyages (et d'ailleurs aucune ne les avait jamais retenus). Il trouvait beaucoup trop de douceur, et une douceur à laquelle Virginie n'était pas étrangère, à vivre à l'Institut, où il lui semblait qu'il était comme dans une retraite, pour la quitter, alors que les technologies modernes et une grande capitale mondiale lui offraient tout ce qu'il pouvait désirer pour son travail.
D'ailleurs, Londres n'eût-elle pas eu ces agréments qu'il n'en fût pas moins demeuré, car si ses maux de tête se faisaient moins fréquents, ils demeuraient violents cependant, et parfois, il avait même l'impression qu'ils empiraient. Il avait rejoint l'Institut pour fuir le monde, il est vrai, dans un premier temps, mais il avait vite compris qu'il eût été idiot de se priver d'un soutien bien utile, et que s'il pouvait vivre avec sa mutation sans souffrir, c'était un progrès qui valait assez qu'il y demeurât plusieurs mois, et même plusieurs années si c'était nécessaire.
Il y avait encore autre chose qui le poussait à rester à Londres, mais dont il ne parlait pas.
Ils reprirent leur marche dans les allées du centre commercial, et Koji laissait à sa camarade le soin de diriger leurs pas, car il ignorait ce qu'elle voulait acheter, les boutiques qu'elle désirait visiter, et comme lui-même n'avait rien qu'il voulût se procurer, c'était bien à elle que devait revenir le choix de l'itinéraire. C'était que Koji n'avait jamais fêté Noël : sa mère, non rigueur cette fois-ci mais simple habitudes culturelles japonaises, ne se sentait pas proche de cette tradition, et son père, athée fervent, n'y voyait que la célébration d'une naissance dont il ne croyait pas que l'on dût la célébrer. Si bien que Koji n'avait jamais offert, ni reçu, de cadeaux de Noël.
Cependant qu'ils naviguaient de vitrine en vitrine comme Ulysse de Charybde en Scylla, Koji reprenait le fil de leur conversation, et revenait sur la question de l'argent, et des réflexions qu'il avait fait naître chez lui.
« Pour ce qui est du prix, et du reste de l'argent, eh bien... Tu vois, une des nombreuses raisons qui me poussent à demeurer ici, c'est que j'ai longtemps fréquenté les universités. Passé des diplômes. Pour qu'on reconnaisse mes compétences. Je crois qu'il est temps que l'université apprenne qu'elle ne détient pas la vérité universelle. Et pas même le pouvoir sur cette vérité. »
Il fut obligé de se taire quelques secondes, parce qu'un groupe de touristes français, tout heureux de retrouver à Londres un centre commercial qui ressemblât exactement à ceux qu'ils connaissaient à Paris, l'arpentait de long en large, mais toujours (et avec quelque fierté) en groupe, comme des blattes que l'on surprend, la nuit, agglutinée sur un morceau de viande faisandée, et, comme il n'était pas possible de se frayer un chemin dans leur grappe épaisse et (parce qu'ils avaient chauds) juteuse comme du raisin trop mûr, Koji avait été contraint de s'éloigner de quelques pas de Virginie, qu'il retrouva la seconde suivante, ce qui était presque un exploit, parce qu'ils eussent fort bien pu dériver loin l'un dans l'autre, elle emportée par un de ces rennes dansants qui vantaient les mérites d'un savant, lui happé par un autre groupe de touristes, japonais pour leur part, qui, ayant supputé en lui un compatriote, l'aurait agrégé de force à leur troupe et emmener photographier le sapin gigantesque qui trônait dans le grand vestibule.
« Je n'ai pas encore de projet très net. Mais disons que je pourrais éditer mes ouvrages, et ceux d'autres personnes, par mes propres moyens. Peut-être avoir une fondation. Enfin, je veux dire, il faudra faire fructifier cet argent d'abord. Mais je verrai cela en temps opportun, pour l'instant, je suis encore mineur. »
Il était même difficile de croire que, dans quelques jours, à peine deux semaines, il serait majeur, c'est-à-dire, censément, un adulte, à la tête d'une petite fortune, et en mesure de faire ce que bon lui en semblerait, parce que, si Virginie avait éclos et était devenue une femme décidément, Koji avait gardé ses traits presque féminins et fragiles, qui lui donnaient un air de jeunesse, il est vrai un peu éternelle, et dont il était difficile, et presque triste, de penser qu'un jour ils s'affermiraient peut-être, et feraient de lui un homme. D'ailleurs, c'était peu probable.
Lui-même ne songeait presque jamais à ce qu'il deviendrait, plus tard, parce qu'il se souvenait si précisément de ce qu'il avait été, et dans ses souvenirs il se trouvait si différent de lui-même, qu'il comprenait très bien que ce qu'il était aujourd'hui, quand il ne le serait plus, lui deviendrait indifférent, et que toute la peur qu'il eût pu concevoir de changer ne serait qu'une crainte éphémère ; cependant, parfois, lorsqu'il songeait que son pouvoir évoluerait peut-être, et, qu'en augmentant, il modèlerait en lui, dans son esprit où des théories pourtant solides et formées faisaient vivre tout un monde, un monde nouveau, non pas entièrement différent de l'ancien, mais somme toute assez original pour qu'il fût impossible de les confondre, il songeait qu'en réalité, lorsqu'une évolution significative se produirait, il ne changerait pas, mais ce serait tout un être qui mourrait, et tout un autre qui renaîtrait de ses cendres ; or, il n'ignorait pas que son intelligence n'était pas qu'une froide raison qui opérait des chiffres et les assemblait, et que sa mutation touchait aussi l'intelligence du cœur, et alors il se demandait ce qui resterait de ses affections de jadis, s'il pourrait encore les éprouver, si même il pourrait éprouver quelque affection que ce fût, et non pas seulement une tendre indulgence, vague et confuse, appliquée à l'ensemble de l'humanité, et c'était cette idée là, plus que la perspective des mystères qui se révèleraient à lui et qui peut-être seraient terribles ou désespérants, qui faisait naître dans son esprit une angoisse vague.
Mais alors l'être qu'il était encore, se sentant si proche de sa propre disparition (car c'est bien dans nos affections qui résident notre être), repoussait ces pensées ou, plutôt que de les repousser, se reculait vivement d'elles, et les laissait là, toujours présentes mais sans souffle, vides de toute vie, et donc de tout pouvoir de convaincre : elles pouvaient hanter, simplement, mais hanter, ce n'était rien. Quand un de ces mouvements le ramenait à sa propre existence, et que pourtant il songeait au temps qui s'écoulait, c'était bien à son corps alors qu'il songeait, à la manière de son corps allait non pas grandir (cela, il ne l'espérait plus), mais se modifier, perdre sa grâce, sa fragilité, son air mélancolique, et cela l'inquiétait, parce qu'il savait que c'était ce qu'on aimait chez lui ou, du moins, ce que l'on désirait.
Par hasard, ils passèrent devant un magasin qui vendait, en poster ou en toiles de série, des reproductions des tableaux que l'on pouvait trouver exposés dans l'une ou l'autre des galeries londoniennes, en ce moment, et Koji, qui avait passé tous les magasins sans leur accorder plus qu'un coup d'œil, s'arrêta brusquement à la vitrine de celui-ci : elle était entièrement occupée par la reproduction d'un tableau exposé à la Stanford Gallery qui, fondée au début du siècle, était devenue extrêmement prestigieuse parce que les propriétaires successifs avaient réussi à découvrir de nouveaux talents, et alliaient à un goût d'esthètes très sûrs, la redoutable efficacité d'hommes d'affaires.
Ce tableau, c'était un jeune homme qui jouait du violon, mais Koji, qui le savait, était certain que qui l'ignorerait ne pourrait le deviner sans en lire le titre, car les formes se fondaient les unes dans les autres, à moins qu'elles ne se heurtassent, soudainement, dans quelque éruption de couleur à la fois ocre et brune (comme celle de ses cheveux), si bien que, pour la plupart des passants, le tableau paraissait un tableau abstrait, magnifique et puissant, mais abstrait, et même en lisant le titre, ils n'auraient pas supposé que cette forme, moins grande que les autres, verticale, et d'un rouge presque noir, d'un rouge mélancolique, fût le jeune homme en question, mais plutôt que l'ensemble du tableau peignait non l'action (jouer du violon) mais l'effet de cette action, que c'était une tentative de reproduire picturalement les notes de la musique.
Si Koji savait ce que le tableau représentait, ce n'était pas que son intelligence lui permît de déchiffrer, dans le choc triste des formes et des couleurs, les signes qui en eussent trahi le sujet, mais que ce tableau, il le connaissait déjà, parce que, à une époque qui n'était pas encore si reculée, il en connaissait le peintre ; d'ailleurs, ce peintre, c'était celui dont les tableaux (originaux ceux-là) ornaient les murs de sa chambre, comme il était si facile de le comprendre, parce que se retrouvait, dans la reproduction de la vitrine et dans les toiles qu'il possédait, un même pinceau.
Koji s'était arrêté devant le tableau, en silence : il pouvait les regarder maintenant sans pleurer, soit que le temps eût fait son effet, soit que l'habitude d'en voir de semblables dans sa chambre, chaque jour, eût, sinon affadit leur beauté, du moins transmué ce qu'elle avait de douleur terrible en une mélancolique, profonde, ample, comme l'était sans doute la musique que le violoniste, qu'il était dans cette galerie le seul à voir dans ce tableau, jouait.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Mar 29 Déc 2009 - 19:56
Son sourire était alors devenu plus assuré plus fort. Koji ne partirai pas. Par pudeur Virginie dissimula son soulagement derrière un vif hochement de tête. Le « tant mieux » qui aurait put s’échapper de ses lèvres traversa plutôt son regard. Elle avait toujours cette réserve à laisser ses liens à découverts. Comme si, en leur donnant une existence aux yeux de l’autre, elle lui permettait de les couper. Ainsi ne pouvait-elle jamais dire à quelqu’un qu’elle l’aimait par peur de l’entendre répondre à la négative. C’est sans doute ce qui l’avait retenue de prendre la main de Luc un soir d’avril. Ce qui l’avait empêchée aussi, de dire à son père, que malgré son délaissement il était le premier homme de sa vie. Peut être parce que ces démonstrations orales avaient été prohibées tout au long de son éducation. Peut être parce que les seuls gestes affectueux, étaient venus d’éléments extérieurs, qui n’auraient pas dû avoir ce rôle. Virginie savait la douceur mais celle-ci s’exprimait de façon indirecte.
Ainsi c’est avec le dynamisme de la joie que la jeune fille reprit son rôle de guide. Ses iris rendus sombres par le temps filaient d’une enseigne à une autre. On eut dit deux cailloux à la limite de devenir des pierres précieuses. Maintenant elles étincelaient d’une sérénité plus épanouie. Sa démarche était plus affirmée : la nouvelle de Koji, avait métamorphosée sa silhouette, en quelques secondes. Car si l’angoisse la rendait plus lente et courbée, chaque émotion avait ses effets. Ainsi tous les mots qu’elle s’interdisait sa peau en faisaient l’interprète. Un fait dont la jeune fille n’avait jamais réellement prit conscience. Sa naïveté était d’autant plus authentique quand quelqu’un affirmait l’avoir comprise sans qu’elle n’est eut besoin de s’expliquer.
A ce moment de la matinée sa liste était quasiment complète. S’entassait des kilomètres de laines, et d’autres tissus qui avaient destin déjà tout tracé dans l’esprit de leur propriétaire. C’était là une superbe occasion de mettre à l’épreuve son savoir et son envie de créativité. Il ne restait plus qu’à trouver bouton et autres détails de fabrications. Il y avait aussi cette autre idée que la présence de Koji rendait plus concrète. Un cadre. Celui qui servirait au dessein le plus improbable peut être le plus fou aussi. Virginie envisageait de chercher un plan pour facilité cette expédition. Leur discussion reprenait au milieu de la masse bruyante.
-« Cela va être compliqué de leur ouvrir les yeux. Elles sont depuis bien trop longtemps les gardiennes du savoir. »
Virginie, n’avait d’autre diplôme, que celui de fin du parcours scolaire obligatoire. L’université restait une entité imaginaire pour elle. Bien sûr sa rencontre avec un étudiant plus âgé lui avait donné un aperçu de cette étape. Elle avait l’impression qu’il s’agissait d’un microcosme au milieu d’une cité. La fac, un endroit où chacun pouvait entrer et où quelqu’un ressortaient sans l’avoir désiré. Cela ne l’avait pas attirée. Elle n’avait pas assez aimé ses années de lycée pour prolonger dans cette voie. De Ses parents l’avait trouvé raisonnable, argan, que leur fille n’était pas assez une lumière. Espérer plus qu’un diplôme de premier niveau était stupide. Elle n’avait alors pas opposé que l’université n’était pas le seul lieu de connaissance tout justement. Qu’il existait des écoles plus spécifiques, plus exigeantes, qui semblaient intéressantes. Que plusieurs dossiers attendaient, dans la mémoire de son ordinateur, d’être imprimés.
Un groupe, trop compact pour être divisé, les sépara. Virginie avança rapidement. Elle n’aimait pas ce genre de coupure. Résidu de la crainte enfantine, qu’en perdant l’autre des yeux, il disparaissait. Pourtant jamais sa mère n’avait dû aller la chercher au comptoir d’un magasin, où autre événement traumatisant. Sans forcer le passage elle ne le laissa pas non plus. Pas assez cela dit pour manquer les échos du français. C’est dans un reflexe secret que sa silhouette se tourna vers ces inconnus. Un peu comme celle, qui sachant son amant au front, ne peut pourtant s’empêcher, de le chercher dans chaque groupe de soldat qu’elle croise. Luc, était en France, entrain de préparer ces fêtes de fin d’année. Koji à ses côtés de nouveau l’aida à chasser son espérance irraisonnée. Ses pas revenir au siens et elle l’écouta.
-« Editeur indépendant…cela donnerai une certaine liberté. Tu publierais des auteurs méconnus qui n’ont pas réussi à complaire les grands manitous ! Et elle songea tout haut et avec une spontanéité qui parfois la perdait. Si j’ai de l’argent je ferais la même chose pour la presse. Un journal où le gouvernement ne pourra pas mettre son nez. Sans plus s’attarder sur cette énième envie elle questionna curieuse. La fondation… sur la philosophie ? Les banquiers londoniens proposent de bons placements en général. »
Mineur oui. Mineur aux yeux de la constitution. Mais dans la tête de la mutante Koji était majeur depuis un moment. Il avait bien sûr beaucoup de part d’adolescence en lui. Mais même cette adolescence là était touchée par sa maturité quelque fois. Elle n’avait pas encore fait le lien exact entre la mutation et le caractère du jeune homme. Bien sûr se souvenir de tout devait faire qu’on vivait plus qu’un grand père. Cela dit être vieux ne signifiait pas obligatoirement être sage. Or sage ce frêle métisse l’était.
-« Une formalité pour toi, non ? »
Elle se resserrait contre un mur pour leur laisser assez de place. Inconsciente que l’évocation d’une loi civile puisse le mener vers des angoisses. Elle sentait une odeur de pain chaud venir à nouveau lui tiller des sens. Car à vrai dire, il était bientôt onze heure et son estomac exigeait quelques cadeaux lui. Alors Virginie pour une fois avait manqué cette vision cI. C’est en s’apercevant de son absence que sa silhouette fit volte face. Son compagnon d’aventure urbaine ne bougeait plus. Il regardait. Connaissant sa capacité de contemplation la jeune fille se posa sans mot à ses côtés. La parole ne servait à rien alors car Virginie avait comprit que les sens avaient tout autant un pouvoir explicatifs.
Ce qu’elle vit l’incita à prendre son temps. Alors les paquets furent distraitement posés autour d’elle. Ses yeux suivaient les lignes du dessin avec une lenteur curieuse. Ce trait particulier en rappela d’autres. Il y avait ce charme qu’elle avait apprit à apprécier en observant les murs de la chambre de Koji. C’est avec une attention patiente que la jeune fille le décomposait lentement. Un sourire attendri flotta sur ses lèvres. Parce qu’elle avait comprit que cet artiste n’était pas que cela pour son ami. Gagnant par là encore plus de respect et d’intérêt. Ainsi est-ce quasiment sur le ton de l’affirmation chaleureuse que sa voix baptisa la découverte.
-« C’est lui… »
Elle chercha la signature dans le coin de la toile. Le petit signe qui eu put confirmer son observation. Celui-ci n’ornait pas encore la chambre de Koji. Sachant qu’il aimait particulièrement ce peintre, que noël approchait, son anniversaire, plus encore Virginie voulait participer à l’élaboration d’une collection. Le prix n’y était pas affiché bien entendu. D’ailleurs une jeune pigiste n’avait certainement pas les moyens de faire un tel cadeau fusse pour un ami. Non. Cela dit celui-ci venait de lui exposer clairement qu’il pouvait se le permettre.
-« Le voudrais-tu ? »
Bien entendu Virginie ne parlait pas du créateur. Elle n’avait pas réussi à savoir quelle relation exacte l’artiste et l’admirateur avaient. Si elle avait sut tout ce que ce morceau de toile pouvait éveiller elle n’aurait pas été aussi enjouée.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Ven 1 Jan 2010 - 19:53
Il n'y avait que peu de choses qui pussent convaincre l'esprit multiple de Koji Ashton de se concentrer, pendant quelques secondes, pendant quelques minutes, sur un seul objet, car cette concentration n'était pas nécessaire, elle ne lui rendait pas l'objet en question plus compréhensible, et il s'agissait simplement d'un respect profond, ou peut-être d'une terreur, presque religieuse, qui interdisait que cette pensée, qui naissait de cet objet particulier, pût être comme profanée par d'autres pensées qu'elle n'eût jamais rencontré en-dehors de l'esprit du jeune homme ; ce n'était pas un mouvement intellectuel qui lui faisait accorder, de temps à autre, toute son attention à un tableau ou à une musique, ni même un effort de la volonté, mais bien un sursaut instinctif de son âme, comme un saint, devant une apparition divine, se prosterne aussitôt, quoiqu'il fasse, et bien qu'il sache que cette apparition, il est le seul à la voir. Ainsi Koji pouvait-il écouter silencieusement, c'est-à-dire dans le silence même de son esprit, un morceau de Bach, ou contempler un tableau du Poussin.
Sans doute les tableaux de William Forstner, et même les reproductions de ces tableaux, comme celle qui s'étalait devant leurs regards, dans la vitrine d'une boutique, au cœur d'un immense centre commercial, alors que l'original devait attendre sagement, au détour d'une galerie rarement fréquenté, qu'un riche amateur s'éprît de lui, étaient-ils de nature à provoquer chez Koji un semblable arrêt de la vie, une suspension du temps et de l'être, où il cessait tout-à-fait, pendant quelques secondes précieuses, d'être lui-même, de sentir et de penser, pour ne vivre et ne respirer qu'au rythme d'une œuvre d'art qu'il quitterait ensuite avec l'impression de se réveiller d'un songe, mais quelque propres que fussent ces tableaux à lui offrir ce repos si intense (repos de l'esprit et non de l'âme), ils le lui refusaient, car Koji, seul avec leur peintre, contemplait en eux quelque chose qu'ils n'étaient pas tout-à-fait : il y voyait des souvenirs, et il retrouvait dans une œuvre d'art justement ce que les autres lui faisaient oublier, sa propre vie.
Ainsi, si par exemple il avait vu Forstner peindre telle toile que l'on exposait maintenant dans une grande musée londonien, avec d'autres œuvres contemporaines, lorsqu'il se rendait dans la salle et qu'il la regardait, non seulement voyait-il les marques des coups de pinceau, infimes reliefs de la toile, mais encore se souvenait-il du mouvement qui les avait amenées là, du pinceau, de la main qui l'avait tenu, il se souvenait parfois du jour et de l'heure, il se souvenait du temps qu'il faisait, et de quelle atmosphère un soleil peut-être timide, qui versait ses rayons dans l'atelier, faisait naître parmi les toiles à demi-achevées ou encore vierges, il se souvenait du regard du peintre, lorsqu'il s'était reculé pour contempler une partie de son travail, de ses froncements de sourcils, de sa moue un peu déçue, il se souvenait du thé qu'ils avaient bu, lentement et en silence, au milieu des tableaux encore à naître, il se souvenait de la fatigue ou de la rage, qui avait fait jeter au peintre ce pinceau, et abandonné son travail jusqu'au lendemain, ou bien il se souvenait des heures qu'il avait passées seul dans l'atelier, comme clandestinement, parfois la nuit, lorsque, le sommeil se refusant à lui, il y descendait et s'y glissait pour regarder, sous une lumière nouvelle, des toiles qu'il voyait tous les jours mais qu'il découvrait encore, la peinture de la veille qui avait séchée et qu'il pouvait maintenant effleurer du bout des doigts, parce que l'œuvre n'était pas encore accrochée sur les murs d'un musée, reliée à une alarme, et aussi interdite que l'étaient les idoles dans les temples antiques.
Cette toile (la toile reproduite et inondée d'une lumière mal maîtrisée dans la vitrine du magasin) était de ces toiles qu'il avait vu naître, mais il n'avait pas cru que celle-ci fût née tout-à-fait : il n'en avait pas vu la fin, et il n'avait assisté qu'à un mouvement de dépit, quand le peintre l'avait abandonnée, rangée dans le fond de l'atelier avec d'autres tableaux inachevés : c'était les tableaux où il essayait de peindre un son, une odeur, une sensation ; il disait toujours que c'était impossible, et puis, un jour, une idée lui venait, il lui fallait l'essayer, il y mettait toute son âme, et puis l'idée ne fonctionnait pas, la toile résistait, les couleurs ne rendaient pas, et finalement, découragé, il abandonnait, jusqu'à ce qu'une autre idée, quelques semaines plus tard, lui fît non reprendre le tableau délaissé, mais commencer un autre, qui connaîtrait le même sort.
Mais cette toile, il avait cru un temps qu'elle serait achevée (et elle l'était désormais en effet), et que l'idée avait été la bonne, parce que justement, ce n'était pas une idée, mais un brusque mouvement de l'âme qui avait décidé le peintre, et il avait peint sans réfléchir, c'est-à-dire dans un de ces moments où des réflexions longtemps menées, et qu'on croyait abandonnées par notre esprit, s'étant poursuivies à notre insu, éclosent, mais au fond de nous, et quasi sans que nous le sachions, si bien que la révélation qu'elles produisent, nous croyons que c'est l'instinct, ou bien l'inspiration, qui l'a enfantée. Pourtant, quand il l'avait vue la dernière fois, il était sûr qu'elle ne le serait jamais, non à cause de la peinture, cette fois-ci, mais du sujet.
La question de Virginie le tirait de sa contemplation profonde, et il songeait à la manière d'y répondre, ou plutôt, une partie toute superficielle de son être y songeait, songeait à la manière d'expliquer à Virginie qu'il pourrait acquérir la toile originale, quoiqu'elle fût très chère sans doute (l'artiste commençait à avoir du succès), et qui serait beaucoup plus belle (c'est-à-dire plus véritable) qu'une reproduction, sans que cela parût prétentieux, ou indélicat ; mais des réflexions plus profondes roulaient en lui, et parmi elle, comme pour leur donner forme, circulait la résolution qu'il avait prise de ne plus se faire mystérieux, et qui s'était encore affermie lorsque Virginie avait paru si inquiète de le voir partir. Alors, il dit :
« Le tableau originel s'appelle Jeune homme au violon (Vivaldi). Il fait partie d'une série, elle-même appelée Etudes sur les sensations, et tous les autres tableaux qui la composent sont inachevés, je crois. Tu vois... »
En parlant, il levait la main, étendait ses doigts fins de pianiste, et désignait, au-dessus du tableau, des formes, des couleurs, des régions et des mouvements, qu'il était peut-être le seul à voir, car peut-être toutes ces choses existaient-elles moins sur la toile que dans ses souvenirs.
« William Forstner essaye depuis deux ou trois ans de peindre ce qui n'est pas pictural. Comme, si tu veux, Proust décrit les sonates de Vinteuil, ou les tableaux d'Elstir. William a essayé de peindre des parfums, des saveurs, il a essayé de peindre des caresses, ou des musiques. »
Il laissait affluer en lui, le plus calmement possible, le souvenir de telle odeur de rose, qu'il avait fallu fixer un matin, et qui n'avait pas été peinte par du rose, justement, mais sous une volute d'un bleu presque blanc, et glacial. Mais cela n'avait pas convenu, pas plus qu'un rouge ocre et terreux n'était parvenu à rendre le fondant d'un gâteau au chocolat. Cependant, la voix de Koji se faisait plus rêveuse.
« Cette toile a été commencé le 4 février de cette année. J'ai longtemps cru qu'elle était inachevée. Ici, au centre, c'est le violoniste. Le noir, l'ocre, c'est à cause de mes cheveux : William disait toujours que la première chose qu'il apercevait, quand je venais de loin, c'était mes cheveux, et il lui semblait que quand je jouais du violon, j'étais loin, loin de lui, et qu'alors j'avais la couleur de mes cheveux. Je jouais une des quatre saisons, ce jour-là, je veux dire, de Vivaldi. Probablement l'hiver. Il m'avait demandé de me mettre torse nu, parce qu'il voulait voir comment le corps intervenait dans la musique ; il disait que, pour lui, c'était aussi important que d'entendre le morceau. Tu vois, là... »
Et peu à peu, dans sa voix, ce n'était pas la nostalgie du souvenir évoqué, mais la rêverie tendre, et encore amoureuse, de l'instant qu'il revivait en spectateur lointain (car William lui avait appris à se voir lui-même, à imaginer l'image qu'il renvoyait aux autres, et parfois ses souvenirs prenaient la forme d'un film qui se déroulait sous ses yeux).
« Ce brusque sursaut rouge qui vient fendre les blocs de musique... »
Koji s'arrêta soudainement, et ses joues, tout doucement, dans une caresse de timidité, se mirent à rosir. Il trouvait pourtant qu'il était plus simple de présenter les choses de cette façon qui, quoique un peu moins pudique, en demeurait suffisamment détournée pour ne pas avoir, à son goût, la rudesse d'une expression plus frontale.
« Eh bien... Disons simplement que William a été un peu moins concentré sur sa peinture que sur son modèle, et moi moins sur mon violon que sur le peintre. »
Le jeune homme fit tous les efforts du monde pour ne pas revivre trop pleinement des instants qui n'avaient plus la chasteté nostalgique de ses autres souvenirs de l'atelier, et où les tables de travail, les chevalets, jouaient un rôle différent qui distillait encore, dans ses veines, un sang brûlant, et désormais douloureux, parce que plus rien ne venait assouvir le désir qu'il faisait battre ; Koji eût-il trouvé quelqu'un, pour un soir, aventure sans lendemain et simple rencontre de la chair, que son désir n'en eût pas pour autant été moins vif, car il n'y avait qu'un être qui pût le satisfaire, c'était l'être qui avait fait naître ce désir, et qui désormais demeurait inaccessible.
Alors, pour une fois, ce fut volontairement qu'il se plongea dans la tristesse d'un autre souvenir, qu'il laissa cette tristesse se répandre dans sa voix, comme une eau placide qui monte insensiblement, et qui, sans que l'on se rende compte, finit par noyer tout.
« Mais enfin... Quand nous avons rompu, la toile n'était pas achevée. Je ne pensais pas qu'il la reprendrait. Je ne comprends pas pourquoi il l'a terminée. »
Plutôt, il s'efforçait de ne pas comprendre, de ne pas laisser s'épanouir dans son esprit des hypothèses qui, en ravivant des espoirs, pussent se révéler plus douloureuses encore que la résignation morne à l'absence, lorsqu'elles deviendraient fausses. Ainsi ne voulait-il pas croire que William pensait à lui, et le regrettait assez pour exhumer des tréfonds de son atelier, quelques mois après leur rupture, une toile inachevée dont il était le centre, pour la terminer, et tenter de combler son absence. Après tout, n'était-ce pas William qui avait voulu qu'il partît ? N'était-ce pas lui qui désertait leur chambre, pour rejoindre celles d'autres, de plus en plus souvent, les dernières semaines ? C'était donc qu'il ne pouvait lui manquer, que déjà il ne lui manquait plus, et la reprise de la toile n'avait rien à voir avec lui, avec ce qu'ils avaient partagé, mais demeurait une entreprise purement artistique.
Il y avait des situations dans lesquelles Koji avait assez peur pour pouvoir se montrer un peu idiot, et croire que le souvenir qu'il éveillait chez d'autres n'était pas en quelque manière semblable à celui que ces autres éveillaient en lui, pour croire que William pût le peindre pour peindre la musique, alors même qu'il n'était plus là, lui, le musicien, le modèle, pour poser et pour jouer. Mais ces stupidités étaient salvatrices, car toute l'intelligence de Koji ne lui avait pas encore appris comment faire le deuil.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 2 Jan 2010 - 21:00
Chez elle il n’y avait pas eu de tableau. La culture de l’art ne se faisait pas. Les Parish étaient en dehors de cette culture la. Pourtant sa mère était institutrice. Pourtant son grand-père paternel avait été un écrivain. Il y avait un terrain plutôt prompt à la curiosité dirait on. Mais non… ils avaient, bien trop vite, étés débordés par la vie elle-même. Ils n’avaient jamais prit le temps. Un temps pour ouvrir les yeux. Leur savoir se résumaient à quelques incontournables. Ceux que la société obligeait à engranger. Alors leur fille n’avait jamais été entrainée vers cette richesse la, l’autre. Sans être idiote, elle ne possédait pas un bagage assez lourd, pour apprécier tout à fait l’art. Il n’y avait qu’un attrait instinctif. Celui qui ne pouvait ni souffrir, ni grandir de comparaison.
Ce violoniste était intriguant car encore invisible à elle. Pour avoir à partager, quelque chose de plus avec Koji, elle avait ses derniers mois emprunté quelques encyclopédies picturales au CDI de l’Institut. Il y avait tout un monde de beauté que Virginie avait encore à découvrir. L’esquisse de ses goûts était indiscernable pour le moment. Bien que les portraits des dames avec leurs parures la ramenaient à ses rêves. Elle allait encore doucement. Chaque œuvre lui demandait plusieurs heures d’observation. Car, ne connaissant rien, elle pensait nécessaire de s’appliquer dans une contemplation douloureuse. C’était pour même du même acabit lorsqu’on lui proposait de lire de la prose ou d’écouter un air de piano. Tout était si complexe que Virginie n’osait les déshonorer en les prenant à la légère.
C’est donc avec un respect quasi religieux que Virginie suivit son guide. Il n’avait pas répondu à sa question. Cela n’avait pas de réelle importance. Elle connaissait maintenant, assez son interlocuteur pour savoir, que le chemin de ces pensées l’obligeait à de nombreux détours. De plus la jeune fille aimait ces dialogues totalement libres, où le fil apparaissait à chaque nouveau carrefour, de leurs mots. Parfois, elle se perdait, dans leur labyrinthe. Si elle craignait de ne jamais retrouver une sortie, il revenait la chercher calmement. C’était ce matin un trajet à double force qu’ils débutèrent. Celui de la voix et celui de la main. Oreilles et regard, sollicités et attentifs, complètement séparés du reste de la vie.
Virginie poursuivait les traits de ses yeux assoiffés. Elle pistait ce jeune homme et son violon. Elle écoutait aussi. Le discourt de Koji éclairait sa recherche. Les explications créaient un sens, une direction à prendre. Une sensation. Ce monsieur… Forstner voulait montrer une sensation. Montrer d’ailleurs n’était peut être pas le meilleur mot. Voulait-on montrer quelque chose avec un morceau de toile ? Graver peut être… comme le sculpteur. Pour quoi sinon se livrait à pareil exercice ? Virginie une façon de suspendre le temps. Atteindre ce que la race humaine fantasmait depuis le début : Une immortalité. Ainsi cette sensation ne pourrait jamais être oubliée ? Ou étaient donc les notes de musique ? Que jouait-il au moment de cette capture ? Etait-ce possible ? Tout cela lui était encore inaccessible songeait-elle.
Pourtant l’inconnue à ce bout de passé ne se décourageait pas. Bien au contraire, le mystère de ce tableau entrainait son esprit à poursuivre une quête. La quête de ce joueur de cordes. Sans savoir toute la genèse de cette peinture elle en sentait l’importance. Une obstination enfantine, peut être capricieuse, affaiblissait sa crainte de l’échec. Le ton rêveur de Koji la mena doucement à travers les couleurs. Plus il lui racontait… et plus elle entendait. Koji avait employé le terme « ami » en parlant de lui. Mais… il y avait dans ce mot, une connotation bien trop fade, pour décrire ce que Virginie percevait. Amis ils l’avaient peut être été Williams et Koji.
Néophyte, sur la question de l’amour, la demoiselle n’en était pas moins humaine. Il y avait dans ces intonations un amour. Une tendresse, qui apparaissait dans le prénom évoqué, dans ce souvenir partagé. Alors Virginie ne cherchait plus tant le violoniste de peinture, que celui de ce début de février. Rien en cela ne la choquait. Parce que l’amour était un trésor bien trop beau pour se cantonner à quelques mœurs. Les règles n’avaient aucun pouvoir sur les questions du cœur. Ainsi Virginie pouvait imaginer, deux jeunes hommes s’aimant, à travers une note et un coup de pinceau. Cela avec la même sincérité, que deux quadragénaires trop différents pour être acceptés à deux. Il y avait autant de beauté dans cette scène contée que dans celle qu’elle avait put voir avant l’été.
Elle essayait de ce souvenir de l’air du violon. Elle essayait de voir la scène. Ni le torse nu, ni le regard de l’artiste n’arrivaient à la faire rougir. Car pour il y avait dans l’amour dévoiler quelque chose de sérieux. Un sérieux qui bloquait l’idée de timidité ou de pudeur. Une pudeur qui pourtant la submerger lorsque le sujet la concernait elle. Ainsi ses yeux ne quittaient pas le sursaut de rouge. La concentration ayant prit tout le pouvoir. Pourtant un sourire magnifique se développa sur son visage serein. Son cœur était réchauffé par une joie naïve. Bien sûr elle était étrangère à cet instant. En lui en donnant le récit le jeune musicien lui donnait la matière d’un rêve.
-« Un tremblement du cœur qui a fait trembler le monde. »
De la même façon Virginie avait déjà manqué un pas en ayant croisé un regard trop parlant. Elle comprenait que l’artiste ait put être déconcentré. Perturbé par son sentiment. Qu’un simple mouvement des doigts de son modèle ait put cristalliser un nirvana d’émotion. Ses propres mots l’étonnèrent. Elle se demanda si Luc aurait put faire trembler son monde de la même manière. Elle se demanda si quelqu’un y était déjà parvenu. Peut être ce jeune lycée au rire aussi doux qu’une note de Vivaldi ? A peine une rencontre, tout juste une espérance. Vu. Perdu. Elle se détourna de ce souvenir. Trop vain pour être utile. Qui plus est c’est à l’histoire de Koji que Virginie voulait donner tout l’espace.
La tristesse… cette fois elle oublia le tableau. Le sourire devint un rictus de peine. Rompu. Elle ne s’était pas attendue à cette fin. Trop cruelle, douloureuse, injuste. Une compassion sans contrôle bouscula ses tripes. Pourtant sa silhouette ne bougea pas plus. Que pouvait-elle faire ? Virginie sentait son jeune cœur s’alourdir de cette nouvelle. Elle entrevoyait à peine ce que celle-ci pouvait causer dans celui de son ami. Lui dire : qu’elle était désolée, lui apparaissait comme stupide. Mais elle l’était tellement… Comment ce Williams avait il put laisser partir un garçon comme Koji ? Parce qu’elle voulait le bonheur de l’autre, Virginie en voulu à cet inconnu. Sans savoir exactement qui il était, ou même, s’il était le responsable. Elle lui en voulu de causer la peine de celui qu’elle appréciait.
-« Peut être pour ne pas t’oublier. Pour se souvenir de ce 4 février. Pour ne pas te perdre entièrement. »
C’étaient les hypothèses que la jeune fille aurait voulu entendre. Celles qu’elle voulait croire. Celles qu’elle espérait pour ces deux jeunes artistes amoureux. Maintenant elle aurait voulu éloigner Koji de sa tristesse. Cacher dans le monde toutes ces traces de sa douleur. Elle pensa aux murs de la chambre… Il ne l’avait pas oublié. C’était d’autant plus affreux après avoir entrevu ce que cet inconnu avait offert au mutant. Si elle en avait eu le pouvoir Virginie aurait effacé la souffrance. C’était impossible. Mais il lui était impossible à elle de voir son ami en proie à un désarroi. Cela la rendait maladroite. En voulant trop faire elle s’interdisait la moindre action. Que pouvait faire une spectatrice face à un tel malheur ? Qu’aurait elle voulu qu’on fasse…
-« Peut être devrais-tu lui demander. La raison. Celle qui la pousser à le terminer. Peut être que… il a autant de peine que toi. »
Sa voix était saturée par une émotion qu’elle se forçait à éloigner. Il y avait trop d’importance dans toute cette affaire. C’était un drame mortel. Parce que pour son esprit il n’y avait pas besoin de s’appeler Electre pour vivre une tragédie. Dans son monde chaque évènement était remarquable. Il fallait que la fin soit gommée. Puisque le tableau était là, c’est qu’il y avait un possible. Aurait-elle eu le courage d’appeler ? Probablement pas. Mais Koji n’était pas Virginie. Cette certitude la rendait confiante. Il fallait qu’il essai. Virginie ne se mêlait pas de la vie des autres. Ou alors s’était par innocence. Lorsqu’il lui paraissait inadmissible de s’effacer. Elle avait sous les yeux un être blessé. Même si elle n’avait aucun droit, elle parla. Ce n’était pas un ordre. Peut être supplique. Surtout une conviction.
-« Koji, … Koji, appelles le… il faut que tu saches. Il faut qu’il sache. »
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Dim 3 Jan 2010 - 0:37
Koji avait vécu toute sa vie au milieu de gens extrêmement délicats, soit le milieu des ambassades, et leurs réunions plus ou moins formelles dans lesquelles les entraînait, sa mère et lui, son père, et où chaque parole, que ce fût vraiment utile ou qu'il s'agît d'une réflexe professionnel, était soigneusement pesée pour convenir exactement à ce qu'on attendait d'elle et, de la sorte, ne disait rien de plus que ce que l'on savait déjà qu'elle allait dire, soit le milieu universitaire où, moitié par politesse, moitié par mépris, personne ne songeait à contredire les autres, car chacun était persuadé que les autres étaient à la fois trop susceptibles et pas assez intelligents pour comprendre les raisons de cette contradiction ; ainsi n'avait-il jamais rencontré personne qui lui dît non pas ce qu'il avait envie d'entendre mais une idée qui lui était étrangère, et un peu douloureuse. C'était peut-être aussi que beaucoup des personnes qu'il avait connues, écrasées par l'intelligence qui irradiait de Koji, ne songeait pas qu'il pût ne pas avoir les idées qui se formaient en elles et qui leur semblaient évidentes, parce qu'elles ne comprenaient pas que ces idées étaient, non le produit d'une réflexion, mais l'expression d'un instinct ; or Koji pensait trop, réfléchissait trop, pour que l'instinct pût encore survivre chez lui.
Ainsi, quand William l'avait quitté, quand il lui avait demandé de partir, Koji avait aussitôt lié cette demande aux derniers développements de leur relation, à ce lit qu'il trouvait vide presque chaque matin en se réveillant, à ces conversations où naissaient et s'éternisaient des silences agacés, et alors il avait songé que ce qui avait vécu était mort depuis quelques temps déjà, et qu'il n'y avait pas d'apparence que la vie pût reprendre ; ce n'était pas qu'il ne sût pas qu'une relation pouvait reprendre, et qu'il n'y a pas entre deux êtres une seule relation possible qui, en se déliant, les sépare à jamais, mais il avait trouvé plus raisonnable de supposer que cette relation-ci ne revivrait pas, même sous une autre forme, et si cette raison l'avait si aisément persuadé, c'est qu'il sentait bien que l'entretenir, c'était étouffer lentement un espoir qui, eût-il vécu, eût été plus douloureux que le simple passage du temps, et l'effacement progressif d'un sentiment qui perdrait peu à peu de sa vivacité.
Et sans doute cela avait fonctionné, un peu : maintenant, il pouvait regarder sans larme les tableaux aux murs de sa chambre, il pouvait songé à ce qu'ils avaient vécu avec une douce nostalgie, sans que le sentiment de l'absence surgît, vide et affreux, comme une commotion dans son âme. Le temps avait mué la douleur hurlante en une mélancolie vague, et parfois sans objet, et il se détachait insensiblement de William. Peut-être ne lui faudrait-il encore que quelques semaines pour songer à quelqu'un d'autre, même à un être hypothétique, qui créerait une nouvelle absence, ouvrirait dans son cœur une place jamais occupée, et comblerait alors celle qui avait été occupée.
Néanmoins, quelque apaisement que connût sa souffrance, les propositions de Virginie ne le surprirent pas moins, parce qu'il n'avait jamais voulu y songer clairement, et que, si elles avaient existé peut-être quelque part dans son esprit, c'était dans les brumes de sa conscience, à peine sensibles à sa pensée, alors qu'à présent, prononcées à haute voix, et comme forcées à l'intérieur de ses réflexions, il était obligé de les entendre, de les entendre vraiment et de les comprendre, de les envisager avec tout le sérieux qu'exigeait de lui la voix de son amie : c'était une réalité qu'il ne pouvait pas fuir, et il était un peu comme ces malades qui croient que tant que le médecin ne leur dit pas qu'ils vont mourir, ils sont encore sains.
Il pouvait l'appeler, il avait son numéro, il pouvait lui écrire, il avait ses adresses postale et électronique, il pouvait aller le voir même, à un vernissage ou chez lui : Koji connaissait le milieu artistique londonien, c'était le seul milieu, peut-être, qui l'avait toujours authentiquement respecté, et il savait qu'il pouvait, d'un message, demander et obtenir une invitation à telle soirée où William serait sans doute, il savait même que, maintenant que le monde intellectuel commençait à le reconnaître, il jouirait dans cette soirée d'un prestige plus grand que celui qu'il avait déjà pour quelques peintres et quelques sculpteurs qui voyaient en lui le seul intellectuel qui les comprît vraiment, qu'il serait là au milieu des invités comme un ange éclatant, et que peut-être William serait séduit à nouveau : car n'était-ce pas ce qui l'avait séduit, d'abord, de le voir, lui, si jeune, si fragile, entouré d'amitié par tel vieux peintre, presque un maître maintenant, à qui il offrait les discussions profondes que la vie lui avait refusées pendant de longues décennies ? Peut-être même William s'était-il d'abord rapproché de lui en songeant que le connaître et s'en faire apprécier lui ouvrirait les portes des galeries qui demeuraient, à l'époque, à lui fermées. Cela, Koji l'avait toujours soupçonné, et pourtant il ne lui en avait jamais voulu : William avait assez prouvé, après leurs premières rencontres, que son attachement était sincère.
Mais maintenant qu'il s'imaginait le retrouver, qu'il rêvait leur conversation, et même leurs gestes, il se rendait compte que la voix qu'il entendait, le visage qui se dessinait sous son regard intérieur, ce n'était pas la voix et le visage que William avaient désormais réellement, mais ceux qu'il lui connaissait, et qui avaient cessé d'exister depuis qu'ils s'étaient séparés ; il comprenait que l'être qu'il retrouverait lorsque de cette rencontre, si elle avait lieu, ce n'était pas celui qu'il avait connu, mais un autre William, et que lui-même, pour ce William qui croirait n'avoir pas changé, serait un autre Koji.
« Non Virginie... Le temps a passé. Les mois ont l'effet sur mon esprit de longues, très longues années. Je suis si différent de la personne qu'il a connue que, si mon corps n'était pas demeuré le même, il ne me reconnaitrait sans doute pas. »
Il avait prononcé ces mots avec la douceur de son habituelle sagesse, ou du moins était-ce l'habit qu'il avait voulu leur donner, mais en réalité, il semblait qu'il ne les adressait pas à Virginie, comme il l'aurait fait si vraiment ils avaient été sincères, mais à lui-même, et que c'était moins pour montrer à la jeune femme une vérité qu'elle n'aurait pas aperçue, comme il le faisait souvent, que pour persuader son propre esprit de cette vérité qu'il la prononçait à haute voix, soucieux probablement de lui donner la même réalité qui était désormais celles de la possibilité de revoir William depuis que Virginie l'avait évoquée.
« D'ailleurs, je sais qu'il a quelqu'un d'autre dans sa vie à présent. »
Que Koji pût invoquer cette raison, si banale, et dont il savait fort bien que jamais elle n'avait constitué un obstacle décisif à l'établissement d'une relation, était le signe qu'il éprouvait le besoin de jeter dans la bataille contre lui-même tous les arguments qu'il pût trouver, quelque insignifiants qu'ils fussent, dans l'espoir que la masse pût produire ce que l'absence de pertinence ne saurait faire : emporter la conviction de son esprit.
« Et puis, qui sait ? Peut-être que je rencontrerai quelqu'un d'autre. »
Il n'avait même pas pris la peine de souligner cette conjecture presque morte d'un sourire faussement enjoué, car il ne croyait pas pouvoir rencontrer quelqu'un d'autre, et même il ne le voulait pas (pas encore), et il faut bien avouer que cela lui était difficile, puisqu'il s'obstinait à vivre quasiment reclus à l'Institut, ne sortant que pour aller faire de rares achats au centre-ville, et à l'Institut même, ne parlant guère qu'à Virginie. Il y avait bien, depuis quelques temps, les lettres et les coups de téléphone, de tel ou tel prestigieux universitaire, pour le féliciter de son livre, solliciter une conférence, et lui offrir l'estime intellectuelle que tout le monde s'était jadis obstiné à lui refuser, mais aussi vieux que se sentît Koji (et qui le fût dans son esprit), il n'avait pas beaucoup de goût pour les vieux savants ridés et bedonnants (quoiqu'ils en eussent souvent beaucoup pour lui).
Finalement, quand son esprit se fut assez répandu dans de nouvelles pensées, et que la contemplation du tableau cessa de pouvoir les cristalliser toutes, il détacha son regard de la reproduction et le reporta sur Virginie, un sourire triste flottant sur ses lèvres.
« Tu sais, même si c'était vrai, même s'il pensait encore à moi... C'est un peu puéril, peut-être, mais je crois que je ne pourrais pas tout-à-fait lui pardonner ce qu'il m'a fait subir. »
Et c'était vrai, car maintenant que l'éventualité de le revoir n'était plus interdite à ses pensées, et qu'il pouvait imaginer plus ou moins librement ce que serait cette rencontre, il sentait que tout ce qui était demeuré sans importance quand il n'avait fallu que se consoler de l'absence, en prendrait lorsqu'il faudrait composer avec une présence renouvelée, et que les souffrances qu'il avait ressenties en se voyant lentement délaissé, et finalement renié, l'empêcheraient de goûter au plaisir d'un sentiment retrouvé.
C'était que la retraite à l'Institut lui avait appris à se passer du monde, et que désormais, il ne ressentait plus le même besoin pressant de rechercher partout quelqu'un qui l'aimât et l'estimât, ce besoin qui brûlait jadis jusque dans les désirs de sa chair, et qui l'avait poussé dans les bras de tant d'artistes de seconde zone, d'étudiants plus ou moins brillants, et parfois même de jeunes femmes qu'il ne désirait pas, mais qu'il avait recherchées parce qu'elles le désiraient. Alors, lui qui avait longtemps su supporter dans certaines relations les pires humiliations et se satisfaire du peu qu'on lui donnait, avait désormais l'envie d'exiger plus : en somme, il désirait des autres ce qu'il désirait de l'Université anglaise, qu'ils le reconnussent, enfin.
Alors c'était peut-être sans trop se forcer qu'il dit à Virginie :
« Tu viens ? On continue. Il est bientôt midi, et si j'ai bien compris, tu n'es pas du genre à sauter l'heure du repas pour toutes les courses du monde. »
D'ailleurs, quelque chimérique qui lui parût encore l'éventualité de renouer avec William, il préférait de loin se plonger dans la foule du centre commercial que de laisser cette reproduction susciter en lui la foule des souvenirs : les gens qui passaient, il pouvait très bien ne pas y songer, quoiqu'ils se gravassent dans leurs moindres détails dans sa pensée pour y demeurer à jamais inscrit, mais les souvenirs qui renaissaient dans son esprit, il les vivait presque comme il les avait déjà vécus, et maintenant que William ne lui paraissait plus si lointain, il craignait qu'une lumière nouvelle ne s'ajoutât à eux, et les rendît trop savoureux pour qu'il pût continuer à ne le regarder qu'avec une douce nostalgie.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 9 Jan 2010 - 15:06
Virginie n’avait jamais connu ce déliement des sentiments. Aucun amour, de sa part, n’arrivait à diminuer. On pourrait certainement l’assimiler à une sorte de masochisme. Il s’agissait probablement de cela d’ailleurs. Pour elle, il ne s’agissait que d’un fondement propre et irréfléchi. Parce qu’elle était tellement faite pour aimer à sens unique, tellement persuadée que cela était naturel, qu’elle en souffrait moins. Ainsi toutes ses relations étaient construites sur une recherche infinie. Permanente. Vaine celons son état d’esprit. Ce qui ne l’arrêtait pourtant pas tout à fait. Il fallait qu’elle se souvienne de ce qui pouvait amener l’autre à s’arrêter prés d’elle. L’absence de retour, était alors, aussi logique que sa capacité physique. Il lui apparaissait qu’il ne pouvait pas en être autrement.
Dans ce même état d’esprit, il paraissait impossible, qu’un autre ne tente pas tout pour sauver un sentiment. Sentiment, qui devait être aussi résistant que le roc, puisqu’il était authentique. Une honnêteté de l’âme qui pouvait surmonter toutes les tempêtes. Elle prenait le visage de l’entremetteuse sans hésiter. Koji n’avait pas le droit de renoncer à un amour possible. Lui, comme chaque être vivant. Elle se moquait alors des convenances ou de la qualité. Quels poids avaient ces choses face à de l’amour ? Aucun. Dans son ignorance, sa définition de cette chose était aussi pure, que celle d’une enfant de cinq ans. L’une de ses belles croyances. L’une de ses certitudes les moins fragiles. Alors oui, pour une fois la demoiselle prenait parti.
Les sentiments pouvaient donc disparaître aussi vite ? Virginie ne le comprenait pas. La fidélité, était chez elle, propagée dans toutes les directions. Ce qu’elle accordait n’était jamais repris. Elle ne pouvait apaiser une émotion, quand bien même elle l’aurait voulu. Car renoncer à ce que son cœur avait révélé un jour, aurait pour elle les traits d’une trahison. Une trahison envers l’autre et envers elle. Alors la réponse de son ami la choqua silencieusement. Elle ne pouvait entendre cela. Quelques mois ne pouvaient condamner un amour véritable. Ce serait donner bien trop de pouvoir au temps. Et bien trop peu à ce qu’ils étaient.
-« Le cœur oubli moins que les yeux. Il te reconnaitrait même si tu prenais cinquante ans en une nuit. »
Williams avait quelqu'un d’autre. Ho… Une possibilité à laquelle la jeune fille n’avait pas pensé. Il avait remplacé Koji. Si vite…, quand bien même ! Cela n’avait jamais arrêté les cœurs sincères. Trente de séparation, de vie, ne pouvait briser un lien. Ou alors… Ou alors c’est qu’ils s’étaient trompés. Ce peintre, savait peut être concrétisé les sens, mais il lui semblait inconstant maintenant. Une observation qu’elle tut. A quoi bon médire sur un inconnu ? Elle ne le connaissait pas. Qui plus est, elle avait au moins conscience, que son jugement était faussé. Faussé par un désir de trouver la fin heureuse. La fin heureuse de Koji.
La suite bouscula la jeunette un peu plus. Elle avait pourtant bien vu, tout le désarroi du jeune homme, il y a quelques minutes. Comment arrivait-il à présent à envisager cela ? Une façon de résister à la tristesse ? Il devait y avoir une raison. Une raison qu’elle n’entendait pas encore. Virginie l’avait regardé avec attention. Pouvait-il, si simplement, laisser son cœur à porter d’un autre que son peintre ? Décidément elle ne connaissait rien aux affaires du cœur. Elle restait interdite. Ne sachant si ses réactions premières étaient les plus justifiées.
Depuis qu’elle avait rencontré Luc, il lui semblait, que ses yeux ne s’attardaient plus sur les inconnus de la même manière. Il n’y avait plus cet attardement. Celui, à peine assumé, de trouver une âme à approcher. Dans son esprit cette recherche n’avait plus de justification en elle-même. Alors, quand elle rencontrait un autre, cette question ne se posait plus. Quand bien même, Koji aurait aimé les femmes comme il aimait les hommes, Virginie n’aurait même pas envisagé de le regarder de cette manière. Il y avait sur ce point une tranquillité d’esprit qui la contentait parfaitement.
Qui plus est il était le seul ami qu’elle voulait préserver. Peut être plus pour cela que pour le reste elle pensa sincèrement sa réponse.
-« Je l’espère pour toi Koji. »
Il tourna la tête. Sa remarque la surprit dans ses hypothèses. C’est William qui avait mit fin à leur relation ? Que cet inconnu, est put faire souffrir, celui qu’elle connaissait changeait les perspectives. Elle, qui acceptait qu’on la face souffrir, refusait qu’il en soit de même pour les siens. Les siens… ceux qu’elle côtoyait assez pour s’attacher à leur véritable bien être. La colère passa une seconde dans son regard, aussi irréfléchie que sincère. Une réaction tout en loyauté et naïveté. Parce qu’au fond il n’y avait jamais qu’un seul coupable dans ces histoires. Et elle n’était pas neutre non plus dans celle-ci. Elle aurait défendu Koji même s’il était le coupable un jour.
-« Je comprend. C’est plutôt… humain. On tend rarement le bâton qui nous frappe. »
Peut être perça t-il dans sa voix, le reproche, qu’elle aurait fait à Williams. Quoi qu’il en soit son compagnon de chemin leur offrit une magnifique distraction. Et Virginie réalisa qu’en effet son ventre était impatient. Un trou jamais rempli. Un manque constant là aussi. Tout pouvait il être lié aussi bêtement chez elle ? Avec la même légèreté que lui la jeune femme reprit ses paquets. Sa rose silhouette aussi vive qu’un enfant affamé. Elle n’avait rien sur elle pour calmer la faim éveillée.
-« Surtout après toute cette chasse en pleine jungle. On mérite un bon plat. »
Son regard, de nouveau brillant, balaya la foule avec une énergie déterminée. Elle ne connaissait pas de restaurant ici. Elle n’avait fait que grignoter. Comme la plupart de ses repas en dehors de l’Institut. Une mauvaise habitude qu’elle ne cherchait pas à éliminer. Elle savait instinctivement que son corps règlera cela tôt ou tard. En attendant elle comptait bien en profiter sans mesure. Noël annonçait une période de liesse. Virginie y était prête.
D’ailleurs chaque ingrédient répondait à un besoin primaire et assumé. Celui-ci s’accordait avec les petits évènements. Ainsi en cherchant son envie la jeune fille faisait le bilan de sa matinée. Ces deux réflexions se cordonnaient de manière parfaite. Le levé au aurore appela l’orange, le gris matinal un peu de sucré, la foule du centre commercial une farandole de légume. La rencontre avec madame Ashton des amandes… tant d’autres idées. Trop pour être toutes réalisables en vérité. C’était à chaque fois le même temps d’hésitation. En marchant aux abords des acheteurs elle tenta une ruse.
-« Tu as une idée ? »
En le regardant Virginie songea qu’elle n’avait jamais goûté à la cuisine japonaise. Au aucune venant de l’Asie en réalité. Il faudrait lui demander cela aussi.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 16 Jan 2010 - 22:59
Sans doute Virginie avait-elle raison de supposer qu'une rencontre entre Koji et l'homme qu'il avait aimé, et qui l'avait aimé aussi, eût suffi à faire renaître en eux, non exactement le même sentiment qui justement n'était pas mort, mais avait évolué en une nostalgie, mais un sentiment nouveau, un peu différent, né de cette nostalgie même et comme enrichie par elle, de sorte que leur histoire eût pu recommencer, sans être moins passionnée, et même en l'étant plus encore, mais moins douce, moins réconfortante, baignée moins de cette lumière de fin d'après-midi dont Koji nimbait, sans vraiment s'en rendre compte, tous ses souvenirs de l'atelier, que d'une obscurité envahissante et tourmentée (à moins que l'aveu sincère et réciproque, qui est une chose rare, de la douleur vécue, en brisant la gaine qui avait maintenue les souvenirs solidaires, ne permît un renouvellement véritable de leur relation), si seulement ils se rencontraient, car Koji pouvait bien avoir l'impression d'avoir vieilli de centaines d'années, ce qui n'était d'ailleurs pas tout-à-fait faux, son corps n'en restait pas moins le même, quoique ses traits eussent un peu muris et qu'ils eussent en fait définitivement quittés leur grâce infantile pour former une grâce nouvelle, mais quasi indépendante de l'âge celle-ci, et qui fait que parfois un homme déjà presque vieux semble plus jeune qu'un jeune homme dont les traits sont déjà tirés, et c'était ce corps qu'avait désiré William, qu'il était assuré de retrouver malgré tous les changements de l'esprit et de l'âme chez Koji, et qui devenait alors pour le peintre une terre natale dont il s'était longtemps exilé, et que maintenant – sans toutefois que Koji le sût, car il n'avait pas vu les derniers tableaux de William – il s'obstinait à peindre, sans vraiment s'en rendre compte, au cœur des ses abstractions, retrouvant dans telle courbe la forme de l'épaule dont il avait connu la chair, et alors c'était plus qu'un corps, plus qu'une matière, c'était un monde de sensations esthétiques qui, dans les souvenirs de William, naissait dans chaque geste de Koji dont il se souvenait (et il avait l'impression de se souvenir de tous), dans chaque regard, sensations dont il ne comprenait pas qu'elles étaient aussi formées par toutes les conversations qu'ils avaient eues, par les inflexions de la voix du mutant, calme, et douce, et ancienne, de sorte que ce n'était pas seulement le corps de Koji qui manquait depuis quelques semaines à William, mais Koji tout entier ; depuis que cet amour avait repris, il ne savait comment, en lui, il avait peint plus encore qu'il l'avait jamais fait, parce qu'il croyait qu'en exposant ses œuvres, Koji les verrait, et qu'il y lirait l'aveu de son manque, qu'alors il reviendrait à lui, puis quand il avait compris que Koji ne voyait pas ses tableaux, il avait composé plusieurs fois son numéro, mais sans jamais trouver le courage d'y ajouter le dernier chiffre qui eût démarré la communication, et il allait dans le monde des intellectuels, aux dîners, aux réunions et aux vernissages, que Koji avait l'habitude de fréquenter, parce qu'il trouvait que le rencontrer par hasard serait plus facile que de tenter d'obtenir directement de lui une rencontre, mais Koji ne venait non plus à ces réunions, et ainsi vivait-il en ignorant que son désir le plus cher palpitait à quelques rues de lui, dans tel ou tel salon bourgeois, dans telle ou telle salle d'académie, et qu'une entorse faite aux principes de sa retraite à l'Institut suffirait à le conquérir.
Mais Koji, aussi intelligent qu'il fût, était incapable de songer que le William qui vivait à présent, ce William qu'il aurait aimé rencontrer sans en avoir vraiment la force, n'était plus exactement le William dont il parlait à Virginie et que ses souvenirs reconstituaient dans son esprit, que le temps qui avait passé pour lui avait passé pour William aussi, et que de l'être qui vivait à présent sous ce nom, il ne pouvait pas être certain comme de l'être qu'il avait effectivement connu : les deux êtres pouvaient être semblables en bien des points, ils ne l'étaient cependant pas assez pour que Koji ne se trompât pas en croyant que les deux, celui du passé et celui du présent, ne l'aimaient pas. C'était que Koji n'avait rien sur quoi exercer sa perspicacité que ses souvenirs, et qu'en ignorant tout de ce qu'avait été la vie de William depuis qu'ils s'étaient séparés, il ne pouvait deviner ce que William était maintenant : il ne voyait que les choses qui avaient conduit à ce qu'il ne l'aimât plus, et comme cette conséquence terrible, l'absence d'amour, s'était effectivement réalisée, elle était devenu la seule qui fût vraiment possible, et comme nécessaire.
Sans d'ailleurs qu'il s'en rendît compte, cet amour qu'il croyait mort pour William avait commencé à mourir en lui aussi, quoiqu'il y eût vécu encore longtemps après leur séparation, et si Koji s'obstinait à ne pas vouloir croire que William ne pût plus l'aimer, ce n'était pas seulement pour ne pas ressentir la morsure de l'espoir, mais aussi pour se laisser libre, et ne pas se trouver coupable, lui, d'aimer quelqu'un d'autre. Un nouvel amour était né en lui, qui n'était encore que l'envie d'aimer, comme un élan vers un printemps diffus dans lequel aucune fleur ne se dessine encore nettement ; il n'avait trouvé personne à aimer encore, mais il commençait à se représenter le plaisir que ce serait d'aimer quelqu'un à nouveau, quelqu'un qui ne fût pas William, quelqu'un de différent, et qui pouvait être, par exemple, tel jeune homme qu'il apercevait dans la rue, pas assez longtemps cependant pour que son amour se fixât sur lui et ne s'envolât pas dès qu'il eût disparu, pour rejoindre une autre silhouette, et miroiter indéfiniment dans l'éther.
Alors quand Virginie à son instar saisissait leur nouveau sujet de conversation, abandonnait l'ancien, et se mettait à chercher quelque chose qui pût satisfaire leur faim, Koji ne ressentait pas simplement le soulagement du malade qui a réussi à convaincre ses proches de ne pas parler, au moins pendant quelques heures, de sa maladie pour lui donner l'impression d'être guéri : il se sentait véritablement guéri, et la vie future se paraît de plus de possibilités.
Sans doute aussi la brève conversation qu'il avait eue avec la jeune fille, en expulsant William du seul écrin de son âme, avait ébréché un peu l'idole qu'il en avait faite, et contribué à la mort, d'ailleurs salvatrice, de son amour, en lui ôtant ce caractère indicible qui est souvent celui du sacré. Il lui semblait maintenant que les sentiments qu'il avait pour William, qui pouvaient être communiqués et compris, n'étaient pas si extraordinaires, et que dès lors il ne valait pas la peine qu'il souffrît tant pour eux, et s'y attachât comme il le faisait. Et le sourire qui naissait sur ses lèvres était véritablement vivant.
« Il y a au dernier étage un restaurant asiatique. Ce n'est pas vraiment de la cuisine japonaise, mais je ne suis pas très patriotique, et puis c'est très bon. Je suis sûr que ça te plaira. »
Il ne prenait pas la peine de demander à Virginie si elle aimait la cuisine asiatique, parce qu'il se souvenait (bien entendu) de la conversation qu'ils avaient eues à propos de la cuisine, et il était bien décidé à réaliser sa promesse, qui était d'aider Virginie à développer ses talents dans ce domaine, tant il trouvait réjouissant que ce qui pût d'abord être une faiblesse du don de la jeune femme, la nécessité de manger beaucoup, devînt au contraire un atout ; or, Koji était persuadé que le goût gastronomique, comme chaque goût esthétique, se formait au contact de la diversité de ses objets.
Il reprit donc avec Virginie sa route dans le centre commercial, ce qui était rendu plus aisé par l'heure du repas, où les gens désertaient un peu les allées pour se déverser dans les différents restaurants, et où les cerfs hilares et publicitaires prenaient une pause bien méritée. Mais il y avait aussi toute une nouvelle population d'employés de bureau, dont c'était l'heure du déjeuner, et qui partaient en quête d'un sandwich ou d'une salade allégée, guindés dans leur costume-cravate ou leur tailleur, et parmi lesquels Virginie et Koji, avec leur légèreté un peu irréelle, et leur air fragile, faisaient l'effet de êtres oniriques échappés d'un conte de fées.
Ce flux et ce reflux avaient modifié les sens de circulation dans le centre commercial, de sorte que sa géographie s'en retrouvait comme modifiée, et qu'il était difficile d'en saisir la nouvelle configuration. Mais Koji avait aperçu un plan de sécurité du bâtiment, en cas d'incendie, et les détails en étaient à présent gravés dans sa mémoire – comme il arrivait de plus en plus souvent à présent, et même les choses qu'il croyait n'avoir pas vues d'abord parce qu'il n'y avait pas prêté attention se retrouvaient inscrites dans ses souvenirs, et ainsi non seulement se souvenait-il de tout ce qu'il avait vu mais prenait-il désormais conscience de tout ce qui était dans son champ de vision – si bien qu'il n'eut pas de mal à retrouver les escalators et les ascenseurs qui les amenèrent finalement au dernier étage, et devant le restaurant asiatique.
Ce restaurant faisait d'ailleurs un effet d'étrange, parce qu'il n'appartenait à aucune chaîne, et gardait, au milieu des cafétérias très modernes qui l'entouraient, une allure un peu traditionnelle : c'était qu'il appartenait à un Chinois qui commençait à être un peu âgé, mais chez qui le goût pour la tradition, même un peu factice, s'alliait avec un sens aigu des affaires, qui lui avait fait comprendre qu'il ne serait nullement déshonorant, et assez profitable, d'ouvrir son restaurant dans un centre commercial plutôt que dans une ruelle d'un quartier asiatique, où il serait confondu avec les autres. Puis il avait eu le soin de n'employer que des serveurs et des serveuses à la fois jeunes et Chinois, de sorte que la clientèle, lasse de l'uniforme occidentalité des magasins, pût trouver à sa table un dépaysement facile.
Koji était venu déjeuner quelques fois ici, avant que sa retraite à l'Institut ne le coupât du monde, et quoiqu'il n'y fût plus venu depuis quelques mois, la cheffe de salle, qui plaçait les clients, n'eut pas de mal, ni lui elle, à le reconnaître. C'était une jeune femme dont les parents étaient nés en Angleterre, qui n'avait jamais vu la Chine, mais qui n'en parlait pas moins un chinois parfait, et dont le visage avait gardé la beauté caractéristique de ses origines désormais lointaines, de sorte que les clients qui n'avaient entendu que le directeur s'adressait à elle en Chinois croyaient qu'elle venait d'arriver, fleur orientale fraîchement recueillie, et qu'elle ne parlait pas l'anglais, quoiqu'elle vînt de commencer ses études de médecine.
Quand elle vit Koji arriver, elle lui adressa un sourire qui s'affirma encore quand elle le vit accompagné d'une jeune femme si ravissante, parce qu'elle ne doutait pas que Koji aimât les femmes (car, les aimant elle-même, elle trouvait tout naturel qu'on les aimât) et très probable qu'il leur plût (car il y avait chez lui beaucoup de traits féminins qui lui plaisaient à elle), si bien qu'elle était persuadé que Koji et Virginie formaient un couple, qu'elle trouvait d'ailleurs très beau (car Virginie était belle).
« Koji ! Cela faisait longtemps que l'on ne vous avait pas vu. »
Il lui avait parlé dans un chinois dont elle savait mieux que personne faire jouer les tonalités variées, de sorte que, lorsqu'elle parlait, il y avait toujours une mélodie discrète qui soutenait ses paroles. Ce charme si particulier était la raison principale qui poussait certains hommes d'affaire à déjeuner ici quotidiennement. Pendant qu'elle parlait à Koji, son regard noir passait insensiblement du jeune homme à Virginie, dont elle évitait de croiser les yeux, soit qu'elle trouvât plus de plaisir à laisser les siens errer au gré des mèches blondes de la jeune femme, soit qu'elle crût peu poli de regarder si directement quelqu'un qu'elle venait de rencontrer, et dont elle ne savait pas même le nom.
« Bonjour, Yue Ying. Croyez-vous qu'il soit possible que nous déjeunions ici ? La salle a l'air complète. Mais non. Il nous reste toujours une place pour vous. Suivez moi. »
Le chinois de Koji n'en était pas moins parfait, et il y entrait quelque chose de plus vif que dans son anglais, un accent facétieux que n'avait pas le ton tranquille et paisible qu'il adoptait souvent en anglais, et qui lui donnait l'air si sage ; c'était qu'en parlant une langue qui était plus proche que l'anglais de sa langue maternelle, Koji laissait affleurer dans sa voix la vitalité tapie derrière les réflexions de son esprit, les éclats d'énergie facétieuse, de séduction étincelante, que sa rupture avec William avait dissimulés, du moins dans la langue que parlait son amant, et qui était encore, du moins jusqu'à sa récente conversation avec Virginie, sacrée.
Yue Ying les avait enveloppés dans un sourire où à la politesse de la cheffe de salle se mêlait la cordialité qu'elle avait pour Koji et la curiosité qu'éveillait en elle Virginie, et les avait guidés vers une table pour deux dans le fond de la salle, près d'un couple d'Allemands (dont Koji devina par la suite, à leur conversation, que le mari était professeur de mathématiques et la femme archiviste) qui étudiaient le menu avec une attention déconcertante. Quand Yue Ying leur eût apporté leurs cartes, Koji ne prit pas la peine de consulter la sienne : il la connaissait par cœur. A la place, son regard se posa sur Virginie, et il lui sourit avec douceur.
« Ne t'inquiète pas, en fait, tout le personnel parle anglais. Avec un petit accent, bien sûr. Question d'ambiance. »
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Mar 19 Jan 2010 - 18:21
Virginie connaissait le jeune homme depuis l’été. Quelques mois donc. Jamais pourtant, elle n’avait encore osé entrer, dans une exposition de William Forstner. C’est que la manière dont Koji avait toujours observé ses œuvres, les lui rendait trop divines, pour être poursuivies. A présent qu’elle savait. A présent que cette toile, comme les autres, racontait leur histoire. La jeune fille était piquée par la curiosité. Qui, avait bien put être assez doué, pour capturer le cœur d’un tel personnage ? Koji envisageait l’avenir. C’était une bonne chose. La preuve que le deuil était en passe de devenir un souvenir. Mais de par son amitié Virginie aurait aimé connaître le Koji amoureux. Peut être en voyant les peintures le devinerait-elle ? Elle n’avait jamais été, et ne serait jamais, la muse de quelqu’un. Parce qu’elle était jolie sans être belle, douce sans être sainte, dansante sans être unique. Ces constats lui étaient venus très tôt. Elle s’en était fait des amies. Elle se destinait donc aux actes discrets. Son rôle n’avait jamais été d’être extra ordinaire. Elle était mutante… certes. Mais même dans cela elle était quelconque. Quoi que cela l’attrista, elle aimait l’idée, de ce que cela aurait put être si... A l’inverse de son voisin qui était fait pour briller. De toutes les lueurs et à toutes les hauteurs. La rencontre avec sa mère n’avait fait que renforcer cette pensée. Rien d’étonnant alors que son ancien amant le cherche et l’attend toujours.
Pourtant en le voyant là, prés d’elle, Virginie douta, que Koji revienne vers l’artiste. Il était trop calme. Et encore trop réfléchit, pour que même la question du cœur ne l’emporte tout à fait vers une erreur. Au fond… peut être était-ce mieux pour lui. Il était peut être trop jeune pour se condamner en une seule histoire. En réalité, il était un être tellement riche, qu’une seule rencontre pour lui, serait presque un blasphème. Car Virginie ne doutait pas que son ami savait aimer. Plus encore que cet être aimait aimer. Il y avait en lui un à-propos de l’amour. D’un ver de Keats, à une jeune fille apparue dans la foule. Il pouvait et aimait beaucoup. Cette capacité la rendait admirative. Dés qu’il l’aurait décidé le monde lui ouvrirait les yeux sur une nouvelle âme. Voilà tout ce que la jeune femme lui souhaitait.
C’est avec la même simplicité qu’une fillette, que mademoiselle laissa un amour perdu pour une chasse à la saveur. C’était toujours ainsi avec elle. Chaque avancée était saisie. Sans le montrer, elle comprenait, que le sujet était assez intime et complexe pour être mi de côté. Elle-même n’aurait probablement pas supporté aussi bien qu’on évoqua sa propre histoire. Si histoire il y avait. Mettre des mots sur les choses avait un dangereux pouvoir de concrétisation. Virginie préférait encore vivre dans le fantasme. Au moins, pour cette part de sa vie, qui réclamait d’elle trop de choses encore. Heureuse d’échapper elle-même à l’exercice elle en était encore plus dynamique.
Et ses pupilles le détaillèrent une seconde. Elle restait interdite. Ses sourcils s’inclinèrent fugacement. Koji avait-il entendu sa pensée ? Cette idée lui était vraisemblable. Dans leur belle bâtisse la vraisemblance avait les accents de la magie. Koji le premier était un magicien talentueux. Mais non, il était « seulement » d’intelligence du cœur et de l’esprit, mais seulement cela. Alors Virginie prit le parti de rire de sa propre réaction. Elle le suivit tout à sa joie. Celle d’être ici avec lui, d’avoir rencontré un être cher, d’avoir entendu un cœur, d’avoir un estomac capricieux. La voie se dégageait face à eux. Il y avait cette ambiance détendue qui se posait sur l’édifice. La frénésie ne quittait jamais les murs, mais au moins était-elle quelque peu concentrée.
-« Je ne suis jamais allé dans un restaurant chinois ! »
Virginie se laissait guider. Une preuve discrète, quoi que invariable, de la confiance qu’elle avait envers le jeune homme. Parce qu’il lui était toujours compliqué de quitter le connu pour virer vers l’inconnu. Ainsi l’angoisse de se perdre, celle de ne pas savoir ce qui l’attendait… chacune rétrécissaient. C’était un peu comme quand elle acceptait de suivre la trame d’un roman. Elle ne savait rien, naissante, dans un univers dont elle ne pouvait discerner les contours. Et elle y plongeait avec la curiosité de l’insouciance. Il y avait même un petit goût de fête dans cette idée de découvrir la table de l’Asie au côté de Koji.
D’elle-même la jeune anglaise avait ralentit en voyant l’entrée. Chaque pas, plus lent, lui permettait d’englober la vision. En effet ce restaurant était une perle parmi les coquilles. Ses yeux s’agrandissaient au fur et à mesure de son étonnement. A quoi s’était elle attendue ? Certes pas à cela. Prête à se laisser happer, Virginie vivait le tout avec un enchantement sincère, qui la rendait toute déférente. Le bois sculpté, l’esthétique des tables, les silhouettes, les odeurs. Tout à la fois nourrissait un nouveau conte qu’elle n’avait même pas encore conscience de s’inventer.
Alors la belle dame qui les accueillit devenait une princesse orientale. Son sourire aimable et charmant eut l’effet escompté. Admirative et pleine de réserve, Virginie ne s’empêcha pas pour autant de répondre à ce gracieux signe de bienvenu. Elle n’avait jamais entendu le chinois. Un peu de japonais depuis qu’elle côtoyait le jeune métisse. Mais le chinois était différent. La voix chantante de l’hôtesse le rendit incroyablement beau et mystérieux. Tellement, que dans un premier temps l’adolescente ne s’inquiéta pas de n’avoir rien comprit.
Ce n’est qu’en entend Koji reprendre ce langage que l’étrangère sentit sa différence. Elle avait bien reconnu le la voix de son ami. Quoi qu’elle était différente avec ces sonorités. Cela lui plut d’ailleurs, car sans comprendre elle entendait… un rythme… de joie. Alors ce qui était exotique la rendit aussi honteuse. Honteuse, car impuissante dans ce havre de Chine d’en pratiquer la culture et la beauté. Elle qui était d’un naturel humble se sentait à présent toute petite. Ses yeux baissés elle n’osait intervenir en quoi que ce soit.
Ils eurent une table. Et Virginie supposa que le charme de son guide n’y était pas étranger. Il n’y avait qu’à s’attarder sur le visage de la cheffe pour le deviner. Elle appréciait Koji. Cela se dit la demoiselle, cela au moins, lui faisait un point commun avec cette splendeur. Les achats abandonnés, son regard s’attarda sur le couple. Distraitement elle se demanda si un jour tout à fait adulte elle irait ainsi déjeuner entre deux heures de travail. Elle s’installa agile malgré elle. Ses doigts effleuraient le bois avec précaution. Il y avait bien trop de détails pour que son attention accepte de se poser quelque part. Tout était une occasion de s’émerveiller en silence.
Le retour de Yue Ying l’attira pourtant. Tout en pensant être incomprise elle la remercia avec une chaleur respectueuse. Et ses yeux se plongèrent dans le menue cherchant l’anglais qu’elle craignait inexistant sur ces feuilles. Il y avait beaucoup de chose. La curiosité et la surprise la rendait attentive et muette. Ainsi, sans le savoir, elle imitait une archiviste allemande avec talent. D’ailleurs Virginie n’avait pas pensé, que Koji et elle puissent être assimilés au même schéma social du couple. Ils étaient un duo. Un groupe. Curieuse de voir son ami s’occuper de son propre choix elle leva les yeux.
Il avait les mains libres. Et il souriait. Alors Virginie se concentra tout à fait sur lui. Elle lui rendit la pareille, quoi que plus timide, rendue prudente par l’inconnu. Là, comme souvent, son allier mit le doigt sur sa gêne. La jeune fille en soupira de soulagement. Telle une diplomate, qui avait eu peur de voir sa mission échouer, à peine eut-elle accosté. Parce qu’aussi elle ne voulait ni déranger ni mettre Koji dans l’embarra.
-« Ho… eh bien c’est très réussi ! On dirait que nous avons quitté Londres. Tu as eu une très bonne idée…
Un merci sous-jactent qui brillaient dans toute son attitude. Sincérité et entrain les maîtres de cette jeune aventurière. Et elle ne put s’empêcher, car même sourde, elle n’était pas aveugle. Parce qu’elle voulait comprendre aussi. Ce monde dans le monde la rendait plus attentive plus exigeante aussi avec ses propres questions. Koji avait stimulé son intérêt à un point où la liberté de l’enfance prenait tout son sens. Elle vivait tout cela avec un engouement plein de vivacité.
La dame… elle te connait, non ? J’ai eu l’impression. Son regard s’est égayé.
Ce souvenir, la fit elle-même sourire sans qu’elle ne s’en aperçoive. Pour que finalement ses yeux lui sourit à lui. Lui, ce guide, qui ouvrait encore un peu plus son petit univers. Il avait eu une bonne idée. Une excellente idée. Chaque initiative prenait la forme d’une petite épopée. Jamais Virginie n’aurait fait cela seule. Peut être n’y aurait elle-même jamais songé, tout en le rêvant. Elle abandonna à son tour la carte et annonça sur une impulsion. Et avec le ton d’une solennité pleine de gaité.
Je prendrai un peu de tout. Ce sera mon initiation.
Son regard tomba alors sur les couverts mis à dispositions. Avec un air plein de curiosité elle s’en saisit. Deux jolies baguettes de bois. Amusées elle se rappela que leurs consœurs d’argent lui rendaient souvent service pour structurer sa chevelure. La jeune femme les détailla. Sans le vouloir elle les tenait comme des accessoires de coiffures. Vivement elle les reposa. Un sourire un peu fautif au visage elle demanda.
Est- ce que tu peux m’apprendre ? »
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Mar 19 Jan 2010 - 20:22
Sans doute, s'ils avaient obtenu une table sans avoir réservé, à l'heure où tout le monde était déjà arrivé, et où les hommes d'affaire, dont on s'attendait sans doute qu'ils fussent plus riches que Koji et Virginie, et donc plus en mesure de s'offrir un repas copieux, c'était parce que le jeune homme était un habitué des lieux et qu'il connaissait Yue Ying, que la jeune femme avait pour elle une amitié dont elle savait que son patron ne la trouverait pas coupable, car elle connaissait assez Koji pour savoir que, même sans la richesse accrue que venait de lui amener son livre, il appartenait à cette jeunesse bourgeoise qui peut entrer dans un restaurant sans s'inquiéter du prix des plats, comme dans un magasin de vêtements celui des manteaux, pour peu qu'ils fussent seulement affichés quelque part, car l'étape suivante de la richesse était de fréquenter des restaurants et des magasins où l'on ne trouvait nulle part le prix des menus ou des vêtements, parce qu'il était simplement très improbable que, pour les gens qui les fréquentaient, un pantalon ou un dessert pût jamais être hors de leurs moyens ; pourtant, ce n'était pas à son argent, auquel du reste il n'avait jamais songé (preuve qu'il en avait suffisamment) avant ces derniers mois, que Koji devait la connaissance de Yue Ying, mais bien plutôt à ce qui lui valait l'estime et la sympathie de plusieurs dizaines de personnes dans les plus grandes capitales du monde, dans les milieux des artistes et des intellectuels, qui formaient autour de lui un réseau bourdonnant, toujours prêt à lui rendre service, du moins à le reconnaître dans la rue, et qui lui conférait ainsi un pouvoir immense dans les sphères où ces personnes évoluaient, celles de la science, des arts, des lettres, de la culture, mais un pouvoir dont il avait à peine conscience, et dont il ne s'était jamais servi : et cela, c'était sa mutation.
Koji trouvait souvent que cette mutation, cette intelligence incroyable qui était la sienne et qui dépassait les bornes de la normalité de sorte que chacun savait qu'elle n'était pas, en quelque sorte, tout-à-fait naturelle, avait été un obstacle de sa vie ; ou plutôt, il comprenait bien que sa vie, toute sa vie, sa personnalité, il la devait à cette mutation, que sans elle il ne penserait pas comme il le faisait, il ne verrait ni ne comprendrait autant de choses, il ne pourrait se sentir aussi vieux (car il l'était vraiment en quelque sorte), en somme, il serait un être tout-à-fait différent, et, comprenant cela, comme il n'avait pas envie de mourir, il ne souhaitait pas que cette mutation n'eût jamais été, et ce qu'il souhaitait, c'est qu'elle ne fût pas si visible (sans voir qu'en somme, c'était la même chose), et qu'il pût être comme il était sans que tout le monde sût ce qu'il était.
Or, cette intelligence si exceptionnelle, si elle lui avait fermé quelques portes, comme celles de l'enseignement, lui avait ouvert en contre-partie une infinité de lieux, dont il ne devait la fréquentation qu'à ce qu'il était le seul à pouvoir être, à ce que seule une mutation pouvait donner : une intelligence infinie, de l'esprit et du cœur, et comme un âge très avancé, dans un corps qui était encore jeune. Parce qu'à la jeunesse de son corps, autant qu'à son intelligence, Koji devait beaucoup de son charme, qui était un charme mystérieux, la vie d'un paradoxe : et c'était la rencontre des deux, et non chacun séparément, qui faisait beaucoup de sa séduction.
Ainsi Koji avait-il rencontré beaucoup de gens, des écrivains des peintres des sculpteurs, des metteurs en scènes des comédiens des chercheurs, des scientifiques et des journalistes, quelques femmes et hommes d'Etat cultivés, pour qui il avait été à la fois un dépaysement (c'était le charme de son extrême jeunesse) et un enrichissement (c'était celui de son extrême intelligence), et qui auraient été prêts, pour seulement avoir une lettre de lui, dont la profondeur et l'enjouement rendrait à leurs vies un peu de cette saveur qu'elle avait eu autrefois, lorsqu'elle semblait amusante sans être frivole (alors qu'à présent ils ne trouvaient que des choses profondes mais sérieuses, ou légères mais vaines), il y aurait beaucoup de choses qu'ils eussent faites, et qui, à vrai dire, à eux ne coûtaient pas grand-chose, comme d'écrire une autre lettre, de recommandation, accélérer le traitement d'un dossier, donner un peu d'argent, mais qui pour Koji, ou pour d'autres de ses amis, eussent été absolument déterminantes ; mais il avait rencontré aussi des serveurs, des techniciens, des chauffeurs, tant de gens qui n'étaient pas des intellectuels, mais qui avaient éveillé en lui des rêveries par leur ressemblance avec tel personnage de roman, telle figure d'un tableau (comme son cocher ou Odette pour Swann), ou par leur manière particulière, et qu'il trouvait poétique, de prononcer une langue, rêveries dont il leur était reconnaissant, et qui donnaient à ses conversations avec eux, et au respect et à l'intérêt qu'il y faisait paraître, quelque chose de plus authentique que la bonhommie condescendante de l'avocat réputé qui, le dimanche, cause un peu avec sa bouchère en achetant le gigot, moins par souci d'égalité que pour ajouter un peu à sa supériorité dont il est convaincu en pratiquant une humilité de quelques secondes, et qui ne l'engage à rien.
Koji n'avait pas encore compris que si sa mutation lui donnait un pouvoir vraiment sensible sur le monde, ce n'était pas celui de le comprendre, car il serait toujours le seul à comprendre ce qu'il avait compris et, ne pouvant jamais le communiquer pleinement, en jouirait toujours en solitaire, mais bien de se faire estimer de tant de personnes, qui étaient prêtes à lui donner ce qu'elles avaient en leur pouvoir, que ce fût une table ou un million d'euros, parce qu'il était pour elle quelque chose de précieux : quelqu'un capable, par exemple pour Yue Ying, de parler une langue qu'ils aimaient mais dont ils se sentaient exilés, de la parler comme le parlerait à un érudit élégant de leur pays, et pour dire des choses qui étaient toujours agréables, ou du moins assez rarement désagréables, parce que remarquant tout, se souvenant tout, Koji savait éviter tous les sujets qui pouvaient causer de la peine, et évoquer au contraire ceux qui plaisaient.
Si Koji ne saisissait pas tout-à-fait ce qu'il pouvait être pour d'autres personnes (pour Yue Ying, pour William), c'était qu'il n'avait pas la possibilité, comme Virginie venait de le faire, de considérer ses relations avec ces personnes de l'extérieur, et si, comme Virginie, il avait bien vu que le regard de Yue Ying s'égayait, il ne pensait pas exactement que ce fût grâce à lui, puisque le sien aussi s'égayait : c'était grâce à la relation qu'il avait à la jeune femme, une relation de vive sympathie. C'était une relation qu'il vivait vraiment, qui s'était lentement constituée, à laquelle il n'avait jamais réfléchie, et qu'il ne songeait donc pas à décomposer en éléments, où il se fût trouver comme l'être qui, en effet, causait le sourire de Yue Ying.
Mais tous les gens qui l'avaient rencontré avaient été si convaincus de la grandeur intellectuelle de Koji, qu'elle fût pour eux une raison de le haïr ou de l'estimer, qu'ils n'avaient jamais songé que le jeune homme pût n'être pas entièrement conscient de cette grandeur, et des effets qu'elle produisait, parmi lesquelles ces sympathies et le pouvoir qui en découlait ; aussi n'avaient-ils jamais cru devoir souligner à Koji combien telle ou telle autre personne avait l'air heureuse de le rencontrer, à la fois parce qu'ils étaient persuadés que le jeune homme s'en était rendu compte (ce qui était vrai) et s'estimait assez soi-même pour s'en faire crédit (ce qui était faux) et parce qu'ils trouvaient l'intelligence de Koji étouffante, agaçante, désobligeante pour la leur (puisqu'eux-mêmes étaient des intellectuels), et qu'ainsi ils n'avaient aucune envie, fût-ce dans une aventure aussi anodine, de la souligner.
Ainsi la remarque de Virginie, à qui les connaissances de Koji dans tel ou tel domaine ne pouvaient faire aucune ombre, et qui surtout avait pu comprendre, grâce à sa douceur d'âme peu commune et aussi aux révélations que Koji venaient de lui faire de sa propre vie, que le jeune homme ne saisissait ce qu'il était pour d'autres, avait-il comme déchiré un voile qui eût obscurci sa connaissance de lui-même, et, sans la révéler tout-à-fait, donné au jeune homme l'intuition de sa propre importance, non absolument dans l'ordre de l'esprit humain, mais relativement dans celui des liaisons personnelles ; en fait, une fois de plus, Virginie venait de faire prendre conscience à Koji qu'il avait une vie qui était la sienne, et qui ne se résumait pas à la vie de son esprit, une vie qui tenait au monde par une infinité de fils sensibles, lesquels vibraient toujours, quoiqu'il ne leur prêtât pas toujours l'attention qu'ils méritaient, qu'enfin il avait une vie de chair, un quotidien, qui valait la peine qu'il s'y intéressât, non seulement parce qu'il pouvait être la source de plaisirs, même aussi simples que celui d'être l'habitué d'un restaurant et d'y avoir quelques privilèges, mais aussi parce qu'il n'était pas nécessairement moins complexe qu'une théorie de philosophie, tant se mêlent dans notre vie des circonstances diverses qui en font un roman qu'on sait vivre, mais qu'on ne saurait comprendre.
Koji, lui, cependant, pouvait concevoir tous ces fils en même temps les uns des autres, et suivre leur parcours tous ensembles, ainsi voyait-il comment ils se liaient dans sa vie, c'est-à-dire qu'il voyait sa vie même, et que la brèche que la remarque, si innocente, de Virginie, avait ouvert dans le voile qui lui dissimulait le réel, il l'avait lui-même agrandie, et maintenant c'était tout ce réel qui lui avait jadis échappé et dont il prenait conscience, non à la manière d'une révélation, quoique celui ne lui prît qu'une seconde, mais bien comme à la suite d'un long travail d'introspection ; alors dans la réponse qu'il faisait à Virginie, et qui elle-même était anodine, vibrait un peu, discrètement, de cette découverte qu'il venait de faire de sa propre importance.
« Oui, je venais souvent ici avant d'entrer à l'Institut. Et Yue Ying travaillait ainsi avant que j'y vinsse pour la première fois. Disons que je suis un habitué. »
Et en pensant à Yue Ying, c'était à une infinité d'autres personnes qu'il pensait : à Serena, l'informaticienne qu'il avait connu à Berlin, à André, le vieux professeur de mathématique qu'il avait rencontré à Paris, à Yékatarina, la danseuse de l'Opéra de Moscou, à Yuri, le jeune étudiant en histoire de l'art, qui avait été son amant d'un soir, à tel ambassadeur qui collectionnait les tableaux et qu'il avait croisé dans un vernissage, à cette vieille femme, qui avait traduit tout Homère en italien et publié tant d'articles ; et ces gens, tous ces gens, se liaient les uns aux autres, les détails de leur vie prenaient leurs places respectives dans l'esprit de Koji, pour former une fresque, mais une grande fresque profonde et mobile, où tout bougeait en même temps, et où il voyait tout d'un seul coup d'œil, de sorte que soudainement, de ce mouvement d'ensemble dont il saisissait toutes les perspectives, se dégageait pour la première fois de sa vie l'impression du pouvoir qu'il possédait, du pouvoir qu'il possédait réellement, et qui était d'obtenir de ces gens ce qu'il pouvait désirer sans toutefois leur être pénible.
Ainsi, comme Virginie qui allait manger d'un peu tous les plats, et recevoir un seul repas l'impression de toute une cuisine, des milliers de siècles de traditions, tels que quelques décennies de restauration les avaient précipités, et qui ne pouvait obtenir cette connaissance, cette connaissance précieuse qui ferait d'elle la seule femme au monde, peut-être, capable de saisir la proximité entre un plat et un autre que personne n'avait jamais commandés ensemble parce que, par exemple, ils étaient tous les deux des plats de poisson, et donc la première femme à sentir les fruits de ces associations absolument originales et qui étaient précieuses parce qu'elles avaient cette chose que Koji savait si rare, qui est l'absolue nouveauté, Koji goûtait-il des associations insoupçonnées de personnes, dont les rencontres, possibles dans son esprit seul, et les possibilités de ces rencontres, qu'il serait sans doute à jamais le seul à pouvoir réaliser, en invitant telles de ces deux personnes qui sans lui jamais ne se seraient rencontré, et qui pouvaient faire naître un monde. Alors dans ce restaurant, Virginie n'était pas la seule qui s'initiait à un nouvel univers.
Cependant, Yue Ying était revenue, et elle avait noté la commande de Virginie, quoiqu'elle fût un peu surprise que celle qu'elle pensait toujours être la femme dont Koji était amoureux (car elle ne pensait pas que le jeune homme pût être en couple avec quelqu'un dont il n'eût pas été amoureux, ce qui était à la fois faux, en cela que Koji avait beaucoup d'aventures qui ne duraient pas, et vrai, parce qu'il aimait toujours ce qu'il désirait, simplement parfois d'un amour éphémère) pût commander autant à manger alors qu'elle était si mince, et elle n'était pas éloignée de songer que Virginie avait un trouble alimentaire autrement plus grave qu'une mutation en mal d'énergie.
« Je vais prendre une salade aux crevettes. »
La mutation de Koji avait depuis longtemps pris son parti de ne rien lui demander : avec elle, il n'était pas de négociations possibles, pas de moyens d'acheter sa tranquillité, il fallait souffrir, souvent, de migraines, d'insomnies. Koji trouvait qu'il aurait été assurément plus reposant de manger beaucoup. Mais il avait aussi pris, autant que ce fût possible, l'habitude de ces désagréments.
« Alors... Tu les prends comme ceci... »
Il avait saisi les baguettes sans y penser : il avait appris à manger avec ces instruments depuis qu'il était enfant, quand même elles étaient trop grandes pour ses petites mains, et c'était sans y penser qu'il les maniait à présent. Mais cela ne l'empêchait pas de montrer ce qu'il fallait faire à Virginie, de lui expliquer, et finalement, de frôler les mains de la jeune fille pour placer ses doigts correctement ; alors il se souvint que Mathilda Stenson, sa professeur de piano anglaise, qu'il avait pourtant connu à Tokyo, quand il était enfant encore, et que ses mains étaient trop petites pour les touches, plaçait aussi, avec une délicatesse presque féérique, ses doigts sur le clavier, et laissait tomber vers lui, de haut de ses yeux qui à l'époque lui semblaient situés dans des cieux inatteignables, un regard doux et protecteur quand il n'arrivait pas à exécuter une note, et qu'il levait vers elle ses yeux à lui, immenses, noirs (ils s'étaient depuis un peu éclaircis), et légèrement bridés, avec un air de profonde incompréhension, car c'était moins par maladresse et défaut d'exécutant que par perplexité musicale qu'il avait manqué tel ou tel passage, de sorte que Mathilda Stenson, en mourant il y a un an, avait emporté le seul souvenir qu'eût une personne au monde, d'un regard d'incompréhension profonde de la part de Koji Ashton.
Il avait encore l'une de ses mains sur celles de Virginie, et il lui parlait avec cette douceur un peu chaude, et qu'il ignorait être perpétuellement (et involontairement) séductrice, quand Yue Ying revint avec la salade et les premières entrées de son amie, de sorte que la jeune femme fut plus convaincue que jamais qu'ils formaient un couple, et en déposant leurs plats devant eux, elle leur adressa le même sourire entendu et attendri que l'on adresse à deux jeunes gens qui sont amoureux, et dont on croit pour cette raison que pour eux le monde extérieur n'existe plus, comme si l'amour était un type particulièrement aigu de la maladie d'égoïsme, et non d'abord une solidarité inespérée entre deux êtres dans le regard qu'ils posent, justement, sur le monde.
Koji n'avait bien sûr pas été sans remarquer ce sourire, et, quoiqu'il ne comprît pas que sa manière d'être, qui à vrai dire était sa manière d'être habituelle, c'est-à-dire cette espèce de chaleur orientale, et par conséquent toujours légèrement sensuelle, qui se répandait dans sa voix et s'y mêlait avec une douceur qu'elle semblait alors adresser à la personne en particulier à laquelle il parlait, faisait qu'on lui prêtait plus d'aventures qu'il n'en avait et une réputation de séducteur (ce qui, du moins avant qu'il ne se retirât à l'Institut, n'était pas tout-à-fait faux, quoique jamais exact pour les jeunes filles, dont il n'avait connues quelques-unes que parce qu'elles étaient venues à lui avec une insistance discrète, élégante, mais opiniâtre, et que son désir vrai, profond, ne l'aurait jamais porté à rechercher), il sentit que Virginie serait gênée peut-être qu'une inconnue comme Yue Ying lui prêtât une aventure qu'elle n'avait pas. Le jeune homme réalisa donc l'opération toujours dangereuse de passer une main dans ses cheveux en désordre avant de reprendre la parole.
« Je suis désolé, Virginie. Je crains que Yue Ying ne fasse des suppositions un peu trop avancées sur notre relation. D'ailleurs, je ne sais pas du tout pourquoi. »
L'impossibilité qu'avait Koji de se représenter qu'il pût passer, pour d'autres, avoir une aventure avec Virginie, n'était nullement insultante pour la jeune femme : ce n'était pas qu'il crût qu'elle était peu susceptible d'inspirer de semblables sentiments, au contraire il l'en croyait tout-à-fait capable, et quoiqu'il ne connût pas pour elle de désir sensuel, il pouvait, d'un point de vue esthétique (qui n'est pas nécessairement froid), comprendre qu'elle en suscitât, seulement, leur amitié lui semblait si naturelle qu'il n'imaginait seulement pas qu'ils pussent être autre chose l'un pour l'autre, et ainsi, même sa (quasi) absence de désir pour les femmes ne jouait qu'un rôle infime de cette impossibilité. C'était qu'il tenait déjà beaucoup à cela : l'amitié de Virginie.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Jeu 21 Jan 2010 - 21:36
Emmenée par la beauté du lieu, Virginie, n’envisageait pas le statut que celui-ci avait acquit. Elle n’avait pas vu dans la délicatesse de ce restaurant la nécessité capitaliste. Il n’y avait pour elle aucune raison de revenir vers une logique financière dans cet instant de plaisir. Bien sûr elle se doutait que ce déjeuner allait coûter cher. Cela ne la freinerait pas. Car si cette mutante devait avoir une religion, c’était bien celle des plaisirs du palais. Elle était assez fourmi, et assez cigale parfois, pour être libre de ce genre de petites folies. Celles-ci rendaient ses aventures gustatives plus marquantes et inédites. Un croissant sonnait le départ de la confiance. Une part de tarte à la rhubarbe devenait l’effigie d’un amour naissant. Il y avait des souvenirs qui lui revenait à travers une odeur, une texture, bien plus que par les mots ou la musique. Et ce midi ce qui l’attendait amenait une sensation d’excitation.
Que cela se fasse en compagnie de Koji ajoutait une touche de quelque chose. Une simplicité peut être. Un partage sans équivoque. Une certaine sécurité. Car au court de leur amitié Virginie avait apprit, non pas à se reposer sur le jeune homme, mais à compter sur lui. Pour toutes sortes de choses. Des détails. Le choix de la couleur d’un bijou, d’un adjectif pour un article, de la musique pour une nuit de lecture. Toutes ces choses, qui par leur arrivée extérieur, enrichissaient son quotidien. Elle savait que si elle posait une question il y répondrait de son mieux. Que si elle avait besoin de parler il était là. Plus important encore la jeune fille avait comprit, qu’en dehors même de toute son intelligence, Koji cherchait le bien de l’autre par nature. Il lui semblait donc tout aussi naturel que ses rencontres lui veuillent également du bien.
Il lui était impossible d’envisager la passion, qu’il pouvait déchainer chez certains adultes, chez certaines jeunes filles, jeunes hommes. Non pas qu’elle l’en croyait indigne. La passion était d’elle-même trop irrationnelle pour lui être tout à fait accessible. Elle n’avait donc pas encore comprit que son amour de la danse pouvait s’apparenter à ce genre de force. Que sa conviction pour justice prenait parfois les traits de la passion. Ou même que le plaisir qu’elle prenait à s’habiller pourrait évoluer vers une passion, une vocation.
De fait ils n’avaient pas du tout évolué dans le même univers. La diversité culturelle de son ami l’émerveillait toujours. Il avait le même âge qu’elle et pourtant il avait vécu la vie d’un prince. A connaître tel personnages politique, tel scientifique, tel artiste. Et à chaque fois Virginie imaginait le roman que tout cela donnera. Avec son sens du détail et de la poésie, il aurait put conter, non pas mille et une nuit mais des milliards d’heures déjà vécues. Elle n’envisageait pourtant pas, à quel point, ce jeune mutant avait déjà marqué son présent. Comme les occasions de sortir de l’Institut étaient aussi rares que désirées elle ne faisait qu’imaginer. Tandis que ce repas, la ramenait à leur condition propre, et à toutes leurs différences. Des différences qui s’en pour autant l’angoisser la rendait attentive.
Virginie avait donc élaboré la conviction que tout ce que ce jeune Ashton réussirait tout ce qu’il entreprenait. C’était à la fois galvanisant et intimidant d’être l’amie d’un génie. La petite Parish voyait en lui un trésor humain. Un trésor que l’absence de mutation n’aurait pas put desservir. Parce qu’avant tout Koji était Koji. Il pouvait devenir président du monde, ou bien sdf elle l’estimerait de la même manière. Mais que cette mutation le rendait à la fois trop sensible au monde et parfois aveugle à lui. Ainsi un équilibre se créait entre eux, dans ce que chacun pouvait apporter, sans en effacer l’autre. Il pouvait la faire réfléchir sur la vie d’une fleur comme elle sur l’attention d’une jolie chinoise.
A présent il avait ce regard que la jeune fille arrivait à voir. Celui qui lui indiquait que cette pensée si productive entrait dans un nouveau rouage. Si de prime abord elle en avait rougie, de le perturber ainsi, à chacune de ses phrases. C’était aujourd’hui avec une douceur amicale, presque une tendresse, que Virginie le regardait évoluer. En croisant les jambes sous la table elle attendait une réponse sans être ni pressée ni frustrée. Parce qu’elle avait apprit à composer avec les particularités de son interlocuteur. Et elle savait au fond, du moins elle en avait l’intuition, que sa propre simplicité nourrissait parfois une réflexion.
-« Il n’y a qu’un seul endroit où je peux porter ce titre. Un club de Jazz. Je pourrais te le montrer si veux ?
Le souvenir d’une soirée d’avril amena un sourire nouveau à sa bouche. Et c’est sans le prémédité qu’elle venait de proposer le lieu d’une rencontre tout autre, mais tout aussi importante dans sa vie. Cela dit la réponse de Koji avait fait son chemin. Elle remarquait une nouvelle fois que l’entrée à l’institut formait une ligne de démarcation. Il lui apparaissait que ce jeune mutant avait bien deux vies dans une seule. Parfois elle avait envi de demander. Est-ce que tout cela ne lui manquait pas ? N’avait il pas l’impression d’hiberner ici ? Elle se rappelait alors que Koji n’oubliait rien. Son esprit devait pouvoir le faire voyager plus surement qu’un jet.
La cheffe avait parue surprise. Virginie hésita entre s’expliquer ou laisser son sourire gêné faire son plaidoyer. Mais la voix du joli métisse reprit l’attention des deux jeunes femmes réglant ainsi deux questions. La blondinette avait conscience que sa capacité donnait d’étrange situation. Son gabarit ne permettait aucune supposition. Si elle avait bons nombres d’angoisses qui put causer des troubles aucuns n’étaient visibles à la table. Elle passait peut être pour une adolescente souffrant de boulimie. Mais ce jugement ne l’affectait jamais autant, que de devoir renoncer à un plat, pour faire bonne mesure.
Elle avait souffert d’une enfance trop surveillée. On lui prêtait un estomac de moineau du haut de ses quelques centimètres et de sa taille à la limite de la faire passer pour maigre. Son exile au Canada avait sonné l’air de la liberté alimentaire. Depuis lors sa mutation se développer plus régulièrement. Tout était donc lié. Elle savait que ce n’était pas aussi simple pour Koji. De par leur proximité elle avait assisté à plusieurs crises. Puisque le sommeil, lui devenait de moins en moins nécessaire, les journées de Virginie duraient bien vingt heures. Il lui arrivait souvent le soir de frapper à la chambre 221. Peu à peu les habitudes s’étaient esquissées. Ils leurs suffisaient d’être installés face à face sur le lit de lire, de parler, d’écrire. Touts ce qui avec la présence de l’autre devenait plus… épais et appréciable. Les migraines étaient chassées en même tant que la faim par chocolat et partage.
Manger avec les couverts chinois lui semblait corolaire de l’appréciation du repas lui-même. Ainsi regardait-elle avec sérieux Koji tenir les morceaux de bois et le laissa prendre en charge le placement des doigts. C’était un peu comme à la danse quand la professeur regardait la posture et la rendait parfaite par une prise de pouvoir sur la chaire de l’élève. Et tout aussi douce et humble qu’alors Virginie acquiesçait en testant sa compréhension par l’action. Sa connaissance de la coordination fût sans doute un atout décisif. En quelques minutes le mécanisme devint plus clair. Ses prunelles se relevaient ainsi souriantes vers la porteuse de met.
Bien sûr, la chaleur de Koji ne lui était pas invisible, ni le charme qu’elle produisait sur le monde. Mais cette chaleur était si habituelle et si pure, que jamais elle ni sentit une connotation de séduction dans celle-ci. Non pas, que Koji et elle, ne cherchaient pas à se plaire l’un l’autre. Puisque tout être cherche la réaction et l’approbation de l’autre. Mais il n’y avait aucun enjeu amoureux entre eux. Et qui pensait le contraire, ne les voyait pas assez dans leur quotidien, pour comprendre leur relation. Et comme la jeune fille n’avait jamais envisagé cela le regard la surprit avec une authenticité intimidante. Une rougeur naissante rehaussa le teint de ses joues. Ce n’était ni de la honte, ni de la crainte, mais l’impression diffuse d’être déloyale à ses propres sentiments. Alors sans brusquerie elle éloigna ses mains pendant que celle de Koji rejoignait ses cheveux.
-« Peut être que ce que l’on montre rappel l’image d’un couple. Mais je crois qu’ils n’ont jamais vu une amitié sincère pour envisager si vite cette hypothèse. »
Virginie croyait sincèrement que deux êtres pouvaient s’aimer sans que cela évolue forcément vers le sentiment amoureux. Peut être parce qu’elle pensait que l’amour n’avait aucune frontière que celle qu’on lui impose. Et quoi qu’elle n’ait jamais nié que Koji fût un être beau, elle savait que son amour pour lui était aussi unique qu’il était clair. Elle ne lui avait encore jamais parlé de cet autre amour qui florissait. De ce jeune homme qu’elle appelait. N’ayant jamais été amoureuse elle ne savait pas si ces sentiments là pouvaient impunément porter ce nom. En prenant un premier morceau de légume avec l’allégresse d’une critique elle se demanda… elle se demanda si ce quiproquo n’était pas une porte ouverte.
Plusieurs fois le sujet lui était venu. Mais à chaque fois un frein s’interposait. Soit celui qu’elle se mettait elle-même en bâillon. Soit que la vie les happait avant les premiers mots. Pourtant c’était une question si importante de sa jeune vie. Etre amoureuse. Cela lui semblait aussi grave et magnifique que d’être heureuse. Puisque Koji en faisait parti elle aurait voulu qu’il lui donne son avis. Son en tant que mutant mais comme un ami. Celui qui écoute et conseil sans qu’on le lui demande vraiment.
-« Koji… »
Il savait qu’elle hésitait toujours. Ses yeux bleus fuyaient et cherchaient tout à la fois. Il lui avait parlé de William ce matin. Est-ce qu’évoquer un autre garçon n’était pas… maladroit ? Confidence pour confidence… Maintenant qu’elle avait entamé reculé lui semblait encore plus embarrassant. Surtout que son interlocuteur avait une acuité déstabilisante. Elle eut un sourire. Telle une enfant prête à réciter son poème tout en appréhendant la faute.
-« En fait… eh bien… tu sais je… j’ai… il y a un garçon. Luc. Eh bien je l’aime beaucoup. Je veux dire. Un peu, oui même beaucoup, comme tu… toi, tu aimes, tu as aimé William. Enfin je crois. C’est que je… je ne sais rien de tout cela, tu sais. Je n’avais même pas pensé à cela avant que ça… me tombe dessus. »
Maintenant elle rougissait belle et bien, conscience de l’incohérence de son discours. Rien que de penser à cela, la rendait hésitante, nerveuse et en même temps heureuse. Elle ne bougeait plus se demandant au juste ce que cela amenait. Et comme toujours s’être ainsi livrée lui donnait envie de s’excuser. Raconter sa vie lui paraissait inutile et ses propos superficiels. Pourtant la cheffe, la confidence de Koji tout l'avait ramenée à son propre cas. En néophyte elle butait. Pourtant son cœur battait à la chamade rien que d'entendre sa voix. Tout était prétexte pour penser à lui.
-« Mais lui, Luc c’est différent. C’est comme s’il avait allumé un feu. Enfin je ne sais pas comment décrire. Mais je crois que lui c’est spécial. Tu sais comme quand le simple fait de penser à lui ça fait briller le monde. Je sais c’est un peu… enfantin. Mais je crois bien que je suis…
Le mot resta entre ses lèvres. Parce qu’il lui semblait trop sacré pour être dilapidé. Et que si par malheur elle se trompait. Une carafe d’eau avait été posée sur la table. Virginie la regarda une seconde. Elle envisagea de se servir. A présent elle se sentait idiote. Car en voulant dire, elle avait l’impression de n’avoir rien dit. Alors que Koji avait été si limpide devant le tableau. Il lui semblait que tout son trouble pouvait être agaçant. Peut être n’était elle pas assez érudit justement pour aborder ce sujet.
-« Je suis désolée, enfin non, j’ai eu envie de t’en parler. Parce que c’est important ce genre de chose. Mais je ne sais même pas si c’est cela être.., l’être. Je ne peux même pas te l’expliquer. »
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Ven 22 Jan 2010 - 19:44
« Ce serait avec plaisir. »
C'était que tous les lieux que Koji avait longtemps fréquenté partageaient quelques caractéristiques qui en faisaient comme le domaine exclusif d'une certaine bourgeoisie et d'une certaine aristocratie, qui consentaient à se mélanger aux intellectuels, pour peu qu'ils veillassent à ne pas déroger aux règles de la politesse, et quoique le jeune homme eût souvent connu des artistes qui ne fissent pas partie de ces mondes que lui-même n'appréciait pas, mais qu'il était contraint de côtoyer, car c'était eux, véritablement, qui faisaient vivre ce à quoi il s'intéressait (l'art, la culture), non qu'ils y comprissent quelque chose, mais bien, et c'était une chance, que par snobisme ils pensassent qu'il y avait du lustre à les financer, il avait fréquenté ces marginaux chez eux, dans l'intimité d'une conversation partagée, et n'avait jamais pénétré trop avant dans leur milieu à eux – comme d'ailleurs il n'avait pas pénétré dans les milieux aristocratiques et bourgeois où il ne se trouvait que par accident, lors d'un vernissage où il se rendait non pour briller, mais parce qu'il connaissait l'artiste qui exposait : c'était que l'ermitage de Koji à l'Institut ne naissait pas seulement d'une désillusion passagère, mais bien d'une aversion plus profonde pour les groupes, les sociétés et les classes, qui le rendait incapable de supporter d'en adopter assez les usages pour s'y intégrer parfaitement – qui faisait comme l'envers du monde où il évoluait, si bien que lorsque Koji sortait le soir, même pour s'amuser, c'était toujours pour aller chez quelqu'un qu'il connaissait, ou bien qu'il venait de rencontrer, et jamais pour se rendre dans un club, dans un bar ou une boîte de nuit, aussi calme fût-elle ; ainsi, s'il connaissait le jazz, pour en avoir parfois entendu et avoir retenu les musiques, quoique lui-même ne jouât que du classique, il n'avait jamais connu le jazz véritable, lorsque les musiciens dans un club sont à deux pas et que les cuivres diffusent dans l'atmosphère une chaleur subtile : alors quand il songeait que c'était une partie du monde de Virginie, une partie de la vraie vie de Virginie, de celle qu'elle vivait quand lui n'était pas là pour la voir, c'est-à-dire de cette vie qu'il n'influençait pas, et où il n'entrait pas un peu de lui, il trouvait qu'il était dommage de n'être jamais allé dans un club de jazz, qu'y eût-il été, il eût mieux compris la jeune femme, que des indices lui eussent été délivrés sur la manière dont elle sentait le monde, tant il trouvait (et il devait bientôt le sentir plus vivement encore) que la musique tenait à ce qu'il y avait de plus profond chez être, quoiqu'il comprît fort bien que sans Virginie, sans l'avoir jamais connu ou sans avoir jamais su qu'elle fréquentait ce genre d'endroits, il n'eût jamais éprouvé le désir de les connaître, et leur fréquentation n'eût jamais constitué pour lui un plaisir, si bien que ce n'était pas vraiment dans un club de jazz qu'il désirait se rendre, mais dans un endroit qui était quelque chose de Virginie.
Car sans doute ce que Koji éprouvait pour Virginie, c'était quelque chose comme de l'amour, mais qui trouvait dans l'amitié un terrain où s'exprimer sans inquiétude, et où l'autre, l'autre seul avec toute sa vie, était l'objet de tous les intérêts ; c'était à vrai dire un amour assez différent de celui, plus charnel, qu'il avait pu avoir pour William, ou pour bien d'autres, et dont il n'avait jamais saisi qu'il était possessif. Quelque intelligent qu'il fût, Koji ne parvenait pas à découvrir tous les aspects de ses propres sentiments, ce qui les causait, leurs causes secrètes, car les découvrir n'eût pas été une opération de l'intelligence, mais de la volonté qu'une âme pacifiée peut seul soutenir. Alors il ignorait que la séduction douce, insinuante, comme l'étreinte d'une plante tropicale, magnifique mais carnivore, était toujours une entreprise de domination au terme de laquelle ses amants, fascinés comme le sont les proies devant un grand prédateur, se livraient eux-mêmes à ses plaisirs, avant de se rendre compte que leur vie avait été effacée, que leurs gestes étaient toujours déjà sus, devinés, supposés, et qu'il n'y avait rien qu'ils pussent faire qu'ils n'eussent déjà faits dans l'esprit de Koji ; c'était alors pour eux comme une prison que cet esprit, et peu à peu Koji leur devenait aussi étranger qu'ils l'avaient cru un temps familier, et pour les mêmes raisons : parce qu'en quelques jours, il avait lu jusque dans les profondeurs de leur être, qu'ils avaient commis l'imprudence de lui livrer.
Sans doute cet amour de Koji tenait-il beaucoup à sa mutation, à cette capacité qu'il avait de vivre en lui d'autres vies qui n'étaient pas la sienne, parce que son esprit et son cœur, dans tout le développement de leur intelligence, étaient capables de réfléchir assez et assez vite pour soutenir deux ou trois vies indépendantes, mais sans doute également n'avait-il aimé, en aimant des étudiants, des artistes, des intellectuels, que des gens qui, trop proches de lui, ne lui offraient aucune surprise, et dont il retrouvait les traits en lui-même, ou plutôt à une époque très antérieure de sa vie, aux débuts de sa mutation, lorsqu'il était comme eux, si bien que ce n'était pas tant eux que l'être qu'il avait été qu'il aimait et connaissait, et ces amours étaient des sœurs consolatrices qui dissipaient un futur trop incertain en faisant revivre le passé.
S'il avait pu rencontrer quelqu'un de moins cultivé, de moins intelligent peut-être, mais dont la vie et le caractère offrissent avec les siens des disparités assez grandes pour qu'entre eux il y eût la place de conversations infinies, son amour s'en fût trouvé sans doute plus sincère et plus véritable ; il en était très proche d'ailleurs, car ce n'était pas les préjugés de l'orgueil qui l'empêchaient de se tourner vers des personnes qui ne lui ressemblassent pas, mais le manque d'occasions : ces personnes, il ne les croisait pas, elles n'allaient pas dans les endroits où il allait, et d'ailleurs, désormais, il n'allait plus nulle part.
Peut-être le sourire de Yue Ying, et tout ce qu'il sous-entendait, eût été l'occasion pour lui de s'ouvrir sincèrement à ces perspectives et de commencer une recherche qui n'était pas frivole, parce qu'elle pouvait aboutir au renouvellement entier de son être, c'est-à-dire à la disparition de ce qu'il avait été jusque là, l'adolescent dont la mutation s'était déclarée et qui lui faisait peur. Alors sans doute il perdrait ce qui le rapprochait encore un peu des autres mutants de son âge, et même des adolescents : la peur de soi-même, de ce qui en soi cesse ce que l'on a été. Toujours était-il que ces considérations ne se faisaient pas encore en lui, parce qu'il ne songeait pas qu'il eût réellement pu être en couple avec Virginie.
« Eh bien, je crois surtout que... Disons que quand un jeune homme et une jeune femme se promènent ensemble, on suppose que c'est un couple. Parfois on dirait que la société... se fossilise. »
Il n'était pas évident de savoir si ce que Koji regrettait, c'était qu'un jeune homme et une jeune homme ne pussent paraître simplement des amis, ou bien que le couple se réduisît encore à l'association typique d'un homme et d'une femme, mais quelque hypothèse que ce fût, il ne semblait pas qu'il s'en trouvât particulièrement affligé : il avait pour la société, et c'était à peu près l'humanité en générale, le même sourire indulgent, mais un peu triste, qu'il avait quand il lisait dans le livre de tel universitaire des propos qui lui semblaient hasardeux mais, nés du simple emportement de la jeunesse (quoique l'auteur dût bien avoir soixante ans), moins dangereux que s'ils eussent été les fruits d'une réflexion véritable.
D'ailleurs, pour l'une des hypothèses au moins, qui était la difficulté que l'on avait encore à s'imaginer que deux jeunes hommes qui se promenaient ensemble fussent un couple, il fallait bien reconnaître que Koji n'avait jamais eu vraiment à en souffrir : ses relations avaient été si discrètes qu'il n'avait jamais entendu qui que ce fût les commenter, et jamais su ce que l'on en pensait. Il était d'ailleurs la plupart du temps hermétique aux opinions d'un monde qui lui semblait s'agiter si loin de lui qu'il ne lui paraissait pas seulement probable qu'elles pussent l'atteindre.
Il eut un instant l'impression que c'était sa propre indifférence à ce que l'on crût qu'ils fussent en couple qui lui faisait lire dans les réactions de Virginie, dans son regard, dans ses mains, une inquiétude autre que celle que pouvait amener cette simple confusion, mais lorsque son prénom s'échappa des lèvres de la jeune fille, il lui sembla qu'elle avait réellement quelque chose à lui dire dont l'ampleur, du moins l'ampleur intime, c'est-à-dire l'ampleur véritable, dépassait le sourire entendu de Yue Ying, le regard distrait que pouvait poser sur l'un ou l'autre membre du couple, bien réel lui, et allemand, qui déjeunait à côté d'eux.
Alors, parce qu'il commençait à la connaître, et qu'il avait compris qu'elle pouvait perdre ses moyens lorsqu'on semblait trop lui prêter d'attention et qu'elle avait quelque chose d'important à dire, et qu'il savait qu'elle le connaissait, qu'il savait qu'elle sentirait qu'il l'écoutait avec attention, il laissa son regard dériver, quitter le visage de Virginie et se perdre dans le vide, non par distraction, mais pour l'entendre véritablement sans paraître la sonder, avec une tranquillité patiente et compréhensive dont il espérait qu'elle encouragerait la jeune fille à mener sa confession à son terme.
Peut-être devait-il à cette disposition calme de ne pas trop songer à lui-même lorsque Virginie lui parlait, et de ne pas surprendre, au détour de chacune des impressions de la jeune femme, la trace de ses propres impressions, qui sans doute l'eût ramené aux souvenirs qu'il avait évoqués devant le portrait ; peut-être aussi cette évocation n'eût-elle pas été aussi douloureuse et eût-elle acheminé, un peu plus et à nouveau, ces souvenirs vers leur mort effective, qui était aussi la promesse d'une vie nouvelle. Sans doute aussi y avait-il peu à voir entre la manière d'aimer de Virginie, et celle de Koji, et ainsi les impressions qu'elle décrivait, quoiqu'elles ne fussent pas si extraordinaire que le jeune homme ne reconnût pas qu'il s'agît effectivement d'amour, ne ressemblaient pas d'assez près à celles que Koji avait si souvent ressenti, de sorte qu'elles ne trouvaient pas en elles à se fixer, aucun endroit par lequel les tirer de nouveau à la surface.
Ce n'était donc pas la peine d'un amour désormais absent que la confession de l'amour naissant de Virginie éveillait en lui, mais une tendresse amusée pour la jeune femme, pour ses hésitations, pour ses maladresses, et pour son obstination à ne pas vouloir nommer ce qu'il lui paraissait à lui, si évident. En réalité, il lui semblait que les doutes de Virginie n'étaient pas profonds, et qu'en toute sincérité, elle eût su le nom à donner à ses sentiments : mais dire le nom, c'était faire vivre la chose, et alors il faudrait s'en occuper, et Koji comprenait que cela pût être effrayant.
« A word is dead When it is said, Some say. I say it just Begins to live That day. »
Lentement, et comme au rythme des vers si courts, si simples, d'Emily Dickinson, le regard du jeune homme était venu rejoindre celui de son amie, et ces yeux noirs, d'une profondeur inhabituelle chez une personne de son âge, et dans lesquels il semblait que toutes les pensées de Koji venaient se cristalliser pour, dans une ultime opération de l'esprit, se cristalliser et livrer au monde l'éclat de leur sagesse, sondaient ceux de Virginie, avec une délicatesse de vieillard.
« Tu sais, Virginie... Il n'y a d'amour que ressenti. Il n'y a pas une chose immortelle et invariable qui serait l'Amour, à laquelle un sentiment devrait se conformer pour être de l'amour. Un sentiment est de l'amour lorsque tu le dis. Tant que tu ne le dis pas, il est un sentiment impalpable entre toi et quelqu'un. Pas moins réel, mais moins communicable. »
Ce n'était qu'à présent qu'il comprenait que, une fois de plus, les réflexions qu'il formait pour venir en aide à quelqu'un d'autre, et qui lui semblaient appartenir de tout temps à son esprit parce que celui-ci n'avait pas de difficulté à les former, quoiqu'en réalité, quelques aisées qu'elles lui fussent, elles ne lui en étaient pas moins nouvelles, s'appliquaient autant à sa situation qu'à celle de Virginie, mais d'une manière différente. Ce sentiment en lui qui portait encore le nom d'amour, mais qu'il ne disait plus à personne, n'était plus guère qu'un deuil, et comme il n'aspirait plus à le dire, qu'il n'était pas même sûr de le faire s'il voyait William, ce n'était pas même des cendres d'où cet amour pouvait renaître : c'était bien une tombe, qu'il se contentait d'entretenir consciencieusement.
Pour décisive que fût cette révélation, elle ne lui en était pas triste pour autant, et en songeant qu'il laissait ainsi s'éloigner de lui ce qu'il avait cru être assez puissant pour lui faire abandonner le monde, se retirer à l'Institut, et qui en effet, dans les premiers temps, l'avait été, mais qui, ayant mûri, avait donné des fruits qui semaient désormais leurs propres grains, il comprenait qu'une partie de cette vie nouvelle qu'il avait tant souhaitée mais qu'il n'avait pas eu le courage, encore, de se représenter tout-à-fait était désormais en lui enfantée.
Comme ces réflexions d'abord lui avaient semblé devoir être tristes, il avait détourné son regard de celui de Virginie, pour le poser évasivement sur son plat, si bien que maintenant qu'il comprenait qu'elles ne l'étaient pas, c'était les crevettes de sa salade, et non les yeux de la jeune femme, qui jouissaient du spectacle de son regard incertain, fasciné par l'étendue du futur impensé qui s'offrait à lui.
Cependant, il ne cessait pas de songer aux propos de la jeune femme.
« What's in a name ? That which we call a rose By any other name would smell as sweet. »
Les vers de Shakespeare, comme ceux à l'instant de Dickinson, reportèrent son regard vers la jeune femme.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 23 Jan 2010 - 17:48
Virginie était une londonienne. Ainsi avait elle connu toute sa vie cette cité. Pourtant aucun de ses quartiers ne l’avait particulièrement adoptée. Comme elle n’avait cherché aucun foyer à véritablement intégrer. Il avait fallu que le hasard et la chance s’unissent pour la mener dans ce lieu incongru. Quoi qu’il n’y avait jamais vraiment de hasard, pour que cette jeune fille ait faim à l’arrivée d’une nouvelle heure. Et peu de chance, qu’elle resta inerte sous la pluie battante d’un automne glacé. Il ne lui avait fallu que quelques secondes pour entendre les accords de la trompète. Et telle la Belle qui se laissait entrainer vers la quenouille, Virginie s’était laissé envoûter par la musique. Etant capable de trouver du charme à toute chose, elle n’avait jamais connu une élection de ses goûts. Pourtant ce soir là il y avait eu de l’alchimie. Pour la première fois l’adolescente s’était sentit dans son monde. La lumière tanisée. L’odeur du café entrain de chauffer. Les voix graves des adultes. Son entrée n’avait rien brisé. Elle avait put se fondre dans l’atmosphère sans avoir à se cacher. Dés lors ce club était devenu son petit refuge extérieur. Si déroulaient des soirées de médiations, de travail, de simple laissé aller au plaisir d’être loin de tout le reste de sa vie. Bien vite le patron avait vu cette habituée et l’avait couvée avec discrétion. Que tout ceci soit présenté à Koji démontrait combien la jeune fille tenait à la fois à la musique et à l’amitié.
Une amitié qui évoluait chaque jour. Aussi lente et reposante qu’un ruisseau. Ils pouvaient se connaître, par des milliers de choses insignifiantes, qui faisaient leur vie. Il n’y avait pas de crainte pour elle : d’avoir vécu déjà trop de chose avec Koji. Elle n’imagina pas non plus que leur relation pouvait souffrir de l’habitude. Il n’y avait pas ce besoin, de déstabiliser l’autre, de lui rappeler à quel point on était unique. Car chacun en avait conscience. Et si Virginie ne perdait pas sa prudence, si elle essayait toujours d’être agréable à vivre, au moins la nécessité de la perfection s’était diluée. Elle pouvait se permettre d’être de mauvaise humeur où distraite. La colère ne faisait toujours partie de ses libertés elle restait prisonnière. Le problème se poserait peut être un jour. Peut être le monde redeviendrait assez fou pour la retrancher. Quoi qu’il en soit Virginie en grandissant restait la plus pacifique des résistantes.
Résistante elle pensait l’être sur plusieurs fronts. C’est du moins ce qu’elle se plaisait à dessiner dans son existence. Son statut de pigiste dynamique l’avait fait monter au rang de reporter conciliante, pour finalement aboutir au rôle de plume cachée. Koji savait qu’elle avait un travail dans un journal. Plusieurs fois Virginie lui avait demandé son avis sur des articles qu’elle avait dût écrire. Ce n’était rien comparé aux papiers du jeune homme. Des condensés d’actualité, qui devenaient vétustes quelques jours à peine après leur parutions. Cependant Virginie y tenait. Plus encore depuis que qu’on l’avait contacté pour participer à un projet sans barrière gouvernementales. Elle n’avait jamais été une écrivaine, encore moins virulente. Cela ne l’empêchait pas de croire au pouvoir de la critique. Une critique qui en étant clandestine prenait la force de la révolution.
Alors quand son ami parlait de fossilisation, la jeune femme pensait aux injustices de classes, plutôt qu’à celles qui étaient encrées dans les mœurs privées. Bien sûr les préjugés ne la laissaient pas indifférente. Les archétypes de l’humanité l’attristaient. Elle qui ne correspondaient à aucun d’eux. Elle, qui passait son temps, à vouloir correspondre à ce qu’au fond elle préférait ne jamais devenir. C’est parce que Virginie était convaincue tout à la fois, que les règles étaient un poison, mais que ce poisons était son seul remède pour appartenir vraiment au monde. Cette contradiction la poussait à pleurer sa différence et à la préserver. Peut être réussirait-elle à assumer tout à fait ses choix. Ses opinions étaient encore phagocytées par sa lâcheté. Cela dit face à ceux qu’elle aimait c’est sa liberté qui s’exprimait avant sa prison.
-« Oui. Mais nous sommes là pour l’empêcher d’arrêter de grandir. »
Et elle disait cela avec une douceur ferme et persuadée. Son amour de la justice venait de son amour de l’autre. Il lui paraissait impensable que l’individu ne cherche pas à améliorer son monde. Le monde dans lequel il devait vivre. Le monde qu’il laisserait aux autres. Dans ce monde Virginie voyait tout ce qu’elle souhaitait voir disparaitre en même temps qu’elle y imaginait ce qu’elle voulait y faire naître. Une équité. Une équité pure et sans contrainte, qui se déverserait dans tous les aspects de l’existence. Que ce soit la marche tranquilles de deux hommes mains dans la main, où celle d’un mutant au physique hors normes. Peut être n’aurait elle jamais été aussi déterminée si mademoiselle Parish avait été une fille « comme les autres ». Mais la génétique avait créé sa quête.
Alors non Virginie n’était pas gênée qu’on lui prise pour la compagne de Koji. Et si dans une autre vie cette possibilité se présentait, assurément elle n’aurait pas hésité. Dans une autre dimension. Dans cette vie c’était bien Luc le gardien de ses battements. Et en prononçant le prénom de son ami la jeune fille voyait les conséquences de son partage. Heureusement pour elle Koji, qui était justement Koji réagissait toujours avec la douceur qui aidait. Et dans la seconde qui précéda la confession Virginie sentit la reconnaissance détendre imperceptiblement ses côtes.
Feuilli. Voilà l’impression que lui laissa son petit discours. Elle s’excusait d’avoir parlé. Parce que déjà la raison de cette prise de parole lui semblait bancale. Elle aurait peut être dû attendre d’être sûr… pour dire. Mais Koji, grâce à lui, ne ria pas. Il trouva recourt dans les vers chéris de la poétesse qu’il semblait elle aussi chérir. Virginie eut l’impression d’être démasqué. Car ce fameux mot Koji l’avait bien entendu. La délicatesse de ses yeux noirs la rendit muette. Peut être parce que le savoir qu’elle y devinait lui donnait envie d’entendre. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait souhaité : entendre l’opinion de Koji.
Encore une fois… oui encore une fois la conformité avait rattrapé sa pensé. Il avait raison. En plus Virginie avait pensé cela en pensant à l’histoire de Koji. Mais quand il s’agissait de sa propre histoire les codes reprenaient les rênes. Alors ce qu’elle souhaitait pour les autres elle se trouvait incapable de se l’offrir à elle-même. Cela aurait put la révolter. Révoltée par sa propre incohérence. Il disait juste. Et elle voyait sa propre peur. Elle se disait qu’en se référent à ce qui était convenu elle n’échouerait peut être pas. Ce raisonnement que les paroles avaient permit d’esquissé la laissait seule. Que deviendrait-elle si elle se trouvait incapable de communiquer la plus belle chose de l’existence ? Son cœur se débattait contre cette hypothèse. Et l’angoisse de manquer l’amour surpassa celle de mal le servir.
Shakespeare l’appela par la bouche de son confesseur. Virginie posa un regard inquiet sur lui. Parce qu’en lui révélant sa propre lâcheté il avait démasqué autre chose. Une chose plus vicieuse, plus enracinée. Et c’est avec l’anticipation d’un désespoir qu’elle lui demanda :
-« J’ai peur Koji, parce que je ne sais pas ce que je ferai si je déçois ce Roméo. »
C’était dit. Elle pensa à la complainte de la belle Juliette. A quel point celle-ci avait été certaine d’aimer. A quel point elle avait aimé. La passion. C’était une chose effrayante. En se permettant d’aimer Virginie avait peur de souffrir. Cette souffrance qu’on lui avait donnée durant son enfance. Cette souffrance qu’elle ne voulait plus jamais connaître. C’était un fait qu’elle ne pouvait pas assumer. Pas encore. Parce que cela lui aurait ouvert les yeux : sur cette incapacité à faire confiance à l’autre, au point de baisser les armes. Ce secret avait épuisé. Elle trouva réconfort dans un rouleau de printemps. Il était froid pleins de goût. Et ses pensées dérivèrent vers ses papilles. En quelques secondes son esprit chassait le reste. Elle était très douée pour cela fuir les soucis.
-« Comment ça s’appelle ? »
Son regard glissa sur chaque met avec un respect attendrissant. Elle piqua dans chacun des récipients. Et Luc ce cher Luc resta la pensée floue d’un bonheur éloigné. Maintenant la jeune femme pouvait se servir de l’eau. Elle le fit avec son agilité naturelle en proposant à son compagnon de tablé dans un sourire complice. Au bout du compte aussi simple que barricadée cette jeune enfant. Rien n’était jamais oublié. Mais rien ne résister jamais longtemps à sa volonté de paix. En éloignant les cheveux de ses joues elle brillait toute entière de gourmandise. Epiant chaque aliment avec l’attention d’une cuisinière qui s’ignore. Elle n’avait pas encore choisi ce qui serait fait pour le diner de noël. Tout était l’occasion de trouver des idées. Alors elle se rendit compte qu’elle ne savait même pas :
-« Que fais-tu le 25 ? »
Madame Ashton serait elle encore sur Londres ? ou bien son père. Ou encore resterait-il à l’Institut ? Beaucoup de mutant était délaissé par leur famille. Inutile de se demander pourquoi. Et si Virginie n’avait pas été aussi loyale qu’obstinée ses parents auraient profité d’une soirée de plus sans elle. Malgré cette connaissance leur fille restait. Parce que sa peur d'aimer était aussi poignante que son désir de l'être. Elle espérait toujours que ceux qui l'avait mit sur terre s'éveillent de leur noirceur.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 23 Jan 2010 - 19:15
Alors que se développaient en lui les possibilités de sa vie future, enfantée enfin dans l'instant présent, comme une fleur monstrueuse mais magnifique dont la croissance accélérée bat en pulsations à la surface des pétales, comme un organe immense, et que ces possibilités, devant ses yeux, parce qu'elles étaient encore originales, conservaient toute la puissance qu'avaient toujours pour Koji les choses incertaines, c'est-à-dire la puissance de faire agir son esprit et d'éveiller son désir, il comprenait que sa vie n'était pas la seule qui en cet instant dérivait vers des brumes opalescentes, et il songeait, en même temps qu'à la sienne (c'est-à-dire à toutes les vies qu'il pouvait vivre à partir de maintenant), à celle de Virginie, et il la voyait avec un jeune homme qu'il avait décidé d'appeler Luc, il se l'imaginait comme il aurait aimé que fût l'autre jeune homme, celui de son futur à lui, celui qu'il se sentait prêt à aimer, blond, un peu timide, sans comprendre encore que celui qu'il aimerait (peut-être) serait sans doute bien différent de ceux qu'ils avaient toujours aimés, parce que justement il faisait partie d'une vie qu'il n'avait pas encore vécue.
C'était à peine une question que les propos de Virginie, c'était presque une évidence, car ceux qui aiment, s'ils peuvent imaginer qu'un jour leur amour finira, ils ne peuvent se représenter guère que le moment où la rupture se produira, mais alors ce n'est pas la fin de l'amour, c'est la fin du couple, le moment où chacun commence à aimer l'autre de loin : alors ils imaginent ce qui se serait de vivre loin de l'autre en l'aimant encore, et c'est cela qu'ils croient être la fin de l'amour, et c'est pour cela que cette fin leur apparaît intolérable ; c'est que ce n'est pas la fin véritable, car l'époque où l'on cesse d'aimer (ou de haïr) est celle de l'indifférence, et la fin de l'amour n'est jamais douloureuse.
« Il est inscrit dans le rôle de Roméo d'aimer toujours Juliette. Cela dit... »
Koji, pour la première fois dans cette conversation, était un peu gêné : c'était qu'avant même de connaître William, et surtout de ne plus le connaître, avant même qu'il n'expérimentât les conséquences douloureuses d'une séparation qu'il n'avait pas souhaitée, il n'avait jamais cru aux amours romantiques ; ce n'était pas que les siennes n'eussent pas la douceur et la tendresse d'amours sincères, mais il sentait toujours qu'elles n'étaient pas faites pour durer, que du moins elles n'avaient pas la force inaliénables des passions qui lient deux autres persuadés qu'ils ne sauraient aimer quelqu'un d'autre. En somme, Koji était volage, et s'il savait qu'il l'était plus que la plupart des gens, il ne doutait pas cependant qu'il arrivât souvent qu'un des membres du couple déçût l'autre, et que l'amour se dissipât finalement.
Alors il ne voyait pas comment consoler Virginie, comment écarter une peur qui lui semblait si bien fondée. Sans doute aurait-il pu lui mentir, et il eût trouvé toute la rhétorique nécessaire à un mensonge convaincant, mais le mensonge ne faisait pas partie de ses défauts, et il songeait d'autant moins à l'employer que ce qui faisait, à ses yeux, la valeur d'une amitié véritable était la sincérité partagée par ceux qu'elle liait. Enfin, il trouvait qu'il entrait autant dans son rôle d'ami que dans son rôle de philosophe de ne pas toujours dire des choses agréables, et cette dernière considération, l'emportant sur les incertitudes qui lui restaient encore, l'emporta.
« Si toutefois le contraire devait arriver, eh bien... Tu souffrirais. Mais tu sais, Virginie, il y a des souffrances que l'on croit inextinguibles, et en effet elles le sont : elles détruisent toute la vie que nous avons vécue avant qu'elle n'y surgît, et nous passons des mois loin de tout, à être on ne sait qui, à attendre on ne sait quoi, et un jour, on comprend que les derniers lambeaux de cette vie meurtrie ont achevé de se détacher de nous, et que nous sommes nés enfin à une vie nouvelle. »
A mesure que les mots s'étaient détachés de la course de sa pensée, étaient tombés, et avaient formé, il lui semblait comme d'eux-mêmes, une constellation qui était les phrases qu'il avait dites sans plus y penser, Koji avait compris qu'il parlait autant de ce qui pouvait arriver à Virginie si un jour elle décevait Luc, et qui était en effet une douleur dont il savait maintenant qu'il était bon de prendre conscience parce qu'elle porterait en elle toute une vie encore en gestation, que de lui-même, et même des instants précis qu'ils venaient de partager ensemble et dans lesquels était venu s'exhaler le dernier soupir de son ancienne vie ; mais cette fois, parce qu'il l'avait dit, et que les sons avaient fait de ses pensées quelque chose d'en quelque sorte matériel, il mesurait toute l'ampleur de son changement, et ses yeux peu à peu perdirent de leur profonde noirceur, parce qu'un instant son esprit était occupé non de toutes les connaissances qui y perduraient, mais de l'incertitude de son monde nouveau, et dans son regard se répandait la fascination pour cette existence inédite, transformant les abîmes de réflexion en deux océans sombres, mais ponctués par les éclats d'une joie irréfléchie : puissance vitale.
Car désormais sa vie, la vie nouvelle qu'il était appelé à vivre, n'était plus la simple éventualité intellectuelle que son esprit avait déduit, ni même le continent encore vague que son âme avait deviné, mais une vie bien réelle et déjà en train de vécue, dans laquelle il sentait tout son corps engagé : il lui semblait qu'il sentait son cœur battre dans son torse, son sang pulser dans ses veines, et même l'air pénétrer ses poumons avec une irritation enivrante. C'était le monde, le monde réel, qu'il sentait en cet instant aussi inextricablement mêlé à lui que d'autres fois il le trouvait lointain et inconsistant.
Alors la question de Virginie le fascinait car, en attirant son attention sur la nourriture, elle lui faisait prendre conscience des liens qui existaient effectivement entre ce monde et son corps, et comme il y avait peu de distance entre la matière dont il était, lui, la forme, et la matière répandue dans le monde ; elle lui faisait prendre conscience aussi des liens qui existaient entre ce monde et le monde qu'il avait toujours connu : c'était les mêmes rouleaux de printemps, la même cuisine, le même restaurant, ce n'était pas en somme un nouveau monde, mais le monde nouvellement découvert, à la fois semblable et différent, et dans lequel il était toujours assuré de trouver quelque chose à quoi se raccrocher.
« Un rouleau de printemps. »
Et il avait prononcé ces mots avec un émerveillement si purement enfantin, et en quelque sorte si inexplicable pour qui ne pénétrait pas dans son esprit, qu'on eût dit qu'effectivement quelqu'un avait un jour trouvé le moyen de froisser une saison, de la plier et d'en faire un rouleau que l'on pût manger, même à Londres, même en hiver. Il avait recommencé à manger sa salade de crevettes, et ses mains tremblaient presque, comme d'une énergie trop longtemps contenue qui cherche à s'exprimer de nouveau.
Son regard avait fui le regard de Virginie, car il sentait bien que ce qui se produisait en lui tenait beaucoup à son histoire, et que c'était à peu près incompréhensible pour qui n'avait pas vécu précisément sa vie ; ce n'était pas qu'il voulût dissimuler à Virginie l'immense sursaut d'optimisme qui avait ressuscité beaucoup de ce qui il était avant (mais dans une vie encore antérieure, dans sa vie avant William, de sorte que ce qui rendait sa vie nouvelle, c'était à la fois une originalité, et la résurrection d'éléments très anciens) de sombrer dans le retraite et la nostalgie, le jeune homme vif et espiègle, hyperactif, survolté, mais il avait conscience que les premiers signes de son être qui se reformait étaient assez proches de ceux de la folie pour que son amie pût en être effrayée, si elle continuait à trouver dans son regard l'éclat d'une vie intense qu'elle ne lui connaissait pas encore.
Et il lui semblait que son esprit, la puissance de son esprit, cessait de se cantonner à la conception laborieuse de théories complexes, à la manipulation toujours un peu douloureuse de souvenirs gigantesques, et s'étendait plutôt, sans oublier ces deux aspects, à tout le monde qui s'offrait à lui, pour le saisir, pour le posséder, le recenser, comme si tout ce qu'il voyait, il devait à présent s'en souvenir – et il ne savait pas que ce serait le cas en effet, et que cette faim de l'existence était une nouvelle étape de sa mutation, qui peu à peu le conduisait à assimiler complètement et pour toujours l'environnement dans lequel il évoluait, assimilation parfois douloureuse, plus douloureuse encore que ne l'avaient été les souvenirs involontaires, mais, finalement, intense et fertile.
Il lui fallut une demie-seconde (c'est-à-dire une éternité) pour comprendre pourquoi son amie s'intéressait à son emploi du temps précisément le vingt-cinq décembre, et lorsqu'il lui répondit enfin, dans sa voix vibrait un peu de cette énergie retrouvée.
« Eh bien, je ne sais pas trop. Ma mère est Japonaise, mon père athée : Noël n'est pas vraiment dans nos traditions familiales. J'ai reçu des invitations à droite, à gauche, mais je ne me suis pas encore décidé. J'ai envie... Je ne sais pas. Peut-être que j'irai dans un pays que je ne connais pas encore. Peut-être dans le désert. J'ai toujours eu envie de découvrir le Sahara. »
Ce n'était sans doute pas le décor typique d'un Noël que l'infinité sans cesse changée et toujours semblable des dunes de sable, mais Koji avait toujours apprécié la chaleur sèche, exigeante, presque inhumaine, des latitudes méridionales, et s'il n'avait jamais donné cours à son envie de parcourir un désert, c'était qu'il avait toujours envisagé, raisonnablement, qu'il n'avait rien à y apprendre : mais désormais, avoir envie de quelque chose lui semblait suffisant, au moins parfois, pour chercher à l'obtenir, et il entrait dans cette résolution autant de l'influence de Virginie que de l'énergie retrouvée de son ancien caractère. Sans doute aussi n'avoir pas connu les rêveries enfantines d'un Noël blanc, l'attente impatiente de l'arrivée des cadeaux au pied du sapin, les décorations enneigées de la maison, diminuait-il beaucoup l'extravagance d'un désir si opposé aux façons dont il était coutume de passer habituellement Noël.
Et à vrai dire, si Koji, enfant, avait pu souffrir de la froideur de sa mère, des distances qui gouvernaient leur vie de famille, ne pas fêter Noël ne lui avait jamais paru dommage, et c'était sans amertume qu'il avait évoqué l'absence de cette tradition dans celles de sa famille. Aussi ne songeait-il pas vraiment que, non l'absence, mais la présence de cette tradition dans celle de Virginie pût être une source de douleurs. Bien sûr, la jeune femme lui parlait si peu souvent (et même jamais) de ses parents qu'il se doutait qu'il y avait là dans sa vie une ombre, mais à cette ombre, trop occupé peut-être par la lumière envahissante qui éclairait en cet instant tout son être, il ne songeait pas ; sans cela, sans doute ce fût-il abstenu de demander à son tour :
« Et toi ? Tu as des projets ? »
Pendant qu'il posait sa question, il avait été contraint de détacher son sourire de Virginie pour le porter vers Yue Ying, qui venait emporter son plat, et rapporter la suite de la commande gargantuesque de Virginie. Déjà à côté d'eux le couple allemand avait fini de déjeuner, et peu à peu la salle se désemplissait : c'était l'heure où les travailleurs de la ville retournaient à leurs bureaux. Bientôt, le centre commercial s'emplirait d'une population nouvelle, plus jeune, celle des étudiants et des lycéens dont l'après-midi de libre permettait la visite des commerces.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Dim 24 Jan 2010 - 14:47
Son Roméo à elle, celui qui pouvait bien lui donner l’envie de renoncer à toute cette famille. Son Roméo n’avait rien à voir avec la création de Koji. Il n’était pas blond, mais brun, le brun des pays chaud. Celui que sa mère lui avait probablement légué. Il rayonnait de la force de sa jeunesse. Il avait une aura pleine de charme. De celle que la jeune fille n’arrivait jamais à éviter. Elle était attirée comme le papillon par la flamme et cela lui plaisait. Parce que se laisser envouter lui permettait encore une fois de rêver. Mais c’est surtout que, Luc, ô Luc n’était pas un garçon timide. Cet état de fait l’avait intriguée. Cette facilité à vivre. Celle la même que Virginie passait son temps à barricader. Il avait ce franc parlé, qui chassait toutes les fioritures, dont la jeune fille usait en permanence. Il était différent. Différent de tous les jeunes hommes qui avaient habité son existence. Bien sûr, elle avait vu au lycée, les futur Don Juan, Valmont et Casanova de sa génération. Ils avaient tous leur arme. Ils avaient tous créé des drames. C’était sans doute ce qui avait retenu Virginie. Et même si un sourire avait parfois chamboulé son rythme cardiaque, un jeu de mot fait briller son regard, un simple mouvement fait trembler ses membres. Jamais ceux là n’avaient put prendre place dans son psychisme autrement que comme des accidents d’Eros.
Luc avait surement fait sombrer beaucoup de cœurs. Tout comme Koji, qui aussi volage qu’attirant, avait eu bon nombre de conquête. Il avait probablement vécu plus que Virginie ne voulait bien l’envisagé. Il était peut être déjà entré de rencontrer quelqu’un. Une autre. Mais ce qu’il avait déclenché, sans le vouloir, ne pouvait plus s’arrêter. C’était aussi absurde que de vouloir arrêter un ouragan. D’ailleurs elle aimait cette tempête. Elle lui prouvait que sa vie ne se résumait pas… ne se résumait pas à quoi ? A des hypothèses, des fantasmes. Luc était de chaire et de sang. Il avait un regard qu’elle avait retenu. Il avait un rire. Toutes ces choses qui faisait de lui Luc et non pas un autre. Toutes ces choses qu’elle avait vues avec sa douceur coutumière. Toutes ces choses, qui sans qu’elles ne le préméditent, avait filé la trame d’un sentiment. Elle ne pouvait d’ailleurs expliquer pourquoi ce fût lui, ce jour là. Et au fond à quoi lui servait-il de le savoir ? L’amour a ses raisons…
La suspension dans la réponse l’incita à lever les yeux. Koji était toujours délicat. Cependant, elle le savait –parce qu’elle était pareille sur ce point- Koji ne lui mentait pas. Il ne lui avait jamais voilé la face. Et c’est aussi ce que la jeune fille savait aimer dans leur relation. Il n’essayait jamais de la conforter dans des raisonnements erronés. Dût-il pour cela la malmener un peu. Virginie était assez intelligente pour reconnaître dans ces instants la preuve direct d’une amitié. D’ailleurs elle n’avait pas réellement conscience que ceux qui la côtoyait la voyait si fragile. Et que donc ils envisageaient toujours le meilleur moyen de ne pas la brusquer. Entretenant ainsi, malgré eux, le besoin de douceur de la jeune fille.
Virginie entendait ce qu’il lui disait. Elle n’avait pas oublié qu’il avait connu un William. Il savait sans aucun doute mieux que quiconque ce dont il était question. La jeune mutante n’était pas la plus romantique des anglaises. Si son esprit partait quelques fois à la recherche d’un prince charmant, il se cantonnait aux rêves. Elle avait comprit très tôt (sans doute trop tôt) que les relations humaines étaient friables. Et elle croyait sincèrement que la personne qu’elle était n’avait pas de quoi peupler la vie tout entière d’un autre. Avant même que la relation n’ai posé ses effets Virginie la voyait s’effacer. Et cette prophétie la terrifiait avant même qu’elle n’eut la possibilité de se réaliser. Accepterait-elle encore d’être mise en lambeaux ?
-« Et si… et je, j’arrête je ne pourrais pas éviter de, de finir malheureuse ? Si je peux faire en sorte que Luc n’ait pas passer par ça ? »
Cela signifiait s’effacer encore une fois. Mais si c’était là la réelle solution. Ne rien avoir à vivre pour n’avoir à rien à regretter. Une théorie déchirante. A laquelle l’adolescente se serait livrée corps et âme si elle n’avait pas encore plus fort le désir de vivre. Dans une vie où pour l’instant elle se trouvait devant un banquet asiatique aux promesses chatoyantes. Elle s’y plongeait plus avidement encore. Imaginant un cuisinier aux yeux bridés aux gestes harmonieux. Il y avait dans tout cela l’attrait de la nouveauté. Dans ce pèlerinage gustatif la réponse de Koji s’accordait parfaitement avec son enthousiasme. Tant, que Virginie eut envie d’en rire. Comme quelques secondes plutôt elle s’était sentit prés à renoncer.
Il n’avait pas voulu d’eau et elle n’avait pas insisté. En réalité elle n’insistait pas, ou peu. Seulement lorsqu’elle sentait qu’un refus put conduire à un danger. Car Virginie avait dût, si vite, s’habituée à agir seule qu’elle se comportait de même avec le monde. Le libre arbitre qu’elle chérissait le plus dans tout ce qui pouvait constituer un être humain. Pourtant, dés que le moindre indice de mal être où de besoin se dessinait chez l’autre, la jeune fille devenait envahissante. C’est qu’elle refusait de voir la souffrance là où elle pouvait la combattre. C’était une obsession : tout ce qu’elle n’arrivait pas, ne pouvait pas, faire pour elle, elle l’offrait aux autres. C’est probablement ce qui lui permettait de dépasser sa timidité. Quand le hasard lui faisait croiser la route d’un individu en quête d’assistance. Chaque acte ne cherchait pas la reconnaissance du moins pas consciemment. Il était la concrétisation de sa certitude inavouée, être utile à quelque chose.
Cela dit à cet instant Virginie était propre au plus bel égocentrisme. A l’écoute de ses sens. Elle laissait chaque saveur la capturer. Parce qu’il lui fallait quelques refuges. Des raisons de se concentrer, sur son propre bien être, sous peine de couler. Parce qu’elle avait intuitivement comprit, que sa vie ne pouvait pas se construire entièrement, sur le bonheur des autres. C’était ses premiers échecs qui l’avaient aidée. Quand elle avait été blessée trop vite pour des raisons trop petites. Elle avait accepté doucement d’être d’abord un individu. Un individu fait de pensées. Il lui fallait des choses à elle. Il lui fallait apprendre à être égoïste. Un égoïsme que la première vaguelette faisait encore et toujours virer de bord. Alors même en pensant à elle Virginie réussissait à penser aux autres.
Koji ne fêtait pas noël. Cette révélation la chahuta. Elle l’attrista un peu pour lui. Il n’avait donc jamais habillé le sapin, écouté les enfants chanter dans l’Eglise. Virginie ne savait pas au juste si elle croyait en quelque chose, en ce dieu et ce jésus. Ses parents se disaient catholique sans jamais en suivre le dogme. Ils donnaient parfois quelques sous. Ils allaient deux fois l’an à la messe. Mais à part cela…
La déception qu’elle avait éprouvée une seconde avait été bousculée elle aussi, par la curiosité. Il est vrai. Elle oubliait parfois. Son ami avait beaucoup voyagé. Il n’était pas partit depuis qu’elle le connaissait. Et souvent elle réclamait le récit d’un de ses voyages. Quand son propre imaginaire cherchait des sources riches et excitantes. Quand elle voulait entendre sa voix de conteur développer cette part de sa vie. Le désert… ce mot la transportait vers un fantasme enfantin. Elle le regardait l’imaginant entouré de sable et de soleil. Un carnet de voyage fabuleux. Un sourire éclatant murmura avec enthousiasme :
-« Les caravanes avec les chameaux. Ça doit être… féérique. Les oasis et les voyageurs. Je me suis toujours demandé comment ils faisaient pour se repérer. Les étoiles ne tiennent pas pendant le jour et les dunes les dunes changent. Ho Koji c’est une bonne idée ! Tu me raconteras n’est ce pas ? »
Tout à cette idée elle ne pensait pas que la question put lui être retournée. Pourtant elle aurait dû. Puisque c’était là, la base de tout échange. A peine eut il demandé que la réponse écrasa le dynamisme de la jeune fille. Yue Ying soit louée pour son intervention fortuite. Koji fut distrait et c’était tant mieux. Virginie ne savait tout simplement pas faire la comédie. Elle avait beau y mettre toute sa bonne volonté elle ne savait pas dissimuler. C’était handicapant mais c’était ainsi. De la peut être croyait on sa naïveté elle qui vivait chaque instant comme le premier de tous les autres.
Non elle ne parlait pas d’eux. Pour la simple et bonne raison que Virginie n’aimait pas souffrir. Elle ne pensa pas à en vouloir à Koji de la ramener à cela. Parce qu’obligée de l’observer maintenant elle voyait parfaitement à quel point il se sentait bien. Il avait l’air optimiste. Non pas celui qu’elle connaissait tranquille et sage. Celui d’une jeunesse éclatante. A travers son propre trouble cette vision l’enchanta. Un sourire attendrit lui échappa alors que son cœur essayait de ce concentrer sur cette nouveauté. Mais l’écho de la question remuait tout ce qu’elle voulait éviter de dire. Non pas pour préserver l’image de ses parents aux yeux de son ami, mais pour se préserver elle de quelques vérités. Le mieux était encore de répondre le plus sommairement possible. Elle essaya de garder une voix neutre et fit mine de d’étudier son second plat.
-« Je vais chez mes parents. C’est le plus… simple. On ne s’est pas… réunis depuis l’accident sur la Trans Atlante. »
Parce que vu, cela, elle l’avait fait. Sa mère était indifférente. Pourtant Virginie avait passé les derniers mois à s’occuper de son quotidien. Elle avait négligé tout jusqu’en août pour être présente. Elle avait même réussit à ne pas le montrer. Sauf peut être à quelques rares instants d’imprévus. Jouant avec ses différents emplois du temps, usant de toute son énergie. Parce qu’elle refusait qu’on connaisse cette part de sa vie. Celle où elle n’était que l’image de la déception. C’était trop infernal pour être partagé. Elle ne se plaignait pas, parce qu’elle se l’interdisait. Elle avait des principes. Et qu’importe le prix pour vue que les siens aillent bien. Maintenant tout allait mieux. Le dernier rendez–vous avec les spécialistes avait été concluant. La chirurgie reconstructrice allait commencer en février. Elle pouvait souffler. Reprenant les rênes de sa pensée elle remarqua sur le ton de l’évidence :
-« Ils ont encore un peu besoin de moi. »
Car c’était cela leur relation la plus douce. Non pas que leur absence le 11 septembre dernier l’est surprise. Après tout qu’était ce que la majorité de leur fille unique. Parfois oui parfois tout cela lui laissait un goût amer. Elle aurait voulu avoir des parents différents. Elle aurait préférés des parents occupés, des parents à l’autre bout du monde. Plutôt que ce couple à quelques kilomètres à peine de l’Institut qui n’avaient jamais été là. Elle mangea un peu de riz et son regard pétilla.
-« Je voyagerai aussi, après. La France, l’Inde, l’Egypte. Il y a pleins de trésor ailleurs. »
Après quand ils la chasseraient pour de bon. Peut être lorsque sa mutation serait devenue trop visible. Son regard était ailleurs lui aussi. Elle se demandait si sa veille voiture tiendrait le coup. Si elle aurait le courage de passer un permis de moto. Parce que ce mode de transport lui semblait à la fois pratique et excitant. Elle tomba sur un morceau de bœuf caramélisé et son ses gestes s’arrêtèrent. Elle étudia sa trouvaille avec fascination. Puis ses yeux émerveillés se portèrent sur son ami.
-« Je crois que j’irais en Chine aussi… »
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Mer 27 Jan 2010 - 12:29
Sans doute les voyages de Koji avaient-ils fascinants, non qu'ils fussent peuplés d'aventures incroyables, mais simplement qu'en s'en souvenant si bien, le jeune homme parvenait à restituer aux pays qu'il avait visités une profondeur que n'avaient pas les images convenues des grands aventuriers, c'est-à-dire des aventuriers qui racontaient leurs aventures, c'est-à-dire ceux qui finalement en revenaient, par attachement à un monde qu'ils étaient incapables de quitter, et non les aventuriers véritables, qui après avoir parcouru le monde, s'arrêtent dans un village reculée, d'Angleterre ou du Pérou, dans le silence et le repos ; quand Koji parlait de Paris, il ne parlait ni des grands monuments, ni de ce que les petites rues pouvaient avoir de pittoresques : il parlait de la vie que l'on y menait vraiment, et qui, sous ses yeux seuls peut-être, s'entremêlait à l'histoire de la vie que l'on n'y avait toujours vécu.
Alors ce qu'il livrait à Virginie de ses voyages, c'était moins des récits, car Koji n'était pas un conteur, que des éclats de vie, des cristaux d'impression que la jeune femme pouvait diluer dans ses propres rêveries. De lui, Koji parlait peu. Ce qu'il avait vraiment vécu, ce qu'il avait vraiment ressenti, sans qu'il eût le dessein formé de le dissimuler, n'apparaissait que rarement dans sa conversation : ce n'était que des indices infimes qui s'y glissaient parfois.
C'était que sa vie, Koji avait compris qu'elle devait parfois demeurer secrète, et de cette nécessité il s'était fait une habitude : parce qu'il avait été souvent plus opportun de ne pas parler de tous ses diplômes, de ne pas laisser voir toute l'étendue de son intelligence ou bien, sur l'autre versant de sa vie, de ne pas révéler à l'amant du jour qu'il avait été précédé d'une dizaine d'autres, le jeune homme avait pris l'habitude de ne pas en dire sur lui plus qu'il n'en fallait, et cette habitude s'était tant fondue dans son caractère, qu'elle agissait sur lui même quand il conversait avec Virginie, et ainsi avait-il fallu de longs mois, jusqu'à aujourd'hui, pour qu'il se décidât enfin à parler de ce qui lui tenait à cœur, de William.
D'ailleurs, peut-être lui en parlait-il maintenant seulement parce que, justement, William ne lui tenait plus à cœur, et commençait à se détacher peu à peu de lui, si bien qu'il n'avait plus vraiment part à sa vie actuelle. Peut-être aussi le dévoilement progressif de sa vie nouvelle, qu'il sentait maintenant à même de faire couler le sang dans ses veines, qu'il sentait vraiment, avait-il emporté un peu de cette habitude qui maintenait, entre lui et les êtres qu'il pouvait aimer le plus, la distance parfois charmante, mais souvent douloureuse, et même un peu froide, d'un mystère. Peut-être enfin y avait-il chez lui tant de patience et de volonté d'écouter les autres, qu'il s'oubliait véritablement dans le cours d'une conversation, et ne se souvenait de lui-même qu'une fois seul, au moment où il n'y avait plus personne à qui il pût se dire.
Et c'était à nouveau cette dernière tension de son âme, celle qui le portait invariablement à dissiper en lui ce qui, pour d'autres, eût constitué le limon nécessaire à la croissance d'une personnalité véritable, pour accueillir les mots et les gestes de son interlocutrice, qui faisait germer dans son esprit une autre personnalité, celle de Virginie, qu'il capturait quelques instants pour l'examiner, en comprendre les douleurs, et tenter de les consoler. Sans doute s'il avait révélé par quels états passait successivement sa personnalité à un psychiatre eût-il été considéré fou.
Koji ne trouvait pas, en général, beaucoup de difficultés à percer l'âme de Virginie. C'était d'abord que la jeune femme, grâce à leur amitié, et peut-être poussée par une habitude à faire confiance, ne tentait pas en général de la lui dissimuler. Mais aussi, Virginie n'était pas une menteuse chevronnée, et même lorsqu'elle ne mentait pas vraiment, qu'elle se contentait de diminuer la charge de sentiments qui animait une parole, comme elle tentait de le faire en parlant à cet instant de ses parents, il semblait si évident à Koji que la neutralité de son discours était affectée qu'il doutait parfois qu'elle eût vraiment eu dessein de lui cacher sa douleur.
Il avait souvent remarqué que, de ses parents, elle ne parlait jamais. Et comme ce silence était sans condition, sans allusion, il avait décidé de ne pas tenter de le briser le premier, et quand même elle n'y ferait qu'une fine fêlure, de ne pas chercher à l'augmenter. Il savait que les douleurs indicibles étaient les plus vives, de celles qui ne se résorbent, et Koji n'était pas assez optimiste pour croire que tout traumatisme pût se dissiper. Il ne le souhaitait même pas, et quelque violence qu'il y eût entre Virginie et ses parents, il croyait, sans en savoir la nature exacte, qu'elle jouait un grand rôle dans la formation de la personnalité de la jeune femme : c'était cette douleur, aussi insoutenable qu'elle pût paraître, qui faisait un peu des qualités de Virginie.
Mais pour lui, sans lui en rien dire, il avait cherché quelle pouvait en être la cause. Les informations étaient peu nombreuses, et il était réduit à supposer que, peut-être, les parents de Virginie n'avaient pas supporté d'avoir une fille qui fût mutante. Mais cette supposition était bien mince, et si peu étayée, qu'il n'eût pas été surpris d'apprendre qu'elle fût totalement fausse, et d'ailleurs, il n'y songeait jamais beaucoup, ni sérieusement, et se contentait de savoir qu'il y avait là une douleur qu'il ne pouvait expliquer.
Mais cette douleur n'était pas la seule qui brûlait dans les propos de Virginie, et le souvenir de l'accident la croisait. Cette catastrophe avait laissé Koji perplexe, qui ne l'avait contemplée de loin. De loin, parce qu'il n'y avait pas pris part, et parce que Virginie n'avait pas eu toutes les blessures qui lui eussent signifier, à lui l'observateur, à son retour, combien terrible tout cela avait été : il y avait les histoires, mais les histoires ne sont pas la chair. De loin, aussi, car en dehors des migraines et des insomnies, le corps de Koji n'avait jamais vraiment souffert : il avait vécu une vie protégée, il avait fait du sport (et commençait à en refaire), mais de sport extrême. Jamais il n'avait senti un os se briser, jamais on n'avait eu à lui ouvrir le corps pour le réparer. Il ne pouvait s'imaginer quel drame c'était.
Il savait, il pouvait se représenter, mieux que personne, ce que c'était qu'un massacre, mais ce n'était qu'une représentation intellectuelle, et aussi puissante que fût son imagination, elle ne pouvait pas œuvrer sans matériau : il n'avait pas en lui d'impressions qu'il eût pu saisir pour modeler la scène de l'accident. C'était, dans son esprit, une scène toute intellectuelle, comme le souvenir d'un autre qu'on le regarde de loin, film insonore en noir et blanc.
Alors, comme il était un peu désœuvré, ce ne fut pas aux ressources de sa rhétorique consolatrice qu'il fit appel, mais à son instinct plus immédiat, et qui était peut-être le fond de sa personnalité : il prit doucement la main de Virginie dans l'une des siennes, et inonda la jeune femme d'un sourire calme, et paisible, et chaleureux. Ces gestes, Virginie ne les avait jamais connus : c'était que Koji avait très vite compris que la jeune femme n'appréciait pas le contact de la chair, ou peut-être le craignait-elle simplement, et il l'avait toujours évité, mais c'était aussi qu'en venant à l'Institut, Koji avait retiré de son existence tout ce qui en faisait la vie vibrante, et qui lui avait valu, en d'autres temps et en d'autres lieux, une réputation sensiblement plus brûlante que celle d'ermite tranquille que son amie lui connaissait.
C'était peu dire, et dire presque quelque chose de faux, que de dire que Koji était tactile. Il ne passait pas son temps à toucher les autres, mais il le faisait (avant) souvent, et avec une telle précision, dans ses gestes, dans ses sourires, qu'il semblait que chacun d'eux avait le sens précis qu'ils eussent dû à voir pour être parfaitement consolants, ou séducteurs. Et c'était comme si sa peau vivait intensément, et qu'en touchant celle des autres, elle leur communiquait une vie que des siècles de réflexion avaient, non pas épuisés, mais tout au contraire rendue plus intense, plus riche et plus vibrante. C'était sa vie qu'après avoir sondé les profondeurs de son existence en se retirant à l'Institut Koji était en train de redécouvrir, et que, dans les quelques secondes qu'avait duré le contact de sa main avec celle de Virginie, il avait tentée de lui insuffler.
Mais sa main s'était retirée à nouveau, son regard s'était détourné. Il avait craint, peut-être, que Virginie ne supportât pas longtemps un contact qu'elle paraissait d'ordinaire évité, ou bien que la jeune femme fût trop surprise de découvrir, si soudainement (même si pour l'esprit si rapide de Koji les quelques minutes qui s'étaient écoulées depuis la révélation de sa vie nouvelle palpitaient comme des années de retrouvailles), toute une part de son être qui lui était restée dissimulée, parce que ces derniers mois elle avait cessé d'exister.
Sinon ce geste, il n'avait rien fait, il n'avait rien dit. Qu'eût-il dit, il le savait, qui eût rendu ces douleurs moins sensibles ? Chaque mot eût été une pierre sur lequel leurs parasites eussent pu se développer, et Koji savait que quand des douleurs ne pouvaient se dissiper, il valait mieux prodiguer un réconfort profond, mais silencieux, un réconfort de gestes et de sourires, qui ne donnait pas de prises, comme le faisait au contraire les mots, aux nouveaux souvenirs et aux nouvelles douleurs.
Les projets de voyage de Virginie le firent sourire, et lui inspirèrent pour elle la tendresse qu'il eût eu pour une enfant : c'était que les pays que la jeune femme se promettaient de découvrir, comme des trésors et des merveilleux, étaient devenus pour lui des lieux familiers, ce qui n'en diminuait pas à ses yeux le prix, mais leur donnait une saveur différente, qui n'était pas celle de l'exotisme. Dans chacune des capitales de ces pays, sauf en Egypte peut-être, il eût retrouvé des connaissances, sinon des amis, des cafés où il avait bu déjà, des chambres où il avait déjà dormi.
Mais quelque merveilleuses que lui semblassent toujours ces destinations, il était résolu désormais à faire entendre à Virginie qu'il y en avait une qui, pour être moins lointaine peut-être, n'en était pas moins plus pressante : il voulait qu'elle comprît que toutes les difficultés que pouvaient poser une relation n'étaient pas des raisons suffisantes pour qu'on l'évitât. Alors sa voix, douce, mais un peu amusée, car la pulsation vitale que le prenait y vibrait aussi, reprit la parole.
« Ce sont des pays charmants. Mais tu vois... Moi, je voudrais aller au Sahara pour me retrouver un peu seul. Pour faire le point, avec moi-même. Toi, il ne me semble pas que ce soit avec toi que tu doives faire le point. »
Et le peu qu'il connaissait de l'esprit de Noël, de l'esprit des fêtes, c'est-à-dire le peu qu'il en ressentait, quoiqu'il ne suffît pas à l'attrister de n'y pas participer, lui faisait assez voir quelle douceur il y aurait, pour Luc et Virginie, à s'y retrouver. Avec désinvolture, et en jouant un peu avec sa salade du bout de sa fourchette :
« Et puis, je ne sais pas où Luc habite, mais je suis certain que c'est une destination plus économique que la Chine. »
Et il espérait bien, aussi, du succès du voyage qu'il comportât pour lui une photographie de Luc, car Koji était curieux de savoir quel genre d'hommes, si tant que Luc fût de ces hommes qui incarnaient un genre, et dans lesquels l'on pouvait surprendre comme les traits distinctifs, sinon d'une espèce, du moins d'un certain style, attirait Virginie, car pendant longtemps la jeune femme lui était apparue si loin de ces sentiments que celui qui les avait fait naître lui semblait un objet digne de curiosité.
Cependant qu'ils parlaient, le restaurant achevait de se désemplir, et les serveurs commençaient à laver les tables, remonter les chaises, et disposer ainsi autour d'eux autant de signes, d'abord discrets, et enfin plus sensibles, qu'il était temps que l'établissement ferme. Sans doute espéraient-ils finir le service assez vite, et peut-être y en avait-il parmi eux qui poursuivaient des études, et qui enchaînaient cette vie à une autre vie, où ils rêvaient de devenir médecins ou avocats. Koji sentait qu'il était temps qu'ils partissent, et quelque confiance qu'il eût dans la protection de Yue Ying, il n'espérait qu'elle s'étendît sur eux indéfiniment.
Mais comme il trouvait plus important la découverte de Virginie, et la valse de ses plats, il ne songeait pas à la presser, persuadé d'ailleurs que la jeune femme, si sensible d'ordinaire à ce qui se passait autour d'elle, saurait remarquer comme il l'avait fait les signes de leur départ souhaité ; il attendait donc patiemment de savoir si elle avait fini, jetant de temps à autre, à Yue Ying, qui tentait d'évaluer dans son regard la durée encore future de leur repas, des coups d'oeil apaisants.
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Lun 1 Fév 2010 - 23:19
Koji et Virginie se ressemblaient dans une certaine mesure. Prompte à l’écoute et non la divulgation. Une discrétion, commune, qui les avait peut être rapproché. Quand aucun n’était prêt à se livrer au secret il suffisait de dériver vers d’autres chemins. Il y en avait tant de ces chemins. Un mot et la jeunette se laissait porter par une digression plus ou moins évidente. C’est qu’il y avait plus de facilité à aborder le reste du monde. Inutile de brusquer leur tempérament respectif. Ils étaient d’ailleurs bien trop doux pour cela. L’adolescente ne pouvait se douter, que le caractère volage de son ami avait créé, ce qui chez elle était de la pudeur excessive.
Quoi qu’il en soit. Et peu importe leurs raisons. La mutante apprécia que son interlocuteur ne cherche pas de détail. Que dans son silence il préserve un peu la digue qu’elle construisait. Parce que Koji était un esprit fin et généreux, Virginie sans en être surprise, en fût touchée. Elle espérait un jour pouvoir évoquer ces deux êtres sans avoir à en souffrir indirectement. En connaissant la mère de Koji sa propre situation lui apparaissait bien trop stupide. Il faudrait que cela change tôt ou bien tard. Son amitié pour le jeune homme lui donnait aussi une envie de progresser.
L’accident de la plate forme était un sujet tout aussi sensible. Virginie n’en avait pas parlé. Pourtant il lui suffisait de penser au goût du champagne, de ce soir là, pour frissonner. Il y avait eu bien trop d’horreur pour qu’elle cherche à s’en rappeler. Les enseignants avaient été attentifs. Ils avaient dit nombres de discours sensés apaisé. La meilleure solution que cette demoiselle avait put trouver était d’enfermer ce soir de juin dans une boîte. Une jolie boîte chimérique close et enterrée dans un inconscient surchargé. Connaissant l’erreur de Pandore elle ne l’imiterait jamais de son plein gré. Les interdis que l’on s’impose sont souvent les indestructibles.
Il n’y avait rien de charnel entre Virginie et les autres. Il en allait ainsi depuis qu’elle avait la conscience de son enveloppe. Ce n’était pas par froideur mais par une franche incapacité. Sa chaire ne connaissait pas la tendresse. Et ce que le corps ignore il le craint. Il n’y avait pas eu de geste consolateur dans sa vie. Ni même un semblant de frôlement. Ce n’est pas faute de glorifier la douceur et l’amour pourtant. Mais il y avait une frontière à passer. Une frontière que personne ne l’avait réellement forcé à passer. Ajoutons à cela un pouvoir physique dangereux. Plus il grandissait et plus ses mains de porcelaines appréhendaient la blessure accidentelle.
Elle savait que cela n’était pas des plus heureux. Qu’il y avait dans le contact physique une beauté dont elle s’excluait. Ne sachant rien faire elle ne faisait rien. Son esprit ne l’envisageait jamais autrement qu’un défi lourd de conséquence. Une maladresse désastreuse stoppait même l’ébauche de l’idée de toute tentative. Aucune rencontre n’avait put casser son fourvoiement. Le geste de Koji eut donc toutes les conséquences prévisibles. Le mal aise, le mal être immédiat. Parce qu’il était doux et amical ce contact Virginie s’empêcha de fuir. Cela dit elle ne pensait pas jusque là que ce genre de chose pouvait passer entre eux. En effet il s’agissait de nouveauté.
Dans cette saveur d’originalité ses projets avaient quelques choses de plus vifs. Face à un jeune Ashton vitalisé sa parole s’accordait sur une gamme joyeuse. Son regard innocent attendait la réponse. Le « mais » titilla sa curiosité. La fin du propos profita d’une attention redoublée. Il voulait s’isoler en lui-même. C’était tout à fait compréhensible… et puis… Quoi ? Il revenait à elle. Virginie baissa la tête. Comme si les paroles de Koji lui rappelaient ses propres obligations. Certes. L’Europe était à leur porte. Le riz cantonnai était un rien inintéressant à présent. Elle n’avait jamais réussi à mettre tout à fait de côté ce qu’on lui mettait sous le nez.
-« Oui tu as raison… Nantes ce n’est pas très loin. Mais je voudrais apprendre un peu mieux sa langue. »
Un beignet assaillit. Aussi perturbante qu’était la forme de cet aliment, elle ne la détourna pas tout à fait, du reste. D’abord parce que le timbre de la voix de Luc lui revenait à sa mémoire. Ensuite parce qu’un autre son envahissait le présent. Le tissu glissé sur le bois. Son regard suivit les mouvements et la compréhension transforma son regard. Ses yeux allèrent instinctivement vers la bienfaitrice, puis vers son protégé. Déjà ses doigts déposaient les baguettes en signe de reddition. Sa mine délivrait sa contrariété spontanée. Elle privait ses gens d’un peu de temps.
-« Koji, je retarde tout le monde… »
Sa main vola vers son sac. Vers son porte feuille de cuire usé jusqu’à la moelle rembourré de petits papiers agencés dans un désordre tout personnel. Avant de l’ouvrir l’adolescente réalisa son problème. La beauté ne faisait pas tout dans un restaurant. Elle n’avait pas pensé à demander. Son nez se fronça sous la force de son embêtement. Maintenant la petite Parish se trouvait idiote. Un embarra aussi sincère que vif colorait son teint. Puisque le temps pressait elle s’excusa d’une voix feutrée :
-« Je ne sais pas… ce qu’il faut donner.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Mer 17 Fév 2010 - 17:28
Peu à peu les serveurs commençaient à leur envoyer des signes de plus en plus intelligibles que leur présence gênait, et Koji sentait bien que toute l’amitié de Yue Ying ne pourrait pas les empêcher de venir leur faire remarquer, sans doute avec une politesse délicieuse, que le restaurant allait bientôt fermé. Un instant, il soupçonna que la contrariété qui naissait sur le visage de Virginie venait de ce que l’on interrompait son repas, ou du moins menaçait de l’interrompre, mais les paroles de la jeune femme le ramenèrent à une compréhension plus authentique de son contraire, dont il s’étonnait même qu’il eût pu la négliger : Virginie s’inquiétait beaucoup moins de ses propres plaisirs que des désagréments qu’elle pouvait causer aux gens, quand même elle ne les connaissait pas.
Le regard de Koji dériva lentement vers Yue Ying, et d’un sourire discret il lui indiqua qu’ils allaient partir. Ce n’était d’ailleurs pas tout à fait nécessaire, parce que non seulement la jeune femme avait déjà préparé l’addition, mais depuis quelques minutes, elle observait rêveusement Virginie, et par une sorte de rêverie dont Koji n’aurait pas eu du mal à deviner le contenu, même s’il avait été moins perspicace qu’il ne l’était. Sans doute était-ce que ces rêveries ne lui étaient pas tout à fait étrangères, quoique les siennes ne fussent pas peuplées des mêmes personnes qui habitaient celles de Yue Ying ; alors, pour la première fois, il songeait qu’un peu de la sympathie qu’il éprouvait pour la jeune femme tenait à cette sorte de particularités qu’il partageait. Cette découverte le surprit un peu, parce qu’il n’avait jamais vraiment songé que ce fût une particularité, ou plutôt il n’avait jamais cru qu’il y songeait comme à une particularité. Il découvrait que c’était le cas ; en réalité, il découvrait, depuis le début de ce repas, depuis même qu’il avait croisé Virginie dans les allées du centre commercial, bien des détails de son esprit auxquels il n’avait jamais prêté attention, toute une vie intérieure de son âme qui frôlait les limites de sa conscience, mais n’y pénétrait quasi jamais.
Durant les quelques secondes qu’il fallait à Virginie pour étendre la main, ouvrir son sac et sortir son portefeuille, Koji songeait à cette curieuse aventure intérieure qui était la sienne. Comment se faisait-il qu’aujourd’hui seulement il prenait conscience d’une des complexités de son être ? Il s’était toujours flatté d’avoir de soi-même une connaissance parfaite, de pouvoir étendre sa conscience jusqu’aux moindres replis de son âme ; car après tout, s’il y avait un esprit qui en fût capable, ce devait être le sien. Mais il comprenait maintenant qu’aucun esprit, pas même le sien, n’en était capable. Les progrès de sa conscience étaient néanmoins indéniables, et ils venaient s’ajouter à une toute une série d’autres progrès de son intelligence, de son observation, de sa perspicacité, qui lui laissait voir plus que clairement ce qu’il soupçonnait déjà depuis quelques semaines : son pouvoir était en train de prendre de l’ampleur et lui, Koji Ashton, évoluait. Il avait longtemps regardé ces évolutions, dont il savait qu’elles finiraient par se produire, avec une sorte d’inquiétude, persuadé qu’il était qu’en opérant de grands changements de son esprit, elles modèleraient son être si profondément que celui qu’il avait toujours été cesserait d’exister, qu’il se trouverait entièrement différent, et que ce serait un peu comme mourir. Mais à présent qu’il voyait que l’extension de son intelligence lui permettait de mieux se comprendre, et pas seulement de mieux comprendre le monde, d’assembler en une histoire cohérente des séquences de son existence qui lui apparaissaient trop éloignées pour coexister, ou même simplement de considérer qu’il était plus compliqué qu’il ne l’avait cru d’abord, cette inquiétude se dissipait, il cessait de songer qu’il allait mourir et il comprenait qu’en réalité, il ne faisait que grandir, mûrir, un peu comme n’importe quel autre adolescent, mais d’une façon extraordinairement plus complexe et plus rapide.
Il avait fini de sonder les recoins de son âme, et songeait à quelques poèmes chinois, quand Virginie lui fit part de son ultime trouble. Les prix n’étaient pas affichés sur la carte, et c’était le signe un peu inquiétant qu’ils n’étaient pas à la portée de toutes les bourses. Koji le savait, et il n’avait jamais songé à entraîner Virginie dans un repas qui dût être sa ruine. Un sourire calme passa sur son visage juvénile, qu’éclairait, dans une demi-lumière tranquille, les premiers rayons de soleil de l’après-midi.
« Ne t’inquiète pas, c’est sans importance. »
La vie près de Koji présentait souvent cette particularité que ce qui semblait avoir de l’importance pour tout le monde n’en avait aucune pour lui, et que ce que tout le monde pensait être la matière quotidienne et indifférenciée de la vie se présentait à ses yeux avec une complexité dont il tirait des trésors de nuances. Si bien qu’il était rare que pour ses proches, la puissance intelligence du jeune homme se contentât de simplifier les lois complexes de l’existence en expliquant leurs détails ; on avait souvent l’impression qu’il substituait à ces lois d’autres lois, des règles plus intimes qu’il était le seul à voir, et l’image de la vie qu’il laissait paraitre dans ses actions et ses discours n’était pas plus claire, plus calme et plus rassurante, mais au contraire plus étrange et plus mystérieuse, jusque dans ses moindres détails.
Il s’était levé et avait commencé à se dissimuler sans se presser dans son manteau, dans son écharpe, avec cette élégance au goût du temps qui lui donnait l’air d’un jeune homme à la mode, et même d’un séducteur des beaux quartiers. Puis, emmenant Virginie avec lui avec un sourire, il s’approcha de la caisse où veillait Yue Ying. Elle ne lui présentait plus l’addition depuis longtemps, habituée qu’elle était à ce qu’il retînt le prix de tous les plats et fît seul le calcul du prix à payer, d’ailleurs bien plus vite que ne saurait le faire sa machine. Il sortit une liasse de billets de la poche intérieure de son manteau, et Yue Ying les fit disparaitre dans le comptoir avec l’aisance et la discrétion des serveurs des restaurants un peu chers, qui fait que l’on a un instant l’illusion de ne rien avoir payé.
Les deux jeunes gens échangèrent quelques mots en chinois, et au détour d’une phrase que Koji avait prononcé avec un sourire un peu amusé, les joues de la cheffe de rang s’empourprèrent. Elle marmonna une réponse avec une moue un peu contrariée, puis ils se quittèrent sur un sourire. Comme elle ne dit rien à Virginie d’autre que toutes les politesses que l’on dit à un client qui s’en va, la jeune mutante était contrainte de supposer que Koji avait réglé leurs deux repas.
Le jeune homme fit quelques pas jusqu’à la rambarde de bois donnant sur le puits qui perçait tous les étages du centre commercial, de sorte que l’on pût se pencher pour y jeter un coup d’œil, et observer la magnificence du bâtiment, la foule des clients et la diversité des échoppes. Comme il l’avait prévu, la population avait changée : les clients étaient plus jeunes. Les magasins de vaisselle et de décoration intérieure se dépeuplaient au profit des magasins de vêtements et de jeux vidéo. Le centre commercial changeait de visage et s’éveillait à une seconde vie.
Pendant quelques longues secondes, plus longues même qu’à l’ordinaire, son observation sembla l’absorber complètement. Ses yeux sautaient d’un groupe de clients à un autre avec une vivacité surprenante ; pendant quelques secondes, il suivait la silhouette d’une femme, puis dérivaient sur la vitrine d’un magasin, ou plongeait un peu plus avant dans le puits, et découvrait, au détour d’une allée qu’on apercevait de loin, un nouveau groupe. Ses longs doigts fragiles couraient machinalement sur la rambarde, comme s’ils parcouraient le clavier d’un piano dont les touches eussent été invisibles, et de temps en temps, il fredonnait quelques notes d’une mélodie.
Soudain, son regard bondit hors du puits pour se poser sur l’allée qui, à l’étage, longeait juste en face d’eux les autres restaurants, et soudain, son regard se rétrécit, comme celui de l’oiseau de proie qui, après une observation nerveuse de la prairie, a repéré le lapin sur lequel il va fondre. La proie dont son regard semblait isoler tous les gestes et toutes les particularités était un jeune homme blond, de taille moyenne, qui se promenait en tenue décontractée avec un groupe d’amis, et dont les yeux bleus jetaient, de temps à autre, des regards étincelants sur le reste de l’étage.
« Hmmm… La meilleure solution, c’est encore de s’immerger. »
En un instant, sa voix semblait avoir franchi les contrées lointaines (mais pas tant que cela) où son esprit avait vagabondé pour revenir vers Virginie, aussi naturellement que si elle ne l’avait jamais quittée. C’était comme si la réponse qu’il donnait aux propos que Virginie avait prononcés plusieurs minutes plus tôt, à propos de Luc, de Nantes, de la langue française, avait été immédiate.
« Mais enfin, si vraiment tu veux apprendre les bases avant de partir, je pourrais t’aider. Je suis sûr que nous trouverons des manuels à la bibliothèque de l’Institut. C’est que je t’envoie que sans soutien pédagogique, je serais un peu incertain quant à l’endroit par où il faut commencer. »
Il avait beau lui parler, son regard restait captivé par le trajet du jeune homme inconnu et de son groupe d’amis, par leurs hésitations infinies quant au fast-food qu’ils allaient finalement choisir pour déjeuner. Finalement, il laissa échapper un long soupir, et son regard revint se poser sur Virginie. D’un léger signe de têtes, il lui désigna le groupe de jeunes gens.
« Regarde le jeune homme blond. Il est amoureux de la fille à côté de lui. A chaque fois qu’il parle, il jette un discret regard vers elle pour voir comment elle réagit, mais le reste du temps, il se sent obligé de regarder tout à fait ailleurs pour que personne ne remarque son attention. Mais il devrait se hâter de lui demander de sortir avec lui, parce que le jeune homme brun… »
Son regard avait de nouveau dévié vers le groupe de jeunes gens, mais non sans s’être bien ancré dans celui de Virginie, comme pour l’y attirer à son tour.
« … risque de le prendre de vitesse. Observe comme il fait tous les efforts du monde pour fendre le groupe et marcher à côté d’elle. Il a commencé à mettre une eau-de-Cologne à laquelle sa peau n’est pas habituée : regarde comme son menton est rouge. Le cuir de ses chaussures ne se plie pas encore avec son pied : elles sont neuves. Il a fait des efforts récemment quant à son apparence, il se prépare à tenter quelque chose. »
Une seconde, Koji eut un moment d’incertitude, et puis son sourire se fit un peu mélancolique.
« Je crains d’ailleurs que les tentatives de l’un et de l’autre soient vouées à l’échec. Elle ne leur prête qu’une attention amicale, mais ce ne serait rien si elle n’était pas déjà amoureuse. Regarde son sac de cours, il est couvert d’inscriptions, de sorte qu’on n’y prend pas garde. Mais entre le « Make love not war », le triskèle et le symbole hippie, en bas, à droite, il y a un cœur dessiné avec des initiales à l’intérieur. »
Insensiblement, le regard du jeune homme se détache du groupe des amis pour revenir sur Virginie, et avec une douceur profonde, une douceur de vieillard, il murmura.
« Les mots ne sont pas toujours très importants. D’autres choses parlent pour nous. On a bien le temps d’apprendre la langue, le moment venu. »
Puis son regard s’enfuit, et avec un air de parfaite désinvolture, comme un adolescent normal s’adresse à une amie avec laquelle il a décidé de faire une sortie shopping.
« Tu as encore d’autres magasins à voir ? »
Virginie Parish
Type Sigma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 6 Mar 2010 - 16:01
Connaissez –vous ce malaise quasi irréfléchi ? Celui qui sournoisement se diffuse dans les fibres de votre être. Virginie en connaissait la teneur bien plus qu’il n’aurait dû l’être permit pour son âge. Bien sûr elle avait grandi… un peu. Mais cette conscience d’être in désirée, lui venait si vite et avec tant d’authenticité. Tout avait été si doux ici, que la simple possibilité d’y être désagréable, la rendait confuse. Il lui fallu voir le calme de Koji pour que cette gêne soit quelque peu maîtrisée. La jeune femme savait que son compagnon de tablée ne les aurait jamais laissé franchir la barrière de l’impolitesse. Ils devaient donc s’extirper de cette petite pause asiatique. La goûteuse n’avait aucune envie de quitter cet endroit. Il y avait encore trop de chose à découvrir. Son palais avant besoin de plus de choc. Ce n’était qu’un pas de naine sur la route de la soie. Alors décider de partir était aussi contrariant que l’idée de rester sans y être invitée. Heureusement les mœurs avaient tellement d’incidence sur ses actes que rien n’y paru. Jamais elle n’aurait put mettre en péril l’image de Koji volontairement. Ce restaurant était l’un de ses gites familiers. Elle n’y était que l’amie. Entacher son univers lui semblait affreux.
Avait-elle perçu alors qu’un peu d’elle avait déjà marqué ce bout de présent ? Yue Ying et sa douceur était encore de l’ordre du cadeau imprévisible. Tout à sa recherche embêtée la jeune londonienne ne voyait rien. Il lui échappa les échanges silencieux des deux asiatiques. Elle vit les paquets à ses pieds sans les considérer. L’odeur des glaces flottait innocemment dans l’air et s’associa au départ à venir. Le réceptacle de sa finance comme toujours sonna l’alarme intérieur. Il faudrait bientôt qu’elle aille renouveler quelques papiers. June lui avait aussi demandé de s’occuper de quelques affaires. La « lib corp » prenait beaucoup d’espace dans sa vie. On l’avait prévenue. Elle ne s’en plaignait pas. Il y avait quelque chose de rassurant à se savoir toujours occupée.
Bien sûr. Rien de tout cela n’avait vraiment d’importance avec lui. Ce n’était pas parce que sa famille était millionnaire qu’un déjeuner ici ne coûtait rien. C’était parce qu’avant tout, il faisait preuve de ce calme souverain, qui rappelait à quel point les futilités étaient friables. Il n’y avait jamais de problème avec Koji. Il y avait d’abord les solutions. Après des mois Virginie ne s’y habituait pas tout à fait. C’était si loin de son mode de fonctionnement. Alors ce jeune sage avait le doux effet de tempérance, celui dont elle avait besoin. Bien souvent il éclairait une situation avec tant de mesure que cela la désarçonnait. Il était sans doute le maître d’œuvre de quelques uns de ses progrès. Et cette mutante pleine de pudeur l’avouait au travers de discussions aux apparences légères.
Parce qu’elle se demandait comment son ami faisait pour être comme il était. Pourquoi tout lui semblait si acquit ? Alors qu’elle le savait en permanence empli des interrogations les plus complexes. Il y avait en lui un secret. Des choses cachées un rien mystérieuses qui le rendait intriguant. Il avait un effet sur le monde qui la dépassait. Peut être sa conscience aigue des choses était seule responsable ? Quoi qu’il en soit Virginie se leva à sa suite. Il n’y avait pas de tissu à remettre sur sa peau. Koji était le seul exécuteur de ce rituel protecteur. Il était frileux et ce détail l’attendrissait toujours. Il avait un attachement à l’aspect qui l’amusait. La société n’y voyait qu’un hobby de la gente féminine. La demoiselle y décelait le respect de la beauté. Avec une mère comme la sienne comment le mettre de côté ? Il était beau parce que tout son charme était auréolé de soin. Le même soin qu’il portait sur chaque chose…
Les hanses de ses sacs passèrent dans ses mains. Un jeu d’équilibre l’obligea à les chahuter un peu. C’était entre ses doigts la même fermeté et délicatesse que l’aurait eu la fiancée avec le bagage de sa robe à porter. Virginie avait la douceur au bout des ongles et ne pouvait s’en défaire. Cela dit la sienne, la robe retrouvait d’elle-même les courbes. Un pas derrière son guide culinaire. Un pas en retrait pour lui laisser l’espace suffisant. Le pas qu’elle n’avait pas encore effacé. L’échange entre la commerçante et le consommateur fût aussi fluide que le reste. Virginie avait vu sans le relever par la parole. Ils parlèrent. L’expatriée d’un instant écouta leur mélodie. Le teint rosi lui fit détourner le regard par respect. Par égard pour cette femme charmante la gourmande se fit discrète. La dame ne lui demanda rien. Un simple coup d’œil au garçon lui confirma l’hypothèse première.
Koji lui offrait le repas. Malgré l’écart entre leur niveau de vie, Virginie refusait d’en faire une habitude. L’indifférence qu’elle portait à l’argent lui permettait de ne pas s’attarder sur un avantage dont elle ne voulait pas profiter. Avec la grâce de ses années elle s’inclina face à la cheffe avec un sourire plein d’une retenue encore timide. Et les mots lui vinrent sur le ton un rien fragile et sincère qu’elle pratiquait encore tellement.
-« Merci pour tout. Je me suis régalée. »
Ils quittèrent la Chine. Virginie était prête à reprendre leur épopée. Elle trouva arrêt devant le puit en effet. La contemplation de son compagnon était si prévisible qu’elle se laissa portée par l’exercice. Là où il voyait des groupes la demoiselle voyait des pas pressés, des esprits occupés, des inconnus par centaines. Jeunes vifs et absorbés. Ses yeux bleus s’attardèrent sur d’autres personnes. Celles qui lui en rappelaient d’autres. Celles qui la surprenaient. Sans le regarder mais avec beaucoup de douceur elle put enfin s’exprimer sur la question.
-« Et merci à toi de m’avoir invitée. »
Ils étaient là. Deux jeunes gens silencieux et tranquille dans une fourmillère. Virginie sentait la peau de son ventre légèrement tendu par son excès de zèle. Repue et heureuse d’avoir développé son goût. Les choses imprévisibles devenaient donc parfois les meilleures. Ils avaient encore du temps. Par où aller ? La proposition elle non plus ne la surprit guère. Il avait cette habitude de revenir sur les mots. Ce n’était jamais pour les survoler. Alors l’élève déposa ses affaires encore une fois. Sa silhouette se pencha délicatement vers le bas. Ses propres mains s’accaparent le verre formaté. Distraitement elle regarda.
-« J’en ai trouvé un déjà. Mais il est si… indigeste. *Son visage alla vers lui. Un sourire accompagna les deux mots : Merci Koji. »
Les mêmes que prononcés voilà quelques secondes. C’était instinctif honnête et sincère. Puis elle l’imita dans son acte d’espionnage. S’en même y réfléchir c’est sur la chevelure brune qu’elle s’arrêta. Elle l’étudia déambuler, y cherchant les points communs avec Luc. Les indications lui arrivèrent avant qu’elle n’englobe le groupe tout entier. Il lui fallu se contraindre à suivre le trajet pédagogique. La jeune fille… Elle parlait. Les mots semblaient relever des pants de vérités. Koji lui ouvrait lentement les yeux. Comment pouvait-il savoir tout cela ? En effet le cuire ne se pliait pas. En effet ils la regardaient tous les deux, mais…
Quoi ? Déjà amoureuse ? Virginie chercha les initiales sans vraiment y croire. Mais si elle était là : S et T qui étaient ils tous les deux ? A qui appartenait le « S » ? Amoureuse… Maintenant l’apprentie se concentrait réellement sur la jeune inconnue. Elle la voyait répondre, sourire, rire aussi. Une personne comme une autre… au cœur prit. Avait-elle conscience de ce qui se passait ? Virginie pensa à son propre sac et rougie automatiquement. Koji avait il remarqué le dessin qu’elle avait elle-même gravé ? Elle se prit de sympathie pour cette fille dont elle partageait un secret. Un sourire confus se fondit sur ses lèvres. Etait ce donc aussi simple de se trahir ? La conclusion du maître l’incita à le regarder. Oui… Il y avait bien d’autres choses pour… une suite. Un voyage.
Une inspiration grande et solennelle indiqua son entente. Il y aurait quelques jours de liberté après cette semaine. Elle pouvait. En secouant la tête elle sourit de sa désinvolture. Il était ainsi. A lancer une pierre dans la mare puis à quitter la berge. Il fallu quelques secondes à Virginie pour éloigner les remous. Elle glissa tout cela dans un coin. Le centre commercial, les achats, que devait-elle faire ? Une rapide énumération mentale. Avec ce qu’elle avait là et à sa chambre…
-« Non aucun. On rentre ? »
Il était tout juste quinze heures. La journée survivrait encore un peu. Elle n’avait pas fait mine de reprendre ses effets. Car même si pressée de quitter le monde, elle ne l’était pas assez, pour s’arracher à cette nouveauté avec violence. C’est donc lentement que ses pieds se remirent en mouvement. Ces quelques heures avaient été bien trop généreuses en révélation : L’amour de Koji, cette femme magnifique, les mets, les initiales. Alors qu’elle venait acheter de la laine. C’était ainsi souvent. La vie était remplie de tout. Elle connaissait le chemin de la sortie mieux que tous les autres. Aussi le parking où attendait son tas de ferraille. Mieux encore celui jusqu’à l’Institut.
La foule ne facilitait pas le dialogue. Les escalators descendaient doucement. Virginie laissait un peu de leste à ses pensées. Elles allaient libres, d’une rêverie à une question, d’une crainte à une joie. Tout ce qui lui permettrait d’occulter un peu le picotement de sa peau, trop prés de la chaire des autres. Jamais au fond elle ne pourrait s’habituer à cela. Tout était ralenti. La patience était obligatoire. Pied posé dans le grand hall. Qu’avait prévu Koji avant de la croiser ? Elle ne voulait pas lui voler du temps. Elle ne voulait pas s’imposer à lui comme toujours. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir envie de prolonger ce jeu du hasard. Ils avaient dit beaucoup. Elle avait apprit de lui. Même sans cela sa présence lui était bénéfique.
Koji Ashton
Type Gamma
Sujet: Re: [RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé) Sam 6 Mar 2010 - 18:57
Il n’y avait guère que Koji pour mesurer l’ampleur de son pouvoir, et même lui échouait à en saisir tous les détours, tout ce qui le jetait loin, si loin du monde que fréquentaient les autres êtres humains, car beaucoup de ce que son pouvoir lui permettait demeurait invisible aux yeux de ceux qui le fréquentaient. Sans doute le jeune homme était-il trop conscient de la distance qui le séparait du reste du monde pour ne pas vouloir que cette distance se réduisît, ne fût-ce qu’un peu, dans le regard de ceux qu’il fréquentait ; alors il leur dissimulait ce qu’il savait, ce qu’il pouvait savoir, quelle était la richesse véritable du monde qui se présentait à son esprit. Alors, bien souvent, il leur apparaissait comme quelqu’un d’extrêmement intelligence, d’une intelligence rare, mais comme une sorte de personnes que l’on retrouvait parfois, dans de grands laboratoires, dans de grandes universités : un génie parmi une dizaine d’autres, et simplement très précoce. Ce qui faisait de lui un mutant, ce qui ôtait à cette intelligence toute commune mesure avec celle d’un humain normal, demeurait souvent invisible.
Et Koji n’était pas sans profiter de ces circonstances qu’il forgeait lui-même : il avait très tôt pris conscience que la manière la plus efficace de jouir des extraordinaires capacités qu’il s’était découvertes était d’en laisser une bonne partie dans l’ombre, et de ne surtout pas les révéler. Apparaitre comme un doux amateur de poésie et un philosophe un peu excentrique, mais parfaitement inoffensif, était la meilleure défense qu’il avait trouvé, et le meilleur moyen qu’il connaissait pour se frayer un chemin vers ce qu’il désirait, et loin de ce qui le repoussait. Ainsi n’était-ce que rarement qu’il laissait voir à quelqu’un de quelle manière son intelligence pouvait s’appliquer, non seulement sur des problèmes abstraits, mais aussi bien sur des situations réelles, sur des êtres vivants et pensants à partir desquels il tirait des conclusions, échafaudait des hypothèses et déterminait, pourquoi pas, un plan d’action.
Et lorsqu’il le faisait, il était difficile de savoir si cette soudaine révélation faisait partie d’une nouvelle stratégie, ou bien si elle était le signe d’une élection, d’une confiance insondable qu’il avait décidé d’accorder à la personne à laquelle il laissait entrevoir une nouvelle partie de son esprit. Sans doute l’extrême douceur qu’il avait manifestée à l’endroit de Virginie depuis qu’il l’avait rencontrée, le jour de son arrivée à l’Institut, était le signe d’une semblable élection, et excluait qu’il pût se comporter avec elle en suivant quelque stratégique que ce fût. Sans doute.
Koji se doutait bien que désormais sa jeune amie s’inquiéterait peut-être de savoir ce qu’il pouvait deviner sur elle, en l’observant, en relevant et en interprétant les petites signes où transparaissaient, sans qu’elle en eût conscience, son être. Peut-être était-ce également pour qu’elle ne se sentît pas trop malaise dès le début de leur relation qu’il avait jugé bon de lui dissimuler l’habitude qu’il avait de moissonner dans l’apparence des personnes qu’il rencontrait, et en quelques secondes, ce qu’elles croyaient ne pouvoir se révéler qu’à ceux qui les connaissaient bien, et même, parfois, des secrets. Que la jeune femme était très, trop sensible au regard que les autres pouvaient poser sur lui, c’était ce qui n’avait pas échappé à sa vigilance.
Mais il avait nourri ce jour-là les mêmes pensées qui s’agitaient dans l’esprit de la jeune femme alors qu’ils s’acheminaient vers la sortie du centre commercial : leur relation avait assez progressé pour qu’il ne craignît pas que la jeune femme prît peur et se fermât à lui, pour une raison de ce genre. Ils avaient vécu de longs mois dans une amitié croissante, mais jamais ils n’avaient atteint, dans leurs discussions, des sujets aussi intimes, ni ne s’en étaient ouverts, lorsqu’ils les avaient effleurés, avec autant de sincérité. Et puis, Koji avait changé, comme il changeait toujours : à une vitesse vertigineuse, et au gré de révolutions successives dont il était parfois le seul à s’apercevoir, et le seul à sentir que sa vie en sortait entièrement bouleversée.
Il y avait toutefois des choses qu’il ne disait pas à Virginie. C’était que l’occasion ne s’était pas présentée, peut-être, mais il y avait des détails de son existence, et certaines de son habitude, que Koji n’était pas disposé à révéler, fût-ce à l’amie la plus sincère et la plus sûre qu’il eût eu depuis de longues années, depuis toujours. C’était à ces choses qu’il songeait alors que l’escalier mécanique descendait graduellement vers le rez-de-chaussée, et que sur la rampe d’à-côté, il observait rêveusement les mains, jeunes encore, de ceux qui montaient vers les autres magasins, vers les restaurants. Il y avait sur elles les signes invisibles pour d’autres qui lui révélaient leurs activités : celle-ci était la main d’un dessinateur, et celle-là de quelqu’un qui avait triché à ses examens. Et ces informations traversaient son esprit sans qu’il y prît garde, et sans qu’il y prît garde non plus s’y fixaient.
Lorsqu’une main était assez belle pour le tirer de ses souvenirs, ses yeux remontaient avec une désinvolture quasi professionnelle le long du bras qu’elle terminait, et détaillait le visage, en une seconde, qui était pour lui l’ample temps d’une observation détaillée – et Koji s’était très tôt rendu compte que l’extraordinaire rapidité de son esprit lui permettait de contempler certaines personnes aussi longtemps qu’il pouvait le désirer, car le temps qui lui suffisait était fort court, de sorte qu’il n’eût jamais l’air trop voyeur. C’était peut-être l’un des agréments de son pouvoir qui lui était le pus sensible.
Malheureusement, même pour un esprit aussi rapide, et expert dans l’art d’employer un temps court à des rêveries longues, même les plus beaux escalators ont une fin, et il dût bientôt abandonner ses contemplations pour se fondre dans une foule moins docile à ses regards – et c’était bien une foule propre à ce qu’il s’y fondît : les adolescents sortaient de leurs cours et erraient à présent, désœuvrés et jactant, dans les travées du centre commercial ; à tous ces adolescents Koji ressemblait, il aurait pu être l’un d’entre eux, lui aussi élevé dans une famille bourgeoise, lui aussi d’un physique assez agréable pour être tenté de se soucier de son apparence (et à vrai dire assez vaniteux pour le faire en effet). Pour une fois dans sa vie, il avait l’air d’un passant comme les autres, et l’on n’était pas surpris de croiser son visage aux traits d’insouciance juvénile : c’était un plaisir de discrétion qu’il goûtait rarement.
Peu à peu, il avait laissé Virginie prendre les devants. Il supposait que la jeune femme avait encore une fois pris le risque de venir jusque ici dans le curieux véhicule qui lui servait de moyen de transport, et comme il ignorait où elle était garée, il lui avait cédé le rôle de guide. Et lui errait derrière elle, les mains dans les poches, promenant un regard un peu absent sur les vitrines et les gens. Il songeait à cette vie qui était la leur et qui eût été la sienne sans sa mutation, et à vrai dire, soit fierté, soit sagesse, il ne parvenait pas à la leur envier : il avait sous les yeux un monde trop riche pour qu’il pût y renoncer.
Insensiblement, et sans qu’il s’en fût rendu compte, ils étaient arrivés sur le parking, et lorsque Virginie s’arrêta devant ce qui devait être une voiture, Koji manqua de la bousculer. In extremis, il s’extirpa de ses méditations, pour relever les yeux sur elle d’abord, puis sur la voiture, avant d’esquisser un sourire un peu dubitatif.
« Tu sais, Virginie… Je suis sûr qu’il y a des lois qui sont faites pour empêcher les gens de rouler dans ce genre de trucs. Il faudrait vérifier. »
Ce n’était pas que Koji fût particulièrement peureux, mais il était loin, très loin d’être téméraire, et la sécurité ne lui avait jamais semblée très assurée pour lui dans la voiture de Virginie. Il ne doutait pas qu’un accident fût pour la jeune femme de peu de conséquences, mais il ne lui semblait pas qu’il jouît de la même résistance. Fort heureusement, Virginie savait tempérée ses ardeurs de conductrice, et Koji en était un peu moins réticent à la perspective d’une folle équipée automobile. Néanmoins, il aurait volontiers offert à Virginie un véhicule moins aventureux : il était cependant à peu près certain que la jeune femme refuserait un tel cadeau (d’utilité publique).
Le jeune homme se glissa à l’intérieur du véhicule, incertain s’il devait souhaiter qu’il démarrât ou prier pour qu’il refusât absolument de bouger et que Virginie et lui fussent contraints de rentrer à l’Institut par un moyen pus sûr. Il songeait que bientôt il aurait l’âge de passer son permis de conduire, et cette pensée l’amusait : il était rare pour lui de souhaiter grandir, et il songeait rarement à l’âge qu’il avait, à moins qu’une formalité administrative ne vînt le lui rappeler. Et dans ses moments, son esprit se retournait pour contempler la jeunesse du corps qui l’abritait, comme s’il venait seulement d’en prendre conscience, et alors il sentait toute l’étrangeté de la situation qui était la sienne. Alors il lui arrivait parfois de la trouver poétique, cette sensation de vieille enfance, mais le plus souvent, elle le désolait, il trouvait que ceux qui voyaient sa jeunesse ne pouvaient sentir son âge, et que ceux qui sentaient son âge ne parvenaient plus à voir sa jeunesse. Il avait l’impression de ne jamais voir tout à fait son reflet dans yeux d’un autre.
Ses yeux s’étaient à nouveau perdus dans un de ces replis du monde qui le happaient si souvent : attendre encore quelques jours pour avoir dix-huit ans lui paraissait insurmontable, insurmontable et ridicule. Il savait que ce temps lui serait long, et qu’il était ridicule qu’il dût l’attendre, lui qui avait déjà tant vieilli. Alors il se sentait las, las comme d’avoir trop voyagé trop longtemps, et sinon d’avoir tout parcouru, du moins de n’avoir plus la force de faire beaucoup de nouveaux pas. Ainsi arrivait-il parfois que son énergie se tarît, et alors dix-huit ans lui semblaient un temps si long à passer à penser qu’il trouvait que c’était temps suffisant.
Et toute la jeunesse de son corps ne parvenait pas à dissimuler combien le vieil esprit qui l’habitait était éreinté par son trop long voyage, car toute l’énergie qu’exigeaient de lui ses pensées incessantes, ses pensées innombrables et tumultueuses, était une énergie véritable, une énergie que son cerveau puisait à chaque instant dans la moindre de ses réserves, et qui le maintenait dans un état de nervosité quasi constant ; alors, lorsque pour quelques instants, il n’avait plus le courage d’animer ce corps, la pâleur de son visage n’était plus le signe de sa délicatesse, mais elle devenait maladive, et la grâce juvénile de ses traits semblait d’une nervosité trop fragile.
C’était donc un regard lointain, un regard déjà presque noir, que Koji tournait vers la jeune femme qui s’installait au volant ; et pourtant, aussi fatigué qu’il fût, aussi las qu’il crût être d’un chemin longuement parcouru, et incapable de le parcourir encore, il s’agitait dans son regard une ombre bien vivante, et d’une inquiétude jeune encore, une inquiétude toute adolescente. C’était comme si son assurance soudain s’était effondrée, puisqu’il ne s’agissait plus de juger du monde extérieur, mais de lui-même.
« Dis, Virginie… »
Sa voix s’était voilée d’une sorte de timidité, et c’était comme opportunément qu’une de ses mèches de cheveux anarchistes était venue dissimuler une partie de son regard.
« Est-ce que tu trouves que… est-ce que tu penses que… »
Ce préambule pas tout à fait clair plongea Koji dans une réflexion d’une ou deux secondes, durant lesquelles il forma tous les discours imaginables, et n’en trouva aucun qui lui convînt.
« Est-ce que tu crois que je suis trop vieux ? Enfin, je veux dire, que pour quelqu’un de notre âge, je suis trop vieux. Je ne sais pas. Trop sage ? Trop réaliste ? J’ai l’impression d’être… Un vieillard. »
Et encore une fois, les angoisses existentielles de Koji trouvaient des accents tout à fait naturels, tout à fait normaux, et quasi enfantins.
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[RP] Mon front est rouge encor du baiser de la reine (terminé)