[La Conférence]

Kenjiss était d'une humeur massacrante. Et ça n'allait pas être la présence d'Arlequin, ficelé sur une chaise par des chaînes de l'épaisseur de sa cuisse qui allait le calmer... Etroitement encadré par les deux mastodontes qui l'avaient escorté ici, l'humanoïde n'avait plus qu'à attendre le bon désir du directeur... Et de ses troupes, sommées d'arriver au pas de course pour une séance d'explication qui s'annonçait mouvementée. Adossé à la paroi, costume à moitié défait (fin de la mascarade tout de même!) Le tatoué paraissait autrement moins agréable que l'homme qui avait gravit la tribune.

(Conférence de Presse)

Mais le petit effronté n’avait pas dit son dernier mot ! D’un geste vif, il s’était dégagé de la poigne de Terry et si tout ne s’était pas enchaîné sans prévenir par la suite, il est probable que Terry lui aurait fait ravalé sa fierté à coup d’écailles et de boulettes gluantes. Car oui, à peine le provocateur s’était-il éloigné du caméléon que Kenjiss, sans doute alerté par les cris de Maria et Henri intervint. Et il ne fallait pas être devin pour comprendre que leur boss était furibond à cause de leur fiasco. Ce qui ne devait être qu’une simple évacuation discrète venait de tourner à un règlement de compte en bonne et due forme.

*Monsieur Nohlann ? Monsieur Kenjiss vous fait savoir que…*

Le mutant ne laissa même pas le télépathe finir son message et fulmina de rage. Enfin, mentalement

*Oui, bon, ça va , j’ai compris, dites lui qu’on arrive !*

Il lança un regard sans équivoque vers Maria et Kyle. Et en tentant de ravaler sa colère, les pria vivement de le suivre à l’intérieur du bâtiment. L’individu entouré de deux gargouilles de la Confrérie avait déjà disparu aux yeux de tous, emmenés dans les entrailles de la Confrérie. Et leur cher leader ne tarda pas à faire pareil. Il s’éclipsa donc tout aussi discrètement que le lui permettait encore la situation et rejoignit Kenjiss dans les sous-sols.

Lorsqu’il arriva, le suspect était déjà solidement immobilisé. Il allait devoir coopérer s’il voulait sortir d’ici vivant. Terry s’adossa contre un mur, les bras croisés. Son regard, inhabituellement froid, se posa successivement sur l’étranger et sur Kenjiss. Lui aussi attendait la suite des évènements. Pas question qu’il endosse toute la responsabilité de la situation. Ils n’en seraient pas là si Maria n’avait pas, une fois de plus, fait n’importe quoi ! Le mutant en était intimement convaincu !

"Et maintenant ?" lança-t-il pour briser le silence qui s'installait tout doucement entre tout ce beau petit monde.

Un plateau de petits fours à la main, Maria entra dans la pièce sombre en sautillant. Contre toute attente, elle affichait un sourire optimiste. Elle s'approcha du trio confrériste.
"_ Effectivement, c’était tendu, répondit-elle à Kyle sur un ton amusé, mais comme on dit : tout est bien qui finit bien ! Tu as de la chance : avec maestria, Henri est en train de démêler la situation dans laquelle tu nous as fourrés… Tout est à nouveau sous contrôle… Par contre, c’est la dernière fois que tu apparais en public !"

Sa stratégie de survie actuelle ? Le culot et… le détournement d’attention. Il fallait qu’elle enchaîne sur une nouvelle idée :
"_ J’ai pensé à nous prendre à manger au cas où, poursuivit-elle en présentant son plateau aux trois hommes, nous aurons certainement besoin de forces si nous voulons faire parler notre hôte !"

Elle posa délicatement ses victuailles sur une petite table en chantonnant le "Beau Danube Bleu". Son ex-cavalier, l’étrange monsieur Rodriguez, était peu à peu en train de sortir du coton… Vite, occuper le silence en lançant un autre sujet !
"_ Tiens ? Pourquoi était-il inconscient celui-la ? Fit-elle en se penchant pour regarder ses yeux, vous l’aviez drogué ?"

Elle se redressa et, après s’être frotté les mains, fit voler son gant droit dans un coin de la pièce :
"_ Bon, en tout cas, moi, je suis prête pour l’interrogatoire ! Qu’est-ce que je lui demande en premier ? Son vrai nom ? Ses intentions ? Ses commanditaires ? "

Sous le regard assassin de Kenjiss, le timbre de sa voix diminuait petit à petit. Elle tenta un dernier sourire en lui montrant la paume de sa main dénudée…

Dès que Kyle ouvrit la bouche, Terry le fusilla du regard. Ce n’était pas le moment d’en rajouter une couche. Ce gamin n’avait-il donc rien dans son petit crâne d’adolescent désabusé ? Kenjiss était déjà suffisamment furax pour les réduire en miette. Ce n’était pas le moment de lui donner une occasion supplémentaire de le faire. Le Caméléon était assez intelligent pour savoir que même à trois contre lui tout seul, leur chance de maîtriser la colère de leur chef restait très mince.

Et l’assurance dont tentait de faire preuve Maria n’arrangeait pas les choses. Certes, la demoiselle ne manquait vraiment pas de culot. Mais cela ne la sauverait sans doute pas à tous les coups. Terry dédaigna le plateau de petits fours. Ils avaient autre chose à faire que de manger. Et à la question de la jeune Russe, sa réponse siffla :

"Nous n’avons pas eu ce plaisir, il l’a fait tout seul apparemment."

Heureusement, l’aplomb de Maria s’évaporait à mesure que Kenjiss les observait. Glacial. Oui, il n’était pas content. Et honnêtement, Terry ne le serait pas non plus à la place du mutant. Il était parfaitement conscient d’avoir échoué à maîtriser cet individu. Mais ce n’était pas de sa faute ! Pas entièrement, du moins.

"C’était un fiasco total ! Voilà ce que c’était ! D’une parce que Kyle a tout fait raté, comme d’habitude, parce que ce gosse n’est pas fichu d’écouter ce qu’on lui dit. De deux parce que Maria… j’attends toujours de savoir ce qu’elle a tenté à vrai dire !"

Terry tiqua lorsque le mutant critiqua ses méthodes. Oui, forcément, pour quelqu’un comme lui qui abattait avant de discuter, les techniques ‘douces’ du Caméléon devaient paraître bien incongrues. C’était d’ailleurs leur plus grand sujet de désaccord. Terry ayant davantage l’habitude de vouloir dialoguer avant d’attaquer.

"Ca, c’était l’étape d’après ! Tu le sais très bien, je n’aime pas la brutalité quand cela n’est pas nécessaire. Et ça n’aurait pas été très bien perçu que je m’attaque délibérément à cet homme sans raison valable alors qu’il déambulait tranquillement parmi les invités. Bonjour notre image après !"

Lorsque Kenjiss confirma les doutes du Caméléon sur l’état de leur prisonnier, Terry décolla du mur et s’approcha, vivement intéressé.

"Qui aurait réussi à créer un truc pareil ? L’Armée ? Le Cercle ? Note que ça ne m’étonnerait pas…" déclara-t-il en ôtant ses mitaines, révélant ainsi une série d'écailles le long de ses mains et ses étranges ventouses sur la paume. Lui aussi, attendait les réponses impatiemment.

Ce type était louche jusqu’au bout de ses pieds. Le fait qu’il travaille avec la BCGDCA expliquerait même sa présence aujourd’hui. L’Armée, surveillait la Confrérie… Malgré la nouvelle image que celle-ci voulait donner, l’Armée ne semblait pas vraiment cent pour cent disposée à les croire. On ne pouvait pas leur en vouloir cependant… Leur méfiance était légitime.

Complètement shooté ! Ce type délirait grave, pire qu’un drogué ! Peu importe ce qu’il avait pris, c’était du puissant. Assez en tout cas pour le faire planer avant qu’ils n’en fassent leur prisonnier tout en gardant une once de raison. Malin. Interroger quelqu’un qui n’avait plus toute sa tête relevait presque de l’impossible. Presque. Parce que c’était sans compter l’aplomb de Maria, la hargne de Kenjiss, le calme froid et la patience dont pouvait faire preuve le Caméléon. Et les insultes du jeune Kyle, qui à défaut d’être réellement efficaces avaient au moins le don de donner une petite note humoristique à l’atmosphère. Si toutefois cela était possible, évidement, vu les circonstances actuelles. Honnêtement, Terry n’aurait pas aimé se retrouver dans la situation de l’Arlequin. Seuls face à quatre Confréristes, dont deux au moins n’hésiteraient pas à le mettre en pièce pour obtenir ses aveux.

"Peut-être, mais grâce à toi, toute la foule est au courant de l’esclandre !"

La voix du mutant avait claqué, sèche contre l’ardeur de la jeune Maria. Cependant, elle eut la chance de leur apporter un élément nouveau dans la discussion et lorsqu’elle désigna d’un signe de tête les jambes du prisonnier, le regard de Terry suivit le sien. Doucement, le mutant caméléon s’approcha de l’Arlequin et bientôt son visage fut presque à sa hauteur

"Et en plus, notre ami se croit drôle… Je crois qu’il est temps de lui montrer notre humour… maison"

Sans le vouloir, Maria avait suivit ses paroles à la lettre. Elle dépassa Terry et s’installa confortablement sur les jambes suspectes pour commencer ses démonstrations sanglantes. A la voir ainsi, Terry se demanda vraiment si elle n’avait pas des ancêtres vampires quelque part dans la Toundra. Il frissonna. Quoiqu’on en dise, il y avait toujours plus belle chose à voir que du sang couler à flot. Enfin… tant que ce n’était pas le sien, il pouvait encore s’en accommoder. Plus ou moins.

"N’oublie pas de lui en laisser un peu, on ne fera pas parler un mort", se contenta-t-il de lui préciser

Le mutant passa lentement sa main droite devant les yeux de l’Arlequin avant de se relever doucement et de s’éloigner de quelques pas. Puis sans prévenir, il se retourna et tendit sa main en direction du prisonnier, paume vers le plafond de la pièce.

"Je pense que tu n’as pas besoin de tes yeux… C’est inutile d’admirer quelque chose que l’on méprise n’est-ce pas ? Et puis, tu ne souhaites pas voir ce qui va suivre"

Immédiatement, il visa les globes oculaires de l’Arlequin qui se virent recouverts d’une étrange substance, gluante et complètement opaque. Heureusement pour lui, cette substance était indolore, mais Terry y avait mis la vitesse nécessaire pour que leur impact ne passe pas inaperçu… Le prisonnier était à présent seul dans la nuit. Enfin, seul pas tout à fait. Avec l’horrible impression qu’on lui avait enfoncé les yeux dans le cerveau. Mais peut-être cela le déciderait-il à le faire parler ? Ou peut-être pas. Le Caméléon avait préféré commencé –presque- en douceur… et surtout préparé le terrain pour Kenjiss, qui en définitive restait le plus acharné de tous. Le plus virulent. Et le plus apte à lui décrocher ces p*** d’aveux !

De fait, le doux bruit d’un nez fracassé par un plateau d’argent lui confirma ce qu’il avait deviné. Le boss avait décidé d’y mettre le paquet. Il voulait ses aveux et tout de suite.

"Tu ferais vraiment bien de parler, il sait se montrer très persuasif quand il le veut. Et en plus, nous sommes là pour lui faciliter la tâche"

Sa voix était étrangement calme et assurée pour quelqu'un qui ne prenait pas son plaisir à torturer les gens. Mais le mutant voulait lui aussi en finir le plus vite possible. Terry garda un œil à la fois sur leur prisonnier et sur ses mains… Ses mains qui le dégouttaient tant par moment, mais qui pouvait parfois s’avérer fort utiles…

"Alors ? Ou peut-être que ton employeur se fiche de te voir revenir en morceaux ?" lança-t-il tandis que Kyle commençait sa fouille corporel sur l’Arlequin