Luc jeta un coup d'oeil à sa montre. 10h21. Il souffla un coup, tentant d'évacuer la tension qui régnait dans son corps et surtout dans son esprit. Un mouvement sur la gauche. Juste une hôtesse qui circulait pour vérifier que les passagers étaient à leur aise, ne manquait de rien, le boulot habituel d'une hôtesse de cabine quoi.
A sa droite, Luc pouvait voir le paysage défiler. Un paysage plutôt uniforme. Des nuages, une mer de nuage. La technologie avait beau avoir évolué, les vols aujourd'hui restaient les mêmes qu'autrefois.

Il restait une demi-heure au jeune mutant à passer. Il en profita pour sortir son ordinateur et bosser un peu. Il avait beau être en weekend, il ne pouvait se permettre de perdre trop de temps pour ses études. L'holo écran s'activa, le jeune homme mit les écouteurs dans ses oreilles pour ne pas déranger son voisin par le son, il lança son lecteur de musique, un groupe de néo-métal pas très connus du XXème siècle, et commença à taper sur le clavier, ses doigts volant avec habitude sur l'holoclavier. L'étude des morphos-cristaux volcaniques pouvait être chian*** à souhait, elle lui permettait de le distraire par quelques lignes de calculs de cristallographie et d'observations à partir des images qu'il devait analyser, le temps d'arriver à destination.

L'étudiant ne releva son regard de l'écran que quand il sentit le léger mouvement de ses tripes, signes que la descente commençait. Il jeta un coup d'oeil à l'extérieur, et vit la mer de nuage se déchirer pour laisser place à la réconfortante vue du plancher des vaches. Non pas que Luc avait peur de voler, mais depuis son adolescence, il s'était toujours sentit mal lors des vols, comme si quitter le contact du sol revenait pour lui à couper les ponts avec son âme. Peut être que sa mutation n'était pas innocente pour ce coup là. Heureusement que les vols transatlantiques n'étaient plus aussi long qu'auparavant.

Luc rangea son ordinateur dans son sac, et attendit patiemment que les roues de l'aéroplane touchent enfin le sol. Une petite minute de roulage supplémentaire, et Luc pu enfin mettre le pied à terre. Il sentit un noeud dans son estomac qui se dénouait, comme un signe de soulagement. Il traversa le terminal, attendit que le peu d'affaire qu'il avait emmené avec lui passe au contrôle, que le policier finisse de contrôler ses papiers électroniques, pour enfin pouvoir poser un pied sur le sol canadien.
Luc avanca un peu, regardant autour de lui. Si un noeud dans son estomac c'était défait lorsqu'il avait posé le pied par terre, un autre n'était pas prêt lui de faire de même. Le jeune homme chercha sans trop de conviction la chevelure blonde qu'il avait connu moins d'un mois plus tôt. Quand il la vit, il avança, un sourire tendu en coin de bouche. Ne faisait-il pas une bétise? Il le saurait bientôt. Il s'arrêta à moins d'un mètre de la personne qu'il y a pas si longtemps il n'aurait souhaité jamais revoir.

Bonjour Mademoiselle Yevgeniyen

Le Canada, en cette fin de mois de mai, était béni par une météo estivale.
Une légère robe blanche –comme d’habitude–, les gants en dentelles ivoire, les lunettes de soleil remontées sur ses cheveux blonds relâchés, Maria attendait patiemment, assise sur un banc du hall d’arrivée de l’aérogare, que les passagers du vol en provenance de Paris débarquent. Elle lisait un roman d’Anne Rice, emprunté dans la bibliothèque de Twikjeya. Lestat, le Vampire, venait de d’entraîner un jeune jouvenceau bien joufflu dans un guet-apens. Tapi dans l’ombre, il observait sa proie, le laisser se noyer dans un océan d'effroi, goûtait déjà son sang à distance. Les descriptions faisaient circuler d’agréables frissons de plaisir dans la colonne vertébrale de la jeune russe !

Les premiers voyageurs sortirent de la salle de récupération des bagages. Maria referma son livre et le rangea soigneusement dans son sac à main en cuir blanc griffé. Ces histoires de suceurs de sang l’avait mise d’excellente humeur. Elle se sentait prête à exhumer cette mode des années 2020 qui consistait à s’allonger et s’aiguiser les canines.
Au milieu d’une foule d’inconnus, apparut alors la silhouette reconnaissable de Luc. Il marchait d’un pas vif et décidé, comme s’il venait conquérir le Canada pour le compte de la France.
Il s’était servi de la carte de visite laissée par Maria lors de la conférence à Londres pour la recontacter deux semaines auparavant via holonet. Elle n’en avait pas cru sa boîte mail : c’était bien la première fois qu’une de ses malheureuses victimes souhaitait la revoir ! Mais après tout, pourquoi pas…Ils avaient gentiment échangé quelques banalités. Luc avait voulu lancer un débat sur la guerre opposant le Nouvel Institut à la Confrérie Moderne. Elle lui avait répondu qu’elle ne discuterait de cela que devant un verre de Bloody Mary dans un des bars si réputés de Vancouver.
Luc s’approchait et de près, il paraissait légèrement crispé. Il la salua :
"_ Bonjour à toi, Luc ! Répondit Maria, toute sourire, en tendant la main, tu as de la chance, la météo est particulièrement clémente en ces derniers jours. Allez, avant de commencer, cinq questions pour te mettre dans le bain…"

Les yeux charmeurs, le sourire espiègle, elle reprenait l’habitude de Luc qui, dans ses mails, lui envoyait des farandoles de questions en série :
"_ D’abord… As-tu fait bon voyage ? Demanda-t-elle en énumérant avec ses doigts, et… Est-ce la première fois que tu viens ici ? Puis… Comment va la France ? Ensuite… Es-tu plutôt bar, pub ou café ? Et enfin… Peux-tu m’appeler Maria ? Sinon, je me sentirai obligée de t’appeler môssieur Treanez !"

Pour prononcer ce « môssieur Treanez », elle s’était essayée à un ersatz d’accent français mal fichu qui, mélangé à cet accent russe dont elle ne parvenait pas à se défaire, donnait une prononciation absolument incompréhensible.
"_ Ah, au fait… J’oubliais…" Fit-elle en revenant au banc où elle s’était assise pour l’attendre.

Elle prit un bouquet de roses rouge sang et lui tendit avec un sourire malicieux :
"_ … Bienvenue au Canada !!"

Maria guettait le visage de Luc. Comment allait-il réagir en se voyant offrir des fleurs par une demoiselle ? Et la couleur typique de ces roses allait-elle faire résonner en lui le souvenir de leur première rencontre ?

Luc se détendit légèrement. Au moins elle semblait un peu plus sympathique qu'à leur première rencontre. Il se rappelait bien cette journée plus que stressante, alors qu'il s'était retrouvé prit entre deux feux, spectateur de l'affrontement entre les deux institutions mutantes. Il avait même faillit finir en charpie, par la main de la même femme qui se tenait devant lui actuellement. Ce souvenir lui fit passer un frisson le long de son dos. Mais il répondit à la première remarque de Maria avec le sourire.

Il faut croire que le Soleil de chez nous a décidé de me précédé. Il faudrait que je vienne plus souvent .

Il regarda la main tendue de Maria, lui rappelant à son bon souvenir le petit " accident " de leur première rencontre. Il sentit une petit démangeaison le long de son bras. Puis la vue du gant qui recouvrait sa main le décida à lui rendre la politesse. Il saisit la main de Maria et la serra juste un peu.

Puis vint la pluie de question qui laissa le jeune français pantois. Il ne s'attendait pas à une telle situation. Luc ne savait plus vraiment comment réagir. Il passa une main dans ses cheveux.

Bon je pense que je vais répondre dans l'ordre alors...

Alors 1: On peut dire que j'ai fait bon voyage, la preuve je suis debout ici, bien que je n'aime pas vraiment les longs voyages en avion, 2: oui c'est la première fois que je viens au Canada, 3: Euh la France se porte bien, et la Tour Eiffel aussi, 4: Pub ou bar, les deux me conviennent, et enfin 5: va pour le Maria, vu que l'on nous prendrais pour des fous si jamais vous vous aviseriez de m'appeler comme ça, vu comment vous le prononcez, sans vouloir vous offenser bien entendus.

Mais Luc n'était pas au bout des surprises, vu ce que Maria, puisqu'il fallait l'appeler comme ça, lui ramena du banc où elle l'attendait. Un espèce de bouquet de roses rouges vermeil, très belle il devait l'avouer, mais qui n'était pas sans rappeler un certain liquide qui avait coulé. Avait-elle fait exprès? Luc en était presque sûr, vu son regard malicieux.

Merci pour les fleurs Maria, bien que la coutume veut que ce soit l'homme qui amène des fleurs et non la demoiselle qu'il vient voir. J'en aurai bien amené mais bon, les douaniers n'ont pas voulu, allez savoir pourquoi.

Un grand sourire sur les lèvres, Luc attendit de voir la suite du programme. Décidément, son excursion à Vancouver risquait d'être... intéressante.

La petite surprise florale de Maria avait eu l’effet escompté :
"_ C’est ton esprit démodé de french lover qui parle, Luc, répondit-elle en attrapant du bout des doigts une des roses du bouquet, certaines traditions sont faites pour être renouvelées ! D’ailleurs, il est tellement désagréable de se voir offrir des fleurs par les hommes -bien souvent, ils n’y connaissent rien- qu’il vaut mieux laisser aux femmes cette responsabilité !
Et pour ce qui est du passage aux douanes, je ne suis pas étonnée : il est possible de transporter de nombreuses substances illicites dans un seul bouquet de fleurs : poison dans les tiges, drogues dans les pistils, génomes mutants interdits dans les cellules des pétales… C’est très courant comme pratique !"

Du bout des doigts, elle démantibula méthodiquement la tige de sa rose et enleva avec précaution ses épines.
"_ Bon, comme tu n’as pas de préférence, fit-elle en coinçant la corolle rouge dans ses cheveux blonds, je vais t’emmener dans le quartier ouest de la ville. J’y connais un bar calme qui est assez réputé pour ses cocktails et son ambiance bon enfant, nous pourrons y discuter là-bas tranquillement."

Elle se tourna à quatre-vingt-dix degrés et désigna du doigt une direction à travers la grande baie vitrée :
"_ Ma voiture nous attend garée juste là-bas, dans le parking de l’aéroport, à trois minutes à pieds. Nous ferions mieux de nous dépêcher, je n’ai pas pris de ticket !"

Elle lui octroya un clin d’œil complice et commença à se diriger d’un pas pressé vers la sortie. Tout en marchant, elle vantait les performances de sa voiture :
"_ Tu vas voir, cette bagnole est le dernier petit bijou technologique qui nous vient du Japon, peut-être en as-tu déjà entendu parler ? Une Toyossan 5300 ! D’un beau rouge vif comme je les aime. Son design rétro fait qu’on la prend souvent pour une Corvette ZR1 du début du siècle."

Les portes du hall de l’aérogare coulissèrent devant eux sans un bruit, ils s’engagèrent sur le trottoir extérieur ensoleillé. Une bonne brise chargée d'iode en provenance directe de l’Océan Pacifique soufflait à contre-sens de leur marche :
"_ Six vitesses, poursuivit-elle en maintenant sa rose en place, propulsion turbo-quantique, tous les systèmes optiques configurés en mode holographique… Une vraie sucrerie à piloter ! Ca te tente ?"

Si Luc possédait bel et bien un chromosome Y dans ses cellules, il ne pouvait que sauter sur l’occasion. Elle sortit les clés de son sac et les fit tourner autour de son index.
"_ Je te servirai le copilote, ajouta-t-elle avec un clin d’œil, le bar n’est qu’à un petit quart d’heure de route d’ici mais tu pourras tout de même…"

Maria s’interrompit net au milieu de sa phrase et resta bouche bée. Sa petite fierté à quatre roues était en train de passer devant les yeux à une vitesse particulièrement gastéropodienne… Tractée par un vieux camion où était inscrit le mot : "fourrière"...

La bonne humeur de Maria était en berne… Et comme à chaque fois qu’elle était de mauvais poil, elle s’enfermait dans un silence morose impénétrable. Toutes les galères qui allaient découler du simple fait qu’elle avait « omis » d’acheter un ticket de parking se jouèrent dans son esprit à la manière d'un film.
Elle visionna d'abord le périple qui les attendait pour rejoindre les abords de la ville, à bord d'un bus surchargé de gens transpirants. Elle assista ensuite à la scène interminable de l’attente sur le quai du métro malodorant dans l'espoir de rejoindre le centre ville… Et ce qui l’attendait à la fin de la journée s’annonça pire encore : le retour à la Confrérie Moderne, toute piteuse, toute piétonne. Ce furent les insupportables sourires moqueurs de Kenjiss, de Terry et de Kyle qui la décidèrent à arrêter le film là. De toute façon, pour rien au monde, elle n'aurait voulu voir la scène où elle subissait la leçon de morale du gérant de la fourrière pour récupérer son véhicule…
Et tout ça pour un fichu ticket à deux crédits !
Hum… Je crois que vous auriez mieux fait de mettre un ticket...

Apparemment, Luc ne connaissait rien à l’art de la diplomatie. Elle commença à tourner lentement la tête vers lui, l’air méchant, de la fumée lui sortait des naseaux. Elle allait rétorquer à cette sale grenouille de Français de rentrer chez lui bouffer des escargots quand un miracle l’interrompit. Un bruit de ferraille suivi de deux coups de tonnerre… Les pneus du camion !! Ce n'était pas possible !? Elle finirait par croire vraiment qu'un ange ou un démon veillait sur elle !
_ Je crois que c'est notre chance. Fit Luc, faut en profiter pour la récupérer maintenant.
"_ Et comment !" Répondit-elle en lui jetant les clefs de sa voiture.

Ce que Luc n'imaginait peut-être pas, c'était le scénario à la Tarantino qu'elle s'apprêtait à lui faire vivre. Elle piqua un sprint vers le camion, rayonnante à nouveau, les yeux pétillant de plaisir. En l’espace d’un instant, son visage morose s’était complètement désintégré. D’un geste rapide du doigt, elle désigna la Toyossan à Luc :
"_ Va te mettre au volant et démarre ! Je me charge de larguer les amarres !"

En pleine course, elle ouvrit son sac à main et en sortit un revolver Smith & Wesson Model 60. Elle l'avait souvent sur elle mais ne s'en servait jamais... Ce n'était qu'une simple arme de dissuasion en cas d'agression.

Toujours au volant de son camion, Joe, le type de la fourrière, pressait doucement sur la pédale de frein… Son cerveau fatigué ne comprenait toujours pas pourquoi son véhicule avait tant de mal à avancer. Les oreilles bouchées par de petits écouteurs délivrant de la country assourdissante, il n’avait pas entendu l’explosion de ses deux pneus et le système de sécurité antichocs de l'habitacle avait étouffé les vibrations dues à la collision. La chance était du côté des mutants !

Maria, essoufflée par ces quelques secondes de course, sauta à l’arrière du camion, le revolver toujours à la main. Haletante, elle prit une demie seconde pour retrouver son équilibre et fit le tour de sa voiture. Immédiatement, elle repéra les deux attaches qui entravaient sa petite titine d'amour : de simples chaines cadenassées enroulées à la va vite autour du pare-choc… du travail bâclé !
Ni une, ni deux, elle déverrouilla le cran de sécurité de son Smith & Wesson et tira sur les deux chaines à bout portant, rapide et facile ! D'ailleurs, il était temps : elle entendait la portière de la camionnette s’ouvrir.

Joe, inconscient de ce qui était en train de se tramer à l'arrière de son véhicule, s'apprêtait à en faire le tour pour voir ce qui ne fonctionnait pas. Maria bondit vers l'avant de sa Toyossan. Quelques secondes après, elle s’asseyait aux côtés de Luc.
"_ Fonce !" Lui cria-t-elle en bouclant sa ceinture.

Elle réenclencha le cran de sécurité et fourra son revolver fumant au fond de son sac, le tour était joué ! Il ne restait plus à Luc qu'à appuyer sur l'accélérateur pour conclure en beauté cette mésaventure !
Les futurs petits enfants de ce pauvre Joe entendraient certainement leur papy radoter à propos d'une voiture qui se serait échappée toute seule de son camion après lui avoir crevé les pneus arrières !

Oups, on dirait que sa petite plaisanterie prenait une tournure plutôt rocambolesque. Sa première remarque avait eu apparemment pour effet de rendre Maria encore plus en colère. Il cru qu'elle voulait l'étriper, et la connaissant c'était relativement facile pour elle. Mais la suite devint encore plus étrange. Luc attrapa les clefs au vol, suivant tranquillement Maria en pensant qu'elle allait essayer de convaincre le conducteur de les laisser repartir tranquillement, ce qui lui éviterait d'ailleurs pas mal de problèmes. Mais ça ne se passa pas comme ça.

Au son des deux coups de feu, Luc, surpris, se mit à courir, et fit le tour du camion, pensant trouver un corps. Mais non, c'était juste Maria qui venait de faire sauter les chaines à coup de flingue. Luc se mit une main sur le visage, se demandant ce qu'il foutait là. Il grimpa dans la voiture, balança son sac à l'arrière, et démarra le moteur. Le son laissait présager la puissance tant louée par la jeune russe. Celle ci d'ailleurs grimpa à la place passager en lui gueulant de démarrer le plus vite possible

Pas de problème. Accroche toi!!!!

Luc enclencha d'un coup la marche arrière, le champignon enfoncé dans le sol. Les roues partirent en burn, peinant à arracher la voiture de son immobilité pendant deux longues secondes, avant de la propulser en marche arrière sans pitié. Luc relâcha l'embrayage, saisit le frein à main et le tira tout en braquant le volant. La voiture fit un 180° presque parfait. Un grand sourire sur le visage, Luc passa la première, et la voiture partit sur les chapeaux de roues pour rejoindre la sortie du parking de l'aéroport. En approchant de la sortie, Luc ralentit la cadence pour ne pas se crasher dans les ralentissements et les sorties. Il continua sur un rythme normal pendant un bon moment.
Le jeune français jeta un coup d'oeil à Maria.

Vous n'aviez pas un moyen plus discret pour libérer la voiture? Parce que là avec tout grabuge qu'on a provoquer, on va avoir les flics au cul dans pas longtemps je pense.

Il se faufila à allure normale dans le traffic, n'accélérant que pour dépasser une voiture ou un camion un peu lent à son gout. Sa vitesse actuelle lui donnait l'impression de ne pas avancer d'un poil, que le moteur était tout le temps en sous régime, prêt à dépoter.

En tout cas elle a du caractère cette petite... dommage qu'on soit pas en Allemagne, les autoroutes sont sans limites de vitesse là bas. J'aurais bien poussé un peu cette titine* .

Bon je prend quelle direction?

* En français dans le texte

La voiture était maintenant libre et c’était tout ce qui comptait aux yeux de sa propriétaire ! Après avoir effleuré du bout du doigt le potentiel de puissance que pouvait fournir la voiture, Luc avait réfréné ses instincts primaires de mâle vitessophile pour rouler à une allure raisonnable. Brave garçon prudent !
Maria ouvrit la vitre de son côté, rabattit ses lunettes de soleil sur son nez et ferma les yeux, le visage au vent.
Vous n'aviez pas un moyen plus discret pour libérer la voiture ? Parce que, là, avec tout le grabuge qu'on a provoqué, on va avoir les flics au cul dans pas longtemps je pense.

"_ Ne t’inquiète pas, répondit-elle avec un sourire tendu comme hamac entre ses deux oreilles, je leur dirai que tu es encore un peu jeune et inexpérimenté et que tu cherchais à me charmer en te faisant passer à mes yeux pour un voyou voleur de voiture ! ... Et que ce soit clair, je ne sais pas ce qui t'est passé par la tête mais ça ne marche pas avec moi, jeune homme !"

Une inversion des rôles comme Maria les affectionnait... Mais elle ne plaisantait qu’à moitié. Elle n’avait pas encore pris le temps de songer à une excuse valable à balancer aux flics. Mais si, au moment fatidique, elle se trouvait en panne sèche d’idées, cette histoire à dormir debout agrémentée de quelques œillades charmeuses pourrait parfaitement convenir !
"_ Nan mais, sans plaisanter, reprit-elle en penchant son visage vers Luc, on ne risque pas grand-chose pour l’instant : il ne me semble pas avoir vu de caméras et le chauffeur du camion n’a pas pu nous identifier. Au pire, on viendra frapper demain matin à la porte de la confrérie pour me poser des questions. Il suffira alors que je sorte en nuisette pour les baratiner un peu."

Et si, en plus, Twikjeya –sa consœur au charme démonteur de cerveau mâle- venait l'aider à amadouer ces braves fonctionnaires, le baratin n’aurait même pas besoin d’être très élaboré pour aboutir.
Et au pire si, par le plus grand des malheurs, elle tombait entre les mains de femmes-flics, il y aurait toujours le papa-diplomate pour voler au secours de sa fifille !
Ils doublèrent un bus scolaire. Un attroupement de mômes se scotcha immédiatement aux vitres du car pour regarder passer la Toyossan. Bonne pâte, Maria passa un bras à la fenêtre pour les saluer gentiment façon reine d'Angleterre.
En tout cas, elle a du caractère cette petite... dommage qu'on ne soit pas en Allemagne, les autoroutes sont sans limites de vitesse là-bas. J'aurais bien poussé un peu cette titine*.

"_ Ca peut s'arranger ! Tout dépend le temps que tu restes ici. Je connais une belle ligne droite à la sortie de la ville qui est toujours déserte après une heure du matin… Si ça te tente..."

Bon, je prends quelle direction ?

Maria avança le doigt vers le tableau de bord… puis se résigna et se renfonça dans son siège. Elle s'était apprêtée à déclencher le guidage automatique par satellite quand, tout à coup, elle avait réalisé que jouer les guides dans cette ville serait moins impersonnel.
"_ Prends la deuxième sortie là-bas… Puis tu continueras sur la grande avenue quelques temps."

Un nuage vint camoufler la lumière du soleil, Maria retira ses lunettes :
"_ Alors, dis-moi Luc, fit-elle avec un sourire, tu t’y es pris comment pour immobiliser le camion ?"

Pour expliquer le « miracle des deux roues arrière crevées », il n’y avait que deux possibilités : soit l’intervention d’une divinité qui, pour d'obscures raisons, avait Maria à la bonne… Soit l’intervention d’un mutant. Son instinct la faisait plutôt pencher pour la deuxième explication.
Le buste tourné vers le chauffeur, les coudes posés sur le rebord de la fenêtre, elle regardait Luc avec attention, comme pour tenter de deviner son pouvoir à partir de sa gestuelle :
"_ Prends la petite rue à gauche juste après l’hôtel !
Laisse-moi réfléchir… Tu as envoyé un projectile invisible ? C’est de la télékinésie perforatrice ? Tu as utilisé ta super vitesse pour démonter les roues alors que le camion avançait ? Tu as demandé télépathiquement au caoutchouc de se suicider parce que tu es... caoutchouc-mentaliste ?"

A mesure qu'elle émettait des propositions, son sourire s’amplifiait.
"_ Alors ? Je chauffe ? Je brûle ? … Continue toujours tout droit jusqu'au feu !"

Luc eu un sourire un peu désabusé. Il espérait qu'elle avait raison et que l'on ne les reconnaîtrait pas. Comment ferait-il sinon pour rentrer chez lui si jamais il était recherché? Il ne pourrait jamais passer la douane pour prendre l'avion.
L'étudiant décida de laisser la porte parole de la confrérie s'occuper de la question. Elle avait surement bien plus d'un tour dans son sac pour les tirer du pétrin si jamais les flic du coin souhaitait leur poser quelques questions.
Par contre il tilta sans le vouloir à la mention de la scène de la jeune femme sortant de la maison en légère nuisette. Il ne put empêcher un haussement de sourcil et un sourire en coin.

Je plains les policiers si jamais vous deviez en arriver à une telle extrémité. Par contre la scène serait plutôt cocasse je l'avoue. Rassurez moi ça n'est pas encore arrivé.

A la mention de la route déserte pour tester un peu le potentiel de la bête, Luc eu un franc sourire. Il avait prévu de passer une nuit ici avant de rentrer en France, histoire de profiter un peu des bars et des boites du coin. Ce n'était pas tout les jours que l'on pouvait se faire un petit trip en soirée à l'autre bout du monde. Et puis les filles sont toujours friandes de jeunes étranger.

Et bien pourquoi pas. Au point où on en est, ça serait dommage de louper une telle occasion. Je pensais de toute façon rester au moins une nuit ici.

Luc tourna à l'endroit indiqué par Maria. Il sortit de la vois rapide, et s'engagea dans la bretelle qui semblait les amener vers le centre ville de Vancouver. Il suivit la bretelle jusqu'à la dite avenue, et s'insèrera dans le trafic dense.
Aie. Voilà le genre de questions qu'il aurait voulu éviter. Luc parlait très très rarement de ses pouvoirs, par confort car ça lui évitait les questions gênantes, d'autres part car on ne sait jamais si l'on est en face d'une personne anti-mutante ou non. Bon là il savait qu'il avait à coté de lui une mutante, qui plus est de la confrérie. Mais bon, Luc gardait toujours ses réticences.

Et voilà qu'elle cherchait et faisait des hypothèses. Caoutchouc mentaliste? Ca existe ça?

Pour l'instant vous êtes aussi gelée que les glaciers au sommet du Mont Everest, pour le peu qu'il en reste.

Il tourna dans la rue, moins fréquenté, c'était déjà ça, et continua sa route. Ils se dirigeaient visiblement vers le centre ville lui même. Par réflexe, il gratta sa jambe. Il sentit une excroissance dure sur sa peau. Et voilà ça recommençait. Luc garda son calme, et se concentra sur sa conduite.

Et maintenant?

Les lunettes de soleil rabattues sur le nez, Maria s’esclaffa :
"_ S’il m’est déjà arrivé d’aguicher les policiers avec ma nuisette ? Répéta-t-elle en riant, mais pour quel genre de catin me prends-tu donc ? ... "

Puis, d’une voix plus mielleuse et coquine, elle enchaina :
"_ ... Mais bien sûr que ça m’est déjà arrivé !"

Elle se mit à rire de plus belle, laissant Luc dans l’incertitude la plus totale. Si le jeune homme avait connu le caractère de Kenjiss, il aurait su la chose impossible. Parce que si, un jour, Maria s’était amusée à provoquer de cette manière les forces de l’ordre sous le toit de la Confrérie, ses jugulaires, aujourd'hui, ne seraient plus assez larges pour alimenter convenablement son cerveau en sang ! Et puis, de toute façon, son dossier pouvait se vanter de n’abriter que des délits mineurs, tous liés au code de la route : quelques limitations de vitesse laserisées, quelques parcmètres snobés, quelques feux rouges ignorés, quelques rangements barbares... Rien que son diplomate de père ne puisse arranger en claquant des doigts.
Bonne nouvelle, Luc semblait bien partant pour devenir lui aussi un cowboy de la route au volant de la Toyossan !
"_ Alors le rendez-vous est pris, Luc… Mais ça te condamne à rester un tantinet sobre jusqu’à ce soir ! Ça ne va pas être trop dur ?"

Les rues défilaient les unes après les autres, Maria tourna son regard vers la route. Ils approchaient petit à petit de leur destination.
Luc jouait les mauvaises têtes : il laissait Maria patauger dans son ignorance. Visiblement, il ne semblait pas près à se dévoiler aussi tôt. Mais il ne se doutait sûrement pas à quel point cette situation de déséquilibre déplaisait à la russe... Lui connaissait ses pouvoirs à elle ! Il avait même eu l'immense privilège de les expérimenter sur sa propre personne !
Maria pinça les lèvres de frustration, serra les dents mais n’insista pas davantage pour l’instant. De toute façon, ils entraient dans la rue du bar, chaque chose viendrait en son temps :
"_ Nous y sommes, clama-t-elle en pointant du doigt une enseigne rose, arrête la voiture ici et descendons. Titine est programmée pour trouver elle-même la meilleure place où se garer ! On pourra la retrouver plus tard grâce aux clefs."

Seul souci à ce miracle technologique : la voiture n’était pas encore capable d’acheter des tickets de parking toute seule. Et ça... ces idiots de flics refusaient de l'entendre !
Maria attendit l’arrêt complet du véhicule, ouvrit sa portière et descendit sur le trottoir. Ils s'étaient arrêtés juste devant les néons roses du « Pink Flamingo ». La rue était calme et ensoleillée, une église de quartier sonnait les douze coups de midi.
Devant l'entrée du bar, un groupe de gros costauds en costard et lunettes noires, les bras croisés sur la poitrine, jouaient les vigiles taciturnes et analysaient avec leurs yeux scanneurs tous ceux qui approchaient.
Maria attendit que Luc sorte de la voiture puis envoya Titine se garer. Ensuite, elle s’approcha du Français et l'agrippa par le coude, fière comme une ado arrivant au bal de promo au bras du quaterback n°1 du lycée :
"_ Tu vois ces gorilles devant le bar ? Lui murmura-t-elle à l'oreille, en tant qu'habituée, je les connais tous par leurs prénoms !
Je te donne le choix : soit tu me révèles quels sont tes pouvoirs et alors je suis prête à vider mon compte en banque pour te rincer le gosier toute l'après-midi. Soit tu choisis de garder ton secret et je cours vers eux en leur disant que tu me harcèles. Ils sont si serviables qu'ils se feront un plaisir de se jeter sur toi pour te démonter la tête ! J'imagine que, pour avoir la moindre chance contre eux, tu seras bien obligé de révéler tes capacités mutantes ! Cela reviendra donc au même pour moi. Alors... que choisis-tu ? Dans les deux cas, moi, je suis assurée et de m'amuser et de connaître tes pouvoirs !"

Maria plongea ses yeux bleus verglacés dans ceux de Luc avec un sourire angélique.

Luc eu un sourire en coin. Il se doutait qu'elle disait ça pour le mettre dans le doute, surtout vu comment elle prononcait de telles paroles. Quoi que... Luc avait réellement un doute. Doute qu'il chassa en pensant à la suite du programme qui pour l'instant était assez mouvementé et épineux.
Il répondit avec un grand sourire d'ange.

Comme si vous comptiez me voir complètement bourré... J'y penserai, et on verra alors qui aura demandera le premier grâce.

Luc conduisit la voiture jusqu'au point montré par la russe. Un bar un peu à l'écart, avec une enseigne rose. Ou plutôt doté d'un flamand rose. Par contre les deux gorilles à l'entrée étaient loin d'être des frêles oiseaux aujourd'hui classé en voie de disparition.
L'étudiant arrêta la belle toyosan quelques mètres après l'entrée du bar, et descendit presque avec regret. On était bien installé dedans quand même. Maria envoya la voiture se garer toute seule. Tient c'est plutôt cool comme option. Luc décida que dès qu'il pourrait il s'en achèterai une comme ça... bien que son faible salaire de job d'étudiant ne lui permette pas pour le moment.

C'est plutôt marrant comme système... mais elle fait comment pour l'horodateur? Elle envoie un signal électronique?

Maria lui saisit le bras, et commenca à l'emmener vers l'entrée. Quand soudain elle s'arretta, un air conspirateur que le jeune français n'aimait pas vraiment voir. Et son intuition lui donna rapidement raison. Et me*** v'là pas le piège.

** Quelle garce!! Je suis pas dans la merde avec ses questions. Tsss j'aurai mieux fait de laisser cette voiture sur son camion poubelle. Quelle idée d'aller jouer à ça, surtout avec une fille comme elle dans le coin. **

Luc réfléchissait à toute vitesse. Comment se sortir de ce pétrin. Elle voulait absolument savoir quel pouvoir il avait, ce qu'il n'aimait pas révéler. On avait l'impression que pour elle s'était comme recueillir une banque de donnée, de toutes les façons possibles. Et s'il ne lui en parlait pas, elle lui enverrai ses gorilles.
L'étudiant décida de jouer au bluff. Il se baissa et alla farfouiller au niveau de sa jambe droite. Ses doigts rencontrèrent la plaque de tout à l'heure, et l'arrachèrent d'une façon experte. Il se redressa et tendit à Maria une plaque fine d'une matière noire et complètement opaque, semblable au toucher à du verre. Luc savait de quoi était composé cette plaque, et ce qu'elle était, mais il espérait que ceci suffirait à calmer les réflexes de fouines de la russe.

Je choisis la solution trois, et je vous donne un indice. Si vous êtes aussi perspicace que je le crois, ça ne devrais pas vous poser de problèmes.

Un grand sourire aux lèvres, il entraina la jeune russe, toujours bras dessus, bras dessous, vers l'entrée.

Et en attendant je propose que l'on aille enfin boire ce verre.

Maria ne se donna même pas la peine de répondre pour l’horodateur. Bien évidemment, la Toyossan avait la même technique qu’elle pour mater ces affreux mange-fric métalliques : l’ignorance la plus pure et la plus complète ! Il était hors de question de donner le moindre sou à ces machines dont l'inexpressivité frisait l'insulte ! Maria avait déjà relégué aux oubliettes cette très récente mésaventure à l’aéroport qui avait failli lui coûter sa voiture !

Ils approchaient maintenant de l’entrée. Les menaces de tabassage avaient été lancées et Maria s’apprêtait à les appliquer sérieusement quand Luc se pencha pour aller prospecter dans ses jambes de pantalon. Elle prit aussitôt ce geste pour un réflexe dû à une démangeaison passagère au niveau du mollet... Elle grimaça. Pas très classe tout de même de se laisser aller à se gratter aussi ostensiblement en public ! Dans un sens, Luc correspondait parfaitement au stéréotype du français moyen un peu dégueu. Maria espérait qu'il lui épargnerait la scène du curage de nez !
Mais elle se rendit compte rapidement qu'elle avait tout faux ! Luc sortit de sa jambe une espèce de caillou noir et lui tendit en le lui présentant comme un « indice ».

Maria hésita quelques instants devant cette apparition. Qu’est-ce que c’était que ce truc bizarre ? Terry était capable de produire une substance gluante avec ses paumes… Qui assurait Maria que ce machin n’était pas le même genre de mucus collant et gerbant ?
Elle se pencha sur la paume de Luc pour examiner la chose de plus près.. Bon, à première vue, ce truc chelou paraissait lisse et solide !
Maria se força à le prendre en main. Au moins, en guise de protection, elle portait des gants !
"_ Bon, d’accord, fit-elle alors qu’ils dépassaient les vigiles, si tu me promets de ne plus m'offrir tes sécrétions, j’accepte ta solution numéro trois !"

Ils entrèrent à l'intérieur bar. Tout à l’intérieur du « Pink Flamingo » était cosy, rose et froufrouteux à souhait. Les banquettes étaient couvertes de fanfreluches aux couleurs de l'arc-en-ciel, les tableaux accrochés aux murs représentaient des mâles nus aux biscottos sur-développés et la voix suave de Freddy Mercury raisonnait entre les murs. La clientèle était très majoritairement constituée d'hommes, exceptés deux petits groupes de femmes ostensiblement à l'écart.
A l’entrée de Luc, toutes les conversations se suspendirent, des dizaines de regards experts s'attardèrent sur l'arrière de son bassin. Maria, indifférente à l’attention que son cavalier canalisait, désigna une table libre du bout du doigt et le tira par la main.
Rapidement, elle se jeta sur une banquette en velours top confort et attendit que Luc s’assoie en face d’elle.
"_ On dirait du verre, observa-t-elle intriguée en faisant tourner l'objet étrange entre ses doigts, une sorte d’obsidienne... Ton pouvoir est en rapport avec le volcanisme ?"

Un serveur musclé habillé tout en cuir débarqua aussitôt au bout de la table, un plateau en main, bougeant ses fesses au rythme de "Bohemian Rhapsody" :
"_ Bonjour monsieur, mademoiselle, fit-il avec une voix étrangement maniérée, qu'est-ce que le Flamant rose peut vous servir ?"

"_ Ce sera un White Russian pour moi, mon p'tit Dan !" Commanda Maria avec un sourire rayonnant.

Le White Russian, cocktail détonant de vodka, de liqueur de café et de lait. Après avoir bu ce débouche-évier, sa bonne humeur entrait dans une phase d'expansion exponentielle et elle ne pouvait s'empêcher d’appeler tout le monde « Dude » !
"_ Donc, une déspé pour le jeune homme et un White Russian pour la petite Maria, récapitula le brave serveur en essuyant consciencieusement la table avec un chiffon, ça marche !"

Les fesses toujours aux rythmes des « Galileo figaro », Dan s’éloigna de la table sans ajouter un mot. Maria attendit qu’il fût assez loin pour se pencher vers son cavalier d'un après-midi :
"_ Tu as de la chance Luc, murmura-t-elle en grimaçant, alors soit tu lui plais, soit c’est par respect pour moi, mais il n’a pas réagi à ta gaffe ! En temps normal, tu aurais eu le droit à quelques remarques cassantes !"

Elle s’interrompit pour regarder Dan passer la commande au barman.
"_ Je t’ai dit qu’on était dans un bar à cocktails, poursuivit-elle en regardant Luc dans les yeux, ici, la déspé, c’est considéré comme de la pisse d’âne juste bonne pour les adolescents boutonneux ! Si tu veux ressortir de cet établissement en bonne santé, tu es condamné à faire oublier cette faute de goût en commandant, après ta bière, au moins deux cocktails supplémentaires !"

Encore une fois, elle bluffait, les serveurs se moquaient bien de servir telle ou telle boisson tant que les clients payaient… Mais Maria avait pour projet de mettre à genou le français avant cinq heures de l'après-midi. En effet, l’ivresse a l’avantage de délier les langues les plus récalcitrantes. Elle lui fit un clin d’œil complice et se rassit au fond de la banquette pour reprendre l’analyse du caillou noir.
"_ 740°C, répéta-t-elle avec un œil soupçonneux, serait-ce la température caractéristique de fusion d’une certaine roche ? Je suis désolée, mon prof de géologie n’a pas réussi à me faire écouter en cours, je ne devinerai donc pas si c'est bien un truc dans ce style... Ton pouvoir serait-il lié à la chaleur terrestre ? Manipulerais-tu la géothermie ?"

Dan revint avec son plateau, servit la bière aromatisée accompagnée de sa rondelle de citron, le cocktail marron clair et posa la petite note au centre de la table avant de repartir. Luc, l’humeur apparemment guillerette, trinqua.
"_ Oui, bravo ! Répondit Maria en levant de même son verre, Na Z’drovié ! C’est marrant, tu le prononces avec l’accent polonais ! Euh… « A vortwe sanntèy »* ?"
[HJ: * Tentative de français /HJ]

Sur ces belles paroles, elle but une bonne gorgée de son tord-boyaux et sentit un petit frisson glacé remonter sa colonne vertébrale.
"_ Bon Dude, reprit-elle en soufflant, on passe aux choses sérieuses ? Tu as des questions sur la Confrérie ?"

Luc écouta Maria sans vraiment de réactions, réfléchissant. Oui il savait que c'était un bar à cocktails ici, que c'était un bar gay, qu'elle l'avait amené ici pour discuter, mais visiblement aussi pour en savoir bien plus sur lui que lui sur elle ou sur la confrérie. Du moins pour le moment.

Ne vous inquiétez pas pour leur amour propres, comme je l'ai dit à notre amis, la despé n'était que pour commencer. J'aime bien commencer soft, même si après ca doit y aller au déboucheur de canalisation. C'est comme un rituel si vous préférez.

* Ou pas ... *

L'étudiant, même si sur le principe il n'était pas contre un petit coup, n'avait pas envie de finir par terre à dégobiller. C'était pas dans ses habitudes, et de toute façon c'était très rarement arrivé, car la quantité d'alcool qu'il devait ingurgiter pour en arriver à là était assez conséquente, son corps un poil modifié génétiquement semblant absorber une partie de l'alcool ailleurs que dans ses synapses.
Mais la dernière fois que c'était arrivé, il s'était réveillé chez lui, hagard, et couvert sur toute une partie de son corps de la couche habituellement sporadique de cette obsidienne. Il avait après avoir avalé presque un tube d'aspirine entier passé la journée à arracher cette croute, et dû passer dans une décharger pour se débarrasser des résidus de sa "seconde peau" .

Luc souria en voyant Maria se perdre dans ses déductions. Même s'il savait que ses paroles n'avait rien à voir par rapport à son pouvoir, du moins pas directement, il avait envie de l'envoyer s'égarer encore plus dans ses doutes.

Et bien vous auriez dû mieux écouter votre professeur, car vous vivez en permanence sur ce que vous avez décidé de ne pas comprendre. Vous venez de vous refroidir comme un basalte au fond de l'océan.

Les deux jeunes gens trinquèrent, et les paroles de la russe réjouit le jeune homme. Il eu même le droit à une tentative ( désespérante il faut dire ) de français, agrémenté d'un espèce d'accent russo-anglais, qui rendant la phrase incompréhensible. Mais il décida d'être galant.

Pas mal même si c'était pas tout à fait ça. On dit " A votre santé "

Luc se renfila quelques rasades de la bière avant de répondre à la Russe, qui semblait être un poil plus sérieuse... semblait.

Et bien... la question va peut être vous paraitre bête, et on vous l'a surement déjà posé de nombreuses fois, mais je me demande ce qui motive encore une guerre entre l'institut et vous. Tout le monde sait qu'il y a toujours eu des tensions et des divergences d'opinions depuis la fondation de ces deux entités, notamment entre les deux fondateurs, comme la place des mutants sur ce monde par rapport aux humains. Mais aujourd'hui...

Niveau alcool, Luc promit qu'il allait bien jouer le jeu. A la charge ensuite de Maria d’orienter les choix du français vers les cocktails les plus éradicateurs de neurones de l'Univers visible. Elle le guiderait subtilement vers le programme du Pink Flamingo connu sous le triste nom de « carrousel de la mort cérébrale » : une randonnée éthanoïque avec une seule destination : le coma de quelques heures accompagné de sa bouche ouverte et de sa coulée de bave.
Le pèlerinage démarrait avec un cocktail bière/vin blanc/sirop de cassis pour endormir la méfiance et tendre une embuscade. Puis on vous servait un petit verre de vin blanc liquoreux nature pour que le sucré anesthésie la brûlure de l’eau-de-feu. Étape suivante : un blasphématoire mimosa, mélange doucereux de champagne et de jus d'orange. Les bulles vous montaient directement au cerveau sans détour et détruisaient toute la matière grise sur leur passage. Pour enfoncer tout ça dans les intestins, un bon vin rouge bien râpeux suivait et, si jamais il restait des survivants, le serveur proposait la roue infernale des cinq vide-estomacs : une série de shots aromatisés de whisky, de tequila, de vodka, de rhum et de schnaps les uns après les autres dans l’ordre puis le désordre… L’après-midi s’annonçait bien mal parti pour les foies de nos deux héros !

Maria eut envie de casser son verre sur la table pour avoir un tesson tranchant et taillader le sourire énervant de Luc : cette ordure se délectait de la laisser s’embourber dans des suppositions sans pour autant lui donner un seul indice.
"_ Ce n’est donc pas une histoire de température, murmura-t-elle pour elle-même, la rage contenue, si, comme je le suppose, les deux roues crevées de la camionnette de la fourrière est de ton fait et si ce morceau d’obsidienne est un indice, alors peut-être es-tu capable de synthétiser cette roche et de t’en servir comme projectile… ?"

Elle n’abandonnerait pas avant d’avoir trouvé !

Toute à son verre de White Russian, Maria ne perçut pas la galanterie derrière les propos de Luc quant à sa prononciation du français et fut réellement flattée par le « pas mal ». Elle écouta attentivement la correction de prononciation.
On dit " A votre santé "

Maria, l’oreille tendue, ne parvint pas à voir en quoi c’était différent de ce qu’elle venait de dire mais se força à se corriger avec un "A vortwe sanntèy" tout aussi épouvantable que le premier !
Elle but une bonne lampée de son cocktail au café et écouta attentivement la question de Luc jusqu’au bout. Il allait falloir mentir ou, tout du moins, édulcorer la vérité.
"_ Une guerre ? Répéta-t-elle en faisant tourner son verre entre ses doigts, comme tu y vas fort, Dude ! Autant ce terme pouvait être justifiable au temps de l’Institut et de la Confrérie, autant, de nos jours, il n’est plus adapté pour le Nouvel Institut et la Confrérie Moderne ! Tu es juste en retard de cinquante ans ! "

Elle but une nouvelle gorgée de son cocktail et reprit :
"_ Les relations entre nos deux organisations ne sont pas hostiles. Elles tiennent plutôt d'une bête concurrence commerciale ou même d'une rivalité entre deux équipes de hockey. Nous faisons en gros le même boulot, chacun de notre côté, avec des méthodes différentes. Mais, en tant que confrériste convaincue, je suis obligée d'admettre à contrecœur que nos concurrents obtiennent d’aussi bons résultats que nous."

Ces paroles étaient si fausses, si honteuses et si révoltantes qu’elles eurent pour effet d'irriter le larynx de Maria en s'échappant, façon cactus arrosé d'acide nitrique pimenté. Mais Maria, professionnelle habituée à ce genre de discours, n'en laissa rien paraître.
"_ Tu t’es sûrement fait cette idée en nous entendant nous chamailler Lemington et moi, n'est-ce pas ? Supposa-t-elle en regardant son interlocuteur dans les yeux, sache que c’est juste un petit jeu entre nous… Une sorte de concours de celle qui se montrera la plus désagréable avec l’autre. Mais je respecte infiniment cette personne qui a fait beaucoup pour la cause mutante tout comme, je suppose, elle me respecte pour mes prises de position officielles ! Nous nous taquinons mutuellement mais nous ne nous ferons jamais aucun mal."

L’âme même de Maria faillit de désagréger suite à ses affirmations mensongères au possible. La vérité était que la porte-parole haïssait purement et simplement Samarah ! Cette télépathe dingue avait, sur un coup de sang, détruit son petit bijou électronique omnifonction ultra cher lors de la conférence du British Museum. Et ça, ça ne pourrait se régler définitivement qu’avec la torture lente et la mort de la vandale en question.

Quelque chose de plus simple ? Maria but une nouvelle gorgée de son cocktail et leva les yeux vers le plafond blanc comme si elle espérait trouver l’inspiration dans la démarche tête-en-bas des mouches.
Le pouvoir de Luc... Si elle réduisait à un seul mot tous les indices dont elle disposait, il restait « terre ».
"_ Se pourrait-il être de l'élémentarisme géokinésiste ? Tenta-t-elle avec une grimace de doute, en somme, la capacité à manipuler l'élément "Terre" ? Par contre, je n'arrive pas à concilier cette idée avec ton bout de verre noir…"

Pour illustrer son propos, Maria donna une pichenette sur une extrémité de l'obsidienne. Le petit morceau de roche noire exécuta trois tours sur lui-même comme une toupie et s'arrêta, vaincu par les frottements.
La russe avait décidé d'abandonner là son cours de prononciation française. Qu'importait, de toute façon ? Les francophones constituaient une espèce en voie de disparition, leur langue incompréhensible étant condamnée à disparaître purement et simplement d’ici les deux prochaines décennies. Et c’était tant mieux quand on percevait les difficultés d’accent qu’il fallait surmonter rien que pour dire un simple « à votre santé » !
Le français rejoindrait bientôt le cimetière des langues mortes où l’attendaient déjà pas mal d'homologues européennes mineures et serait témoin, depuis son linceul, du règne sans partage de l'anglais.

Maria remuait consciencieusement son cocktail avec une touillette en plastique rose tandis que Luc lui faisait part de ses doutes concernant ses réponses. Pour l’instant, rien de surprenant : il ne posait que des questions prévisibles. Elle s’attendait à recevoir le retour de boomerang sur l'incident dont il avait été victime lors de la conférence sur l’Évolution. Elle avait sa réponse toute prête.
"_ Je suis sincèrement désolée pour cette histoire, Luc, fit-elle en posant sa main gantée sur celle de son interlocuteur, tu m'en as parlé l'autre fois sur l'holonet mais, en fait, ça ne m'a rien rappelé... Ça peut te paraître étonnant, mais je pense que tu as mal interprété des choses que tu ne pouvais comprendre. Note bien que ce n'est pas de ta faute : il y a toujours beaucoup de confusion quand on discute avec un télépathe... Et les quiproquos tels que celui-ci sont légions !"

Elle retira sa main, il était inutile de stresser l'étudiant plus que de raison :
"_ Les conversations avec Samarah sont troublantes, poursuivit-elle avec un sourire, car elles se déroulent constamment entre deux étages : l'un oral, l'autre psychique. Avec elle, on commence les phrases avec la langue et on les termine avec le cerveau. Seuls ceux qui ont accès à ces deux niveaux peuvent comprendre l'intégralité des propos. C'est ce qui t'est certainement arrivé : tu as débarqué comme un cheveu sur la soupe en plein milieu de ce genre d'échange et tu n'as rien compris… C’est comme si tu avais cherché à saisir la trame d'un film sans en connaître le début et n'en ayant vu qu'une scène coupée sans bande son !"

Elle marqua une pause pour reprendre une gorgée de White Russian :
"_ Mais je peux t’assurer, conclut-elle en détachant bien ses mots, que, même si les toutes les apparences t'ont semblé contre moi, tu n’as jamais été une seule seconde ni agressé, ni menacé, ni même pris pour un pion dans un jeu d’échec !"

Transformer la vérité en mensonge était un exercice parfois difficile. Dans ce cas là, non… Il avait suffi à Maria d'affirmer avec aplomb exactement l’inverse de ce qu’il s'était réellement produit : car oui, sans aucun doute, Luc avait été bel et bien menacé et pris pour un pion dans un jeu d’échec. Mais affirmer l’inverse si catégoriquement troublait toujours les certitudes fragiles de l'auditeur !

Première question : répondue ! Même si elle se doutait que Luc reviendrait à la charge, elle passa à la deuxième question, plus simple et classique :
"_ Kenjiss, murmura-t-elle en regardant le fond de son verre presque vide, Kenjiss le cruel, Kenjiss le destructeur, Kenjiss le tueur d’humains… Ne perçois-tu pas une anomalie dans ce triste portrait, Luc ? "

Elle se mit à rire et reprit d'une voix enjouée :
"_ Kenjiss est un être détesté, il a tout un tas d'ennemis puissants. Et si, comme tu sembles le penser, il n'y avait ne serait-ce qu'une part de vérité dans tout ce passé obscur qu'on lui prête, crois-tu qu’on l'aurait laissé s’afficher comme leader d'une organisation internationale de l'envergure de la Confrérie Moderne ? Crois-tu même qu’il ne serait pas derrière les barreaux ou au fond d'une oubliette ? C'est ridicule : ses légions d'ennemis ne lui auraient accordé aucune chance !
Hélas, la célébrité est un cadeau qui est toujours livré avec son emballage de rumeurs... Je ne suis pas en reste moi non plus, porte-parole de la Confrérie, avec mon soit-disant passé en hôpital psychiatrique !
Prends un jour le temps de lire sur l'holonet tout ce qui est raconté sur le passé de Samarah Lemington. C'est exactement le même topo que pour Kenjiss, voire pire ! Meurtres, parricide, secte, folie furieuse... On l'accuse même d'être responsable du black out de la conférence sur l'Évolution ! C'est dingue !"

Et Maria savait de quoi elle parlait : elle était à l'origine de pas mal de ces rumeurs circulant sur l'holonet.
"_ Soyons clairs, fit-elle pour conclure en pointant Luc du bout de l'index, je mentirais si je te disais que Kenjiss a toujours été un ange. Ce serait faux et même pas crédible : il a fait des erreurs, comme tout le monde, il a eu des positions et des discours extrêmes… Mais jamais il n’a tué, ni torturé, ni étranglé personne ! Ce sont des histoires pour effrayer le public et lui offrir sur un plateau la figure d'un grand méchant loup à haïr !"

Elle termina d'un trait les derniers centilitres de son White Russian et reposa le verre sur la table.

Luc afficha un demi sourire. Demi content parce que Maria avait réussit le jeu d'enigme, demi contrit parce qu'elle avait réussit. Lui qui avait réussit à cacher à la plupart de son entourage sa nature de mutant, encore de quel type était son pouvoir, voilà qu'une personne qu'il connaissait à peine avait réussit à deviner que quoi il était capable. Bon d'accord elle était une mutante, de la confrérie qui plus est, et il savait qu'il n'avait pas à avoir honte, mais ça ne lui plaisait pas de parler d'une chose aussi... personnelle. Bah tant pis, le mal était fait.

Vous avez trouvé. Je suis un géokinésiste. Et pour le rapport avec ce bout de "verre" comme vous l'avez appelé, vous allez comprendre très vite.

Connaissez vous l'obsidienne? C'est une roche d'aspect poli, translucide et en même temps très obscure, et très dure, d'une très bonne résistance mécanique aux chocs. Luc saisit le morceau de roche entre ses mains et le fit tourner, faisant miroiter les lumières dessus.
Il n'y en a pas plusieurs variété, sa constitution est connue depuis longtemps. Pourtant vous avez une énigme de la science devant vous. 99% des atomes et des structures cristallines de ce bout de verre montrent que c'est une obsidienne. Mais il y a un atome, un composant qui n'a rien à faire là. C'est une obsidienne, j'en suis sûr et certain, mais en même temps c'est un type qui n'existe pas sur Terre... ou du moins le seul filon connu au monde se tient juste devant vous.

Luc remonta légèrement son pantalon, de façon à ce que seule Maria puisse voir sa jambe. Une ligne épaisse et sombre lézardait la jambe matte du jeune homme.

Par je ne sais quel processus, à chaque fois que j'utilise mon pouvoir, voilà se qui apparait sur une partie de mon corps. On peut dire que c'est le contre coup. Luc baissa le pantalon et recouvrit à nouveau sa jambe.

Il prit sa bière et en avala une bonne partie du contenu, les yeux un peu dans le vague. Jamais il n'était allé jusqu'à expliquer ainsi son pouvoir. Par un heureux hasard, ou malheureux ça dépendait, il était partit dans un cycle d'étude sur la géologie et ce qu'il l'entourait, ce qui lui permettait d'étudier directement le phénomène qui le concernait. Il avait apprit à connaitre bien mieux que la plupart des mutants des informations et des données sur son pouvoir.

Mais il ne savait pas jusqu'où s'arrêtait sa maitrise. Aujourd'hui même, ce qu'il avait réussit à faire l'étonnait encore, jamais il n'avait réussit à interagir d'aussi loin et avec bien moins de concentration qu'il lui fallait d'habitude. Il sentait que sa maitrise de son pouvoir s'affinait, petit à petit, mais ce qui lui faisait peur, c'était de ne pas savoir à quel point il s'arrêterait...

Il écouta attentivement la réponse de Maria à ses questions et interrogations. Il retint une grimace qu'il masqua par un avalé de bière. Il s'était douté que Maria manierait parfaitement son discours. Elle n'était pas pour rien la porte parole de la confrérie. Et c'était si bien dit qu'il était presque prêt à la croire sur parole.

Ca doit être le problème des télépathes, ils doivent perde à la fin la réalité de la conversation, switchant par réflexe entre la pensée et la parole en permanence. Il doit leur être difficile de faire la part des choses.

Mais de l'extérieur, on avait bien l'impression que la situation entre vous deux était bien plus tendue que vous le laisser croire. Comme je vous l'ai dit, j'étais aux premières loges. Et vu les regards de furies que vous vous lanciez, j'imagine que c'était pas des politesses que vous échangiez mentalement. Et pas besoin d'être télépathe pour le deviner.

Luc jouait avec le goulot de sa bouteille, la faisant tourner et se balancer entre deux doigts, en observant le liquide qui restait à l'intérieur subir les mouvements. Luc s'imaginait dans la bouteille, tentant de nager et de rester à la surface malgré les tourbillons, les flux et reflux.

Maria continua de suite sur le cas du Directeur. Pareil que précédemment, elle lui débita le même discours qu'aurait prononcé un avocat à propos de son client. Mais pourquoi il gardait une telle appréhension? Pourquoi il n'arrivait pas à être d'accord avec Maria. Luc ne savait pas pourquoi. Il était... méfiant. Il se moqua de lui même intérieurement. Il était aussi méfiant envers la Confrérie Moderne que le serait un humain face à un mutant.

Mouai surement. Être à cette position exacerbe toujours les tendances aux rumeurs les plus folles n'est-ce pas. Comme pour tous ceux qui se tiennent au premier plan, sous les projecteurs. J'aurai bien du mal à vous voir ici alors que vous auriez suivit cette fameuse thérapie lourde dans un asile psy. Ne souriez pas, j'ai fais pas mal de recherche de mon coté avant de venir. Tout comme vous j'imagine. Je serai bien déçu que vous ne sachiez pas quelque chose sur moi alors que nous avions un rendez vous.

Il finit sa bière d'une traite, avalant d'un coup les quelques gorgées qui restaient au fond de la bouteille, regarda les inscriptions pendant un instant en faisant tourner l'objet maintenant vide entre ses mains, avant de la poser en faisant claquer le cul de la bouteille contre la table.

Maria reprit l’obsidienne en main et la tourna vers la lumière pour voir si elle pouvait obtenir des reflets différents. Rien… Le verre volcanique restait noir sous tous les angles.
"_ Un composant qui n’a rien à faire là, tu dis ? Et c’est quoi ?"

Si Luc avait le malheur de sortir un truc comme de l'or, de l'argent, du platine, de l'osmium ou du rhodium, elle modifierait complètement ses projets le concernant ! Le géokinésiste trouverait une emploi à vie à la Confrérie Moderne comme producteur officiel de métaux précieux.
Mais les choses n'en n'étaient pas encore là. Elle reposa le morceau de roche noire sur la table et regarda Luc dans les yeux.
"_ Et cette drôle d'évolution ne t'effraie pas ? Demanda-t-elle avec une voix où transparaissait une inquiétude sincère, pour l'instant, ça semble se localiser sur tes jambes... Qui t'assure que ça ne va pas commencer à se développer sur ton visage et bloquer tes voies respiratoires ? Ça c’est déjà vu, ce genre de truc !"

Pour une fois, Maria n'exagérait pas. Il arrivait réellement parfois qu'un pouvoir s'emballe et porte atteinte à l'intégrité de son possesseur. Elle agita ses doigts gantés.
"_ Et, crois-moi, je suis très au courant de ce genre de problème... Quand les pouvoirs se retournent contre soi... Si je ne portais pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre ces gants de cuir, le simple contact de mes propres mains mettrait ma vie en danger !"

C'est pourquoi quand Maria découvrait des évolutions étranges de pouvoir, elle envisageait d'abord le scénario le plus pessimiste.
Comme prévu, Luc était revenu à la charge avec cette histoire de prise d'otage pendant la Conférence sur l'Évolution. Le mensonge précédent avait été énorme, la meilleure attitude à adopter maintenant, pour faire passer la pilule, consistait à saupoudrer le tout de poussières de vérités :
"_ Effectivement, Dude, fit Maria en riant de bon cœur, tu es observateur, il y a bien eu des regards de furies échangés ! Je n'imaginais pas qu'ils avaient été aussi visibles... Mais tu as vu juste, ma conversation avec Samarah était bel et bien houleuse ! Cette télépathe a un sacré caractère de cochon ! Si tu savais sur quoi on se disputait, tu te moquerais de nous... De vraies gamines à la crèche !"

Et le tour était joué... Une dose de mystère, une tartine de non-dits, un petit sous-entendu comme quoi il serait déplacé et malpoli de chercher à en savoir plus et hop, le sujet était clos ! Voilà comment on court-circuitait dans les règles de l'art une discussion gênante.
Si Luc voulait revenir sur l'incident, il serait obligé de prendre une voie détournée.

Luc évoqua alors les recherches holonet qu’il avait effectué sur elle… Maria sourit. Elle avait été la première à évoquer les rumeurs concernant son passé psychiatrique... Quelle meilleure méthode pour les discréditer ? Luc d'ailleurs ne semblait pas y croire une seule seconde... S'il savait !
"_ Et bien tu vois, Luc, commença-t-elle en faisant rouler son verre entre les paumes de ses mains, tu te trompes complètement ! Je n’ai fais aucune recherche sur toi ! La preuve : je ne connaissais même pas ton pouvoir ! En fait, je voulais te rencontrer vierge de tout préjugé et..."

Le doigt levé vers le plafond, Maria s’interrompit dans sa lancée. Une ombre gigantesque venait de recouvrir la table. Elle tourna lentement la tête et leva les yeux en direction de ce qui faisait écran à la lumière.
Une montagne humaine, du genre de celles qui passaient leurs vies dans des centres culturistes, se dressait devant eux avec un sourire aussi enjoué qu'édenté.
Le colosse portait avec la même élégance une chemise hawaïenne à fleur et une moustache poivre et sel. Son crâne luisant reflétait parfaitement la lumière des néons. Cou de taureau, visage de cochon nourri aux hormones, haleine de mouton au réveil, ce type aurait pu travailler comme enseigne vivante de boucherie.
"_ Salut Maria ! Meugla-t-il d'une voix gaillarde, dis-moi, il est drôlement mignon ton copain... Tu nous présentes ?"

Maria pesta. Flûte ! Elle aurait dû s'assurer, avant de venir ici, que ce casse-pied-pot-de-colle n'était pas là. De mauvaise grâce, elle fit les présentations :
"_ Luc, je te présente Timothée, un habitué... Timothée, voici Luc, un ami français !"

"_ Oh ! Bonjour ami français !" [HJ : en français, bien sûr !] Répondit la brute du tac-au-tac avec un accent à couper au couteau

"_ Euh.. Excuse-nous, Tim', mais je dois parler avec ce jeune homme, c'est important !"

Contre toute attente, le grand Timothée ne se laissa pas démonter et vint s'asseoir aux côtés d'un Luc qui paraissait tout chétif à côté.
"_ Mais ne vous gênez pas pour moi, fit-il sans perdre son sourire, j'attendrai que vous ayez terminé... En attendant, je vous offre ma tournée ! Eh Dan ! Viens prendre notre commande !"

Flûte ! Voilà qui était fâcheux : Timothée semblait avoir le béguin pour Luc... Et il était connu dans tout le quartier pour les colères destructrices que ses déboires amoureux lui faisaient piquer !

Maria était mal à l’aise. La présence du molosse la stressait. Elle se trémoussait sur son siège comme torturée par une envie pressante. Elle n’était pas la seule dans cet état : un silence de mort avait envahi le Pink Flamingo. Tous les clients regardaient en direction de leur table en retenant leur respiration.
Timothée ignora royalement les paroles de Luc - il ne prit, d'ailleurs, même pas la peine d'y répondre- et, d'un lever de fessier, reparcourut toute la distance que le français avait mise entre eux.

Maria savait que, désormais, ils étaient coincés : elle lui avait poliment demandé de partir une première fois, puis Luc avait renchérit avec quasiment la même politesse…
Connaissant la sensibilité à fleur de peau du monstre culturiste, elle avait conscience qu'il serait dangereux d’insister une troisième fois. C’est pourquoi se contenta-t-elle reprendre la conversation là où ils l'avaient laissé, comme si de rien n'était…
"_ Ce ne serait donc que du carbone ? Fit-elle d’une voix détachée, et ça apporterait de la dureté à ton obsidienne ? Comme avec l'acier ?"

La confrériste cachait mal sa déception, le seul carbone qui pouvait l’intéresser était celui qui se cristallisait en réseau cubique face centrée : le diamant.
"_ Je suis sûre que nous avons, à la Confrérie Moderne, des instruments qui te permettraient de vérifier ça… "

Timothée restait bouchée bée, accoudé sur la table, il regardait bêtement ses deux nouveaux amis et écoutait les propos de Maria sans comprendre.
Heureusement pour lui, le serveur arriva. Son regard s'illumina et un sourire ravi revint déformer sa moustache.
Visiblement, Dan n'était pas à l'aise non plus, son visage était crispé d'inquiétude. A l'appel du colosse, il avait aussitôt accouru pour éviter que son client favori ne fasse du grabuge.
"_ Oui ? Messieurs-dame ? Fit-il en serrant les dents, qu'est-ce que je vous sers ?"

Maria leva l'index et ouvrit la bouche pour passer commande mais Timothée fut le plus rapide :
"_ Ramène-nous trois bonnes grosses pintes de bières, pour moi et mes amis !" Brailla-t-il en envoyant un clin d'œil malicieux à ses deux otages.

Maria referma sagement la bouche et rabaissa son index tendu… Bon... De la bière ? Après tout, pourquoi pas ?
La commande était passée, Dan sembla pressé de partir se réfugier derrière son comptoir. Timothée se frotta les battoirs qui lui tenaient lieu de mains :
"_ Bon… Votre conversation ennuyeuse est terminée ? Demanda-t-il, impatient, on peut enfin commencer à se marrer ?"

Sans attendre de réponse, il balança une grande claque dans le dos de Luc :
"_ Alors, mon p'tit gars, meugla-t-il, hilare, de quel coin de la France viens-tu ? De Paris ? De la Tour Eiffel ?"

Maria sentit que la catastrophe était proche ! Elle pria de tout son cœur pour que Luc ne s'énerve pas et joue le jeu... Ils devraient peut-être subir quelques heures la présence de cette brute épaisse, mais ce serait un moindre mal !
Elle lança à son compagnon de galère un regard prononcé, un regard qui, espérait-elle, voulait signifier :
***Attention ! Ne le provoque pas ! Sois diplomate ! Il est dangereux !***

La présence du colosse était stressante. Et apparemment pas que pour Maria ou Luc. L'étudiant sentit que beaucoup de paires d'yeux étaient posées sur eux, et que la tension dans l'air avait prit un cran. Luc se contentait de l'ignorer du regard, préférant se concentrer sur la conversation avec Maria. Il saisit l'allusion qu'elle fit. Après tout pourquoi pas, autant assumer maintenant. Elle, elle ne s'en cachait pas ici, alors pourquoi lui.

Je ne suis pas sûr que vous ayez tout les instruments nécessaires pour faire ces analyses. Là il s'agit d'un travail très spécifique, avec des instruments que la faculté possède vu qu'il y a des recherches dans le même domaine. Le votre concerne plus le génome mutant et les mutants en général.

Luc appuya bien sa prononciation sur les termes mutations et mutants. Si ce gros balourd pouvait comprendre qu'il avait à coté de lui peut être deux des personnes les plus à même à lui faire passer l'envie de se retrouver l'envie d'aller au lit avec un autre mec. Entre Maria qui pouvait les lui couper ou au moins les lui gravement abimer en un tour de main, et de l'autre un mutant capable, en théorie, de lui faire gouter un coup de colère de Gaïa, il était mal barré.

Mais bon si tu veux qu'on fasse un tour à la Confrérie, pourquoi pas. Comme ça tu me fera la visite du propriétaire.

Le cerveau de Luc tournait à plein régime. Comment se débarrasser de ce pot de colle sans provoquer une bagarre où Luc aurait bien du mal à s'en tirer sans bobos.
Alors qu'il cherchait une solution, il reçue ce qui devait être une tape amicale dans son dos, lui faisant cracher ses bronches par terre. Suffocant, Luc eu du mal à s'en remettre. Purée il était aussi fort qu'il le paraissait.

Mais au lieu de jeter un froid dans l'esprit de Luc, il commença à sentir la moutarde lui monter au nez. Lui qui était d'habitude si calme. Il continua à ne pas chercher le regard du colosse, mais toute autre personne en face de lui pouvait voir qu'il n'était pas en état de plénitude actuellement.

Tout ce que tu as à savoir, c'est que je viens de France... ça devrait te suffire déjà.

Luc avait parlé d'un ton froid et calme, tout le contraire de ce qu'il se passait dans ses neurones. Par contre ce qu'il ne remarqua pas, ou plutôt qu'il ne sentit pas, c'est que la lézarde qui passait sur sa jambe commença à s'étendre, pour envelopper complètement le mollet et la jambe de l'étudiant.
Il vit le regard de Maria, le suppliant de ne pas faire de bêtise, mais dans son esprit tout était clair. S'il l'emmerdait encore, Luc ne répondrait plus de la suite. Jusqu'à quel point pourrait-il se retenir?

"_ Eu... Oui, la Confrérie… oui, c’est d’accord…" Fit Maria perturbée.

Luc venait à l'instant de lui dire qu’il était d’accord pour se jeter dans la gueule du loup et elle n’arrivait même pas à s’en réjouir ! La présence, à leur table, de l'intrus à la moustache poivre-et-sel l'angoissait au point de lui faire perdre de vue ses objectifs du jour !
Dan, le serveur du Pink Flamingo, revint alors avec la commande : trois pintes dressées en équilibre sur un plateau. Les clients dans le bar ne pouvaient détacher leurs yeux de ses jambes, tant la peur les rendait flageolantes. Tous craignaient qu’elles lâchent à un moment ou à un autre et que la belle moquette rose bonbon se retrouve tachée par une flaque de bière mousseuse.
Mais, heureusement, les muscles du serveur tinrent bon. Il vint se caler au bord de la table et servit ses trois clients avec un professionnalisme parfait !
"_ Ben alors, Dan ? Clama Timothée avec bonne humeur, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu es aussi pâle que si tu avais trouvé une fille nue dans ton lit !"

Dan répondit à cette bonne blague avec un sourire forcé, déposa discrètement la petite note sur la table et partit sans demander son reste... Devait-il prévenir les flics ? Au moins allait-il rester à proximité d'un téléphone !

Méfiante, Maria se pencha sur la table pour renifler le contenu de sa chope. Timothée n’avait donné aucune précision lors du passage de la commande, Dan avait dû lui servir sa bière habituelle... Et, comme elle l’avait craint, c’était de la bière "légère" à 2,5° d’alcool !
Le comble du mauvais goût ! Un crime pour n'importe quel gourmet ! Ce breuvage était d'une insipidité à vomir sans que soit éliminé tout son côté diurétique : en d'autres termes, on en restait désespérément sobre et avec, en plus, la vessie douloureuse ! Tout l'inconvénient de la bière sans son avantage.
Timothée, loin de toutes ces considérations philosophiques, leva sa chopine pour trinquer et en engloutit la moitié avec un plaisir non dissimulé.
"_ Aaaaaaaaaaahh ! Soupira-t-il en la reposant bruyamment sur la table, vas-y goûte, le frenchie ! Ça va te délier la langue, crois-moi !"

Timothée usait des mêmes artifices que Maria pour faire parler Luc, mais pas en vue des mêmes objectifs !
"_ Dis-moi, Maria, enchaîna-t-il sans reprendre son souffle, tu crois que ce sont mes muscles qui intimident ton copain ?"

Pour faire plaisir au molosse, la russe trempa poliment ses lèvres dans la mousse… Et retint un grimace. Beeurk, ce truc avait le goût d'eau minérale coupée à la bière !
_ Euh… Tu sais, Tim', répondit-elle sur un ton un peu gêné, je crois que tu te fais des idées… Luc n’est pas... homosexuel."

La russe envoya au géokinésiste un regard emprunt de doute… Elle demandait confirmation. Après tout, elle n’en savait rien, ils n'en avaient pas parlé !
Et ce fut là que Timothée, enivré par sa gorgée à 2,5°, dépassa les limites de la politesse. Il attrapa prestement Luc par les épaules :
"_ Ça, c’est ce que tu crois Maria ! Déclara-t-il, hilare, regarde son look aguicheur, regarde son froc qui lui moule les fesses, regarde ses muscles travaillés ! Un beau gosse qui se bichonne à ce point et qui traîne au Pink Flamingo ne peut être qu'homo... Même s’il refuse de l’admettre ! Peut-être est-il seulement trop jeune pour s’en être rendu compte ?"

A cet instant, Maria eut l’impression que le temps ralentissait... Comme si l’Univers entier retenait sa respiration à l'approche d'une catastrophe intersidérale.
Pour illustrer ses propos optimistes, Timothée prit une initiative audacieuse. Il se pencha vers le jeune français et, les lèvres arrondies en cul-de-poule, opéra un mouvement d’approche en direction de la joue gauche de Luc… L'impact humide était imminent !