Histoire :

18 Octobre 2030. Date fatidique à partir de laquelle Sinéad O'Hegarty, âgée alors de seize ans et dix-sept jours, vit sa vie se transfigurer. Jusqu'alors, elle avait mené une vie très banale – enfant irlandais, elle vécut avec sa mère après le divorce de ses parents, mère qui se remaria après –, qui en rien n'annonçait qu'elle serait mutante et qu'elle vivrait tant d'évènements.
Son pouvoir s'était, en réalité, révélé déjà avant – mais ses rêves étaient sans réels effets sur elle, bien qu'elle se sentît un peu « bizarre » le matin, en se levant. Ce fut ce cauchemar qui mit fin à ses légères interrogations, laissant clairement place à une terreur morbide.

Elle était dans sa chambre – une chambre un peu obscure, bien différente de d'habitude mais elle ne le remarqua pas. Elle restait dans son lit, allongée. Elle n'aurait su dire depuis combien de temps elle était là, ni pourquoi elle restait ainsi, pendant ce qui semblait des heures, sur ce lit : cela lui semblait parfaitement normal. Puis, lentement, comme sortis d'un profond sommeil, les objets se mouvèrent. Le bureau se déplaça silencieusement... la table de nuit se mit à ronronner, tandis que la lampe posée dessus grésillait. Une douce torpeur émanait de la chambre qui, toutefois, devenait inquiétante. Son cœur commençait à battre plus vite. Petit à petit, l'obscurité rongeait la lumière... un vent se leva – à moins que ce ne fut un frôlement, car elle vit une forme floue s'avancer vers elle. Et, terrifiée, elle releva les draps, si fins qu'ils semblaient un linceul... cela n'arrêta pas la forme qui, s'approchant de plus en plus, révéla un couteau entre ses mains. Paniquée mais n'agissant pas, Sinéad reçut le coup de couteau, directement planté dans ses côtes .

Un hurlement de douleur retentit dans la maison. Elle avait mal. Mal. Et du sang tachait les draps blancs... beaucoup de sang. Le coup avait été profond. Elle se leva tandis qu'accourait sa mère, qui, paniquée, la soutint. « Fais quelque chose, appelle les secours ! » hurla-t-elle à son mari. Sinéad, trop faible, s'évanouit à moitié.
Plus tard, quand elle se réveilla, elle était à l'hôpital. On avait su que c'était un coup de couteau, mais aucune trace d'agresseur... Sinéad dit ce dont elle se souvenait – son rêve, en fait –, mais cela ne mena à nulle part. L'incident fut comme clos – la peur s'était tue pour les deux parents. Pas pour Sinéad.
Elle cauchemarda encore. Et cette fois, ce fut clair. Ce n'était pas un agresseur, ou quiconque, qui lui faisait ça. C'était une mutante.

Quand ce mot traversa les lèvres de sa mère, chacun ressentit quelque chose de différent. La mère ressentit de la peur et de la peine – son mari, beau-père de Sinéad, ressentit de la crainte, c'est-à-dire eut du mépris. Quant à Sinéad, elle se sentit exclue et terrifiée.
Elle n'osa plus dormir et, même, faisait tout pour ne pas dormir. Aussi son état se dégrada lentement... jusqu'à devenir totalement nerveuse. Ses amis, qui venaient la voir, ne la reconnaissaient plus. Elle était fatiguée et irrascible, paniquée puis agressive... il était impossible de continuer comme cela.

Elle fut envoyée à l'Institut en novembre. Elle arriva à Boston tard le soir, aussi avait-elle prévu de dormir dans un hôtel. Enfin... « dormir »... elle ne put se l'empêcher, néanmoins : elle dormit. Et elle fit encore ce cauchemar – elle s'éveilla avec une vive douleur aux côtes. Elle ne saignait pas, mais c'était comme si on l'opprimait. Il était cinq heures. Elle sortit, dans la nuit, pour retrouver l'Institut...

Mais rien, là-bas, ne l'arrangea : dès son premier jour, l'Institut fut attaqué par les Sentinelles – puis, pendant un mois, elle n'osa dormir non plus, ni n'osa vraiment parler à ceux qui l'entouraient... le jour de l'An, pourtant, aurait pu promettre un espoir de se faire des amis – ou, au moins, des connaissances - : au réveillon, elle discuta avec Ambre, avec laquelle elles commencèrent à faire quelques projets.
Projets qui n'arriveraient jamais à terme. Tout fut balayé par l'arrivée du Comte di Smorgia. Celui-ci la manipula pour arriver à ses fins... droguée par le pouvoir de ce mutant, Sinéad n'eut d'autres choix que d'obéir : aider ce criminel pour tuer des humains, répandre le chaos... mais elle fut guérie de cette drogue. Et resta, là, comme un pantin vide – chose terrible, elle se regarda. Elle s'en voulait. Elle s'en voulait énormément... d'avoir été possédé, de n'avoir rien pu faire contre – elle avait tué quelqu'un, pensait-elle – chose fausse car Doris n'avait été qu'évanoui, mais elle fut convaincu de l'avoir tué –, elle avait des remords. Mais à cela, elle se disait qu'encore elle avait une excuse... qu'elle avait été possédée, cela la soulageait – et l'accablait. Car quand elle songeait à cette horrible nuit, elle sentait poindre des regrets. Elle avait aimé faire ça. Elle y avait prêté du plaisir. Et c'étaient ces regrets qui la tourmentaient – maintenant, elle se sentait coupable. Coupable d'avoir aimé être au service d'un être si diabolique. Sinéad devint encore plus hystérique, refusant de dormir. Et, quand elle dormait, ses rêves étaient si chaotiques qu'elle en oublia qu'elle pouvait les maîtriser. Un énorme travail s'opéra en elle. Un travail psychologique qui la rongea entièrement. Elle vécut à moitié jusqu'au 24 janvier 2031.
Autre date fatidique – mais cette fois-ci, pas tant pour Sinéad que pour de nombreux mutants. Sinéad ne fut, franchement, pas la plus affectée par cette attaque. Au contraire même : bien que bouleversée au début – que se passait-il ? –, elle entendit les militaires, dans leur porte-voix, dire qu'ils enlèveraient leurs pouvoirs s'ils le voulaient. Aussi, elle se rendit très simplement... elle ne s'enfuit pas, elle n'alla pas particulièrement vers eux. Ils la trouvèrent et la prirent. Puis, ils la vaccinèrent – elle ne demandait que ça, et même alors qu'elle était rongée par les remords, elle sentait un énorme espoir s'emparer d'elle – et elle les quitta quelques jours plus tard, après s'être rendue compte qu'elle ne souffrait plus de ses rêves autant qu'avant. Elle se sentit à la fois dépossédé de quelque chose et plus calme.

Elle revint chez elle. Sa mère. Son beau-père. Leur expliqua que maintenant, elle n'était plus mutante – on l'avait « vaccinnée ». Ils sourirent faiblement, peut-être peu convaincus. Et elle retourna à une vie calme... si calme... ses amis – qui avaient connu la rumeur selon laquelle elle serait une mutante – la craignaient et, par ailleurs, s'était éloignés d'elle suite à ses crises nerveuses. Elle continua ses études, essentiellement seule. Bien qu'elle dut rattraper certains points importants, elle n'eut pas vraiment de problèmes à réussir son année.

Son pouvoir réapparut en été. Plus précisément, le 4 août 2031. Dans son propre rêve – Sinéad le maîtrisait, cette fois. Bien sûr, elle l'avait déjà maîtrisé avant – sous l'influence, notamment, du Comte di Smorgia –, mais c'était tout à fait une autre chose que de le maîtriser, à froid, sans aucune perturbation – de se contrôler parfaitement, d'être dans son propre univers que l'on peut modifier à sa guise. La nouvelle, bien que l'effrayant d'abord, l'enjoua ensuite. Un manque était comblé.
Elle n'en parla pas. C'était, après tout, une bonne chose.. mais elle savait que ses parents (ou plutôt, sa mère et son beau-père) n'auraient pas cette même opinion.
Néanmoins, la joie laissa vite place à une sombre dépression. Quelques rêves plus tard, elle se retrouva dans un cauchemar de sa mère. Non pas le pire cauchemar que l'on puisse imaginer – ni le pire dans laquelle elle atterrirait – mais c'était bien étrange. Elle avait jusqu'alors oublié cet incident avec Kenjiss – mais lorsqu'elle s'éveilla suite au réveil en sursaut de sa mère, elle s'en rappela et sut ce qui s'était passé. Sa mère dut se rendre à l'hôpital. Et, bien entendu, ils firent la liaison avec elle... son beau-père l'accusa d'avoir menti, lui disant qu'elle était toujours mutante – sa mère, elle, un peu faible, lui en voulait. Comment faire autrement ? Elle venait de lui ouvrir le bras...
Décidant – si « désolés » qu'ils ne pouvaient pas la garder chez eux – et il était, pour la mère de Sinéad, impossible de l'abandonner à son sort -, ils lui fournirent suffisamment d'argent pour avoir un appartement à Dublin, lui affirmant qu'elle pourrait venir tant qu'elle voudrait... tant qu'elle ne dormirait pas près d'eux...
Aussi, Sinéad – blessée quoique comprenant les raisons de leurs actes – s'éloigna progressivement de sa famille. Elle vécut ainsi longtemps – revenant chez elle, ce qui n'était qu'à quelques kilomètres, quand elle devait leur faire signer un papier... du moins, pour la première année de cette vie. Quand elle entra en université de biologie, elle devint indépendante. Ou plutôt, elle le devint le premier octobre deux mille trente-deux, jour de ses dix-huit ans. Par ailleurs, elle s'immisca assez peu dans les rêves d'autrui inconsciemment, malgré la présence de nombreux gens autour d'elle. Elle menait presque une vie... normale. Mis à part que, dorénavant, elle restait consciente plus longtemps que la plupart des gens – étant consciente pendant ses rêves. Petit à petit, ses terreurs nocturnes l'abandonnèrent – mais jamais pour de bon. Elle se demanderait toujours – peut-être pas profondément, mais au moins en tant que pensée superficielle – ce qui arriverait cette nuit-là...
Ce fut au cours de cette même année deux mille trente-deux qu'elle rencontra l'amour au détour d'un couloir : Eion, du même âge qu'elle, brun aux yeux bleus, plutôt grand – un garçon pas parfait et conscient de ne pas l'être ; quelqu'un d'au premier abord sympathique. Leur « amour » dura plutôt longtemps, c'est-à-dire un an et deux mois – il apprit même, sans broncher, qu'elle était mutante, et affirma « mutants et humains, c'est la même chose ». Portée par sa confiance, Sinéad parvint à franchir un cap : en arrivant dans les rêves d'Eion, elle put se maîtriser et même contrôler légèrement ses rêves – chose dont elle n'abusa pas, ne voulant faire que du bien à son amour. En janvier deux mille trente-trois, Sinéad lui annonça qu'elle était enceinte. Et il la quitta car elle ne voulait pas abandonner cet enfant. Sans trop en comprendre la raison, pourtant elle ressentait un besoin impératif, maintenant qu'un fœtus grandissait en elle, d'avoir un enfant. Un instinct maternel sans doute aiguisé par le vaccin qu'elle avait subi...
Sinéad pleura Eion – mais cela ne le fit pas revenir. Elle le croisa ensuite, parfois, dans les couloirs, et ils se mirent à feindre, d'un accord commun mais tacite, l'indifférence.

Isleen O'Hegarty naquit le six juillet deux-mille trente-quatre. À partir de ce jour, sa vie se déroula tout à fait normalement. Du moins, comme pour une jeune mutante de dix-neuf ans, quasiment seule, qui se retrouve avec un enfant à sa charge. Elle en avertit ses parents, qui la soutinrent – c'est-à-dire lui donnèrent un peu plus d'argent, sans vraiment mots de réconfort ou conseils. C'était déjà mieux que rien... elle regardait souvent son « Ange », sa raison de vivre, et savait qu'elle trouverait là une énergie suffisante pour se battre toute sa vie durant.
Et effectivement, on peut dire qu'elle s'en sortit bien : elle put finir, grâce à l'argent de ses parents (qui étaient de fait plutôt riches), ses études, tout en s'occupant d'Isleen. Puis, quand elle rentra dans la vie active en tant que généticienne, elle se détacha de plus en plus de ses parents...
Cela continua ainsi pendant encore longtemps. Cependant, elle entendit un jour parler des enfants des mutants vaccinés... morts de vieillesse. Avant même vingt ans, pour certains. Et, bien entendu, elle s'inquiéta pour Isleen – elle n'avait qu'onze ans, mais même... penser qu'elle pourrait mourir si tôt... cela la faisait frémir.
Et cela la fit repenser à toute sa vie. Elle se rendit compte, en quelque sorte, qu'elle était seule. Bien entendu, elle avait des amis – mais, seule dans le sens où elle ne connaissait pas de mutants, ou que de loin. Quelque part, l'Institut lui manquait... ou l'idée de l'Institut... elle se demanda ce qu'ils étaient devenus - « ils », les autres pensionnaires. Par ailleurs, cette pensée n'était pas sans lien avec sa volonté de faire quelque chose pour Isleen.
En faisant quelques simples recherches – très sommaires à dire vrai, il lui suffit de rechercher quelques heures sur internet pour trouver le Nouvel Institut. Ainsi, ils l'avaient reformé... elle nota l'adresse et, quelques jours plus tard, confiant Isleen à une amie, embarqua pour Londres.

Retrouvailles. Pas forcément d'émouvantes retrouvailles – le peu de personnes qu'elle avait « bien » connues n'étant pas là – mais des retrouvailles parmi des gens qui avaient des souvenirs communs. Après quelques heures de discussion avec quelques anciens, elle proposa finalement de venir là, pour travailler dans le laboratoire en tant que généticienne – et puis, si besoin était, d'aider les jeunes – le rôle de tous les adultes à l'Institut, en fait.
Cela fait quatre ans maintenant. On pourrait dire que tout va bien. Mais à chaque seconde, le compte à rebours diminue...