« Chez Roubichou, on exauce vos rêves les plus fous ! »

Voilà le slogan qui avait retenu le regard de Doris, dans un supermarché. Oui, chez les Léolagus, c’est monsieur qui fait les courses, une semaine sur deux.
Il trouva l’idée farfelue mais, après tout, cela ressemblait à une excellente idée pour se détendre entre deux comités, cet été.

Il se rendit chez Roubichou, une bâtisse toute blanche, pure, immaculée, d’une netteté à faire blanchir un drap propre. Une modeste enseigne, accrochée à l’aide d’un petit fil, permettait d’être sûr qu’on était arrivé au bon endroit. L’extérieur était dépouillé. La suite allait se révéler bien mieux.
Doris pénétra par la grande porte et un homme vint l’accueillir. Il était grand, brun, élancé, ses membres semblaient sensiblement plus longs que la moyenne et sa fine musculature lui donnait un air… Malsain. Comme une marionnette qui s’agiterait au bout de ses fils. Comme une araignée. Son sourire, sensément chaleureux, était plutôt carnassier, limite cannibale.

- Bonjour Monsieur, vous désirez ?
- Hm… Doris jeta un regard en arrière, conscient d’avoir été aperçu et de ne plus pouvoir faire demi-tour. J’ai vu une publicité, concernant la possibilité éventuelle, de voir ses rêves…
- Exaucés, finit l’agent d’accueil en lui coupa la parole, ce qui était irritant. Oui bien sûr, suivez-moi.

D’un geste très souple et très fluide, une sorte de révérence gracieuse, il indiqua un couloir tellement lumineux qu’il en devenait aveuglant. Laissant à ses yeux le temps de s’adapter en étrécissant bien ses pupilles, le scandinave s’engagea le premier, talonné de près par son guide.
Ce dernier, au bout de quelques portes qui semblaient identiques, en pointa une du doigt. Après remerciements d’avoir choisi leurs services, le jeune homme retourna à l’entrée au cas où une autre âme errante s’aventurerait en ces lieux : son rôle aux côtés du suédois était terminé.

L’intérieur de cette nouvelle salle était très sombre. Par contraste, il fallut encore du temps à Doris pour s’adapter à la faiblesse de l’éclairage. A croire que l’ingénieur chargé du câblage électrique n’avait prévu d’éclairage QUE dans les couloirs.
Une fois devenu un quasi-nyctalope, Doris aperçut une femme, debout, à côté d’un siège. Elle souriait et l’invita à s’installer dessus.

- Bonjour monsieur, je vous prie de vous asseoir pour la suite.
- Merci, répondit-il en tâtant le siège. Il était ferme mais confortable.
- Exaucer les rêves est une tâche compliquée, mais je vous propose, si vous êtes d’accord, de bien préparer votre futur grâce à l’écran holo-tactile face à vous et tout le choix que nous avons à proposer.
- C’est d’accord, conclu-t-il poliment.
- Alors alors… Le vœu que nous exauçons le plus est une « abondance de femmes », dit-elle avec un clin d’œil entendu. Nous avons le modèle en plein air, que vous voyez ici, un peu sauvage, vous pourrez même régler leur Degré de Facilité plus tard, ou le modèle en intérieur, que vous pouvez voir là, plus convivial, plus casanier, avec l’option « entre amis ».
- Non ce n’est pas trop ma tasse de thé…
- Rassurez-vous, il existe aussi le modèle « abondance d’hommes », tout est paramétrable, jusqu’à la couleur des membres.
- Pardon, vous me comprenez mal. Je suis marié, précisa-t-il.
- Et alors ? s’enquit-elle, incrédule.

Doris soupira.

- Et alors, je n’ai pas envie d’une abondance de gens, quel que soit le sexe. Je suis déjà très satisfait.
- Ah bon, continua-t-elle avec un effort visible de réflexion. Vous n’allez pas être un client des plus faciles. Statistiquement, ajouta-t-elle, sans vouloir vous offenser. De très prisé, nous avons aussi « abondance d’argent » et « abondance de pouvoir », que vous pouvez voir ici ou là, peut-être êtes vous intéressé ?
- Moui, éventuellement…

Doris n’était pas très à l’aise, il ne savait pas comment introduire la suite. Il décida de mettre les pieds dans le plat en grand.

- Vous n’auriez pas quelque chose de plus axé sur la… Il hésita un bref instant. Sur la destruction ?
- Pas facile, dites. J’aime ça. Hé bien oui, selon la taille de ce que vous voulez détruire…
- Quelles tailles sont disponibles ?
- Toutes, comprises entre un être humain et l’Univers entier. Nous ne faisons pas les animaux de compagnie communs – chien, chat, poisson rouge – car notre politique éthique nous interdit de faire du mal aux animaux.
- Je comprends, je comprends, opina Doris. Disons que, bon… Mettons que…
- Vous désirez un assassinat ? risqua-t-elle.
- Pas vraiment… Disons que j’ai un ami qui veuille détruire la planète. Pas moi, bien sûr.
- Hmm, murmura-t-elle en signe d’assentiment.
- Quels modèles avez-vous à proposer ?
- Je vois. Nous en avons beaucoup, vous pouvez choisir la maladie par exemple, il suffit d’appuyer ici.

Sur l’écran, des schémas de diverses cellules et agents pathogènes apparurent. Elles remuaient légèrement et, en plissant les yeux et en forçant, on pouvait observer leur activité interne.

- La maladie. Peut-on en choisir une qui n’élimine que les êtres humains ?
- Bien sûr, vous pouvez même sélectionner le type d’êtres humains concernés : mutants, nains, noirs… Ou les trois à la fois, si la personne n’a vraiment pas de chance, précisa-t-elle avant de partir dans un petit rire cristallin. Il suffit de cocher les cases dans l’onglet « Cibles ». Il y a de nombreux avantages à cette méthode, vous pouvez par exemple définir le DST, le Degré de Souffrance avant Trépas. Vous pouvez aussi choisir le mode de transmission – je vous conseille l’eau et l’air, des classiques infaillibles, ou le sexe, un peu plus risqué mais plus palpitant.
- D’accord. Mettons que je veuille une maladie indétectable ?
- Je vois que monsieur est un connaisseur, continua-t-elle avec un sourire complice et plein de malice. En effet, ce mode n’est pas parfait, il y a des chances qu’un remède soit trouvé. On peut diminuer ce risque, au détriment d’autres facteurs comme le DST, mais l’absolu n’est pas possible.
- Je m’en doutais, hum… Sinon, vous n’avez rien de plus violent ?
- Si, bien sûr. Voyez, je passe un doigt là et j’arrive à la DAME, la Destruction Assistée par Machine ou Énergie. Vous pouvez choisir le type, la taille, le coloris…
- Donc, mettons que je veuille faire exploser la planète grâce au nucléaire ?
- Ou la faire détruire par une rébellion des machines, c'est bien cette catégorie. Pour votre idée, il suffit de sélectionner la « Bombe », carburant – d’accord, le mot est mal choisi – « Nucléaire » et taille du souffle « Planète ». Soit vous détruisez tout, soit la plupart des êtres vivants et des constructions. Vous pouvez choisir la couleur de l’objet et, en option, vous pouvez choisir d’y mettre des motifs dessus. Évidemment, l’inconvénient majeur…
- C’est que rien ne survit ensuite aux radiations, finit-il.
- Hé non, rien n’est parfait.

Doris s’adossa un instant pour réfléchir. Était-il possible de combiner les méthodes pour arriver à une destruction ultime ?

- Dites-moi, il me vient une idée… Et si je choisissais de coupler deux trois méthodes de destruction ?
- Nous avons des offres promotionnelles, justement, j’allais y venir ! Si vous en choisissez deux – par exemple maladie et bombe – la troisième est gratuite ! Vous pourriez prendre donc en option l’attaque de robots.
- Et par là même créer une nouvelle civilisation ? Les robots survivraient aux radiations et pourraient constituer un nouveau type de population.
- Exactement, je vois que vous avez déjà longuement réfléchi à la question. En prime, dans le cas où vous profitez de l’offre où la troisième est gratuite, on vous offre aussi un superbe set de couverts de table en acier inoxydable.
- Bien bien… Je peux paramétrer mes choix alors ?
- Je vous en prie, je vous laisse avec l’appareil qui va récupérer votre commande.

Après de longues minutes de réflexion, de choix, de pesée du pour et du contre, Doris appuya enfin sur le bouton « Valider ». L’indication « Insert card » apparut alors. Le riche suédois s’empressa d’obéir à la machine tout le temps qu’il fallut, avant de voir apparaitre les mots « Complete – Destruction On The Way ».

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Le lendemain, jour pour lequel il avait paramétré l’avènement de tous ses choix, Doris passa sa journée dans une chaise longue. Il mangeait du saumon à l’aide d’une fourchette et d’un couteau tous neufs.
Les premières lueurs apparurent au loin. Stokholm. Le spectacle promettait d’être somptueux.