Les évènements s’enchaînaient depuis 24h et pour être tout à fait honnête, Terry avait un peu de mal à les suivre. En vérité, il avait même carrément décroché depuis qu’il s’était effondré sur l’un des sièges du jet de Gray Senior. Il s’en était à peu près sorti indemne de la catastrophe à bord de la TransAtlante (il n’avait perdu que quelques écailles roussies et le concernant, la seule victime à déclarer demeurait son nouveau costume blanc immaculé… totalement foutu puisque recouvert de diverses tâches de sang) contrairement à Maria, qui se retrouvait avec les jambes brisées et Twik’ qui, plus grave encore, y avait laissé sa vue. Objectivement, le caméléon ne pouvait donc pas à se plaindre…

C’est donc dans cette même objectivité que le mutant se permit quelques heures de repos, bien méritées et surtout bienvenues après avoir vu la mort de si près. Il avait laissé Maria et Twik aux bons soins de Kenjiss et de Nath, se doutant déjà que la sombre dame ne serait pas la patiente la plus facile que leur nouvelle recrue aurait à affronter. Autant vous mettre dans le bain tout de suite, non ?

Etendu sur son lit, Terry avait émergé d’un sommeil agité et pas forcément réparateur. Ses yeux avaient repris leur couleur naturelle et ils fixaient intensément le plafond. Bercé par un profond silence, il réfléchissait. Loin d’être idiot, le mutant se doutait que la catastrophe allait avoir des retombées dont certaines risquaient d’être fort peu agréables. Mais à côté de ça, il avait la désagréable impression d’être passé à côté de quelque chose… d’important. Un élément dont vous sentez la présence mais qui pourtant reste insaisissable. Était-ce parce qu’une certaine personne avait refait irruption dans sa vie ce soir-là que cette sensation lui parasitait l’esprit ? Terry n’aurait su le dire… Et de toute façon, un bip sonore interrompit le cour de ses réflexions

Un coup d’œil à son communicateur l’informa de la réunion qui l’attendait depuis son réveil. Kenjiss n’était pas du genre à laisser traîner les choses. La situation exigeait de prendre les devants et sans grande surprise, le mutant s’exécutait sans attendre. Terry enfila la première tenue qui lui passa entre les mains. D’ordinaire assez regardant sur ce qu’il portait, il se surprit à ne mettre que du noir en cette soirée. Un signe sur l’ambiance qui s’annonçait dans la salle de contrôle ? Le mutant savait d’expérience qu’avec un Kenjiss énervé, il était préférable de mettre toutes les chances de son côté. Dans certains cas, la sobriété était de rigueur… si l’on tenait à rester en vie.

Le caméléon traversa les couloirs de la Confrérie d’un pas rapide. Il n’était pas réputé pour sa ponctualité tout comme Kenjiss ne l’était pas pour sa patience. Le Caméléon pénétra en silence dans la salle de contrôle et salua discrètement ses collègues. Etaient présents uniquement les confréristes qui avaient été conviés à bord de la TransAtlante. Bien, cela se précisait. Oui, l’heure était grave. Et il y aurait certainement des décisions à prendre.

Son regard se posa sur la carrure de Kenjiss. Terry ne fut guère étonné de le découvrir l’air maussade et le corps tendu. Pour le côtoyer quotidiennement depuis plus de 7 ans, Terry était capable d’interpréter certains signes dans le comportement de son leader. Et le corps musclé du tatoué, sur le qui vive, était prêt à mordre. Dès cet instant, le Caméléon se douta que la réunion ne serait vraiment pas de tout repos. Il ignorait juste encore à quel point et surtout pourquoi. Le nombre de morts survenu lors du drame risquait de se retrouver bien vite à la trappe à côté du poids de certaines révélations…

Et enfin Maria parut. Kenjiss lui jeta un regard froid. Gray et Terry, déjà installés, avaient à peine bénéficié d’une once de chaleur supplémentaire. Ils ne se doutaient pas encore des enjeux de cette confrontation, et si un soupçon les effleuraient, ils étaient encore loin du compte. Kenjis s’était habillé simplement pour cette réunion. Il avait enfilé son traditionnel t-shirt noir qui s’attirait généralement la plupart des regards foudroyants de Twikjeya. Peu importe. C’était une tenue pratique pour se battre, et il s’en était fallut de peu pour qu’il revête son armure complète. Car il avait l’intention de survivre à cette réunion, et il s’en fallait de peu, oh de tellement peu pour qu’elle vire au pugilat.

Bien.

Les banalités d’usage tout d’abord.

Je tiens tout d’abord à vous féliciter pour votre conduite sur la TransAtlante. Nous avons tenu tête à une bande d’humanoïde et malgré notre infériorité numérique, en avons éliminé deux tout en ne déplorant que des blessés. Maria, Twikjeya, je suis extrêmement fier de vous. Vous avez combattu malgré votre état… J’ajouterais que notre infirmière bien aimée a en outre porté un coup dur à la Lib’Corp en se débarrassant d’Helen Jones, un de leur têtes de proue. Excellente initiative.

Excellente initiative qui déplairait vraisemblablement fortement à June… Aussi le tatoué lui avait il menti pour la deuxième fois depuis leur rencontre. C’était une mesure de sécurité supplémentaire… Connaissant sa compagne comme il la connaissait, elle ne pardonnerait pas à Twikjeya et chercherait, sinon à se venger, à la trainer en justice. Hors, malgré toutes les capacités physiques de l’humaine, elle ne pouvait faire le poids face à la masochiste, qui était vraisemblablement capable d’encaisser les coups jusqu’à entrevoir, ou sentir en l’occurrence, une carotide à portée. C’était donc un mensonge inévitable… Ou du moins se le répétait il, sans l’espoir de s’en convaincre.
Kenjiss n’avait jamais été un grand adepte de la dialectique. Il espérait sincèrement que son petit laïus avait fanatisé ses confréristes, car la suite s’annonçait beaucoup moins agréable. A cause de Maria, il était acculé… Le tatoué se cala confortablement dans son siège, croisant les doigts dans une pieuse prière bien involontaire. C’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour montrer les marques autour de ses poignets. Puisque Maria voulait jouer la victime battue, il allait jouer le jeu…

Il y a autre chose.

Bordel qu’est ce qu’il pouvait bien leur dire ? Non, bien évidement, Kenjiss n’avait pas préparé son discours. Il flippait, il sentait qu’il allait leur jeter à la tronche des mots particulièrement vicieux pour des anti humains fanatisés…

Quelque chose de personnel.

Déjà, cela passait mal. « Personnel » ça ressemblait étrangement à « Ce que je faisais pendant que vous preniez des coups », ou bien « Des trucs plus intéressants que vos passe temps de chair à canon ».
Le tatoué darda un regard venimeux sur sa porte parole. C’était son job de manipuler les mots pour rendre une réduction de salaire aussi réjouissante que deux mois de vacances ! Pourquoi cette dingue devait elle l’acculer maintenant ? Qu’elle ne s’avise pas d’ouvrir la bouche maintenant… Surtout pas maintenant ! Kenjiss ouvrit la bouche. Il n’était plus amical, paternel ou quoi que ce soit. Il était foutrement stressé, et en tant que chef de la Confrérie, il allait avoir, plus que jamais, besoin de l’autorité que lui conférait son statut.

June, si jme plante, tu as intérêt à aimer la France…

J’ai une relation avec June Appleby, sous secrétaire de la Lib’corp. Cela ne vous concerne aucunement, et il est hors de question d’arrêter nos activités à cet égard. J’exige en revanche que Judith Appleby soit retirée immédiatement de la liste des cibles potentielles. Je n’ai nullement besoin de votre accord et cette déclaration n’est pas un sondage d’opinion.

Kenjiss se leva, poings sur le bureau, comme pour donner plus d’appui à ses paroles.

Si cette situation vous déplaît, vous être libre de quitter la Confrérie, sans indemnités de départ. En revanche. Si vous vous en prenez à elle parce qu’elle est humaine, Le mot était lâché. Je m’en prendrais à vous. A vous et à vos proches. Vos parents Regard à Maria. Vos frères et sœur. Gray. Et toutes vos relations proches. Terry. Seront prises pour cibles si vous tentez ne serais ce que de menacer ma compagne.

Twikjeya n’eut droit à aucun regard.

Alors. Qui veut du plomb dans la gueule en se déclarant immédiatement défavorable et en guerre contre mes relations personnelles ?

Kenjiss n’avait jamais été doué pour les relations de manière générale… Rien n’avait été dis sur les intérêts confrériste, mais c’était une omission volontaire. Il en contrôlait la majeure partie, et il était inutile d’argumenter sur son poids financier. Si l’opposition qu’il rencontrait était trop forte, son départ risquait de provoquer l’écroulement de la Confrérie. En d’autres termes, Kenjiss risquait le tout pour le tout, avec l’ironie mordante du paradoxe de la situation.

Lorsqu’elle entra dans la salle, Terry put constater qu’une fois de plus Maria s’était distinguée. Affublée d’une robe étrange –pour ne pas dire vraiment… spéciale-, le caméléon ne comprit pas tout de suite son utilité. Il eut un sourire. Il savait que parmi les bruits de couloirs au sein de la Confrérie, circulait la rumeur selon laquelle il n’avait aucun goût vestimentaire –rumeur dont il n’était pas difficile de trouver la source, soit dit en passant- mais ce soir, le Caméléon estima que la sanglante blonde l’avait battu sur ce point. Oui, vous avez bien deviné. Il n’aimait pas sa robe. Pas du tout, même.

Puis, il se souvint que la Russe avait deux magnifiques plâtres aux jambes. Plâtres habilement dissimulés sous des kilomètres de froufrous… douteux. Il l’observa encore quelques instants avant de constater la présence de traces noirâtres autour de son cou. Ah. Ca… ça n’y était pas avant leur escapade collective à bord de la TransAtlante. Et le Caméléon maudit son piètre sens de l’observation du moment pour ne pas l’avoir remarqué plus tôt. En même temps, vu les conséquences de leur fuite, le mutant était excusable.

Il regarda à nouveau Kenjiss. Il ne dut pas attendre très longtemps la suite de la réunion. Le tatoué prit la parole après s’être assuré, d’un regard noir bien entendu, qu’il avait sur lui toute l’attention de son audience. Il commença tout en douceur. A nouveau, le mutant esquissa un léger sourire, malgré la tension palpable dans l’atmosphère. Présenter le meilleur côté des choses avant de les creuser plus en profondeur. Technique simple et courante pour qui manipulait les foules et l’opinion publique. En l’occurrence, le tatoué avait face à lui en guise de foule à convaincre, ses plus proches collaborateurs. Alors pourquoi adopter une telle manœuvre ? Le sourire sur le visage du mutant disparut, au fur et à mesure qu’il écoutait leur leader.

Ils avaient réussi à gérer la situation, mais le prix restait lourd à payer. Kenjiss le soulignait à raison, Twikjeya et Maria avaient toutes deux salement morflé à bord de la plateforme. Le Caméléon tiqua à l’annonce de l’assassinat. Il ne se réjouissait jamais d’une mort. Et il ne s’en cachait pas. Kenjiss, lui, en pensait bien évidement tout le contraire. En tout cas, c’est l’impression qu’il donnait. Ils avaient eu l’occasion de frapper un adversaire, alors, ils l’avaient saisie. Pas de scrupules. Pas d’hésitation.

Silence.

Imperceptiblement, Kenjiss s’assombrit face à l’assemblée et un instant, Terry craignit le pire. Autre chose ? Le mutant avait-il décidé de lancer des représailles immédiates ? De faire passer un message –si possible sanglant- à l’armée américaine ? Si le silence du mutant traduisait bel et bien de telles interrogations s’agitant furieusement sous son crâne, alors Terry comprenait soudain l’utilité de cette ‘mise en bouche’. Personne n’avait osé frapper la BCGCDA depuis les évènements de Boston… Et se lancer dans une telle initiative relevait quasiment du suicide.

Il observa attentivement le mutant, redoutant sérieusement le pire. C’est à cet instant qu’il remarqua les marques autour des poignets de leur leader. Des marques qu’il venait subrepticement de mettre en évidence. Connaissant Kenjiss, c’était probablement calculé. Mais pourqu… ?

Soudain, Terry se figea. Avant de lancer un coup d’œil aux traces sur le cou de leur porte parole. Il eut tout à coup la nette impression que la tenue de l’une et les gestes de l’un étaient parfaitement calculés. Mais dans quel but ? Le Caméléon inspira. Bon. Surtout, rester calme. Une sensation désagréable coula le long de ses épaules, avant de descendre dans son dos pour finir par se noyer dans ses jambes. Qu’est ce qui s’était passé sur cette p*** de plateforme !?

La révélation se perdit quelque part entre la bouche de Kenjiss et ses oreilles. Elle n’arriva pas à destination. Enfin, pas tout de suite. Disons qu’il lui fallut un dizième de seconde supplémentaire pour percuter.

"Pardon ?"

Il ne se rendit même pas compte qu’il s’était exprimé à voix haute. Kenjiss venait-il bien d’avouer ce qu’il venait d’entendre ? Il… sortait… avec… June Appleby ?

"T’es pas sérieux ?"

Il le regarda, les yeux écarquillés de surprise. Les menaces balancées par le mutant lui passèrent loin, très loin, derrière la tête. De toute façon, pour ce qu’il en avait encore à faire de sa famille… Non. Il tentait toujours de se remettre de LA révélation du jour. Son leader, tueur acharné d’humains, sortait avec une humaine ! En soit, ce n’était déjà pas banal. Pour ne pas dire carrément une première. Mais pas n’importe quelle humaine, en plus !

"Toi… et… June ?"

Le mutant comprit soudain le comportement étrange et pourtant si éloquent que son chef avait arboré pendant 2 mois. Il comprit aussi, au vu des marques, qu’il n’était pas le premier à qui Kenjiss l’annonçait…
Et sans préavis, Terry explosa. Sans plus d’explications. Il partit dans un fou rire incontrôlable. Ce n’était pas l’endroit, encore moins le moment mais il y avait des choses comme ça… difficilement inévitables. Apprendre que votre leader réputé humanophobe acharné, entretenait une relation avec une humaine pouvait avoir de graves conséquences sur votre organisme et votre intégrité mentale.

Les nerfs, sûrement.

Entre le premier mot « Bien » et le dernier mot « personnelles » prononcés par Kenjiss, Maria avait conservé une expression faciale d'une neutralité parfaite. En tant que spécialiste des discours officiels, elle avait été capable de deviner avec exactitude la teneur des propos de leur leader. Elle notait chacune de ses inspirations, sentait comment il se forçait à moduler le ton pour insister sur des mots précis. Elle aurait presque pu prononcer les phrases une demi-seconde avant qu'il ne le fasse.
Les mots, les menaces, passèrent sur elle sans la perturber. Le regard fixé sur Kenjiss, un soupçon de sourire aux lèvres, elle avait l'expressivité d'une poupée de porcelaine.
Une fois le monologue terminé, elle soupira profondément. Calmement, après un rapide regard à droite et à gauche, elle prit la parole, d’une voix suffisamment forte pour couvrir le fou rire de Terry.
Elle ne s'adressait pas à Kenjiss, mais à ses trois collègues.
"_ Pour commencer, pas d'inquiétude à avoir, dit-elle posément en fixant Daniel, je ne serais pas entrée ici sans avoir pris le soin d'assurer nos arrières. Avec cet ordi, je suis, en ce moment, en liaison directe avec une personne de confiance qui saura quoi faire si les choses tournent mal pour nous. Elle enregistre toutes nos conversations en temps réel. En cas de problèmes, nos parents, nos relations et la presse seront prévenus à la minute !"

La personne à l'autre bout du fil ne pouvait être évidemment que son père, bien en sécurité dans leur résidence moscovite. Même s'il n'y avait pas d'image, Maria l'imaginait parfaitement bien assis face à son ordinateur, à la table de la cuisine le dos tourné vers la chaudière, écoutant stoïquement les menaces de mort à peine dissimulées à son encontre.
Le visage fixe, Maria poursuivit, sans l'aumône d'un regard pour le patron :
"_ Ensuite, Kenjiss a complètement raison sur un point : il couche avec une humaine, c'est son choix, ça ne devrait pas nous concerner directement..."

Dans cette simple phrase, elle s’était autocensurée des quelques qualificatifs blessants qui lui brûlaient les lèvres : "délirant", "dégoûtant", "répugnant", "zoophile", "avilissant" et "contre-nature". Aujourd'hui, elle ne laisserait pas ses sentiments prendre le pas sur la diplomatie.
"_ Je ne vais pas jouer le rôle de la méchante sans-cœur pourfendeuse de romantisme. Vous l'avez entendu, Kenjiss est prêt à tout sacrifier pour cette fille, il irait même jusqu’à décimer le monde entier pour elle. C’est mignon de voir à quel point il l'aime...
Il y a juste un problème : quoiqu'il en dise, de part ses fonctions, son histoire nous concerne tous bel et bien, qu'il le veuille ou non !
Que les choses soient claires, je ne m’inquiète pas des répercussions pour l'image de la Confrérie Moderne ! Au contraire, j'ai longuement retourné le problème dans tous les sens et j'en suis arrivé à la conclusion qu'il serait peut-être même plus judicieux de révéler l'affaire au grand public ! La populace sera certainement enchantée de voir qu'une telle idylle est, de nos jours, encore possible et il ne faudra pas attendre longtemps avant que Kenjiss et June ne deviennent le couple le plus en vogue du moment.
En interne, cela semblera tellement gros qu'il sera facile d’assurer à nos investisseurs que ce n’est rien d'autre qu’un coup de pub ! Tout le reste du boulot reviendra à notre couple de tourtereaux qui n'aura plus à charge que de fuir les hordes de paparazzi lancés à leur poursuite."

Maria regarda enfin Kenjiss, un sourire radieux aux lèvres, mâchouillant l'extrémité d'un crayon à papier. Elle savait très bien quels seraient les sentiments de son boss quant à ces idées d'affichage médiatique et d'instrumentalisation de sa relation avec June.
"_ De ce côté-ci, il n'y a donc aucun problème majeur. Qu'ils vivent tous deux heureux, qu'ils se lancent des mots doux du style "mon lapin en chocolat", qu'ils se marient même, ça nous fera de la promo !
...
Non, le vrai problème qui nous réunit aujourd'hui concerne la légitimité de Kenjiss au rang de dirigeant de la Confrérie.
...
Sommes-nous prêts à suivre un leader qui va aussi ostensiblement à l’encontre de nos convictions ? Pouvons-nous confier notre avenir à un tyran qui, pour justifier ses choix, se sent obligé de menacer nos familles, nos amis et nos propres vies ?
- Elle se massa le cou pour illustrer ses paroles -
Il est indéniable que sa liaison a eu un effet néfaste sur son travail et sur ses récentes décisions. Outre le fait qu'il soit moins présent, moins impliqué, d'humeur changeante, ses préoccupations charnelles l'ont poussé à faire de mauvais choix et on en a tous fait les frais ! Que dire de la mission à Chicago ? Il n'a pas hésité une seconde avant de nous envoyer à l'abattoir pendant qu'il s'accordait une petite virée en Angleterre. Comment ne pas le soupçonner d'avoir fomenter cela pour aller retrouver son amoureuse ?
Et la catastrophe de la TransAtlante ? Est-il besoin de rappeler les morts et les souffrances qui auraient pu être évités si Kenjiss était resté avec les siens ? Ce sont des fautes graves qui démontrent qu'il n'est plus un leader aussi fiable qu'avant."

Les yeux de Maria, grands ouverts, regardaient les mutants les uns après les autres :
"_ C'est pourquoi il est nécessaire qu'on s'accorde sur le fait que, en ce moment, Kenjiss n'est pas apte à diriger seul la Confrérie Moderne.
Je crois qu'il serait judicieux qu'on mette en place une tétrarchie : Kenjiss, Terry, Twikjeya et moi - elle lança un regard furtif à Daniel, elle espérait qu'il comprendrait qu'il était encore un peu jeune et trop récent dans l'organisation pour faire partie des dirigeants - quatre décideurs ayant des poids égaux face aux décisions importantes... Ce ne serait qu'une situation temporaire, bien sûr, le temps que notre leader reprenne du poil de la bête."

De toutes les idées qui lui étaient venues en tête ces derniers jours, Maria présentait la plus modérée. Il fallait voir maintenant la réaction des autres. Elle avait été parfaitement honnête en n'en parlant à personne avant maintenant.
De ces trois confrères, seule Twikjeya pouvait réagir de façon complètement imprévisible. Sa consœur verrait-elle sa fidélité suffisamment ébranlée par les révélations de Kenjiss pour suivre cette idée de le déposséder des pleins-pouvoirs ? Ou bien allait-elle se jeter à sa gorge pour la saigner à blanc ?
Maria l'ambitieuse savait qu'elle jouait un jeu très dangereux !

[Dan, je saute ton tour, n'hésite pas à poster juste après moi ]

Tous eurent des réactions différentes. Terry explosa de rire, Maria exposa son complot… Twikjeya ne bougea pas d’un pouce. Plongée dans son monde de ténèbres, la sombre dame écouta sans frémir les déclarations répugnantes de Kenjiss. Ainsi donc le traitre se révélait au grand jour, assumant sa zoophilie avec une fierté nauséabonde… La mutante eut l’impression d’être plongée dans une eau sibérienne après avoir été recouverte de charbons ardents. Un frisson de dégoût courut le long de sa colonne vertébrale… L’infirmière retint une nausée, le cœur au bord des lèvres tandis que Maria achevait de présenter son plan machiavélique… Quelques secondes passèrent, silencieuses.

Twikjeya Elkash se leva. La sombre dame se dressa de toute sa petite taille, s’appuyant de la main gauche sur sa canne. Le métal heurta le sol alors qu’elle contournait son siège, lentement, brisant le silence de petits cliquetis métalliques. Elle porta sa main droite à sa bouche, mordit d’un coup sec les doigts qui se présentaient devant ses dents… Un filet de sang se transforma bien vite en quatre griffes. A l’exception du pouce, chaque doigt se retrouva pourvu d’une petite lame de rasoir de cinq centimètres. Une arme mortelle pour peu qu’on sache s’en servir… Un silence lourd semblait s’être abattu sur le centre de contrôle. Un silence brisé par une voix glaciale. Twikjeya n’avait jamais été réputé pour la chaleur réconfortante de sa voix et les accents mélodieux étaient ici écrasés par un blizzard tranchant, d’autant plus implacable qu’il contrastait fortement avec l’hilarité de Terry.

Tombent les masques… Tandis que le Gomorrhéen pavoise, fier de ses abjectes fornications, l’orgueilleuse elle, se lance à corps perdu dans la conquête d’un pouvoir trop lourd pour ses frêles épaules… Et le bouffon, rieur, incapable de comprendre ce qui se trame, se réjouit de voir les trentes deniers changer de main…

Maria sentit brusquement une main glaciale sur sa gorge, tandis que la tête de la dame de souffrance apparaissait au dessus de son épaule, chuchotant presque à son oreille…

Depuis quand complote tu rapace ? T’es tu donc jurée de mener notre cause à sa perte ? Elle resserra son étreinte, frémissant d’avance de sentir une carotide palpitante sous ses lames. Jusqu’où irait tu pour satisfaire ton désir si… inavouable ? Garde toi de poursuivre cette chimère, Maria. Il n’est de victoire contre le maître de la gravité… Je ne t’aiderais dans cette cause perdue, malgré l’affection que je te porte.

La sombre dame se redressa, relâchant son étreinte non sans une dernière caresse menaçante, alors que ses armes serpentaient contre la gorge de sa compagne… Elle tâtonna quelques instant, passa à gauche du fauteuil sans même accorder d’attention à Terry. Il en restait un à présent… Twikjeya reprit la parole au rythme de sa canne qui frappait le sol alors quelle avançait, implacable, vers le bureau de Kenjiss.

Mais les complots des ambitieux ne doivent occulter l’acte horrible de celui qui se vantait de nous mener à la victoire…

Le métal résonna lorsque sa canne percuta le bureau. Même blessée, recouvertes de bandages qui auraient rendu n’importe qui ridiculement bigarré, on ne pouvait retirer à la sombre dame une certaine grâce, un certain esthétisme dans chacun de ses mouvements. Maintenant qu’elle était aveugle, la chirurgienne faisait d’autant plus attention au plus infime de ses gestes… Twikjeya s’arrêta au bout de quelques mètres, laissant sa robe se reposer paisiblement sur le sol, noir panache de malheur.

Kenjiss… Comment … Comment peux tu oser prétendre protéger cette courtisane du courroux des trahis ? Une nouvelle nausée l’agita, faisant résonner ses boucles d’oreilles. A présent que j’ai abattu Helen Jones, ton inferior va monter en grade au sein de son association… Tu protège nos ennemis Kenjiss…

Et brusquement, Twikjeya ouvrit les yeux. Elle savait désormais avoir l’attention du chef de la Confrérie… Et lui livrait à présent ses blessures. Les globes oculaires avaient été déchirés, lacérés, transpercés de toute part par les éclats de verre de la TransAtlante, transformant ce qui avait été des yeux magnifiques en un champs de bataille…

Contemple donc l’œuvre de tes humains ! Repais toi de l’abjecte blessure que ta putain m’as infligée, en te retenant dans son lit au moment où nous avions besoin de toi… Je suis aveugle par votre faute. Si je ne puis te tuer par égard pour ce que tu as fais pour moi, je ne me priverais pas de retrouver ton inferior…

Twikjeya ne souriait pas. Elle ne pleurait pas. Elle conservait son visage de marbre. Et c’était d’autant plus terrifiant.

Tu me prive de la présence de ma fille pour cette année Kenjiss. Ton humaine me prive de Nissja pendant une année entière !

Un index décharné se pointa vers le chef de la Confrérie.

J’exige quarante cadavres humains d’ici la fin de la semaine. Pour me prouver que je ne maintiens pas un traitre au pouvoir…

Kenjiss resta stoïque sous les assauts de ses confrères. Et pourtant le tatoué eut droit à tout. De l’hystérique de service qui s’effondre de rire à la nana la plus fêlée qui soit en passant par la vipère de l’ombre qui se jetait à sa gorge, tout crocs dehors… A vrai dire le tatoué était en train de se traiter d’imbécile. June n’aurait elle pas été plus en sécurité s’il avait collé une balle dans la tête de Maria sur la TransAtlante, balançant son corps dans l’océan pour régaler les p’tits poissons. D’un autre côté, n’aurait il pas pu non plus jeter June en pâture à ses fauves ? Bien sûr, il l’aimait… Mais si sacrifier sa compagne signifiait économiser les centaines de millions de dollars dépensés dans la construction de la Confrérie tout en sauvant les centaines de mutants qui comptaient sur une organisation unie et efficace… N’y avait il pas une décision à prendre avant de se confronter à ses dingues qui constituaient malgré tout le rassemblement de talents le plus efficace qui soit ?

Malheureusement pour lui, Kenjiss avait prit sa décision. D’une part, il pensait enfin apaiser une conscience trop tourmentée déjà par quelques actes peu glorieux, mais il y avait également un avantage à provoquer une crise à la Confrérie. Cela permettait de la désamorcer… D’éviter qu’elle explose à un moment réellement critique. D’un autre côté, si la Confrérie courait au schisme, il aurait tout le temps de se flageller en se traitant d’abruti aux plans foireux. En attendant, c’était à lui. Deuxième round… Kenjiss tendit une main apaisante vers Terry.

Merci Terry, j’apprécie vraiment ton soutien heu… spontané ? A moins que tu te foute de moi, c’est gentil.

Puis le tatoué tourna son regard noir vers la demoiselle qui avait déclenché tout ça. Il n’avait jamais cru pouvoir trouver autant de défauts à celle qui, quelques semaines auparavant, était la porte parole parfaite, si l’on exceptait quelques tares psychotiques et autres déboires sanguins.

Avant que je ne court circuite ta tentative de coup d’état foireuse, je vais te demander une chose Maria… Crois tu vraiment que j’ai dépensé quatre millions dans la seule isolation de cette pièce, dont j’ai fais le bunker de la Confrérie pour que les ondes de ton malheureux ordinateur parviennent à passer outre ? Cette pièce est prévue pour résister à tout type de bombardements et tentatives de piratage, je crois que tu peux éteindre ton ordinateur Maria. Papounet ne reçoit que des parasites…

Et le sourire sarcastique du tatoué montrait bien à quel point il était ravi que l’horripilant père de sa non moins horripilante secrétaire fixe bêtement de la neige sur un écran. Seule avec la bête hein ?

Donc. Première chose, je ne t’interdis pas de diffuser mon histoire. De toute façon tu t’en foutras… Je te descendrais bien aussitôt que tu auras envoyé ce potin aux journaux mais tu seras partie pour la Russie, je te connais. Donc, si tu diffuses ton histoire, je serais ravi d’y ajouter la liste de tes soucis psychologiques et séjours dans des hôpitaux spécialisés. Je suppose que les critiques adoreront parler du licenciement de la slave psychopathe qui tente de discréditer son boss avec des potins de bas étage…
Partager le pouvoir ne me gêne absolument pas. Je veux simplement m’assurer que nous soyons tous égaux dans nos apports à la Confrérie… Donc je vais demander à chaque co directeur…
-D’avoir investi autant que moi dans la Confrérie, soit 897 millions de dollars et je vous épargne les centimes.
-De posséder le même réseau de relations douteuses apte à fournir des armes modernes et illégales.
-D’être capable de se mettre en liaison avec trois groupes terroristes majeurs, notamment ceux à l’origine des attentats de Chicago, toi qui décrie si vite mes plans, reconnait au moins que celui ci a été efficace.
-D’avoir éliminé au moins un humano à mains nues. Nous sommes des combattants n’est ce pas ?

Dès que quelqu’un correspondra à ces critères, je serais ravi de partager le pouvoir avec cet individu. Par la même occasion Maria, toi qui critique ma non présence et les morts qu’elle a occasionné sur la TransAtlante, peut être puis je te rappeler que tu n’as pas complété le parcours d’entrainement depuis un bout de temps à présent. Peut être qu’une meilleure forme et connaissance des techniques de combat t’aurais permis de riposter efficacement ? Je ne serai pas toujours là pour vous sauver la peau…

Mais l’ange noir gâcha tout. Kenjiss suivit la prestation de Twikjeya en silence, doigt croisé. Il commençait à être habitué depuis le temps… Toujours aussi tarée. Enfin elle ouvrit ses yeux mutilés face à lui, l’accusant de traitrise et… d’être un gamorréen ?

Heu écoute Twikie moi aussi j’adore Star Wars mais ça date un peu hein… Références foireuses je trouve…

La suite fut beaucoup moins amusante et Kenjiss se raidit instinctivement. Cette nana parvenait presque à lui faire peur parfois… Dommage qu’elle n’ait pas resserré son étreinte sur la gorge de sa rivale, ou de sa compagne, il ne savait jamais. De la blondasse qui la manipulait, ou qui croyait la manipuler, il ne savait pas non plus… Sa voix résonna à nouveau, sèche, cassante. Ce n’était pas tant l’accusation de traitrise qui le mettait hors de lui mais la menace. Twikjeya était implacable…

Si tu t’en prends à June Twikjeya, je te le ferais payer au centuple. Je suis réellement navré pour Nissja mais je t’accorderai des congés dès que tu seras guérie pour aller la voir… Je sais, ce ne sera pas son anniversaire, et alors ? Elle sera quand même contente de te voir… Mais ne touche pas à June. Jamais.

Enfin Daniel parla. Petite lueur d’espoir dans cette Confrérie de tarés… Kenjiss hocha la tête en guise de remerciement. Il n’aurait jamais cru pouvoir compter sur ce petit égoïste arrogant mais s’il lui fournissait un soutien inespéré…

Merci Daniel. Pas de tabloïds. Je vous promets que rien ne changera, laissez moi faire bon sang….

Mais il fut à nouveau interrompu par Twikjeya qui se déchainait réellement aujourd'hui... Kenjiss fit la grimace en fixant le doigt pointé vers lui, prolongé par des griffes menaçantes. Quarante cadavres... S'il appréciait parfois le dévouement de la chirurgienne, il en venait parfois à se demander comment se débarrasser d'elle discrètement. Le jour où elle déciderait de passer réellement à l'action selon ses méthodes, lui même doutait de pouvoir l'arrêter sans la flinguer. Et puisqu'elle le testait, il riposta. Elle voulait éprouver sa force ?

Non. Nous n'en sommes pas aux massacres aveugle Twikjeya. Et si je ne dessoude pas de l'humain à tour de bras, que fais tu ? Tu t'en prends à moi peut être ? Reste rationnelle bordel, on ne va pas dézinguer n'importe qui pour te faire plaisir !

Si Terry s’égara bien malgré lui dans une hilarité surprenante et plutôt inattendue, il ne tarda pas à être ramené à la dure réalité. Par les propos de Maria d’abord et la réaction de leur Twikie nationale ensuite. Mais reprenons les choses dans l’ordre. En soi, la proposition de Maria ne l’étonna guère, l’ambition de la demoiselle étant à peu près tout aussi démesurée que son ego. Terry se contenta de l’écouter, l’air neutre. Bon, en fait non, pas si neutre que ça, son esprit étant encore plus ou moins occupé à essayer de se remettre de la révélation du tatoué. Vous ne serez guère étonné d’apprendre que plus de la moitié des propos de leur chère porte parole passèrent donc à la trappe. Mais comme Kenjiss ne cautionnerait jamais une telle idée, il en était certain, ce n’était pas très grave. Lorsqu’il reprendrait la parole, leur leader lui confirmerait d’ailleurs ce qu’il avait pensé. Et puis de toute façon, prendre la tête de la Confrérie ne l’intéressait pas.

Venait ensuite, la réaction de Twikjeya. Beaucoup plus inattendue. Seconde révélation de la soirée, la dame des glaces avait une fille. Ah bon ? Terry en écarquilla les yeux de surprise. Voilà bien une chose qu’il n’aurait jamais imaginée, ni même cru possible… Twikjeya étant… eh bien, Twikjeya. Mais revenons-en au principal. Sa réaction, froide et dangereuse. Pour ne pas dire complètement déplacée. Selon Terry. D’accord, leur chef venait de leur annoncer sa relation avec une humaine et pas n’importe laquelle en plus, mais ce n’était quand même pas la fin du monde pour autant ! Cela semblait juste… irréel. Et si Terry aurait en effet pu lui en vouloir pour certaines de ses magouilles qui les avaient tous mis en danger, dont la mission à Chicago, il aurait été en ce moment bien incapable de lui en tenir rigueur. La surprise était trop grande. Lui et June… Rien que ça.

Le Caméléon préféra rester muet tandis que la dame des glaces réglait ses comptes avec Maria et Kenjiss, celle-ci l’ayant superbement ignoré, Terry n’avait pas la moindre envie d’aller se frotter à ses lames. Il fallait laisser passer la tempête, même s’il faillit s’étrangler lorsqu’il entendit sa demande.

*40 cadavres !? mais elle exagère là !*

Heureusement, là encore, Kenjiss imposa son véto et lorsqu’il lui tendit la main, Terry lui assura le plus sérieusement du monde cette fois :

"Je ne me permettrais pas. C’est juste que… ça m’étonne vraiment. Oui, c’est… réellement surprenant de ta part", réflexion plus personnelle qu’affirmation destinée à Kenjiss

Parce que venant de June, même si cela faisait longtemps, il semblerait bel et bien que la jeune femme n’avait pas changé. Pour se retrouver avec Kenjiss… Cela ne l’étonna donc pas. Le mutant se racla la gorge avant de poursuivre. Si au final cette relation ne le dérangeait pas- au contraire, elle aurait même tendance à prouver que tout n’était pas encore perdu concernant la mentalité de leur leader- il devait néanmoins mettre les choses au point.

"Maria… Twik’… ce qui est arrivé sur la plateforme est regrettable, surtout pour vous, mais que Kenjiss ait été ou non avec nous dès le début n’aurait rien changé… Et de toute façon, le mal est fait. Cela ne sert à rien de ressasser, nous ne saurons jamais ce qui se serait passé si…, un moment d’hésitation, il ne parvenait décidément pas à associer l’idée ‘June-Kenjiss-lit’ dans la même phrase aussi se contenta-t-il de préciser simplement après un raclement de gorge supplémentaire, s’il n’avait pas quitté la salle de réception. Le principal étant qu’il nous ait finalement rejoint. Cela devrait te prouver l’inutilité de ta proposition, Maria. Kenjiss est peut-être bien… amoureux, pourquoi cette idée lui semblait-elle bizarre ? Ah oui, peut-être parce que ce genre de truc n’avait pas l’air d’arriver souvent au tatoué, mais il sait encore où vont ses responsabilités, du moins je l’espère pour lui. Coup d’œil à l’intéressé. Tu es libre de faire ce que tu veux… tant que tu gardes à l’esprit tes priorités. Je pense ne pas me tromper en affirmant que tu en es capable, n’est ce pas ? June est peut-être bien sympathique mais… garde la tête sur les épaules, Kenjiss", une utopie hélas lorsque Cupidon avait ravi votre raison au profit de votre cœur.

Les paroles de Daniel l’étonnèrent aussi. Pour une fois qu’il tenait un discours censé, presque dépourvu de méchanceté gratuite.

"Il n’a pas tort… June va monter dans la hiérarchie avec la mort d’Helen Jones, il jeta un coup d’œil révolté et surtout inutile à Twik, le mutant ne cautionnait jamais une mort gratuite, encore moins un assassinat injustifié, tu n’as décidément pas choisi la facilité. Une humaine… et à présent haut placée à la Lib’Corp, Twik ne t’a pas rendu service en te débarassant de leur sous directrice. Tu as intérêt à le dire à June avant qu’elle ne le découvre elle-même…"

Car vu son caractère... Terry était vraiment curieux de voir comment allait évoluer leur situation à présent. Et s’il constata que le mutant était déjà visiblement prêt à faire beaucoup de choses pour l’humaine, il ne savait pas ce qu'il devait en penser. Il n'avait rien contre Kenjiss, rien contre June non plus. Mais même s'il n'était pas toujours d'accord concernant les décisions de son leader et certaines idées des Confréristes, Terry restait persuadé qu'il ne fallait pas ruiner 7 années de travail pour une amourette. Une amourette ? Rien n'était moins sûr. Terry jeta un coup d'oeil au tatoué. Bien des choses prenaient à présent leur signification maintenant que le voile était levé... Des choses qui auraient probablement du le mettre sur la voie si le Caméléon avait été doté d'un sens de l'observation un peu plus poussé.
Finalement, Terry eut un sourire. June Appleby… Qui l’eut cru ? Une fille décidément extraordinaire. Peut-être aurait-il du la croire un peu il y a 20 ans…

Sans dire un mot, Maria referma lentement son ordinateur portable inutile et se pinça l'arête du nez en grimaçant, comme pour chasser un mal de tête. Pendant cette dernière minute, elle était passée par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel émotionnel, elle devait prendre quelques secondes pour s’en remettre.

Tout d’abord, Terry et Daniel. Ces deux zozos ne lui avaient inspiré que du mépris. Daniel pour ses interventions superflues, Terry pour ses idées sorties toutes droit de la forêt des bisounours.

Plus intense, l’intervention théâtrale de Twikjeya avait réussi à générer en elle, tour à tour, quatre sensations distinctes :
_ L’inconfort tout d’abord… causé par la caresse froide et tranchante des griffes métallo-organiques sur sa peau.
_ Puis la déception… L’infirmière, pourtant en accord avec elle sur l’ignominie de la trahison de Kenjiss, désapprouvait l’idée qu’on puisse envisager de lui retirer le pouvoir absolu.
_ La stupéfaction, ensuite… En apprenant que cette froide meurtrière était, pour une personne dans ce bas-monde, rien de plus -ou de moins- qu’une maman.
_ L’enthousiasme enfin, pour cette idée amusante du sacrifice de quarante humains. En effet, selon sa réponse, le boss risquait de perdre soit June, soit Twikjeya !

Kenjiss, de son côté, lui avait fait ressentir trois émotions négatives distinctes :
_ Dans un premier temps, l’embarras… Comment avait-elle pu omettre l’isolation électromagnétique de la pièce ? La prochaine fois, elle s'arrangerait pour rester branchée au monde extérieur, quitte à trainer un câble de connexion derrière elle.
_ Le malaise, ensuite... La menace de révéler au grand jour ses antécédents psychiatriques avait fait mouche. Elle avait beaucoup travaillé pour faire disparaître toutes traces de ce passé. Kenjiss avait-il vraiment les moyens matériels de déterrer tout cela ?
_ L’agacement, enfin, d'entendre parler d'argent et d'entraînement plutôt que d'honneur et de responsabilité.

Huit émotions différentes… Mais pas celle sur laquelle Twikjeya et Kenjiss tablaient pour la faire taire : la peur.
Les véritables pestes de compétition ne sont, en aucun cas, des trouillardes. Les marques sur le cou de Maria en étaient bien la preuve : une vraie peste est capable de risquer sa vie pour une répartie cinglante...
Il était d’ailleurs temps qu’elle reprenne la parole.
"_ Premièrement, Terry, fit-elle en soupirant, j'ignorai tes talents de clairvoyance… De quelle boule de cristal sors-tu que la présence de notre leader n’aurait pas évité le massacre ? Tiens-tu compte du fait que, s’il était resté avec nous, Samarah Lemington aurait également été là ? Crois-tu vraiment que la présence de deux des plus puissants mutants de la Terre n’aurait pas modifié un tant soit peu le cours des évènements ? Je suis certaine que l’humano sur scène n’aurait même pas eu le temps de terminer son discours !
Deuxième chose, vois ces belles traces de doigts sur mon cou... Penses-tu sincèrement qu'un type capable d'étrangler ses alliés à la première contrariété est capable de garder la tête sur les épaules ?"

Du bout des doigts de sa main droite nue, elle se frotta la gorge… sans qu’aucune marque n’apparaisse.
"_ Kenjiss, poursuivit-elle très posément, s'adressant pour la première fois au leader, tu refuses peut-être de le reconnaître, mais tu sais au fond de toi que tu as trahi notre idéal – car, tout le monde ici sera d’accord, la Confrérie Moderne n’est pas qu'une histoire de centaines de millions de dollars, c’est avant tout un état d’esprit, des convictions voire une philosophie-.
Si tu nous as convoqués ici, c’est, je suppose, dans le but d’éviter le schisme, d'arranger les choses… Et je crois qu’il est maintenant temps que tu nous exposes tes propositions.
Twik’ et moi t’avons suggéré des idées pour redresser la situation, tu les as refusées en bloc.
Alors, vas-y, c’est à ton tour. Nous attendons tes solutions... Quelle est la suite du programme, maintenant ? Car j’ose espérer que menacer nos proches ne constitue pas ton seul argument, n’est-ce pas ? Tu veux rester à nos yeux un leader, pas une menace, pas vrai ?"

Malgré toute l’assurance dont elle faisait preuve, Twikjeya était déchirée. Elle vivait dans un océan de ténèbres dépourvu de toute lumières depuis bien trop longtemps à présent. Privée de sa vue, la sombre dame avait paré au plus pressé en apprenant à se déplacer seule et à lire seule. Mais certaines blessures, et elle le savait depuis fort longtemps, n’étaient pas jouissives. Et depuis dix minutes, les lames ne cessaient de déchirer un cœur plus fragile que la dame de souffrance n’osait se l’avouer.
Chaque mot que prononçait Kenjiss était une irruption de douleur. Chaque réplique de Maria agrandissait une plaie déjà béante. Aucun d’entre eux ne regrettait rien… Terry défendait Kenjiss. Kenjiss refusait de tuer des humains. Maria s’entêtait à mettre en difficulté le chef de la Confrérie pour mieux le déposséder de son pouvoir. Elle n’avait que faire de l’intérêt des mutants dans tout ça. Daniel intervenait peu. Il les méprisait tous. Nissja était privée de sa mère. Et elle, Twikjeya, était aveugle, incapable de riposter. Incapable de pardonner. Incapable d’encaisser.

Nul ne la regardait, mais depuis quelques secondes déjà, des larmes de sang ruisselaient le long des joues de la jeune slave. Ce n’était que la réaction normale d’un corps qui tentait désespérément d’éliminer les toxines de ses yeux malmenés, elle n’était aucunement liée à sa tristesse actuelle, mais l’effet demeurait saisissant. Deux longues trainées rouges maculaient la peau d’albâtre. Et Twikjeya restait immobile, petite silhouette tremblante de fatigue au milieu du Centre de Contrôle, tandis que tous se disséquaient la Confrérie. Elle balbutia. Elle, la femme si sûre de ses mots, qui en maitrisait les moindres accents avec une rigueur implacable, elle qui savait rester stoïque des heures durant sous une pluie battante et glaciale, hésitait.

Comment…

Ce n’était plus la tristesse qui emplissait son cœur à présent. L’entame de phrase qu’elle était parvenue à articuler lui avait remis la tête sur les épaules, semblables à une douche glacée. Elle ferma les yeux, inspira profondément sans prendre la peine d’essuyer ses larmes vermeil. Twikjeya écouta ses boucles d’oreilles cliqueter doucement. Elle prit une seconde inspiration. Doucement. Attentive à chaque réaction de son corps. Il lui fallait se maitriser. Et grâce à sa foi infaillible, elle y parviendrait. Elle respira doucement. Expira lentement. Il n’y avait rien de bon dans la colère ou dans la tristesse. Seule une implacable absence de sentiments permettait à l’esprit d’agir clairement et efficacement. Redevenir la dame de glace… La sombre mutante lissa sa robe du plat de la main, désormais parfaitement alerte et maitresse d’elle-même.

Elle était momentanément aveugle, privée de sa fille et hésitante sur la marche à suivre. Premier cas à traiter, Kenjiss. Ce traitre refusait obstinément de considérer son sacrifice et daignait à peine lui jeter à la figure des … congés. Pathétique abruti. Ce n’était pas un cadeau, c’était une pitié qu’elle ne lui connaissait guère qui le faisait agir ainsi. Twikjeya ne voulait pas de pitié. C’était une arme de faible pour les faibles. Si le tatoué faisait l’erreur de la prendre pour quelqu’un de faible…
Maria ensuite. Le sujet était déjà plus compliqué. De part sa relation ambigüe avec la porte parole, elle se savait peu objective. Twikjeya fronça les sourcils. Il était envisageable que la vipère tente de la manipuler en abusant de ses sentiments. Elle se savait fort peu expérimentée avec ce genre de manifestations qu’elle ne pouvait plus nier désormais. Elimination potentiellement envisageable, même si l’on ne pouvait nier ses talents d’oratrice. C’était une faille dans sa cuirasse.

Dan et Terry n’étaient pas intéressants. Ce n’étaient que des suiveurs, dans le cas de Terry qui blâmait déjà son assassinat. Traitre potentiel donc. A surveiller de très près, d’autant qu’il semblait saisir la balle au bond en accordant à Kenjiss un crédit illimité. Tentait il d faire dévier la Confrérie de son objectif initial ?
Dan lui, ne semblait pas prendre cette affaire à cœur même s’il préconisait un alignement sur la conduite du chef de la Confrérie.

Malheureusement, aux yeux de l’aveugle, ce dernier avait perdu toute crédibilité.

Twikjeya avança de quelques pas pour revenir au centre de la pièce. La dame de douleur était généralement vue comme un chien efficace, docile et zélé… Malheureusement pour eux, ils ignoraient ce dont elle était capable. La plupart des confrères se méfiaient d’elles, mais en redoutant peu une quelconque initiative. C’était une erreur particulièrement grave. La dame des glaces leva un maigre bras de noir vêtu, tentant d’obtenir un silence qu’elle savait difficilement possible. Pourtant, elle y parvint. Excellent. Et la voix froide de la mort résonna dans la pièce.

Il est manifeste que nous courons au conflit ouvert. Maria Aleksandrovna Yevgeniyen, par intérêt personnel et malgré son prétendu intérêt pour la cause mutante, s’acharne inutilement. Kenjiss s’obstine à camper sur ses positions en nous promettant un avenir inchangé. Terry Nohlann pense déjà à faire dévier la Confrérie sur des bases moins radicales. Daniel Gray rejette en bloc toutes nos solutions et préfère s’aligner sur le chef de la Confrérie.

Elle s’interrompit un instant. Twikjeya avait peu l’habitude de parler et soignait donc tout particulièrement ses intonations glaciales. On ne pouvait imaginer discours plus glaçant.

J’invite donc (et inviter était peu dire) chacun à se retirer immédiatement. L’acharnement et la colère ne sont que maux alors que nous cherchons solutions. Il est évident que les rancœurs personnelles et les sentiments hargneux envers Kenjiss ne nous permettent pas une discussion claire.

C’est pourquoi je vous demande de vous retirer.
Si dans un mois à compter d’aujourd’hui, Kenjiss n’a pas fait preuve d’un surpassement personnel au service de la cause mutante, il sera considéré comme un traitre aux yeux de tous et exécuté immédiatement.
Si dans un mois à compter d’aujourd’hui, Maria Aleksandrovna Yevgeniyen n’a pas prouvé qu’elle faisait fi de son intérêt pour le pouvoir au profit de la cause mutante, je l’exécuterais de mes mains.
Si dans un mois à compter d’aujourd’hui, Daniel Gray ne manifeste pas un quelconque intérêt pour la cause que nous défendons, il sera exécuté de même.
Et enfin Terry Nohlann, prompt à une détente immédiate. S’il ne montre guère plus… D’activisme afin de défendre nos intérêts, sera exécuté pareillement.

Je prie donc chaque membre de redoubler d’efforts pour ne pas me réduire à ces extrémités regrettables.

En vous remerciant.

Et la sombre robe se rassit lentement. La petite femme au visage de glace qui venait de s’exprimer venait de menacer sans l’ombre d’une crainte tous les mutants présents dans la pièce. Twikjeya croisa les doigts devant son visage, glaciale. Et le fantôme blanc ne bougea plus, à peine illuminé par ses traits vermeils.

Surprenant de ta part… Kenjiss hésita fortement à balancer son siège dans la tête de Terry, mais il se ravisa au dernier moment. Cela n’aurait fait que confirmer les plaintes de Maria, qui montrait à tous sa gorge meurtrie par la poigne de fer du tatoué. Kenjiss avait la désagréable impression de marcher sur des charbons ardent quoiqu’il fasse. Et comme n’importe quelle personne qui sentait sa voute plantaire frire, Kenjiss était de mauvaise humeur. Ce fut le moment que choisit Terry pour adopter le ton du parfait donneur de leçons. S’il y avait bien une chose qui énervait Kenjiss, outre les humanoïdes, les humains, les opposants à la Confrérie, l’Institut, Lemington, les élèves de l’Institut, les journalistes, les avocats, les flics, les vendeurs de Nutella, les secrétaires vipères folles à lier, les balances, les agents du cercle, les agents des Etats Unis, les personnes trop froides pour être saines d’esprit, les personnes saines d’esprit, les provocateurs, les politiciens et les livres comportant plus de deux lignes par page, c’était bien les donneurs de leçons.

Terry écopa donc d’un regard embrasé. Loin de se la jouer iceberg façon Twik, Kenjiss préférait carboniser sur place tous ses opposants. A plus forte raison lorsqu’ils prétendaient se mêler de sa vie de couple, déjà fortement perturbée par quelques psychopathes extrémistes, dont une à tendances fortement masochistes. Le tatoué répliqua donc sèchement, avec la méchanceté imbécile dont il savait faire preuve parfois.

T’es gentil Terry, occupe toi de ton copain du moment. Eduardo je crois hein ? Il a dit qu’il aimait pas tes chemisettes. Je gère ma vie de couple, aussi longtemps que vous ne butez pas ma copine !

Oui, à quarante ans, Kenjiss avait encore une « copine ».

Mais ce n’était pas le moment de s’attarder sur le tatoué. La blondasse poufiasse, comme il la surnommait déjà, contre attaquait. De toute façon, Kenjiss était d’une humeur de dogue et méprisait à ce moment tous les individus qui avaient le malheur de se trouver dans cette pièce, qu’ils le soutiennent ou nom. Le premier stress était passé, le tatoué était plongé dans le feu de l’action et ripostait à chaque gifle avec une rafale d’arme lourde. Qui était le boss ici bordel ? Le mutant plissa les yeux au fur et à mesure que Maria lui crachait à la figure, jusqu’à n’avoir plus que deux petites fentes au milieu du visage à la fin de la tirade de sa secrétaire.

L’état d’esprit de la Confrérie t’arrange bien quand tu peux t’appuyer dessus hein Maria ? En attendant, on reste quand même dépendant du brave leader, malgré ses défauts pour continuer la route.
Vous voyez ? C’est exactement ce que je critique ! Vous attendez tous de moi bordel ! Quand je vous ai balancé sur Chicago, j’avais TOUT prévu ! Résultat ? Vous êtes revenus en vie, victorieux, les Etats Unis se sont attirés plus d’ennemis que jamais, j’ai menacé l’Institut en prenant à la gorge sa Cerbère. Victoire sur toute la ligne. Votre opinion ? Vous chialez que je n’étais pas là. Je dois donc vous prendre par la main dès qu’on sort du parc ? Grandissez bordel ! On est en guerre, c’est une putain de guerre et vous râlez dès que je quitte votre champs de vision. Pour des types qui veulent anéantir les humains, je vous trouve bien mous. En attendant, si Maria s’était fourrée un flingue où je pense pour passer sur la TransAtlante, qu’elle avait un peu pus bossé son entrainement au tir, on aurait eut deux humanos étalés raide par terre au lieu de deux blessées graves. Je serais pas toujours là pour vous sauver la mise ! Si on entre en conflit direct avec l’Institut, pendant que je me fritte Lemington, va falloir assurer les autres p’tiots !

Je ne critique pas vos convictions, je ne vous demande pas de partager le pouvoir avec moi, je vous demande simplement de faire preuve d’un peu d’autonomie ! Je donne les ordres, jvai pas vous descendre pour une initiative réussie ! Marre des délires foireux…

Pour l’instant, mon programme, c’est de vous garder unis ! Ensuite, on verra. Si j’ai que la moitié d’la team derrière moi, je vais devoir m’adapter. Et non je n’ai pas de plans. Vous connaissez beaucoup d’abrutis qui construisent un plan sur du vide ? La destruction de la TransAtlante a provoqué un sacré ramdam, on a remué la vase ! Reste à voir ce qui se révèlera quand elle retombera. Conclusion, on bouge pas. On soigne nos blessures, on fait deux trois apparitions en public et on gueule bien fort sur la violence abjecte des humanoïdes en accusant à mots couverts les USA.

En revanche, pour ce qui est de June….

Boum. Interruption brutale. Kenjiss nota dans un coin de son esprit de prendre Gray à part pour lui expliquer que traiter Maria et Twikie de folles n’était pas bon DU TOUT pour sa santé, tout en le remerciant de ce constat évident. Puis il se tu, laissant la psychopathe noire se lancer dans une tirade impressionnante. En gros, elle menaçait tout le monde de divers châtiments particulièrement réjouissant… Kenjiss leva les yeux au ciel. L’ennui avec cette malade, c’est qu’elle plaisantait rarement. Qu’on soit bien clair, il adorait Twikie. Quand elle était calme, sans lames et qu’elle lui apportait son aide désintéressée… Mais le tatoué saisit la balle au bond. De toute façon, il improvisait depuis le début de la réunion. S’appuyer sur les idées de Twikjeya ne pouvait guère être pire pas vrai ?

D’accord avec Twikie. On s’énerve, on se gueule dessus et on abouti à rien… Donc je m’en tiens à ma ligne de conduite. Donc vous foutez la paix à June. Carte blanche pour le reste. On se fait discret pour le moment, mais si vous entrevoyez l’occasion de flinguer Lemington ou de cramer la Lib’Corp, de foutre un humano à la casse ou de faire péter Washington DC, vous gênez pas ! Avertissez moi si vous avez le temps, et foutez tout ça en l’air. On est une bande de joyeux tarés relativement doués, n’oubliez pas…

Boum. Ca passe ou ça casse. Le boss est un traitre, mais on continue. Kenjiss se tu. Il n’avait rien à rajouter de toute façon… Il espérait que son impro brutale, à des lieux des tournures incompréhensibles de Twikie, remettrait les têtes sur les épaules. Dans le cas contraire, il fermait tous ses comptes en banque, versait le tout dans divers paradis fiscaux et se tirait, illico. Il était hors de question de continuer à bosser avec des tarés capable de vous réveiller en pleine nuit pour vous présenter la tête de June avant de vous planter dans le dos.

Terry écoutait attentivement Maria contrer ses arguments. Un détail lui échappait encore. Qu’est ce que Samarah venait faire dans cette histoire ? On parlait bien de l’absence de Kenjiss, qui venait de s’expliquer par l’aveu de sa relation avec June, non ? En quoi Samarah Lemington pouvait-elle être bien liée à cette absence ? En toute honnêteté, le mutant avait un peu de mal pour imaginer un quelconque coup à trois surtout lorsque se trouvaient dans le trio deux ennemis jurés…
Puis, il se souvint d’avoir vu débouler la mutante accompagnée de June dans la salle de réception, après l’arrivée de Kenjiss. Et l’absence injustifiée du Cerbère durant l’attaque trouva une explication un peu plus plausible. Donc… s’il tentait de réunir tous les morceaux… Kenjiss et June s’étaient fait surprendre par Maria, eux-mêmes pris sur le fait par la propriétaire de l’Institut. Et ils étaient toujours TOUS en vie ? Si Kenjiss ne venait pas de l’insulter joyeusement, le caméléon en aurait presque sifflé d’admiration. Pour autant qu’il s’en souvenait, il lui semblait que Samarah et June se connaissaient. Et vu le caractère du Cerbère, si elle avait surpris June avec Kenjiss… c’était un miracle qu’elle n’ait pas désintégré la TransAtlante sous le coup de la révélation.

"Cela nous aurait peut-être aidé de les avoir à nos côtés… plus tôt, oui. Mais dois je te rappeler que les pertes les plus lourdes à déplorer ne sont pas le fait des Humanoïdes mais de l’action inconsidérée d’un mutant ?"

Le sol ne s’était pas effondré à cause des humanoïdes, mais bien à cause de l’action foireuse de l’homme sable. Le Caméléon ajouta

"Un mutant de l’Institut. Rien que pour ça, je peux t’assurer que Lemington ne doit plus en dormir. Ca et son absence… Je l’ai remarqué, nous l’avons tous remarqué et tu peux être certaine que d’autres l’auront vu aussi… Kenjiss a raison, on a remué la vase, maintenant il faut attendre et observer ce qu’elle a mis au grand jour. Et agir en conséquence"

Puis, le mutant se retourna lentement vers Kenjiss. La mesquinerie ne lui réussissait vraiment pas. Et il ajouta d’un air calme, dénué de la moindre vexation

"J’ignore quelles sont tes sources d’informations à mon sujet mais un petit conseil, tu ferais bien de les changer… Elles sont un peu erronées. Et concernant June… je disais ça pour toi…"

Terry glissa ensuite un regard exaspéré sur la porte parole de la Confrérie, il était à peu près certain que toutes les rumeurs qui couraient à son sujet venaient d’une seule et même personne… Mais la tournure glaciale que prit la suite de la réunion l’empêcha d’émettre le fond de sa pensée concernant son attitude de petite peste. Se faire menacer de mort par Kenjiss, c’était plutôt monnaie courante pour qui vivait sous le même toit que le mutant. Ca arrivait au minimum une fois par jour. En revanche, se faire menacer d’une exécution sans sommation par Twikjeya ; dans le genre, c’était plutôt une nouveauté. Pour ses supposés collègues, s’entend. Car le mutant ne doutait pas de l’implacable aptitude de la dame des glaces à abattre ses lames sur ses ennemis sans l’once d’un remord. Ce qui, entre nous, n’était pas pour le rassurer. La jeune slave n’avait pas l’air d’être ce genre de personne à lancer des menaces en l’air. Mais tout de même… Elle n’oserait pas, si ? Le mutant sentit un léger frisson courir le long de son échine et se promit intérieurement de ne plus JAMAIS la laisser s’approcher de lui, même pour le soigner. Il préférait souffrir en silence que mourir prématurément. Une lame pouvait s’égarer si vite dans votre aorte…

Le mutant préféra reporter son attention sur Kenjiss et ignorer la menace de leur chère Twikie nationale. Après tout, avec Dan’ qui venait de la traiter de folle, il gagnait un cran d’attente dans l’ordre d’exécution qu’avait fixée la mutante.

"En ce qui me concerne et comme tu t’en doutes, je ne toucherai pas à June, ta vie privée ne me concerne pas, d’autant qu’il n’était pas spécialement pressé de recroiser la route de l’humaine…, pour le reste tu nous proposes du freestyle complet, si j’ai bien compris. Je sens que je vais peut-être le regretter mais tu peux compter sur moi... si ça peut t'aider à garder la tête sur les épaules"

Non pas dans le but de faire ses preuves devant Twik, Terry avait toujours été un pacifique et il ne s’en était jamais caché, n'en déplaise à certains, mais bien parce qu’il sentait que les prochaines semaines ne seraient pas de tout repos… Et surtout, que tout amoureux qu'il était, Kenjiss n'avait pas le droit de faire couler la Confrérie !

Les mains jointes sur la poitrine, les doigts entrelacés, les index dressés et collés contre sa bouche, Maria écouta attentivement le discours de Kenjiss sans intervenir. Elle laissa Terry parler en premier...
Pas de surprise : il renouvelait son serment de fidélité au roi Kenjiss sans demande de compensation. La tentative de coup d'état de la russe était donc ajournée... Elle nota mentalement de s'assurer d'être mieux entourée la prochaine fois.
Exit les caméléons-mous-sans-ambition, les meurtrières-idolâtre-du-patron et les jeunes-parvenus-opportunistes, les résultats pourraient être plus probants avec une pute-au-caractère-bien-trempé, un infirmier-vampire et peut-être même un ch'tiot-mutant-prometteur-fan-d'arts-martiaux...
Il était temps maintenant de sonner la retraite... Et ce, le plus dignement possible.
Pour se faire, elle poussa un grand soupir désabusé, les mains sur les tempes :
"_ Kenjiss... Gémit-elle d'une voix éplorée, quelle déception ! Je suis hautement chagrinée... Tout ce boulot qu'on a fait ensemble pour un résultat aussi déplorable !"

Elle secoua la tête pour marquer son désarroi :
"_ Toutes les heures que j'ai passées avec toi n'ont donc servies à rien : tu retombes dans tes travers d'orateur tyrannique !
En cinq minutes, tu as fait l'étalage de tout ce qu'il ne faut pas faire en matière de diplomatie : Menaces de mort, emportement, perte de sang froid, tics faciaux, non-maîtrise des émotions, insultes gratuites, usage détourné de ouï-dires... Comment veux-tu avoir une quelconque crédibilité face à la presse et à nos actionnaires si tu ne l'as pas face à ceux qui sont censés être dévoués complètement à ta cause ?? Tu avais un million d'autres solutions pour faire entendre tes idées et tu as choisi la facilité !"

Elle fit reculer son fauteuil de la table centrale, sans quitter son expression chagrine :
"_ On a encore du pain sur la planche ! Je n'ai pas le droit de laisser un aussi piètre orateur parler au nom de cette Confrérie Moderne qui m'est si chère -n'en déplaise aux mauvaises langues-.
Dès demain, je te reprends en main et on revoit tout ça ! Je vais te faire rédiger le discours qui nous aurait laissé sans contre-arguments !"

Puis, elle se détourna vers l'ange de la mort, yeux dans le bandeau :
"_ Miss Elkash, j'ose espérer que vos menaces ne sont pas sérieuses. Car ce que vous me demandez suggère que je fais vraiment passer mes ambitions avant la cause mutante. Prouvez-moi d'abord cet état de fait et nous en reparlerons ! Ce qui est affirmé sans preuves peut être infirmé sans preuves !"

Son ton avait été volontairement tranchant.
Maria pestait intérieurement : l'incident de la TransAtlante était intervenu beaucoup trop tôt. Les filets qu'elle avait tissé autour de l'infirmière n'avaient pas eu le temps de se renforcer et s'étaient avérés trop minces pour résister à une telle crise. Maintenant, tout était perdu : la méfiance s'était installée définitivement dans le cœur de sa consœur, elle ne la laisserait plus l'approcher aussi intimement.

Pour parfaire sa sortie avec panache, il lui manquait encore un petit quelque chose : un scandale.
Maria fit lentement le tour de la table et guida son fauteuil volant juste devant le jeune Daniel Gray. Ils échangèrent un regard glacé.
"_ Dany... J'ai un message à te transmettre." Annonça-t-elle sur un ton très calme.

Sans prévenir ni lui laisser le temps de parer, elle lui cracha au visage.
"_ Ça, Daniel, c'est de la part de toutes les femmes battues de la planète ! De la part de toutes celles à qui des lâches misogynes dans ton genre ont un jour justifié leur brutalité en leur servant ce : "on récolte ce que l'on sème" !"

Elle recula, le regard toujours embrasé :
"_ Sache qu'un jour je te ferai payer ces propos, Gray ! Un jour, je te regarderai te vider de ton sang et je te resservirai tes sages paroles !"

Sans quitter Daniel des yeux, prête à parer toute contre-attaque, elle fit reculer son fauteuil en direction de la porte de sortie. Les relations déjà frileuses entre les deux mutants frôleraient désormais le zéro absolu !
Voilà... A son goût, elle avait sauvé les apparences !
Le rideau pouvait se baisser, son personnage s'en sortait avec les honneurs. Elle franchit la porte de sortie.

Daniel n’était pas ici depuis bien longtemps. Il le passait le plus possible hors de ses murs. On le voyait à tous les rendez-vous obligatoires. On le voyait parfois revenir de la salle d’entrainement. Il ne mangeait pas dans la salle commune. Il dormait le plus souvent… ailleurs. Ceci dit sa présence n’était pas du genre de ses collègues. Il ne s’embarrassait d’aucun protocole. Il n’hésitait pas à provoquer les jeunes et à titiller ses compères. C’était là tout son personnage. Personne pas même Kenjiss n’attendait autre chose que ses chèques.

Cela ne l’empêchait pas de connaître les gens avec qui il était sensé partagé le quotidien. Au premier rang la sorcière. C’est bien elle qui l’avait accueilli. Il ne faisait donc aucune illusion. Elle avait exactement le même tempérament qu’un soldat extrémiste. Un soldat qui aimait les effets de théâtre. Le mutant se tut comme les autres. Bien que son petit sourire ne le quittait pas. Twikjeya ou l’art d’enfoncer des portes ouvertes. Bon la maternelle en action. Quand allait sonner la récré ?

Elle était peut être un peu impressionnante avec ses airs d’âme maudite. Ceci dit l’orgueil préserve bien des choses. Qui plus est le petit discours n’eut pas l’effet escompté. Fort de café ! Il ne put retenir un éclat de rire tout bonnement moqueur. Il la regarda droite et ferme. Elle n’avait pas froid aux yeux. C’est quand elle se fût posée qu’il demanda d’une voix sans cachotterie.

-« Pour qui te prends-tu miss Elkash ? »

Terry énonçait sa position. La même depuis le départ. Un gars de la neutralité. La Suisse en mutation. Non un type comme ça ne pouvait être gay. Dany n’y croyait pas une seconde. Son plaisirs de la rumeur et du scandale avait développé un sens de l’observation. Non le caméléon était un charmeur caché. Un café à prévoir en ville pour vérifier peut être. Bon. Et la blondasse alors ?

Les yeux noirs du riche la reluquèrent sans la moindre trace de d’émotion. C’était elle la plus dangereuse dans cette affaire. Pensait-elle vraiment que ses gronderies d’institutrice allaient la sauver ? C’était en tous les cas très distrayant. Les femmes de cette entreprise ne semblaient pas comprendre le concept de hiérarchie. Et mon dieu c’est Dan’ qui le remarquait. La confrérie est vraiment dans de salle draps.

Bien. Il aurait put s’y attendre. Maria ne devait pas sortir en laissant le souvenir de sa connerie. Okay. Il attrapa un mouchoir dans sa poche de pantalon et s’essuya le visage en la regardant. Ce n’était plus du rire. C’était la colère qui monte. Autant la mortifère fonctionnait avec de la glace. Autant Maria avec des éclats. Autant ce Gray devenait véritablement impulsif. Qu’était-elle entrain de sous entendre ? Il pouvait accepter toutes les répliques. Toutes… sauf la maltraitance féminine. Claire en soit témoin.

Il se leva doucement en écoutant son jugement. Sa carotide battait à un rythme dangereux. Il n’avait même pas à cacher ses mains tremblantes. Qu’ils voient tous. Son côté bad boy n’était pas qu’une image. La fac se souvenait des ires de Gray. Il était peut être flambeur, provocateur et exécrable, mais son mode de vie ne l’avait pas éloigné de l’attaque purement frontale. Heureusement pour elle, elle se trompait sur certains des comportements dont ils faisaient preuve.

-« Maintenant que ton petit scandale est en place tire-toi avant que j’ai à te donner raison petite conne. »

Il fit un pas en avant, un seul. C’est avec un sourire de coléreux plein de promesse qu’il répondit à la suite.

-« Et oui ne t’en fais pas. Il y aura une mise au point. »