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[Chambre de Koji Ashton]

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Koji Ashton

Type Gamma

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Koji Ashton

Race : Mutant
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MessageSujet: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyLun 23 Nov 2009 - 18:15

[> Hall d'entrée : Il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville]

Il allait finir par se demander si la jeune fille n'était pas aussi heureuse de le rencontrer que lui elle, tant elle avait à cœur de repousser chacune de ses propositions qui eût pu lui permettre de se libérer de sa compagnie, car sans doute les plans n'étaient-ils pas difficiles à trouver, et les chambres aisées à localiser. Peut-être Virginie n'avait-elle pas une envie folle d'aller en cours, et était soulagée de trouver en lui une excellente raison de se soustraire à un devoir qui l'ennuyait, sans qu'on pût le lui reprocher.

Koji aurait préféré, et de loin, ne pas prendre l'ascenseur, pour pouvoir gravir les escaliers, les marches une à une, et saisir leur orientation, qui aurait trahi la construction du bâtiment, et aurait été comme un indice de cette vie intime que certaines personnes croient appartenir aux constructions humaines, et qui leur donne comme un caractère dont les considérations architecturales, aussi érudites qu'elles soient, ne suffisent pas à rendre compte ; ce n'est parfois qu'une manière de couloir, un coin de parquet, qui jette sur toute une pièce une atmosphère chaleureuse, de la même façon qu'un escalier de marbre impose au vestibule qu'il occupe un air de majesté, et un double escalier, comme ceux que l'on trouve dans certains châteaux de la Renaissance, un goût de complot et de mystère.

Mais plus que le bâtiment, c'était Virginie que Koji aurait aimé connaître, et observer, encore un peu, quelques pas derrière elle ; il aurait aimé savoir comment elle montait des escaliers, avec précaution ou les marches deux à deux, si elle se tenait à la rampe ou serrait le mur, car, sans que ces détails lui eussent rien dit de très net, il en tirait une impression diffuse de sa personnalité, et une partie de ce léger sentiment de familiarité nécessaire aux débuts d'une amitié.

Il ne savait pas exactement s'il désirait d'être son amie pour combler, aussi vite que possible, la crainte qu'il avait de ne trouver ici personne qui pût l'être, ou bien si c'était justement parce que Virginie était si différente de toutes les personnes qu'il avait eu l'occasion de fréquenter ces dernières années, trop sûres d'elles-mêmes et trop pleines de leur propre théorie pour se pencher vers les autres, qu'il émanait d'elle un air d'étrangeté qui était pour lui comme un oxygène soudain, car il savait bien qu'eût-il demandé les mêmes services à tel étudiant d'une prestigieuse université, ce dernier l'eût orienté avec telle ou telle secrétaire, sans plus se soucier de lui que du premier importun venu ; aussi Koji comprenait-il que la solitude dans laquelle il avait relativement vécu ces dernières années n'était pas toute entière due à ses propres particularités, mais qu'il y entrait aussi beaucoup des caractères du milieu qu'il avait été contraint de fréquenter et dont il se retrouvait désormais, pour la première fois depuis longtemps, libéré.

Dans l'ascenseur, la première seconde, il n'osait pas la regarder, se contentant de serrer son sac sur son épaule et de regarder dans le vide ; mais une seconde dans son esprit amenait tant de réflexions qu'elle lui semblait parfois durer une éternité, et il lui fallait changer souvent d'intérêts pour ne pas sombrer dans l'ennui ; ce fut l'excuse qu'il trouva, du moins, pour jeter un regard de côté à Virginie, espérant que la masse de ses cheveux qui lui barraient le front en dissimulerait l'indiscrétion. Il observait ses mains, il observait ses pieds, sa façon de se tenir et d'attendre, et il se demandait ce qui pouvait se passer dans l'esprit d'une jeune fille normale, non qu'elle le fût, puisqu'elle était ici, mais son esprit devait l'être du moins.

Car Koji était parfois si préoccupé des extravagances de son propre cerveau qu'il n'imaginait pas que toutes les personnes qui n'avaient pas le sien, et qu'il rangeait donc dans une même catégorie, pussent être aussi différentes entre elles qu'il l'était d'elles toutes, et cet objet parfaitement fantasmatique qu'était pour lui « un cerveau normal » le plongeait dans des abîmes de réflexions. Ce n'était pas qu'il ignorât les infinies nuances de la psychologie : il se les représentait très bien, ayant lu beaucoup ; mais il se trouvait si différent des autres, et trouvait dans cette différence tant de souffrance, qu'il avait tendance à supposer, indépendamment de ces variations dont il n'entendait pas nier l'existence, comme un fonds commun que tout le reste du monde partagerait, sauf lui, et dont il serait comme privé ou exclu, et alors il trouvait que son intelligence n'était pas un don, mais plutôt une privation douloureuse.

Il est vrai qu'eût-il voulu parler un peu plus aux autres, et s'ouvrir à eux plus volontiers, des choses se fussent révéler chez eux et en lui-même qu'il ne soupçonnait pas, mais s'il était bien coupable de la distance qui s'immisçait souvent entre lui et le reste du monde, il y en avait toute une part qui n'était pas de son fait, et qui naissait de l'appréhension que les gens concevaient en découvrant, au fil des jours, l'étendue d'une intelligence qui le rendait à leurs yeux inhumain.

Ce fut à ces réflexions qu'il employa une deuxième seconde : la troisième arrivait, et il trouvait déjà le silence insupportable, il était tout prêt de le rompre, sans avoir bien de dessein arrêté sur ce qu'il allait dire – et sans non plus savoir tout-à-fait ce qu'il convenait de dire à une jeune fille qu'on ne connaissait pas, qui lui était si secourable, mais dont il ne savait rien, ou si peu, car ces choses ne se trouvent en aucun livre, et cette situation, aussi anodine fût-elle, il ne l'avait jamais vécue, il ne l'avait jamais pensée, il n'avait jamais songé à la vivre, si bien qu'il n'en trouvait le modèle nulle part dans son esprit, et d'anodine elle lui devenait ainsi extraordinaire, car il ne lui arrivait pas si souvent que cela de vivre des secondes qui ne lui fissent penser à rien qu'il connût déjà – mais avec le dessein de dire quelque chose malgré tout ; heureusement Virginie parla.

Il retourna la clef, pour y lire le numéro.


« La 221. »

Ce chiffre aurait bien pu lui faire penser à l'adresse de Sherlock Holmes, au 221b Baker Street, et à tout ce qui s'y était passé, dit et déduit, et pourtant, cette pensée ne frôla même son esprit ; ce qu'il voyait, c'était un autre 221, de ses chiffres dessinés à la peinture bleue sur des plaques en porcelaine, et que des propriétaires coquets fixent à l'entrée de leur maison, pour y suggérer soit un air de Bretagne, soit un air de Provence. Il avait connu une maison semblable : il se souvenait du numéro 221, du mur de crépis sur lequel les plaques étaient fixées.

Il se souvenait d'avoir aimé quelqu'un dans cette maison – c'était il y a un an – ou d'avoir ressenti quelque chose qui devait être assez proche de l'amour, qu'il avait été aimé aussi, un peu, mais qu'ensuite on ne l'aima plus, parce qu'il n'était pas « possible pour un humain et un mutant de s'aimer vraiment ». Koji, comme tout le monde, avait le don pour se souvenir des douleurs passées : mais dans son esprit qui n'oubliait rien ou presque, ces douleurs restaient peintes dans leur moindre détail, et en renaissant avec toutes leurs sensations, il lui semblait presque les vivre une seconde fois. Aussi futile qui pût paraître ce hasard malheureux, il aurait beaucoup aimé avoir une autre chambre.

Il lui fallut tous les efforts de sa raison, et ils étaient considérables, pour ne pas redescendre vers l'administration, et inventer une excuse, ridicule au besoin, pour changer de chambre, tant il se voyait mal revenir chaque jour dans la sienne, et regarder le numéro, qui était probablement inscrit sur la porte, et se souvenir. Il ne croyait pas au destin, il ne pouvait pas y voir une épreuve : il choisit d'y voir un exercice, et il se promit de s'y conformer ; c'était ce qu'on appelait « tourner la page ».

La porte de l'ascenseur s'ouvrit, et il se rendit compte qu'il avait oublié de bien regarder Virginie. Il la laissait prendre un peu d'avance à nouveau, pour qu'elle le guidât, et il se demandait ce qu'elle pouvait bien faire le reste du temps, quand elle n'aidait pas les gens, quel était le genre de cours qu'elle suivait, quelles étaient ses aspirations, et si elle avait beaucoup d'amis, ici. Pas un instant cependant il ne se demandait pourquoi elle était ici, pour quelle sorte de particularités elle avait dû fuir le reste du monde, ou du moins éprouver le besoin de s'en protéger.

Ils avaient trouvé la porte 221 et il l'avait ouverte, invitant la jeune fille à le précéder, en essayant d'enfouir dans son regard la tristesse qui venait de s'ajouter à la fatigue. Il semblait avoir vécu une infinité de choses, alors qu'ils n'avaient fait que prendre l'ascenseur : c'était que la vie de son esprit était si rapide et si changeante, que les secondes y roulaient des mondes qui l'épuisaient.

La chambre n'était pas très grande, mais elle était jolie. Il avait vécu parfois dans des endroits pire que celui-ci, quand il étudiait ici ou là. L'armoire était trop grande pour les vêtements qu'il comptait y ranger, et trop petite pour tous les livres qu'il aurait aimés à voir. Heureusement il y avait les livres électroniques. Il s'approcha de la fenêtre, pour jeter un œil dans le parc. Au loin on pouvait voir des acacias et des aubépines...

...qui lui semblaient comme l'acacia de Claude Simon, mais surtout comme les aubépines que la maison de Swann faisait surgir sur le chemin de la promenade, ces mêmes aubépines qu'Elstir aurait pu peindre, pour en dégager tout le secret, alors même qu'elles étaient devenues indifférentes, et ainsi les choses ne faisaient-elles que manquer, et les désirs satisfaits quand justement ils ne désiraient plus.

Il laissa tomber son sac au sol, comme s'il était soudain devenu trop lourd, et sa main, d'habitude si calme, devenue légèrement tremblante, fouillait dans sa poche, alors que les pensées continuaient à s'accumuler, et que toute la philosophie du désir se déroulait dans son esprit avec une méthodique cruauté. De sa poche il tira le tube d'aspirines : il en avait déjà pris trois, il était plus sage de ne pas en prendre d'autres, il en prit trois à nouveau, avant de tirer la chaise du bureau, de la caler contre le mur, et de s'y installer, au mépris pour une fois de la politesse, une jambe relevée, sur le genou de laquelle il pouvait poser le coude, pour appuyer son front dans sa main, et forcer par cette ruse son corps à ne pas s'abandonner complètement.

Pour une fois, son regard évitait Virginie : pour qu'elle n'y lût pas une faiblesse qui lui paraissait peu glorieuse. Il l'avait perdu plutôt par la fenêtre.


« Encore une fois... C'était très gentil... de ta part. Tu as sans doute... »

Sa voix, elle avait perdu cette sagesse un peu antique qui en faisait le charme et l'étrangeté, et désormais elle avait les accents qu'a la voix de certaines personnes qui, gravement atteintes, après avoir combattu toute la journée leur mal, confessent à bout de forces qu'elles vont devoir aller se coucher. Il s'était interrompu, mais sans s'en rendre compte, parce que l'aspirine n'agissait pas encore, et que les pensées s'accumulaient, s'accumulaient, au point de se recouvrir, des mots s'enchaînant aux autres en dépit du bon sens, et que son esprit, par automatisme, entreprenait de démêler, ce qui amenait de nouvelles réflexions, dont il ne se sortait plus.

« Beaucoup de choses... à faire. Je ne veux pas... te retenir. »

De tout autre cas, ces mots eussent été ceux qu'il eût employés pour congédier quelqu'un avec toute la douceur et la politesse possibles. Mais au plein de sa migraine, du fond de son esprit, dans l'attente que le médicament agît, il était bien incapable d'une semblable subtilité, et c'était sans penser à lui, par pur souci de ne pas déranger Virginie, et peut-être pour qu'elle ne le vît pas dans cet état alors qu'ils venaient à peine de se rencontrer, qu'il les prononçait, sans se rendre tout-à-fait compte qu'il aurait bien voulu qu'elle restât, car dans ce lieu inconnu, il se sentait seul, terriblement seul.
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Virginie Parish

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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyLun 23 Nov 2009 - 23:11

Comment aurait-elle put deviner, que leur assentiment était égal, concernant cette machine humaine ? Une occasion manquée. Il y en avait tant au court d’une vie. La sienne ne manquait pas à la règle. Elle en était même un exemple cuisant. Toutes ses hésitations avaient éloignées bien des choses. Elles avaient même faillit la retenir à Vancouver, pour des années de pigismes, sans avenir. Bousculer ses inclinaisons avait parfois du bon.

Parfois seulement... Virginie regretta son acte à peine les portes se furent-elles refermées. Elle repensa à tous ces films, où les héros mourraient après une chute vertigineuse. Même elle ne résisterait pas à pareil traitement. Oui la frêle fille préférait le grand escalier. Celui de 338 marches, qui la ramenait chaque soir, jusqu'à cet espace qu’elle s’était créé. Cet instant suspendu, durant le quel, ses pieds guidaient le reste de son être. Ce moment où son esprit fuyait vers des idées douces et nocturnes.

Que pensait-elle donc le temps de ces quelques secondes ? Un temps bien trop court pour ses dérives rêveuses. Et pourtant… il était si simple de perdre le chemin, lorsqu’on ne voulait plus le voir. Virginie revit quelques uns des ascenseurs de son existence. Celui de son lycée en particulier. Ces trois années où rien n’avait été pour l’aider. A peine sortie d’une enfance solitaire, elle était entrée dans une adolescence oubliée. Il y avait bien eut cette petite bande. Ceux qui voulaient déjà refaire leur monde. Des hippies comme on les appelait si facilement. Ils étaient surtout des humanistes à ses yeux.

Elle se souvint du regard de ses parents quand elle les leurs avaient présentés. La déception traversa son regard. Ils n’avaient pas comprit. Mais qu’avaient ils comprirent ? Ils l’avaient repoussé vers la danse, l’a aura surement été leur meilleure action de parent. Peu de chose en vérité sur seize longues années. Oui car cette vie lui semblait parfois terriblement longue. Coincée qu’elle était dans les privations et obligations. Car envers et contre eux, Virginie restait loyale, aux siens. Une erreur, peut être, mais la sienne.

Voilà où mène le fil de la pensée d’une jeune écervelée. Car voilà ce que beaucoup pensait, de son tempérament idéaliste et profondément intègre. Si elle n’avait eut ne serait ce qu’un soupçon, sur l’étendue des possibilités de son voisin, Virginie se serait probablement retrouvée incapable de poursuivre la visite. Non pas par peur de l’autre. Plutôt par crainte de la propre bêtise, ce dont elle aurait assurément fait preuve, face à un tel individu. Quoi que Nakor, ce vieil homme, avait redonné un peu d’estime à la jeune fille concernant ses capacités scolaires. Il suffisait pour cela qu’elle oubli la timidité et son l’auto- critique excessive. Un travail fatiguant que d’aller contre sa nature.

Virginie, en respectueuse contemplatrice d’acier, ne remarqua pas le trouble de Koji. Mauvaise observatrice sans doute. Ou déjà partie trop loin pour aider le pauvre noyé. Pourtant sans le savoir elle le ramena sur leur berge. Le visage de la jeune fille se pencha délicatement pour observer le nombre. Oui, logique. Les impaires, étaient pour les garçons, à gauche. A droite les paires pour les filles. Ainsi chacun son côté du couloir. Pour sa part elle avait hérité de la 248 la dernière de l’étage.

Il n’évoquait rien pour la jeune étudiante. Si ce n’est ce petit espace qu’elle s’était appropriée. La chambre familiale avait été le refuge de ses pleurs. Celle de sa tante un simple entrepôt de ses affaires. Ici, à l’Institut, c’était différent. Virginie avait voulu en faire son chez soit. Elle s’était impliquée. Chaque détails avait été imaginé, rêvé, fantasmé, avec un plaisir nouveau et enivrant. Un port d’attache. Tout ce dont elle avait besoin. C’était peut être bien pour cela que cette école était le théâtre de ses évolutions. Ce cadre sécurisant lui permettait enfin de se poser pour se construire… se reconstruire.

La porte s’ouvrit sur une lumière grise chargée de pluie. Virginie quitta vivement l’habitacle. Elle accepta la première place, devinant déjà où ils s’arrêteraient. Ses menus pieds caressaient le parquait avec une grâce enfantine. Jamais l’adolescente, n’avait eut vraiment conscience de la facilité avec laquelle, elle arrivait à parcourir les lieux dégagés. Elle ne pensait à rien d’autre qu’à cette chasse au trésor. Et sa voix se teinta d’une joie simple et impulsive.

-« Ici. »

Il ouvrit la chambre devant elle. Virginie leva le regard vers lui en remerciant. Fatale erreur pour la bonne humeur qui l’habitait. La jeune fille vivait pour le bonheur, le bonheur des autres, avant le siens. La contrariété où la tristesse de ceux qui l’accompagnaient était comme la sienne. Une éponge humaine qui ne pouvait jamais ignorer ce qu’elle buvait. Pourquoi un tel état ? Voilà la seule question qui l’habitat alors qu’elle découvrait la pièce.

Ses yeux bleus voyaient les objets sans vraiment les regarder. Son visage avait perdu son insouciance, pour ne laisser voir qu’un trouble progressif. Avait elle fait quelque chose qui aurait put le perturber ? Elle n’avait jamais aidé un élève. Avait elle été trop pressente… envahissante peut être ? En faisant un tour sur elle-même, la petite mutante, retrouva ses réflexions alambiquées et sans fin. Elle entendit le sac choir dans un son mât.

Comprenant ce qu’il tenait dans sa main Virginie sentit la compagne familière se poser sur son épaule. L’inquiétude. Pourquoi aurait-il besoin de cela ? Pourquoi, si ce n’est pour apaiser un mal. Ses sourcils se foncèrent signe de sa propre contrariété. S’il y a bien une chose qu’elle ne pouvait accepter c’était la souffrance d’un autre. Elle le laissa s’assoir à son gré. Les convenances n’avaient pas de poids. Encore moins dans un moment comme celui-ci.

Ce qu’il y avait de presque magique chez cette jeune fille c’est que le moindre signe de faiblesse, d’autrui, dissimulait les siennes derrière un solide rempart. Il souffrait. Elle n’avait jamais connu de migraine. La douleur physique n’était pas son fardeau. Mais le simple fait de voir de la douleur, éveillait ses instincts les plus enfouis. Sans mot elle se dirigea vers la salle de bain. Elle attrapa le verre prés sur le lavabo. Une main vive actionna le mécanisme. Ses gestes avaient trouvés une nouvelle assurance. Comme ces peintres, qui face à un spectacle de la nature, n’ont d’autre choix que de lui rendre service.

Virginie déposa le verre devant lui avec douceur. Elle écouta ces mots. Trop tard… sa décision avait été prise, dès le moment où il avait dû se soigner. Le timbre de sa voix bouleversa la jeune fille. Son cœur tendre était déjà mené dans un détour malheureux. Elle ne le connaissait pas. Mais ce qu’il vivait, ne réclamait aucune relation particulière, pour la faire réagir.

Il lui proposait de partir. Quelle idée ? Allait-elle laisser un être en souffrance ? Jamais. Un ennemi, aurait put lui demander son sang pour survivre, que Virginie aurait dit oui. Alors quand il s’agissait d’un jeune homme à l’air si malheureux. Le mal n’avait pas de place dans un monde parfait. Un sourire, maintenant plein de sincérité, trahissait son état d’esprit.

-« Mais affaires n’ont pas droit de citer pour l’instant. Me permettras-tu de rester un peu ? Je ne souhaite pas te laisser seul alors que tu souffre. »

La deuxième partie de sa réponse laissait clairement entendre la suite. Qu’elle resterait. Sauf s’il lui demandait de partir. Vive, Virginie, abandonna son sac de toile sur le lit. Là elle le fouilla, avec une détermination, qu’il n’avait encore jamais put deviner chez elle. Suite à quoi arriva dans sa main une plaquette de chocolat. La mine sérieuse, pour son teint d’enfant, elle laissa sa trouvaille sur la table.

-« Il faut redonner des forces à ton corps. Je crois que c’est le meilleur moyen de l’aider pour le moment. »


Y avait-il autre chose ? Certains lui disaient que le chaud ou le froid, calmait ce genre de mal. Sa méconnaissance de tout ceci était ennuyeuse dans ce genre de cas. Elle cassa la tablette sans ménagement et lui en tendit un généreux morceau. Son regard ne fuyait plus. Il était plein de générosité et de gentillesse. Dire, qu’il fallait que les gens endurent, pour que Virginie arrive à s’oublier elle-même réellement.

Elle s’asseyait sur le matelas encore nu. Le chocolat n’éveillait pas sa gourmandise. Phénomène rarissime qui prouvait tout son chamboulement interne. Ses jambes se croisèrent ses mains vinrent sur ses genoux. Elle avait le dos droit des jeunes filles entrainées. Mais aucune fierté ne se dégageait de cette stature. Juste une patience inouïe et pleine de naïveté.

-« C’est le seul remède que je connaisse. Mais ici ils trouveront surement. Ils trouvent toujours. »

Ces paroles auraient put être dites pour le rassurer. Mais Virginie livrait sa confiance envers les gens de cet endroit. Elle ne doutait pas. Koji devait savoir qu'il ne subirait pas cette torture pour toute sa vie. C'était charmant cette enthousiasme. Virginie était toujours ainsi. Et elle n'avait pas toujours raison de l'être. Soudains elle réalisa une chose. Confuse elle le regarda de nouveau pleine d'excuse.

-"Tu veux peut être t'allonger ?"


Le repos. Elle n'y avait même pas songé.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMar 24 Nov 2009 - 18:37

S'il avait eu une perceuse en ce moment, une perceuse électrique une perceuse manuelle une manivelle un foret une perceuse automatique, il aurait ouvert un trou dans son crâne pour que les pensées s'écoulent, pour que les pensées se libèrent se répandent comme une une flaque comme une mare comme une mare de sang tout autour de lui, et l'esprit enfin calme serein vide dépeuplé sans la foule ni le bruit ni la fureur l'esprit tranquille, placide et monotone ; l'esprit noir et froid comme une libération.

Il entendait la voix de Virginie, toujours, qui lui parvenait comme le chant des sirènes au-delà de la brume, et il aurait bien voulu s'y jeter, mais il était retenu pour ces invités indiscrets qui lui demandaient une information, une date ou un bon mot, qu'ils avaient oubliés, mais que lui exhumait de sa mémoire sans rien pouvoir y faire, avec le sentiment de ne plus s'appartenir.

Il faisait des efforts surhumains – mais n'était-ce pas ce qu'il était censé être, un surhumain, justement, avec son don, cette intelligence incroyable, qu'on lui reprochait et enviait volontiers, mais qu'il ne ressentait, la plupart du temps, que sous la forme aiguë de la souffrance, et, dans le regard des autres, de l'anormalité – pour suivre du regard les gestes de Virginie, pour comprendre ce qu'elle faisait, et ce que c'était qu'un verre d'eau, sans penser à autre chose que ce verre d'eau précis, là devant lui, qui n'en appelait nul autre.

Dans le tumulte de ses pensées, il sentait bien qu'un peu d'ordre se mettait en place : les médicaments ne l'avaient pour l'instant jamais trahie, et aussi terrible que fussent ses souffrances, il n'y en avait pas qui pût résister à une forte dose de produits chimiques. Il fallait seulement ne pas songer aux effets désastreux que cela pourrait avoir, à long terme, sur son organisme. Mais l'aspirine ne faisait pas tout : il lui fallait y mettre toute sa volonté, non seulement pour chasser les intrus, mais pour redonner à son esprit un cours à peu près normal.

Il lui fallait quelque chose à quoi se rattacher, comme le naufragé au cœur de la tempêté, dans une mer sans cesse en mouvement et qu'il ne peut plus comprendre, cherche des yeux et des bras un morceau de mât, une part de son bâtiment déchiré, pour s'en servir comme du bouée, et trouver un secours dans les signes-mêmes de son naufrage ; il fallait que de son esprit il rassemblât quelque chose, un calcul un peu compliqué ou une poème, pour s'y fondre, comme l'enfant terrorisé se fond dans la comptine qu'il se chante à lui-même dans l'espace des ténèbres.


« I felt a funeral in my brain,
And mourners, to and fro,
Kept treading, treading till it seemed,
That sense was breaking through.

And when they all were seated,
A service like a drum
Kept beating, beating till I thought
My mind was going numb.

And then I heard them lift a box
And creak across my soul,
With those same boots of lead, again.
Then space began to toll

As all the heavens were a bell,
And Being but an Ear,
And I and silence some strange race,
Wrecked, solitary, here. »


Il avait cru que le poème d'Emily Dickinson, qui avait répondu à ses appels, sans qu'il sût pourquoi – car il ne se rendait pas compte qu'il décrivait très exactement ce qu'il était en train de vivre, tant il ne le récitait que pour se sauver, sans même chercher à le comprendre, fût-ce le moindre de ses mots – au plein de la tumulte, n'avait pas franchi la barrière de son esprit ; et pourtant, il l'avait récité tout haut, ou plutôt à voix basse, avec un air de songe douloureux, sans se le dire à soi-même ni à Virginie, comme un prêtre récite une prière pour une absence, lors d'un exorcisme.

Et le poème résonnait encore dans son esprit, non comme un ensemble de mots, mais comme une succession de syllabes, une mélodie littéralement insignifiante, et délicieusement cathartique. Peu à peu, il y résonnait seul, chacun de ses sons faisaient disparaître un groupe de pensées, et l'espace de son esprit se vidait, Koji parvenait à nouveau à y respirer : il bougeait plus librement sa pensée, elle était redevenue l'animal souple et vif et docile qu'elle était d'ordinaire. Tout le mal était passé à son corps, épuisé de cette haute lutte.

Le silence était revenu, il avait cessé de murmurer, Virginie avait cessé de parler. Koji laissa un soupir s'échapper, reprenant peu à peu pleinement conscience du monde qui l'entourait et qui était bien plus calme que celui qui l'habitait.


« Merci... »

Il avait murmuré ce mot d'une voix lasse, mais dans laquelle s'entendait le soulagement, et en effet il aurait voulu faire sentir à Virginie tout le bien que sa présence lui avait fait, et qu'il ne s'expliquait pas lui-même, sinon que la voix de la jeune femme avait maintenu contre son monde à lui un monde plus réel peut-être, du moins un monde extérieur, qui exigeait qu'il revînt de ses pensées, de la même manière qu'un savant qui travaille trop à parfois besoin que des amis moins studieux viennent le déranger dans son étude, pour qu'il songe à manger et à respirer.

Koji prit dans ses mains encore un peu tremblantes, dans ses mains frêles et féminines, le verre d'eau qu'il serrait à deux mains, comme un enfant qui tient un objet qu'il a peur de casser : avec un peu de maladresse, avec de la faiblesse, surtout. Il but une gorgée, et à geste lent, non tant par fatigue mais plutôt pour goûter pleinement le calme, le reposa sur le bureau, prit la tablette de chocolat, en découpa un morceau, la reposa, pour le croquer.

Son regard quittait enfin le parc, sur lequel il l'avait posé tout le temps de sa crise silencieuse et discrète, mais qu'il n'avait pas vu pourtant, pour le tourner vers Virginie ; c'était un regard fatigué et encore un peu lointain, comme les malades qui sortent d'un long traitement et qui, après avoir été guéris, gardent une espèce de lassitude brumeuse qui les tient, pour quelque temps du moins, comme éloignés du monde. Un sourire passa sur son visage, enfantin.


« Et voilà tu connais déjà une de mes faiblesses... »

Il avait dit cela avec un air un peu contrit, comme quelqu'un qui supporte mal d'exhiber sa faiblesse ; mais il fit un geste de tête vers la tablette, sur le bureau.

« Le chocolat. »

Il y avait une chose, et une seule peut-être, qui ne semblait pas avoir été touchée par ce qui venait de se passer : c'était son rire qui emplissait la pièce, avec une insouciance déstabilisante, pendant quelques secondes seulement, et dans lequel n'entrait ni souffrance ni fatigue, ni pensée ni fausseté ; c'était un rire qui riait. Koji se leva, un peu difficilement il est vrai, pour prendre la tablette de chocolat et venir s'installer aux côtés de Virginie, sur le matelas nu. Il lui tendit la tablette.

« Je me sentirais coupable d'en manger seul. »

Si, pendant ses crises, Koji était incapable de s'occuper de rien d'autre que de lui-même, car il devenait alors un monde qui abritait des peuples et des pays entiers, une fois que la douleur était passée, qu'il retrouvait un peu de ses facultés, il s'efforçait de prendre les choses avec toute la philosophie dont il était capable, et de ne voir dans ces accès et ces tempêtes que des désagréments, pleins de souffrance sans doute, mais sans conséquence réelle.

Sans doute aussi s'était-il si pleinement concentré sur quelque espoir d'en sortir, sur la nécessité de faire le vide dans son esprit, que tout son être, du moins toutes les parties qui dans son être lui répondaient encore, avaient été dans ces moments tendues vers une perspective heureuse, une espèce d'optimisme béat, dont il lui devenait difficile de se défaire ; ainsi, si ses crises s'annonçaient toujours par quelque tristesse ou mauvaise humeur, elles étaient presque toujours suivies par un enjouement un peu fatigué, mais bien sensible.


« C'est très gentil de ta part, d'être restée. Tu as sans doute mieux à faire que de jouer les gardes-malades avec des inconnus. »

Il n'y avait pas, dans sa voix, cette nuance de reproche qu'ont parfois les remerciements, et qui se dissimule sous l'amertume de la souffrance, mais qui naît en réalité de la honte que nous éprouvons à nous être montrés faibles devant un autre, que nous rendons, sans bien y penser, comme responsable de ce que nous est arrivé, que nous nous représentons triomphant sur nous, et fier de son triomphe ; cette amertume aurait semblé de la dernière injustice à Koji, et d'ailleurs il ne la ressentait pas, content seulement d'être apaisé, et désireux de faire sentir à Virginie toute l'aide qu'elle lui avait apportée.

« Ce qui s'est passé est, je suppose, une des raisons de ma présence ici. Mon... comment dit-on ? Mutation ? Pouvoir ? Disons que mes dispositions tendent parfois à m'échapper. Je ne saurais pas trop comment l'expliquer. D'ordinaire, je pense à tout, tout de suite, en même temps. Mais il arrive que tout, en un instant, se mette à se penser à moi sans que j'ai rien demandé. »

Pour la première fois depuis qu'ils avaient pénétré dans la chambre, le regard de Koji se mit à chercher celui de Virginie, et au fond de la fatigue, la voix du jeune homme émergea, semblable à ce qu'elle avait été avant que son esprit s'emballât : calme, et douce, et antique.

« Je suis désolé, je ne suis pas sûr que ce soit très clair. »
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Virginie Parish

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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMar 24 Nov 2009 - 21:09

Tandis qu’elle tenait son rôle, avec un sérieux attendrissant, le murmure perça le silence entre ses paroles. Elle étudiât cette silhouette tournée vers la fenêtre. Vers la pluie londonienne, qui teintait les visages avec possessivité. Virginie aimait la pluie. C’était la compagne de son enfance. Au creux de son lit lorsque les larmes refusaient de s’échapper de ses paupières. C’était ce ciel qui vidait son cœur sans la tromper. Car pleurer était une faiblesse. Une faiblesse qui n’avait eut pour échos, que raillerie paternels où pir indifférence totale. Elle pensait à tout cela en regardant ce profil d’adolescent.

Il avait l’air bien loin. Et cette fois, aucun de ses mots, ne sembla le guider vers elle. Que voyait-il à travers ce verre ? Voyait-il simplement quelque chose. Pensait-il à une chose qui aurait put chasser le mal de sa boite crânienne ? Virginie aurait aimé connaître tout cela. La douleur était la preuve de la vie. Mais tout ce monde là lui échappait. Elle était préservée. Peut être maudite ? Il murmurait. Quoi ? Le son était doux et disant. Son oreille pouvait à peine saisir ces modulations. Virginie écoutait en préparant son soin.

Rien ne servait de l’appeler. Il reviendrait à l’heure souhaitée. Alors, assise sur le lit, Virginie s’installa. L’attente. Cella la, la presque enfant, la connaissait. Les minutes qui s’égrainaient comme de petites éternités. La vie était faite d’attente. On attendait de grandir. On attendait de partir. On attendait d’aimer. On attendait même la mort, au seuil de sa vieillesse. Il y avait bien des manières de le faire. Virginie jouait avec le silence. Elle l’accueillait. Il l’entourait. Ses pensées se glissaient en voix affectueuse pour l’accompagner.

Le mot éclata entre eux avec beauté. Un mot simple. Le mot qu’elle avait si souvent prononcé. Le mot qu’elle entendait depuis peu. Un sourire y répondit. Un sourire reconnaissant. Le comble. Koji soignait lui aussi la jeune fille sans le savoir. En la considérant, sans arrière pensée, il recréait un peu du respect de soit qu’elle n’avait pas. Un peu détendue par se signe de vie elle osa changer de position. Ses jambes souples se mirent en tailleur. Habitude d’un corps toujours en exercice.

La faiblesse du corps. Cela la ramena à un passé ressent. Elle se revoyait assise ainsi sur une chaise à voir sa mère tremblante. Les mêmes doigts longs et fatigués qui luttaient pour chaque mouvement. L’effort des muscles et de la coordination. La lassitude de sollicité tant d’énergie pour un simple geste. Une boule essaya de s’insinuer au creux de sa gorge. Virginie ferma les yeux une seconde. Sa mère allait bien. Elle était chez elle à prendre soin d’elle. Elle était à quelques kilomètres choyée par toute une famille.

Enfin il tourna la tête. Elle reconnu cette lueur. Celle de la convalescence à peine achevée. Il éveillait en elle la sympathie instinctive. Le besoin d’aider. Le désir de soulager. Il y avait quelque chose de viscéral dans tout ça. Comme si chaque malheur était de sa responsabilité. Un sourire voilà ce que Virginie retrouvait sur ce visage tout juste rencontré. Il eut l’effet d’un geste affectueux, d’une attention discrète. Si le mutant arrivait à lui sourire ainsi c’est que le monstre crânien s’était éloigné. Non ?

Un aveu. Un aveu, que la jeune fille avait intuitivement intériorisé, déjà. Oui. Il s’était exposé. Devant elle une inconnue devant elle. Virginie aurait voulu le rassurer sur le champ. Ce sentiment de s’être exhibé. Elle le connaissait. O combien… Pour elle tout était une mise à nue. Une simple phrase. Une pensée lâchée. Alors ici maintenant, il n’y aura aucun jugement. Cette découverte n’allait en rien affecter son regard sur lui. Ou plutôt si… mais, pas dans le sens qu’il le craignait. Il était tout simplement mortel. Il lui donnait la preuve tangible qu’ils étaient à égalité.

-« C’est cela qui permet de connaître quelqu’un. Comme tout ce qu’on aimerait cacher sans doute. »

Elle suivit son regard avec un air doux. Et ce rire la surprit avec malice. Un instant fixe et déroutée, la blondinette laissa cette bonne humeur l’accaparée. Son visage s’éclaira progressivement de cette joie naturelle. Cela plus que le reste lui donna confiance pour la suite. Oui il allait mieux. Un joli cadeau que cette fulgurante liberté d’expression. Elle hésita à se lever pour proposer une aide. Mais non elle s’interdisait de devancer toujours les actions. Cela avait un dangereux effet d’enfantine. Alors elle se décala vivement pour lui offrir une place.

-« Tu ne sais pas ce que tu risque à m’y donner accès. »

Une plaisanterie. Une plaisanterie pour accueillir ce revirement. Virginie aimait à prendre chaque instant du mieux possible. Alors quand l’autre faisait un effort co-jooint, pourquoi empêcher la légèreté d’apparaître ? Elle le regarda de côté en saisissant doucement la gourmandise. Elle n’avait pas vraiment menti en disant qu’il prenait un risque. Si pour lui les migraines étaient nombreuses, Virginie ne pouvait elle jamais arrêter sa faim. La matière céda sans même avoir le temps d’une agonie sous sa main ferme.

Un morceau vers sa bouche son geste se suspendit. Elle eut un air gêné. Garde-malade. Drôle de coïncidence. Il la rappelait à ses dernières pensées. Mais même sans cela elle dû réagir. Ne serait ce que pour mettre les choses au clair. Il n’y avait nulle question de gentillesse dans sa motivation. Elle n’avait pas cherchée une justification à son comportement. Ou du moins pas consciemment. Elle avait agit comme son cœur le lui dictait. Sa voix fût calme et même un peu sérieuse.

-« Je ne vois pas ce qu’il y a de mieux que d’aider celui qui en a besoin. C’est la moindre des choses je dirais. »

Enfin le chocolat fût dévoré. Un haussement d’épaule indiquait clairement, que pour elle, la question ne se posait pas en ces termes. Il ne l’avait pas forcé à resté. Il n’avait même pas réclamé son aide. Virginie avait choisi. Il ne lui devait rien. Elle l’écouta en mangeant distraitement le cacao en plaquette. Cette saveur douce amère lui procurait un délicieux effet de réconfort. La nourriture sa consolation fidèle. Il essayait apparemment d’expliquer. Son interlocutrice tentait de le suivre. Avec toute l’énergie d’une amie improvisée qui devient la confidente d’un raisonnement.

Elle tenta. Échoua peut être. La fin lui paru obscure. Sourcils froncé elle s’était arrêtée de grignoter pour mieux réfléchir. Il s’excusait. Virginie en aurait rit. Non pour se moquer. Mais cela faisait tellement échos à son propre fonctionnement. Elle tourna ses yeux vers lui. Il avait une voix qui prêtait au confort et à l’écoute. Il était tout en douceur et en précaution. Ce qui n’empêcha pas la jeune fille de buter sur ses propres mots.

-« Non, non… ne t’excuses pas. J’imagine que ce n’est pas simple à identifier. Ça nous arrive à tous. Mais est-ce que cela veut dire que… que… ton esprit prend le pas sur le reste ? Comme si tes pensées te… dépassaient ? »

Son corps se tourna un peu mieux vers lui. Elle observait cet autre qui l’intriguait. Virginie voulait comprendre. Comme à chaque fois qu’elle était devant un mystère. D’autant plus lorsque celui-ci trait du monde mutant. Son regard brillait de la détermination de l’enfant curieux. Elle prit un nouveau carré et le croqua en attendant la réponse.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMer 25 Nov 2009 - 11:38

Koji était, il devait bien l'avouer, un peu intrigué par cette jeune fille, car il n'avait pas souvent eu l'occasion de rencontrer, dans le milieu qu'il avait fréquenté, de personnes assez désintéressées pour recevoir des remerciements avec une sincérité si simple, dans laquelle ne paraissait aucune affectation ; il avait toujours connu, sauf chez lui – mais Koji ne pensait, ne parlait presque jamais de son foyer – peut-être, une serviabilité calculatrice, et ces gens qui n'aident que dans l'assurance de recevoir en retour, ne fût-ce qu'un don d'orgueil, en se découvrant, pour un instant, plus résistants ou plus capables que la personne à laquelle ils prétendent venir en aide.

Mais il ne parvenait pas à démêler tout-à-fait ce qui entrait, dans le comportement de Virginie, de pureté d'âme, car au fond de lui, et quoiqu'il ne voulût pas se l'avouer, il croyait encore à ces idéaux étranges, la bonté, la pureté d'âme, le dévouement, et de cette réserve qu'il croyait surprendre, parfois, au détour d'un geste ou d'une parole, en apparence anodine, mais dans laquelle il trouvait une souffrance si légère et ténue que, l'instant d'après, tout avait disparu et il croyait rêver.

Il la regardait manger son chocolat, et il la trouvait fragile. Bien sûr, elle avait l'air de l'être bien moins que lui, et d'ailleurs elle l'était sans doute : ce n'était pas bien compliqué. Et néanmoins, il continuait à avoir cette impression confuse, qui naissait tant de la délicatesse de la jeune femme que de ses regards un peu fuyants, parfois. Il la regardait, et il la voyait petite fille, seule dans un lit trop grand, et froid, au milieu de la nuit, presque comme abandonnée. Il la regardait, et il la voyait grandissante, au plein d'un monde en tumulte qu'elle ne comprenait pas. Il la regardait, et il la voyait comme elle était à présent : toute jeune femme, au seuil d'une vie qui se déroulait sous ses pas, mêlant les promesses à l'obscurité.

Et plus il la regardait, plus il se sentait vieux lui-même, avec l'impression d'avoir parcouru le monde, ce que son corps avait fait un peu, et son esprit beaucoup ; il avait en mémoire les connaissances de cent jeunes hommes de son âge, peut-être, et l'impression d'avoir cent fois cet âge. Alors il s'en sentait envers elle comme un devoir ; aussi paradoxale que cela pût paraître, de la part d'un jeune homme qu'on eût dit fait de porcelaine, et qui venait de supporter une si terrible douleur, il se sentait le devoir de la protéger.

Elle n'avait pas compris ce qu'il lui avait expliqué, et ce n'était certes pas étonnant. Une fraction de seconde, ses yeux se perdirent dans le vague et sa mémoire remua des siècles. Puis son regard revint sur Virginie, et il lui adressa un de ses sourires d'ancêtre, un sourire vaste, calme et généreux, qu'il étendait sur elle pour la rassurer.


« Dans la vallée de l'Hindus, il y a une légende très ancienne. Un jour, deux moines, qui vivaient dans le même sanctuaire, et qui étaient toujours en dispute. Ils décidèrent de fonder chacun leur propre monastère. L'un partit dans les montagnes les plus hautes et dans les endroits les plus reculés, parmi la neige et la tempête, là où l'hiver ne s'arrête jamais. Il y construisit un monastère : il eut des disciples, mais très peu, et ils vécurent paisiblement, loin du monde et de tout, pendant une éternité. L'autre s'installa dans la plaine, et construisit un bâtiment gigantesque ; il y venait des érudits de tous les coins du monde, on y discutait de toute chose, et on savait tout, tout le temps. Mais il y avait tant de personnes, de tant d'endroits divers, que des disputes et des troubles éclataient sans cesse. Il se faisait des schismes dans le cœur même du monastère, et le moine qui l'avait fondé de tristesse mourut. »

Alors que les accents de sa voix de conteur s'éteignaient doucement dans le silence de la chambre, Koji subtilisa encore un morceau de la tablette de chocolat, et on aurait dit un vieux sage, qui après avoir raconté un mythe édifiant, se sert un verre de boisson gazeuse. Il regardait la chambre nue, les murs encore froids, qu'il faudrait décorer, le bureau où ne dormait pas un fouillis de papier, et le matelas sans draps à habiller ; malgré tout cela, et sans doute grâce à la présence de Virginie, il commençait à l'apprivoiser.

« Les gens normaux... Leurs pensées se suivent. Chez les génies, elles se suivent très vite, elles s'appellent l'une l'autre, elles découlent très rapidement. Mais moi, je ne sais pas pourquoi, je peux penser à trois choses en même temps, quatre, cinq, six même. Je peux me souvenir de tout un livre en un instant. Comme si le monde se repliait sur lui-même et que je le saisissais en un regard. Mais il arrive que des pensées que je n'ai pas appelées viennent d'elles-mêmes ; elles s'accumulent et ne veulent plus partir. C'est ce qui est si douloureux. »

Il n'avait pas l'habitude de se confier ; mais dans sa vie, il n'avait pas croisé beaucoup d'êtres qui fussent comme lui, non que Virginie pût comprendre très exactement de quoi il retournait, mais si elle était ici, c'est qu'elle avait, ou avait eu, ses propres problèmes. Dans ces lieux où l'étrangeté était presque ordinaire, Koji se sentait un peu plus libre, comme s'il n'avait plus à s'excuser sans cesse de ses capacités. Il venait de comprendre l'intérêt qu'il y avait, au moins pour quelques temps, à vivre dans ces murs.

Lentement, ses yeux quittèrent le vide pour se reposer sur Virginie. Il l'avait imitée et s'était assis en tailleur sur le lit, mais il était évident qu'ils ne le faisaient pas avec la même aisance, et quoique Koji ne fût pas dénué de souplesse, il reconnaissait dans la stature de la jeune fille cette grâce et cette maîtrise qu'elle devait probablement à des exercices réguliers, quoique peut-être révolus. Avait-elle été danseuse ? Cela ne l'aurait pas surpris, sans doute : il la voyait, légère et un peu timide. Sans doute avait-elle été danseuse, et si ce n'était pas le cas, elle aurait dû l'être, car rien ne lui allait mieux.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyJeu 26 Nov 2009 - 17:57

Virginie sentait qu’il l’observait. Cette impression étrange d’être un objet d’étude. Elle n’aimait pas cela. C’était une manière de la faire exister un peu trop efficace. Le regard, de l’autre sur elle, était comme un rayon de soleil un peu trop fort. Il n’y avait aucune agression pourtant dans l’attitude du jeune homme. Elle le savait. Mais être regardée –ainsi avec attention- c’était attendre le jugement. Que pouvait-il voir d’elle si ce n’est une enfant timide ? Et oui car pour elle il était plus difficile que tout d’accepter ce reflet de son être.

Cette image qu’elle détestait d’elle-même la gamine la détestait. Comme ses enfants qui regardent l’autre et rêve de ce qu’il a. Virginie aurait voulu être autre tout simplement. La petite mutante aurait voulu être débordante d’assurance. Elle aurait voulu pouvoir briller face au monde. Faire honneur à ces parents déçus. Mais, ses rares moments d’éclats, arrivaient pour la surprendre. Il fallait pour cela que le désir de plaire occulte tout le reste. Situation que la jeune fille ne pouvait expliquer. La recherche de la fierté dans le regard de l’autre ? La simple volonté de lui rendre toute la joie apportée.

Tout ne se faisait qu’en fonction d’un contexte. Avait-elle déjà été fière d’elle, sans que quelqu’un, n’ait eut besoin de lui dire qu’elle le pouvait ? Cette pensé n’était pas encore passé dans sa psyché. Virginie se contentait de voir ses faiblesses. De les voir sans les comprendre vraiment. Tout en se battant contre celle-ci à coup d’imprécations solitaires. Une enfant incapable de réellement s’analyser. Qui grandissait au côté de l’angoisse comme d’autre à celui de la confiance. Mais elle ne s’avouait pas vaincue. Et là était toute la beauté de ce tourment. Un être qui se cherche et se pousse quitte à en avoir des écorchures.

Mais tout ce que Virginie pressentait pour le moment c’est la silhouette à son côté. Un jeune homme. Il lui paraissait tout à la fois mystérieux et familier. Dans son regard elle avait trouvé la peine. Elle y devinait aussi la sagesse. Bien au-delà de la curiosité première, la blondinette attendait de comprendre cet autre. Elle ne calculait rien. Si ce n’est peut être ses propres droits. Rien n’était prémédité. C’est d’ailleurs cette capacité d’anticiper le comportement humain qui lui faisait cruellement défaut. Se perdant dans un océan de conjectures elle se retrouvait dépendante de la surprise et de la peur.

Son sourire la fit rougir. Parce qu’il était si compréhensif, qu’il soulignait probablement une erreur. Une manière douce de la conduire vers la vérité. Une méthode qui lui rappela le rire du vieux fou de Nakor. Virginie acceptait volontiers de se tromper si on lui permettait de comprendre. Il utilisa une ruse toute littéraire. Ravie Virginie abandonna sa nourriture toute ouïe. Il en fallait peu pour l’emporter dans un autre monde. Il y avait tant de beauté à rêver que cette jeune âme en avait fait une capacité à part entière. L’apologue était joliment conté. Il ne fit nullement échos à une réminiscence enfantine. C’est bien sa propre voix qui très tôt avait murmuré les histoires. Peut être, en partie pour cela, entendre lui faisait l’effet d’un cadeau inattendu.

Elle ne connaissait pas cette légende. Pendant qu’il attrapait sa petite récompense elle l’observait songeuse. Ses interrogations muettes lui avaient oublié d’esquiver un regard. Sa voix aigue un peu inquisitrice mit en mot son premier dilemme.

-« Mais pourquoi n’a ‘il pas fermé son bâtiment pour rejoindre la montagne une fois les troubles commencés ? »

Non, Virginie ne voyait pas cette idée sous l’angle d’une fuite. Si un tel projet n’avait put aboutir comme espéré alors pourquoi ne pas imiter son confrère ?

Koji mit cette métaphore sur une autre échelle. Les hommes… eux. Les autres. Ce qu’il lui présentait… cette possibilité. C’était si étrange. Par définition comment pouvait-on penser a plusieurs choses en même temps. Elle était perplexe. Le scepticisme ne faisait pourtant pas parti de son mode de raisonnement. Cela aurait voulu dire douter des paroles de son interlocuteur. Et Virginie avait ce don de croire toute personne. Car qui était-elle pour douter des paroles d’un autre ? Bien sûr les gens pouvaient mentir. Ils lui mentaient. Mais elle ne le réalisait que face aux conséquences de celui-ci.

-« C’est comme si tu avais plusieurs fils de pensé côté à côté ? »

Si ce qu’elle entrevoyait était proche de la réalité du jeune homme… alors cela devait être tout bonnement infernal à gérer. Une seule pensée pouvait faire déjà tant de mal. Mais si en plus il ne les commandait plus ! De quoi expliquent les migraines en effet ! Elle était certaine qu’il lui aurait été impossible de survivre ne serait-ce qu’une heure à pareil traitement. C’était donc cela sa mutation. Une capacité… à double tranchant. Son trouble perça sur un ton plein de compassion.

-« Tu dois être endurant pour supporter tout ça. Mais c’est une chance que tu es pus venir ici ! Je veux dire… si ça te cause des maux de tête maintenant, alors plus tard. Parce qu’aucune mutation ne stagne c’est la première chose qu’ils nous disent. »

Elle regarda le chocolat. Puis la pluie dehors. Puis lui. Elle ne voulait pas l’inquiéter. Ce n’était pas le but. Virginie préférait mille fois encourager. Etre la marraine des mauvaises nouvelles n’était pas de sa stature. Avec tout autant de naturel elle continua donc avec l’air doux.

-« Mais le temps aide aussi à prendre nos capacités en mains. On peut les plier à notre volonté, doucement mais surement. Plusieurs ont réussi. »

Allait-elle aller jusqu’à lui livrer sa propre expérience du phénomène ? L’enfant hésita. Est-ce que cela l’intéresserait ? Peut être pour l’aider à relativiser les choses ? Il était toujours positif de voir d’autres exemples… non ? Peut être aussi au fond Virginie ressentait elle le besoin de parler elle aussi. Ce sujet de la mutation… elle en avait parlé sous l’angle éthique à la lib corp, celui de la politique à fond de jazz. Mais elle… son cas… ses questions. Elle chercha une approbation ou un signe de lassitude chez son interlocuteur. Et finalement…

-« Et puis, il y a toujours un revers… Je peux… courir plusieurs heures sans éprouver la moindre fatigue. Ou résister à la chaleur d’un four plus longtemps que n’importe qui sans me brûler. Mais du coup… mon corps réclame trois fois plus de nourriture. Je n’ai pas encore réussi à gérer ça. »

La mutante eut un petit rire contre sa propre impuissance. Elle lança un regard de connivence à Koji avant de reprendre du chocolat. Dire tout haut ces évidences avaient quelques choses d’apaisant. Les expulser à l’air libre leur donnait un poids différent. Le poids du fait et non celui de la fatalité. Ce qui était largement appréciable pour cette gamine. Son regard erra sur la pièce imaginant toutes sortes de mondes à y dessiner.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyJeu 26 Nov 2009 - 20:21

Koji aurait été bien incapable de déterminer si, dans les questions que lui adressaient Virginie, il entrait beaucoup ou peu de naïveté, car lui qui n'avait jamais beaucoup parlé de son pouvoir auparavant n'avait jamais pu non plus juger de la manière dont les autres pouvaient le comprendre, et c'était comme s'il découvrait, soudainement, combien il était différent de Virginie, non qu'il eût ignoré ses particularités, mais simplement, il n'avait pas donné à la distance qui le séparait du monde d'autre densité que celle de sa propre situation : l'incompréhension de sa toute nouvelle camarade était terrible.

Il ne voyait pas comment répondre à sa question. Des fils entremêlés, étrangement disposés, était-ce comme cela que les autres se représentaient son esprit ? Ce n'était certes pas comme cela qu'il fonctionnait, en tout cas, mais comment aurait-il pu l'expliquer ? Il ne connaissait pas de personne qui sût expliquer ce que c'était que penser. Peut-être aurait-il dû lui dire que le temps chez lui ne s'écoulait pas : qu'il se cristallisait, à chaque instant, et que les complexes qu'une seconde formait se formaient en un nouveau complexe plus ample à chaque minute. Peut-être aurait-il dû lui dire que l'espace chez lui ne s'arpentait pas : que chaque endroit portait en ses détours tous les endroits qui lui ressemblaient et qu'il se représentait tout à la fois.

Mais toutes ces choses qui eussent pu, aussi étranges fussent-elles, éclairer un peu la jeune fille dans son paradoxe même, c'était à peine si Koji les entrevoyait : elles étaient comme ces traits de nos caractères qui nous constituent et que seuls les autres, au prix d'un regard patient et souvent amoureux, peuvent débusquer et nous faire connaître, mais dans lesquels nous-mêmes pourrions vivre éternellement sans jamais les distinguer, fussions les plus avertis des philosophes. Et quand même Koji eût possédé cette clairvoyance qui est au-dessus de toute intelligence, même la sienne, la révélation de son étrangeté qu'il entendait dans l'inflexion de la voix de Virginie le troublait tellement qu'il n'eût pu l'exercer.

Il avait détourné son regard, tant pour lui dissimuler la tristesse vague, la quasi mélancolie qui y miroitait – car le regard de Koji était véritablement le miroir de son âme, et il ne s'y passait pas un mouvement qu'il y dissimulât, si occupé en effet à maîtriser son esprit qu'il ne songeait pas que son corps pût exprimer des choses autrement que par le langage des mots articulés – et cette espèce de peur, presque enfantine, de ne jamais trouver quelqu'un qui le comprenne, comme lorsque l'enfant se sent irrémédiablement seul dans le noir, que pour qu'elle ne s'inquiétât pas, car il lui aurait semblé de la dernière ingratitude de lui laisser songer qu'elle avait pu blesser, alors qu'elle lui avait témoigné des soins discrets mais attentifs.

Il avait attiré du pied, vers lui, son sac de voyage un peu informe, et saisit la lanière qu'il faisait jouer entre ses doigts, de ce geste que l'on tente généralement de faire passer pour du désœuvrement, et qui trahit invariablement la nervosité. Il l'écoutait tenter de le rassurer, mais lui-même ignorait s'il était véritablement inquiet. Koji ne se projetait pas dans le futur, car c'était à peine si le futur existait : il en trouvait dans le passé des éléments tangibles, à partir desquels faire des déductions, et ce qui pouvait survenir n'étaient que des variations, parfois considérables, mais qui ne l'étonnaient jamais vraiment. Il n'y avait pas non plus de présent, car chaque instant, en annonçant plusieurs instants futurs possibles, rappelait également plusieurs instants passés, et le jeu des similitudes antérieures et des conséquences à venir troublait considérablement sa perception linéaire des choses. Ainsi n'avait-il jamais songé que l'évolution de son pouvoir, en augmentant ses capacités, pourrait les rendre plus douloureuses, et sans doute le tuer ; Virginie semblait croire que c'était une des raisons qui l'avait amené ici, alors que c'était elle qui venait de la lui faire découvrir. Dans ses mains la lanière arrêta de jouer.

L'eût-on interrogé sur le sujet, et eût-il été disposé à répondre sincèrement à une question aussi intime, ce qu'il n'était certes pas, il aurait été bien incapable de dire si l'idée de sa propre mort l'inquiétait ou non. Chaque biographie qu'il lisait lui faisait vivre une existence différente, et il avait parfois l'impression qu'il n'était pas plus lui-même que le Général de Gaulle ou Clarissa Dalloway. Qu'était-ce que la mort de Koji Ashton dans la foule des existences croisées qui sillonnaient son cerveau ? Et pourtant, de toutes ces existences, il savait que la sienne était la seule à connaître, par exemple, Virginie Paris, et que mourir, ce serait emporter cette connaissance avec soi, et ensevelir dans une noirceur épaisse toutes les conversations futures qu'il aurait pu avoir avec elle. Cette idée l'effrayait.

Mais par un mouvement de pudeur, et aussi pour ne pas avoir l'air de poursuivre Virginie avec ses problèmes, et surtout pas ceux dont il venait tout juste de prendre conscience, il tentait de n'en rien laisser paraître, bien moins expert en ce domaine, malheureusement, que les héros des romans du dix-septième et du dix-huitième siècles qu'il avait lus, et qu'il croyait connaître comme lui-même ; c'était qu'il ne saisissait pas, à force de pessimisme et de fatigue, quelle innocence inaliénable dormait encore au fond de son être, et, se fréquentant trop, il se connaissait trop peu.

De toute façon, l'image de Virginie attablée devant un festin sans fin fit germer sur ses lèvres un sourire amusé, et dans le regard qu'il releva vers lui, une lueur de joie perçait les voiles que la mélancolie y avait formés.


« Ah, mais ça ! Ca, c'est encore un pouvoir appréciable. Imagine quelle carrière de critique culinaire s'offre à toi. »

Il ne s'en était pas rendu compte, mais la révélation du pouvoir de Virginie, les précisions que la jeune fille venait d'apporter sur la nature de celui-ci, ne l'avaient pas le moins du monde frappé : elles lui avaient semblé si naturelles qu'il n'avait pas songé à s'en étonner ; peut-être était-ce qu'il trouvait que ce pouvoir lui allait bien, qu'il était comme une force sous l'eau fragile, et il ne songeait pas en effet que Virginie pût être tout-à-fait la jeune fille timide, et si gracieuse, qu'elle paraissait.

« La seule femme au monde à pouvoir goûter tous les plats d'un restaurant. A émettre un avis complet. A goûter tous les plats de tous les restaurants de la ville en une journée. Un guide culinaire écrit par semaine ! Le tour du monde de la gastronomie. Une entreprise titanesque. »

A l'évocation de la carrière si brillante qu'il prêtait avec espièglerie à la jeune fille, il ne put s'empêcher de rire à nouveau, et les éclats de cristal de son rire déchirèrent aussitôt les dernières brumes de son regard, repoussant les idées mélancoliques que les questions de la jeune femme avaient éveillées dans des coins plus retirés de son esprit, pour laisser en son centre virevolter une humeur légère et taquine. Ces yeux pétillants, et presque affectueux, il les posa sur Virginie.

« Imagine ton nom dans toutes les librairies. C'est la gloire assurée ! »

Il repoussa les quelques mèches de cheveux – à son sens, mais en réalité très nombreuses – qui barraient son regard, et alors celui-ci se mit à rayonner d'une joie de vivre qu'il était difficile de lui soupçonner, quand on le connaissait un peu, et qu'on avait pu assister à sa mélancolie et écouter ses histoires de vieux sage, car elle avait cette innocence ordinairement incompatible avec les intelligences profondes et les longues années d'expérience : cette joie, c'était la preuve que Koji était encore jeune, et que son bonheur lui était beaucoup plus proche qu'il ne se l'imaginait.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyVen 27 Nov 2009 - 23:09

Virginie se demanda si ses questions ne lui paraissaient étranges. Peut étaient elles idiotes. Peut être que sa vison de tout cela était trop minime pour avoir un semblant de justesse. Elle laissa donc au silence le soin de lui répondre. Si Koji ne trouvait les mots pouvait-elle le lui reprocher ? Il avait l’air de tenir si fortement à chaque nuance de quelques lettres réunies. Oui elle avait entrevu dans son phrasé tout l’amour de la langue qu’il devait avoir. Dans ce cas là difficile d’énoncer à haute voix. Même lorsqu’il s’agissait d’un sujet avec tant de potentiel.

La peur de l’incompréhension. Une malédiction qui colle à la pensé tant qu’aux paroles. La jeune mutante passait son temps à analyser ses propres propos. Devait elle dire ceci ou cela. Pouvait-elle se permettre d’aller jusqu’ici. Arriverait elle à attendre ce là bas. Ainsi chaque prise de parole était dévorée par la crainte déguisée de timidité. Ses opinions étaient pourtant assumées. Elle était ce petit cœur tout à la fois révolté et intègre. Tandis que le monde lui proposait plutôt la pierre et l’ironie.

Elle le regarda détourner son visage. Sans le connaître elle devina ce que cela impliquait. Ou du moins elle soupçonna un nouveau trouble. Elle s’en voulut. Seuls ses paroles avaient put amener avec elle cette ombre qu’elle n’avait put prévoir. Un sentiment bien coutumier voila son regard. Virginie ne pourrait donc jamais communiquer avec efficacité. Pourtant tout ceci n’avait eut que pour but de partager son savoir avec lui. Le pir c’est qu’elle connaissait cette manière de s’éloigner de l’autre. Quand personne ne savait vous écouter c’était le seul refuge. C’est bien pour cela que la jeunette voulait agir.

Mais que faire ? Faute d’être capable d’un geste, l’élève laissa sa spontanéité prendre le pas. Tout en le regardant Virginie cherchait à éveiller chez lui un sentiment de soulagement. Erreur ? Peut être, car elle remarqua son mouvement se suspendre dans l’air. Sa lèvre inférieure fût attaquée par sa dent blanche signe de sa confusion. En avait elle trop dit ? Son jeune âge ne lui donnait pas la possibilité de donner des informations concrètes à Koji. Ses seules références venaient de son empirisme et il n’était pas très poussé…

Sa mise à nu volontaire eut un effet. Le nouveau venu acceptait enfin de la laisser le voir. Ce simple détail chassa un peu de son appréhension. Et le sourire qu’elle vit à sa bouche la soulagea immédiatement. Il en fallait si peu pour la faire basculer d’une émotion à une autre. Comme les nourrissons qui se satisfont d’une odeur ou d’un contact pour calmer dans l’instant la plus infernale crise de larme.

Elle s’arrêta de mâcher et le regarda avec deux grands yeux étonnés. Une critique culinaire ? Elle ? En voilà une drôle d’idée. Il ne posait aucune question. Il ne paru même pas septique face à sa révélation. Non. Mais il pensait à sa carrière. Une réaction inouïe. Tout en avalant la blondinette l’étudia d’une nouvelle manière. Il était clair que ce jeune homme était sympathique, poli, gentil même dans sa douceur. Mais jamais elle n’aurait envisagé trouver un interlocuteur qui acquiesce si simplement et avec humour. Même ici à l’institut elle n’avait encore trouvé personne avec qui parler ainsi.

-« Je n’avais jamais vu ça sous cet angle. »

Titanesque oui c’était le mot. Un projet plein de charme. De l’étoffe de ces héroïnes modernes. Et cette fois son rire fût tout aussi libre et joyeux que son interlocuteur. Il avait réussi. En une idée il avait chassé son doute. Le voir rire aux éclats finissait de l’apaiser. Son regard s’éclaircit du bonheur simple et sans faiblesse que peu donner ce genre de moment.

La menue gourmande se voyait parcourir les restaurants. Son travail de pigiste la rendait enclin à prendre des notes sur tout. Alors pourquoi pas sur des plats ! Elle ne pensait même pas à son nom. A une quelconque gloire. Cela n’avait jamais été dans son tempérament. Si elle voulait rayonner c’est surtout auprès de ceux qu’elle aimait. Le reste du monde comptait mais toujours en second plan.

-« Je pourrais voyager aussi ! Voir toutes les cultures… »

Dans cet imaginaire commun Koji lui sembla plus heureux. Il dégageait une nouvelle aura. Virginie après avoir vu l’immortel discernait enfin l’adolescent. Cette simplicité répondait à la sienne. Elle le regardait dans les yeux continuant d’élaborer cet univers où toutes les cuisines lui seraient ouvertes. Il l’avait embarqué pour une rêverie active. Ce panorama était beaucoup plus attrayant que ce qu’elle s’imaginait devenir.

-« Et après il y aura des grands diner avec les mets les plus délicieux de la planète. Tout le monde pourra se régaler à volonté. »

Pensant à cela la sa main revint vers son sac abandonné. Celle-ci en extirpa une brique de lait encore close. Le forma pour enfant avec une paille. Cette habitude qu’elle avait gardée par amour de cette saveur. Avec des gestes améliorés par l’habitude elle prépara ce nouveau petit encas. La tête penchée sur son ouvrage, un sourire restait sur ses lèvres roses. Elle avait tout des enfantillages à peine conscients. La petite fille en elle était aussi résistante que l’adolescente emplie d’utopisme.

-« C’est le parfait accompagnant de notre pauvre chocolat. Tu en veux ? »

Ses prunelles amusées l’interrogeaient amicalement. Et elle continua d’elle-même à parler. La petite ruse avait cassée un bout de sa coquille. Virginie avait besoin de se sentir bien. Koji avait crée un espace qui élimait lentement ses barrières. Une foi cela l’esprit joyeux et plein de douce folie de la jeune fille se frayait un chemin. En une simple plaisanterie il la faisait envisager la nouveauté. Virginie était ainsi faite que tout était prit pour le meilleure. Ce qui la rendait si déterminée à croire en tout, et à ne douter que d'elle.

-« Il faudrait aussi que j’apprenne à cuisiner. Je ne sais rien faire de sophistiqué. Je ne prends pas le temps. Pourtant je suis sûr que cela dois être aussi intéressant que de manger. »

Un nouveau rire devant cette idée un peu farfelue. Un son regard laissa deviner le "merci " qu'elle n'oserait énoncer.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptySam 28 Nov 2009 - 0:21

Il y avait dans les gestes, les intonations et les regards de Koji Asthon, répandue comme un baume bienfaisant, cette politesse que l'on ne trouve guère que chez les grands aristocrates, à condition qu'ils ne soient pas souverains et n'en aient pas trop parmi leurs ancêtres, et chez les personnes profondément, authentiquement intelligentes, c'est-à-dire d'une intelligence qui n'est pas contenue dans les limites de l'esprit mais s'exprime également dans les mouvements de l'âme – c'était cette intelligence que possédait Koji à un degré surnaturel, quoiqu'il n'en sentît pas les développements les moins intellectuels, qui étaient pourtant chez lui les plus remarquables, justement parce qu'ayant été prématurément portés à un degré de perfection, ils lui étaient devenus instinctifs et faisaient en lui comme une seconde nature – qui vit toute entière dans le cerveau, car c'est bien lui qui étend ses inflexions jusqu'aux membres du corps, et qui sait faire chatoyer dans un regard l'expression nuancée d'une affection ; mais tandis que chez les grands seigneurs, cette politesse exquise est une marque de distinction, et ainsi toute manifestation de l'humilité un signe de leur supériorité inaliénable sur le commun des mortels, quoique eux-mêmes puissent croire, sans doute, qu'ils sont dans leurs protestations les gens du monde les plus sincères, elle est, pour les intelligences les plus naturellement raffinées, une manière de vivre qui n'a rien d'un vernis, mais qui au contraire, modèle le moindre des sentiments dès sa naissance dans les replis de l'âme pour lui donner la forme qu'il convient, afin qu'il ne choque pas celui ou celle à qui il s'adresse : ainsi l'enjouement que Koji faisait paraître à Virginie, et qui était si éloigné des sentiments qu'il avait deux ou trois secondes plus tôt, pour être d'abord né du désir d'être agréable à la jeune fille, n'en était pas moins authentique, et n'illuminait pas moins le cœur du jeune homme avec la même douceur dont il eût souhaité qu'il illuminât, pour quelques instants, celui de sa camarade, si bien que, par une de ses dynamiques heureuses qui animent parfois les caractères, le désir de paraître enjoué, s'étant mu en enjouement sincère, nourrissait cette joie-même, et l'installait durablement dans l'esprit de Koji, c'est-à-dire pour une ou deux heures au moins, que les brumes rassemblées ces derniers jours autour de son humeur eussent au contraire rendues mornes et instables ; et comme, sans Virginie, il n'eût pas éprouvé la nécessité de manifester une semblable gaieté, Koji, par une des délicatesses que cette même politesse avait insinué dans son cœur, était tout prêt d'en savoir gré à la jeune femme, que si cela avait été véritablement elle, et non lui, qui eût commencé les plaisanteries.

D'ailleurs, Koji ne se contentait pas de voir, ni dans ses propos ni dans les réponses de Virginie, de simples badineries : il était convaincu de la pertinence de ce qu'ils disaient, et il savait bien – ou plutôt, il croyait encore – que la douceur d'une chose ne lui ôte pas son sérieux et ses possibilités. Il écoutait Virginie très attentivement, laissant planer sur elle un regard attentif sans être incisif : il y recueillait les rêves d'avenir que la jeune femme lui livrait, et il semblait, dans les étincelles qui pétillaient encore dans ses yeux, qu'il les y faisait germer, croître et s'épanouir, comme quelqu'un que l'on trouve véritablement de notre opinion nourrit, dans notre conversation, les idées que nous lui exposons sans paraître vouloir y rien ajouter que nous ne puissions y reconnaître.

En fait, le regard de Koji enveloppait Virginie d'une façon toute particulière, parce qu'il ouvrait sur l'esprit du jeune homme, déjà peuplé de toutes les Virginie à venir que leur conversation pouvait faire naître, des situations dans laquelle la Virginie qu'ils imaginaient tous les deux pouvaient se trouver ; or, pour décrire ces situations dans son esprit, Koji puisait des détails tout-à-fait authentiques, et, ayant retrouvé un accès libre et aisé à sa mémoire, il habillait les scènes qu'il imaginait sans effort de traits qui, par ailleurs véritables, leur donnaient un tel air de réalité que, pour une perception aussi étrange du temps que l'était celle de Koji, toutes ces Virginies, quelque part, existaient déjà.


« Merci, je veux bien. »

Sans doute la politesse la plus simple aurait-elle exigé qu'il refusât le lait que lui présentait Virginie, et qu'elle sacrifiait pour lui de son goûter, par souci de ne pas priver quelqu'un de ce qu'il possédait ; mais Koji savait pertinemment que l'on trouve généralement plus de plaisir à partager qu'à jouir de ses biens dans la solitude, et il connaissait déjà assez Virginie pour sentir que ce plaisir, chez la jeune femme, atteignait une intensité toute particulière. Seulement, comme il n'y avait qu'une paille, il ne savait pas très bien comment s'y prendre, parce qu'il était bien impossible de boire le lait d'une autre manière, et dans son hésitation, où miroitait une timidité discrète, rare chez lui, et qui ne s'apercevait jamais qu'au détour d'une situation anodine, se découvrait un peu plus de son âme encore adolescente.

Cette situation (terrible) lui paraissant inextricable, Koji prit le parti de laisser Virginie la résoudre comme bon elle l'entendrait, et en n'esquissant pas de geste vers la brique de lait, il la laissait la goûter en première, un peu soulagé de laisser à la jeune fille la délicate tâche de procéder au difficile partage de son contenu sans que se fît le partage de la paille, qui paressait à Koji - par une délicatesse peut-être excessive – un peu trop intime pour qu'ils se le permissent. Il préférait de loin enchaîner sur la cuisine : parler, c'était beaucoup plus simple, finalement.


« Je pourrais t'apprendre, si tu veux. »

Car bien sûr, Koji savait cuisiner, et très bien. Il avait vécu seul de nombreux mois, lorsqu'il faisait ses études loin de sa famille, dans quelque ville d'Europe, et comme il n'entendait pas manger des pâtes toute sa vie, il avait lu un livre de cuisine et, dix minutes plus tard, un autre, et les choses s'en étaient suivies. D'ailleurs, il trouvait dans la cuisine un charme un peu semblable à celui qu'il sentait dans la peinture, car la composition d'un menu exigeait à ses yeux un équilibre un peu analogue à celui que le peintre doit mettre entre les masses, les lumières et les couleurs de son tableau. Et puis il y avait dans les proportions et les dosages quelque chose de scientifique, si bien que c'était, en somme, une activité qui lui correspondait tout-à-fait.

« La cuisine, c'est comme une symphonie, ou un tableau. Il y a ces saveurs, comme des nuances et des notes, qui sont belles en elles-mêmes, mais qu'il est possible d'associer les unes aux autres pour créer quelque chose de nouveau, qui n'est pas comme une nouvelle saveur, mais plutôt comme un sentiment ; un peu comme l'amour, qui naît, qui se développe, à chaque instant différent et semblable à lui-même. »

Dans son souci de décrire exactement à Virginie de quoi il était question, avec cette exactitude qui, chez les âmes sensibles, exigent le sentiment, il ne s'était pas tout-à-fait rendu compte des pensées intimes qu'il avait révélées, sur sa passion pour l'art, sur son attention aux infimes variations qu'il fait naître, et sur son inclination pour l'amour, dont il était évident qu'il n'avait pas une connaissance toute intellectuelle, car il y avait dans sa voix un soupçon de sensualité que seul l'amour réellement éprouvé et vécu, et peut-être même seul l'amour éprouvé et vécu par une âme encore jeune, donne, toutes pensées qu'il s'escrimait le reste du temps à dissimuler, par peur de se trop dévoiler, et que des comparaisons avaient pu amener, parce qu'elles avaient l'air de ne rien dire d'elles-mêmes, puisqu'elles n'étaient pas le sujet général du propos ; ainsi parlons-nous plus souvent de nous-mêmes lorsque nous croyons impossible d'en parler.

« Pouvoir manger beaucoup, c'est comme pour un apprenti musicien, qui, pouvant écouter des morceaux sublimes sans que jamais son oreille ne se fatigue, comme cela arrive souvent, en perfectionnerait d'autant plus son art. Tu pourrais acquérir une telle connaissance intuitive des plats que tu saurais faire des liens entre des saveurs insoupçonnées qui paraîtraient lointaines à toute autre, mais qui, découvertes par toi, qui seule pouvait les découvrir, auraient pour tous les charmes d'une évidence. »

Et dans les yeux de Koji, qui sentait bien qu'il y avait en Virginie, soudainement, une capacité qu'il ne pourrait jamais posséder, celle de créer des plats vraiment originaux, parce que lui, tout au contraire, n'avait pas un appétit très vorace, se lisait un respect sincère, et dénué de toute jalousie, comme si le simple fait que Virginie pût éventuellement faire toutes ces choses rendait toutes ces choses faites, ou peu s'en fallût. Alors il y avait, dans la conviction de Koji, quelque chose de très flatteur pour Virginie ; c'était qu'en lui montrant combien il l'estimait capable de créer tous ces plats merveilleux, Koji murmurait entre les mots de sa phrase, et dans un silence pudique, qu'il trouvait chez elle – et comment, voilà ce que personne n'aurait pu expliquer, tant les ressorts de l'esprit de Koji fonctionnaient parfois de manière obscure – toutes les qualités que sa vision des choses rendaient nécessaires à un excellent cuisinier : la sensibilité d'esthète, la patience et la douceur, la subtilité.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptySam 28 Nov 2009 - 15:36

Virginie avait peut être cette intuition naïve qui la persuadait. Cette, quasi, obligation de chercher le bien partout. Un humanisme sans frontière, qui la rendait si encline à la confusion. Parce que, le monde était trop dur, pour n’être que cela. Sans pouvoir élaborer une explication correcte, l’attitude de ce camarade impromptu, avait quelque chose d’engagent. Comme si, sans avoir la connaissance de l’âme, l’adolescente pouvait en voir la lueur. Il y a du bon en tout être, voilà qui la rendait combative face à son défaut de force.

Elle avait vu la vivacité d’esprit de la porte parole avec sa classe presque trop dangereuse. L’engagement de la secrétaire de la lib corp qui avait accepté de la soutenir. La ruse de Jimmy dans leur quête de vérité. Le professionnalisme de cet infirmier et la douceur de sa collègue aux moments de douleurs. La patience respectueuse de Miss Lemington. La jeunesse de Luc, sa liberté, si éclatante à son regard. L’amour de Deklan à leur de la folie. La conviction de Valérie au milieu des mutants. La générosité de Nakor devant son esprit récalcitrant. Toutes ces personnes et plus encore. Les visages à peine croisés. Tous avaient apportés quelque chose à son monde. Une nouvelle question, une idée, une émotion, un sentiment. En quelques mois, en tant que mutante, Virginie avait prit le monde avec plus de contradiction que jamais.

Et ce matin, ce presque milieu de jour, voilà qu’elle discutait avec un nouveau personnage. Celui qui, en quelques instants, était devenu aussi complexe qu’un mortel puisse l’être. La jeunesse, l’innocence entremêlée de douleur et de générosité. C’était presque intimidant d’entrevoir tant de visages chez un si jeune homme. Mais Virginie les envisageait, chacun, avec un respect et une curiosité naturelle. Elle savait, que personne ne pouvait se résumer aussi simplement, qu’elle se l’était permise plus haut. Cependant, chaque individu, avait un trait particulier qui venait prendre sa place dans l’histoire de l’adolescente. Ce n’était pas une restriction plutôt un condenser d’humanité. De celui qui peut s’épanouir à chaque réminiscence convoquée.

Un peu comme cette ébauche d’avenir qu’ils créaient à deux. Ces quelques phrases lancées à la face du destin. Cette rêverie qui lui donnait des envies de festin. La demoiselle avait toujours ouvert sa porte à l’imaginaire. Car c’est dans sa beauté, sa cruauté parfois et sa liberté surtout, qu’elle puisait toutes ses aspirations. C’est d’avoir lus la vie romancée de grands reporteurs qui l’avait aidée à pousser la porte du journal de banlieue. C’est d’avoir découvert le fonctionnement du gouvernement, qui avait éveillé son besoin de justice. C’est sa recherche d’elle-même qui l’entraina sur le seuil de l’Institut. C’est sa révolte amorcée, qui lui donnait ce sentiment d’inaction grandissant.

Virginie ne se voyait pas en plusieurs. Mais en bouts éparses. Que voulait-elle faire de sa vie ? Le simple fait de penser au prochain noël la laissait sans réponse. Acceptée, par obligation, dans tous ses points de chute, elle attendait, -peut être avec un peu moins de tristesse- sagement, qu’on lui donne une nouvelle fois congé. Parce que tout se déroulait ainsi. Une suite de dénigrement. C’est surement ce qui créait en elle cet amour de chaque instant. Puisqu’il pouvait s’achever brutalement et sans retour. L’existence d’une voyageuse culinaire, lui apparaissait alors, comme une merveilleuse fuite en avant. Elle ne serait plus chassée mais attendue.

C’est, le regard porté vers la pluie voyageuse, que la gamine entreprit d’ouvrir le contenant cartonné. Ses gestes étaient ceux du rituel inconscient. Elle n’avait plus besoin de surveiller le carton. Elle n’avait plus besoin de vérifier où se trouvait la paille. Elle se concentrait plutôt sur Koji qui lui répondait sans difficulté. Voyant la timidité du jeune homme. Ou peut être, la devinant dans sa réserve, Vive et pleine de pratique la jeune fille trouva une ruse.

Il était entendu, que tout le monde, ne pouvait pas accepter de partager un tel échange. Elle ne s’arrêterait jamais devant la pudeur. Elle-même l’était sûr bien dès sujets. Beaucoup trop sans doute. Mais la nourriture était dédouanée de toute contrainte pour elle. Virginie se leva donc pour aller prendre le verre resté sur la table. Elle alla vider le peu d’eau qui restait dans le lavabo. Et sur le retour, elle le remplissait, tout en marchant vers le lit. Telle une jeune serveuse si entraînée que tout lui devenait aussi simple que de remettre une mèche de cheveux en place. Bien sûr son entrain l’amena à offrir plus au mutant qu’à elle-même. C’était si logique à son regard que la dévoreuse lui tendit le verre sans même penser à rééquilibrer le partage.

-« Et voici ! »

La proposition qu’il fit sans éveilla chez la petite femme une joie sincère. Tout ce qu’elle avait expérimenté dans ce domaine ce résumait en quelques échec malheureux. Toute sa délicatesse s’enfuyait devant la présence d’une fumée, où d’un manque de beauté dans le résultat. Et si Virginie avait l’esprit d’une fourmi concernant son petit budget, jamais une boulangerie ne manquait sa visite. De là, ses principaux apports en nutritifs, passaient par des viennoiseries. Des douceurs aussi faciles à acheter qu’à savourer. Il y avait des priorités mêmes futiles dont elle refusait de se passer. Son nouveau logement étant gratuit, mademoiselle, pouvait maintenant économiser facilement. Une bonne chose vu l’état de sa chère voiture. Ces considérations étaient relayées à la banalité. Sa voix sonna claire et directe.

-« C’est vrai ? Ho ce serait extrêmement gentil à toi ! Merci ! Je serais studieuse tu verras. »

Elle ne douta pas un instant qu’il le ferait. Son regard impliquait une confiance que Virginie voulait approcher doucement.

L’envolée poétique de son interlocuteur la charma. Elle l’observa en silence, comme elle aurait regardé un couché de soleil, avec attention et déférence. Car cet instant hors de la norme méritait qu’on s’y attarde. Il en avait été de même, par exemple, de sa marche dans Londres nocturne, au côté d’un jeune français. La légèreté et la force s’étaient suffises à elles-mêmes, pour la rendre spectatrice admirative. Et ces paroles révélaient à Virginie une nouvelle vérité. La description de Koji, évoquait-elle ce sentiment, qu’elle avait vu naître au creux de son être en découvrant Luc ? Ce qui était sûr, pour le moment, c’est que son interlocuteur avait déjà eu le cœur prit. Sans pouvoir connaître s’être autre, qui était avec lui, Virginie en fût heureuse. Il avait put partager des sentiments et c’est là tout ce qu’il y avait à souhaiter à une autre existence. Ne sachant trop si elle pouvait se permettre d’être aussi profonde la petite blonde eut recourt à la plaisanterie.

-« Il y a beaucoup de tendresse dans un choux à la crème. »

Il porta l’hypothèse à un degré encore plus élevé. Les joues de la jeune fille s’empourpraient. Elle ? Découvrir de si belles choses ? C’était lui donner bien trop de crédit, non ? Le regard de son camarade fît immédiatement apparaître son bouclier. Elle avait l’impression d’être une usurpatrice qui ne méritait pas un éloge si imprévu. Son visage se baissa sur sa brique avec une gêne attendrissante. Cette vision qu’il créait de sa personne l’intimidait plus qu’elle n’oserait le dire. Humble et terriblement honnête Virginie murmura en souriant.

-« Je vais avoir beaucoup de pain sur la planche alors ! »

Pour chasser son nouveau mal aise elle se leva de nouveau alla jeter l’objet dans la poubelle près de la table. Elle s’attarda une seconde devant la vitre pour voir le ciel toujours chargé d’humidité. Il n’y avait personne dehors avec ce temps. Déjà Virginie songeait à tous ces lieux qu’il devait connaître pour apprivoiser la propriété. Sa silhouette se tourna vers lui avec un regard de nouveau enfantin.

-« Le parc est très beau à cette saison. Digne dès plus grands jardiniers. Il faudra que tu voies ça ! Il y a de quoi faire des bouquets de reine dans cet endroit. »

Elle regarda la chambre autour d’eux avec un air concentré. Tout ce blanc était impersonnel. Elle réfléchissait au meilleur moyen d’améliorer ce lieu de vie. Ses mains jouant distraitement avec les pans de ses manches écarlates. Elle pensait déjà à tout ce qui était indispensable dans un espace privé. Quelques objets venaient en tête de liste. Esquissant avec tâtonnement les besoins de Koji elle énonça ses deux premières pistes.

-« C’est un peu vide. Si tu as besoin il y un marcher le samedi. Il a des choses jolies parfois. Tu peux aussi demander une étagère pour tes livres. Ils en ont dans une réserve je crois. »
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptySam 28 Nov 2009 - 17:11

Koji voyait déjà Virginie penchée sur les fourneaux, ou au contraire sur quelque entrée froide, tentant de faire tenir en équilibre, avec toute la délicatesse dont elle semblait capable, une asperge sur une terrine de saumon, avec cet air de concentration un peu enfantine qui lui serait si bien allé, et dont le jeune homme ne savait même pas s'il était vraiment celui de la jeune femme, et il lui semblait alors que quelque chose de sa sensibilité de danseuse pouvait passer dans les plats qu'elle préparerait sans que l'opération ne présentât trop de difficultés. D'ailleurs, Koji était certain que, en matière de technique, il n'y avait pas d'opération qui dût se présenter épineuse pour Virginie, dont il suivait les mouvements précis et gracieux de l'œil attentif du connaisseur, car il avait, pour la beauté féminine, un goût d'esthète assez prononcé.

Il avait pris le verre de lait entre ses deux mains, comme un enfant un bol de chocolat chaud, et son regard avait quitté virginie pour se perdre à la surface du liquide, comme si l'étendue nacrée lui offrait des sujets de méditations assez profonds. Comme à chaque fois qu'il baissait la tête, une avalanche de cheveux bruns, légèrement ocres, faisait un voile autour de son visage et le rejetait dans une distance un peu mystérieuse, le faisant tantôt ressembler à un poète romantique échappé du dix-neuvième siècle, et tantôt à un personnage de manga.

S'il s'était douté que, pendant qu'il rêvait sur son lait sans le boire, Virginie songeait à ce qu'il avait dit de l'amour et élaborait des suppositions sur des sentiments qu'il avait pus ou pouvait toujours avoir, sans nul doute Koji eût-il été extrêmement gêné. C'était une partie de son caractère et de sa vie qu'il mettait beaucoup de soins à cacher, et dont il ne se rendait pas compte qu'elle était pour les autres comme une évidence, tant il parlait de l'amour souvent, et avec une justesse touchante. Même lorsque, comme en ce moment, il n'était amoureux de personne, ce qui d'ailleurs n'arrivait en général que très rarement, il gardait de ses passions passées des impressions si exactes que son discours en demeurait marqué. Mais si, en revanche, on s'était essayé à démêler de qui Koji avait été, à tel ou tel moment, amoureux, pour donner à ce sentiment qui semblait façonner son existence quelque chose de plus incarné, on se fût exposé à toutes les difficultés du monde, tant les preuves d'amour que Koji ne manquait pas de donner étaient à la mesure de son intelligence, discrètes et subtiles, semblables à celles des chevaliers des anciens temps : c'était que le jeune homme était tout à la fois volage et romantique. A Cambridge, à Oxford, à la Sorbonne, on lui prêtait toute sorte d'aventures, et il est vrai qu'il savait être charmant, mais on se trompait souvent, en le destinant aux jeunes filles, et aux plus manifestement intelligentes de telle ou telle promotion ; or, par « intelligentes », il fallait entendre « cultivées et maniérées », ce qui était en réalité assez loin du genre de charme que Koji recherchait, que ce fût en amitié ou en amour.

Et puis il y avait toutes ces jeunes filles qui croyaient tomber amoureuses de lui, mais à qui il était en réalité indifférent, parce qu'elles espéraient uniquement être aimées de quelqu'un de très intelligent : c'était qu'à leurs yeux, un semblable amour aurait ajouté quelque chose de distingué à leur beauté. Elles le souhaitaient comme elles auraient souhaité de belles perles aperçues en vitrine chez le joailler, c'est-à-dire en ne sachant pas que ce qui fait la beauté d'un bijou, c'est la manière dont il est ciselé, et dont le prix ne rend compte qu'imparfaitement. Si on leur avait présenté deux bracelets sous un même prix, elles eussent été incapables de reconnaître des deux celui qui était vraiment l'ouvrage d'un maître-artisan ; aussi aimaient-elles Koji comme elles l'auraient fait de n'importe quel jeune homme un peu cultivé et point trop laid : sans le connaître vraiment.

Koji, au contraire, qui ne cherchait personne pour se parer, parce qu'il était certain que personne ne pouvait être plus intelligent que lui – la phrase « plus intelligent que moi, tu meurs » prenant à ses yeux un sens cruellement littéral – et qu'ainsi il n'exigeait pas des autres quelque qualité surhumaine et purement ornementale, était toujours à l'écoute de ceux qu'il se savait aimer : ainsi était-il fidèle en amitié, et parfois en amour, mais surtout, dans un cas comme dans l'autre, toujours très prévenant.

Or, il trouvait chez Virginie quelque chose de précieux et de presque indéfinissable qui était exactement ce qu'il cherchait chez ses amis, et qui lui inspirait un respect profond pour une personne si authentiquement serviable, et avec ce respect, le désir de lui être agréable et de lui venir en aide. Il sentait bien que la jeune femme doutait un peu de pouvoir attendre le brillant avenir qu'il venait de lui décrire ; un autre lui eût assuré que cela se ferait sans effort et sans travail, mais Koji, qui gardait en amitié la sincérité seule à même d'offrir des consolations convaincantes, ne procédait pas ainsi.


« Bien sûr. Mais s'il ne fallait pas travailler, il n'y aurait pas de découverte, et alors, où serait le plaisir ? C'est ce qui fait tout le charme : chercher, essayer, par des variations subtiles, et presque infimes, de trouver enfin ce qui plaira à l'autre, et une fois que l'on a trouvé, recommencer, mais d'une autre manière. »

Il était difficile de savoir si Koji parlait simplement de la cuisine, ou bien s'il filait encore, sans bien s'en apercevoir lui-même, la comparaison avec l'amour. Il but une gorgée de lait : elle était semblable au lait de son enfance, que son père lui préparait quand il était malade, et il y manquait simplement le miel d'acacia qu'il veillait toujours à y mettre. Koji craignit un moment que son souvenir n'en ramenât trop d'autres, mais ce ne fut pas le cas, et il comprit qu'il avait repris le contrôle de son esprit et que, pour quelques heures du moins, il était tranquille.

Il suivit Virginie des yeux, et se leva à son tour, pour s'approcher de la fenêtre, et regarder au-travers de la vitre, ce parc dont elle lui vantait les mérites. Il avait beau être né au Japon, il appréciait ce climat humide et gris typiquement anglais, qui faisait l'horreur des touristes, mais qui donnait, à ses yeux, aux paysages du pays de son père l'atmosphère familière qu'il aimait à retrouver, de la même manière que, lorsqu'il retournait au printemps au Japon, il eût été déçu de ne pas retrouver, flottant dans l'air, le parfum des cerisiers en fleurs.

En regardant les silhouettes des arbres se dessiner dans une demi-brume, il écoutait avec une tendresse amusée les réflexions que la jeune femme faisait à propos de l'aménagement de sa chambre. Il avait beaucoup voyagé dans ses études, et n'avait jamais pris le temps de procéder à trop d'arrangements, sachant très bien qu'il n'occupait une chambre que pour quelques mois, et qu'il était irrationnel d'engager des frais excessifs pour se rendre le lieu familier ; d'ailleurs, les aventures qu'on ne lui prêtait pas mais qu'il avait, celles-ci, réellement l'amenaient si souvent à dormir dans un autre lit que le sien qu'eût-il demeuré toute année au même endroit, il n'en aurait pas ressenti le besoin. Mais maintenant qu'il avait à habiter cette chambre pour un temps qu'il ne connaissait pas encore, il lui semblait plus urgent en effet de l'habiller un peu ; peut-être était-ce aussi que, y étant venu quasi à contre-cœur, il éprouvait le besoin de se la rendre familière.


« J'irais faire un tour au marché, et peut-être, si tu es libre, tu pourras m'accompagner. Je ne suis pas sûr d'avoir le goût nécessaire pour décorer tout ceci comme il le faudrait. »

Il n'avait pas tourné son invitation en question, de sorte que Virginie fût libre de la repousser en se contentant de ne pas y répondre, ce qui évitait à la jeune femme la gêne d'avoir à exprimer un refus, et cette stratégie habile, quoique très discrète, était encore la preuve de la délicatesse extrême de Koji, dont on avait du mal à croire, par conséquent, qu'il pût ne pas savoir décorer une chambre ; mais il était vrai que, ne s'en étant jamais soucié, il n'aurait pas su exactement comment s'y prendre. Ce n'était pas faute d'avoir l'argent nécessaire, car son père avait un excellent poste au ministère des affaires étrangères, sa mère une carrière brillante, et lui-même touchait, de temps à autre, des bourses de prestige pour telle ou telle étude.

« En attendant, si tu n'as rien qui te retienne, et si le temps ne te paraît pas trop ingrat, je visiterais avec plaisir le parc. »

Koji avait un goût prononcé pour les promenades, qui était un peu étrange chez un homme, encore plus chez un homme jeune, et franchement singulier chez un jeune homme qui faisait preuve, en d'autres circonstances, d'une vivacité et d'une espièglerie qui s'accordaient mal avec la tranquillité qu'exigeait ce genre d'activités ; pourtant, il convenait bien à cette autre partie de son caractère, plus rêveuse, et un peu mélancolique. Et puis il avait autant envie de mieux connaître le parc que de mieux connaître Virginie : il lui semblait qu'une promenade était l'occasion rêvée de conjuguer ces deux désirs.

Il attendait la réponse de la jeune femme sans détourner son regard de la fenêtre, pour ne pas paraître la presser, et en finissant son lait à petites gorgées ; finalement, il lui semblait que la vie à l'Institut ne devait pas être si désagréable que cela.
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Virginie Parish

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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyDim 29 Nov 2009 - 0:26

Une fois le lactose en possession de son propriétaire attitré, Virginie s’était assise de nouveau. Elle le regarda plonger ses yeux dans la surface blanche. Il lui donnait l’image d’un druide, essayant de lire dans un liquide, une prophétie inavouée. Le lait avait toujours été pour elle la boisson de la douceur. Comme si, par ce favoritisme, l’enfant cherchait une tendresse maternelle encore inconnue. Alors ce produit fermier était marié à toute sorte de couleur. Le marron du chocolat, le noir du café, le doré du miel, l’ambre du caramel tant de saveur à dévorer.

Le visage de l’oracle lui était dissimulé. Une chevelure désordonnée envahissait son étude. Et dans cette position inclinée, Koji lui rappela ces songeurs, ceux que le temps mortel ne touchait pas. Il avait tout d’un poète en pleine réflexion. Virginie aurait presque voulu regarder à son côté, pour trouver la muse, qui accaparait ainsi son camarade de discussion. Elle n’était ni impatiente ni même jalouse. Peut être –surement- curieuse de tout ce monde interne qui lui était inaccessible.

La jeune fille pour la question les amours ne pouvait se référée à rien. Elle avait grandie à côté de deux adultes distants, où trop distraits. Le quotidien avait fagocité leur amour de jeunesse. Sa mère revenait groggy d’une journée entourée d’enfant. Son père… son père courrait les rues pour trouver de quoi avoir un salaire. Une vie morne, où toute attention se révélait une perte de temps et d’énergie. Leur fille au cœur débordant aurait put aimer le monde entier. Elle l’avait fait. Avec une sincérité si révélatrice qu’on la riait comme une simplette.

Quant au sentiment amoureux, la mutante ne s’y était attardée que très récemment. Elle se pensait incapable d’aimer, avant d’arriver à se regarder dans un miroir sans rougir. Jamais elle n’avait regardé un jeune homme, autrement, que comme un individu différent d’elle. La beauté physique l’attirait comme pouvait le faire un arc-en-ciel après l’orage. Elle le voyait, l’admirait et le laissait disparaître. La beauté de l’âme était plus difficile à laisser partir. Mais la jeune fille refusait tout bonnement de donner son cœur sans pouvoir donner encore plus à un autre.

Et pourtant… au détour d’un café un sourire l’avait étrangement touchée. Comme ces étoiles dans le ciel qui percent le tout pour poursuivre un voyage. Pourquoi lui ? Elle était elle-même incapable de le dire vraiment. Cette impression de liberté, qu’il dégageait et qui donnait à la jeune fille le souhait d’avoir des ailes. Ce franc parlé qui lui permettait de décrire leur monde avec tant de différence. Sa force qui l’aidait à oublier ses craintes. Ce désir, de le voir sourire en la voyant. Et tant de petits détails qu’elle n’aurait su clairement exposer. Lui si différent d’elle.

La différence et que cette fois Virginie voulait être vue. Qu’il l’accepte elle. Avec ses forces… avec ses faiblesses.

Est-ce que ce petit être avait put éveiller l’amour d’un jeune homme ? La demoiselle l’ignorait. Son combat la forçait à évincer cette possibilité. Virginie était trop discrète pour envisager qu’on l’eut remarquée. Peut être sa fragilité avait amadouée quelque esprit. Peut être sa gentillesse avait-elle fait fondre un cœur. Mais il y avait bien trop de défaut en elle pour qu’elle puisse être aimée toute entière. Voilà le raisonnement qui la sauvait jusqu’à présent de cette tristesse supplémentaire.

Le jeune homme lui parla de nouveau. Il répondait lui faisant relever son regard bleu et songeur. Ces paroles… était-ce son esprit ? Koji avait-il conscience de toute la beauté de son propos ? En même temps que la cuisine, c’est un peu de philosophie qu’il délivrait. Non pas la matière scolaire impressionnante, mais celle du quotidien qui vous attrape au carrefour d’une conversation.

Ce qui plairait à l’autre… oui. Mais comment le saurait-elle ? Elle, Virginie Parish, simple mutante curieuse et attentionnée. Comment pouvait-on deviner ce qui plaisait vraiment à un être, sans avoir à le lui demander. Parce que demander serait comme trahir ses motivations. Et toute la beauté de cette affaire, n’était-elle pas de surprendre cet autre, dans la connaissance qu’on avait de lui ? Cette pensé la perdit. Y arriverait-elle un jour, à trouver cette variation ?

-« Je ferais de mon mieux. Mon possible pour ne pas tromper toutes ces… nuances. »

A qui s’adressait-elle ?

Il était juste là quand la jeune fille lui décrivit les fleurs d’en bas. Elle pensa à ce bouquet qui était sur son bureau. Au plaisir qu’elle avait à le voir le matin en se préparant. A cet autre encore, lorsqu’elle gardait quelques pétales entres ses pages, pour les laisser mourir entourées de mots. Et ceux qu’elle retrouvait vivace et embaumés pour une nouvelle construction florale. Virginie avait toujours appréciée agencer les petits détails. Rendre les lieux aussi beaux qu’ils puissent l’être. Leur inventer une atmosphère et une histoire pleine de recoins. Voilà entre autres pourquoi elle trouvait important que son nouveau camarade s’approprie cette chambre.

La réponse lui fit détournée le visage de sa contemplation. L’accompagner ? Elle ? L’idée ne lui serait pas venue. Non pas par un quelconque désintêrait de la question. Mais, qu’est-ce que Koji aurait eut à gagner de l’avoir auprès de lui pour pareil opération ? Elle le regarda un instant cherchant la simple politesse sur son visage. Il n’y avait que sincérité à y découvrir. Donc il ne savait pas… pourtant avait-elle plus de goût que lui pour cela ? Sa sensibilité la ramenait toujours vers la couleur et les objets. Mais tout dépendait de ces goûts à lui. Attendrai-il qu’elle devienne une conseillère ? Serait-elle la mieux placée ? Tant de question pour un simple tour au marché.

Ce qui la fit plier ? Sa curiosité face à ce jeune homme. Qu’allait il choisir et pourquoi ? L’idée de pouvoir l’aider un tant soit peu également. Principalement la possibilité de passer un agréable moment, en agréable compagnie.

-« Oui. D’accord. Ce sera avec plaisir. Tu verras il y a tout un tas de culture mélangées. C’est un carrefour des mondes. J’espère que tu aimes les couleurs ! »


Alors que Virginie acceptait cette future aventure Koji lui en proposa une autre dans l’instant. Une promenade. Un sourire prit immédiatement le pouvoir sur sa bouche fine et rosée. Oui. La mutante avait ce plaisir, de se retrouver dans la nature. Dès qu’une occasion s’y prêtait Virginie la rejoignait. Parce qu’en elle son esprit était enclin à la liberté. Et la gamine n’envisagea pas une seconde que cette activité ne corresponde pas à son interlocuteur. La façon dont il observait le monde, cet attrait pour la contemplation, trouvait certainement son paroxysme au cœur d’une végétation luxuriante.

-« C’est une bonne idée oui. En plus il sera rien que pour nous avec ce ciel là. »

Un indice, son appréhension de la foule, était viscéralement ancrée depuis des années. Sans pourtant qu’elle en apprécia plus la solitude. L’dolescente se dirigea vers le matelas d’un pas entrainant. La tablette inachevée fût placée sur la table en discret cadeau de bienvenu. Puis sa main agile attrapa le sac d’un geste vif. Il glissa à son épaule pour y trouver la place parfaite. Son regard fît un tour d’horizon de la pièce comme elle l’avait fait un peu plus tôt avant de descendre. Une main alla aplatir la forme que son corps avait laissée dans la matière. Tout semblait en ordre. La jeune fille attendit que Koji soit prêt.

En sortant de la chambre elle ajouta prise de spontanéité.

-« Ma chambre est l’avant dernière porte du couloir du côté droit. Si tu veux venir manger du chocolat, discuter, réviser… »

Il ce sera bien vite, fait des amis à aller voir. Virginie n’en doutait pas une seconde. Mais, au moins, saurait il que sa porte lui était ouverte. Elle fit le sens inverse à ses côtés. Et cette fois ce furent bien les marches qui furent prises d’assaut. Ses petites chaussures semblaient à peine frôler la matière. Virginie regardait droit devant elle, une lueur tranquille dans les yeux. Voilà elle était entrain de connait quelqu’un. Et pour une fois le mot « ami » ne lui donnait aucune envie de se moquer d’elle-même. Probablement grâce à ce calme dont il avait fait preuve. Surtout par cette simplicité qu’il avait installée entre eux. Une simplicité bien loin de la futilité.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyDim 29 Nov 2009 - 12:25

[> Parc]
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptySam 21 Aoû 2010 - 17:22

[-> Koji Ashton, enfin majeur !]

Son regard était tombé de Gaël vers les plaies de ses poignets, il lui semblait qu'il était tombé infiniment bas, qu'il n'y avait pas de chute plus grande, sur une plus longue distance que celle qui séparait le visage de Gaël et les plaies de ses poignets, les plaies ouvertes, qui ne saignaient plus, parce qu'il n'y avait plus assez de sang, ou bien simplement son corps était fatigué de répandre son sang, son sang c'était quelque chose qui ne se renouvelait pas aussi aisément, c'était sa vie, il l'avait sacrifiée pour la préserver, comme un renard pris au piège, parait-il c'est ce qu'on dit dans les campagnes, se ronge la patte pour pouvoir s'enfuir, parce qu'il préfère vivre encore quelques jours infirme – quelques jours parce qu'un renard infirme n'échappe à rien, n'attrape rien, aucune proie, sa dent ne rentre plus dans aucune chair, ou bien juste les charognes, mais il faut pousser les autres, il faut se faire une place devant la mort, ce n'est pas si facile – plutôt que de se laisser prendre, il avait ouvert ses poignets, mais y avait-il eu autant de chances qu'il l'avait d'abord cru de s'en sortir, n'était-ce pas stupide, insensé, une mort presque certaine, ne venait-il pas de frôler cette chose dégoûtante, cette chose affreuse, suintante, sans aucune noblesse, qui ne s'habillerait jamais d'aucun drapé romantique, la mort, la cessation de tout son souffle, des battements de tout son corps, de sa pensée, de son existence, cette chose froide comme la pierre, comme un lac noir, il baissait son regard sur ses poignets et elle lui faisait peur, elle était là et il se sentait découragé, vide, épuisé, sans force pour continuer à combattre, tant à faire, un monde si lointain, un monde des gens si loin qu'il lui fallait toujours étendre la main les bras, meurtris, ouverts, saignants, pour attraper un peu, caresser une autre chair, vivante elle, certainement plus vivante que lui (ce n'était pas très difficile), il devait se tirer, se trainer vers le monde, il n'avait pas la force de remuer la carcasse de sa grande pensée, c'était vraiment un effort surhumain, il regardait ses plaies et il se sentait découragé – il avait froid, sommeil, envie de s'allonger pour toujours, pas exactement envie de mourir mais simplement de ne rien faire, las de tout combat, même le plus minuscule affrontement de la vie, contre rien, contre un objet.

Attention ça va piquer, ça pique, ça va piquer, elle lui a dit cela, Virginie, il sait, il attend le liquide, la brûlure, mais rien ne vient ; il attendait en vain, il ne sentait presque plus cette partie-là de son corps, comme si déjà elle était morte, il fallait qu'il l'abandonnât, et ne plus y penser, se faire à l'idée que la mort était là qui progressait, rampait sournoisement comme une mousse progressivement monte au tronc d'un arbre. Parfois il sentait quelque chose vaguement, un picotement infime, mais ce n'était pas assez pour tirer par une convulsion son visage de la contemplation patiente et mélancolique qui s'y répandait.

Il pleurait. Peut-être, il ne savait pas trop, s'il pleurait. Il avait l'impression de pleurer, mais plus par sanglots, lentement, comme pleurent les saints dans les églises devant un spectacle pathétique, c'était une émotion vague et ample, peut-être pas très forte, mais plus dangereuse : il ne se révoltait plus contre la perspective de sa propre mort, c'était cela de vie en moins (la révolte), simplement il regardait son existence achevée comme une triste perte, avec une compassion lointaine et étranger à lui-même.

Ou bien il ne pleurait pas. Virginie enveloppait soigneusement ses poignets de bandages, elle savait bien le faire, il devrait lui demander pourquoi. Son intelligence malgré lui se déployait à nouveau, elle secouait la fatigue qui ne la ralentissait pas, car c'était après tout une intelligence surhumaine, elle ne s'encombrait pas des aléas de sa vie, elle le broierait s'il le fallait pour continuer à réfléchir, à sentir, à désirer plus vivement qu'aucun être au monde ne pouvait le faire, ni du reste le supporter ; elle l'épuisait, et c'était elle pourtant qui le faisait vivre.

Les pensées, les sentiments et les sensations se déployaient, se ramifiaient, tout s'étendait de toute part, et son être reprenait malgré lui et la fatigue, et le sang qui manquait, et le sommeil absent, et la froidure de la mort qui rôdait encore ; il y avait dans tout cela des réflexions et des émotions qui ne le concernaient pas, qui ne se retournaient pas sur sa personne, et alors il sentait moins gravement le danger qu'il avait couru, sa tristesse profonde, mais simple et enfantine, se diluait sans peine dans ces ensembles plus vastes.

Vraiment, il ne pleurait plus. Il avait relevé les yeux, lentement parcourus les murs de sa chambre, tous les objets qu'il connaissait par cœur, et puis posé son regard sur Gaël. N'était-il pas charmant, Gaël, et si touchant, absorbé dans ses réflexions ? C'était la limite de la perspicacité de Koji, le long de laquelle son esprit se plaisait à déambuler : ce qui pouvait bien passer dans l'esprit de Gaël. Un léger sourire naquit sur ses lèvres.

Les bandages étaient finis. Koji rabattit ses manches, et murmura, de sa voix retrouvée, douce, patiente et sage, des remerciements pour Virginie. Il n'avait pas la force de se lever, ni de parler très fort, mais il avait retrouvé cette sérénité millénaire que le sage conserve même dans la maladie, cette espèce d'indifférence aux accidents d'une vie dont il saisit, sinon la futilité, du moins la partialité dans l'ensemble de l'univers, dont l'étendue est son intime géographie.

Koji songeait qu'il leur devait des explications. Il les avait extirpés, de loin, au moyen d'une lettre, il les avait immergés dans l'enchaînement des actions qu'il maîtrisait à moitié, mais qu'eux ignoraient, et c'était lui semblait-il une forme d'injustice. Jadis, il eût manipulé sans remord des gens même qu'il appréciait ; mais il avait grandi, il était devenu plus fragile ou plus sage.


« Gaël ? Tu viens ? T'asseoir. »

Il ne voulait pas qu'il demeurât à la porte, il le voulait près de lui, sinon contre lui, et que cette vie qu'il chérissait l'irradiât un peu. Il avait levé son regard à nouveau vers celui du jeune homme, il avait levé ses yeux noirs si fatigués, et pourtant il recommençait à y luire cette intelligence vive et insouciante que Gaël lui connaissait, cet élan vital que Koji ne se soupçonnait qu'imparfaitement, parce que la fatigue et une sorte de timidité l'empêchaient d'y croire tout à fait.

Puis il perdit son regard dans le vide, comme son esprit dans ses pensées, il semblait poursuivre une rêverie incommunicable, et un sourire doux, attendri et reconnaissant se répandait sur son lèvre, illuminé son visage épuisé ; la lumière qu'il mêlait à la faiblesse physique achevait de donner au jeune métis un visage de saint, qu'il n'avait pas souvent eu dans son existence.


« Vous avez été très gentils, tous les deux. Très. Ca ne me surprend pas, d'ailleurs, c'est ce que j'avais prévu. J'ai en vous une confiance absolue. »

Ce n'était pas tout à fait vrai, bien sûr : l'imagination de Koji était trop vaste pour ne pas embrasser même les cas les plus improbables, et songer au jour où, peut-être, Virginie ou Gaël l'abandonnerait, contrairement à tout leur caractère, du moins aux signes qu'ils en avaient donnés. Le monde ne présentait jamais aucune espèce de sûreté définitive pour Koji, et néanmoins il en parlait de cette manière, parce qu'il savait également qu'il y avait une part du monde qu'il fallait faire advenir en la décrivant et que la confiance que l'on a en quelqu'un se justifie en partie parce que justement on la place en lui.

Ses yeux se relevèrent, observant tour à tour Virginie et Gaël.


« Je vous dois quelques explications, sans doute. »

Comme il avait une longue histoire à raconter, Koji se cala un peu plus profondément dans le lit, s'appuyant contre des coussins. Il avait l'air de n'importe quel jeune homme, d'une beauté fragile qui n'avaient pas encore froissée les vicissitudes de la vie.

« Vous savez, la science, le savoir, attire toujours l'attention du pouvoir. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l'Union Soviétique et les Etats-Unis se sont partagés les savants du régime nazi. Il n'y a pas de morale quand le savoir est concerné. Alors, dans certaines domaines, quand on a un grand savoir, et les moyens d'en tirer des applications techniques, on devient pour certaines personnes, pour des groupes, des Etats ou des entreprises, un objet d'attention, de considération. De sollicitation.

Quand j'étais plus jeune, je n'avais pas encore saisi tout cela. Beaucoup de disciplines me plaisaient parce qu'elles constituaient un défi. Vous comprenez, un terrain sur lequel exercer mon intelligence. Comme quand on se sent de l'énergie à revendre, et que l'on a envie de courir. Juste pour courir. Je ne songeais pas qu'il pouvait y avoir des applications techniques à mes recherches, que des gens pouvaient songer à en tirer profit. Y voir autre chose, en quelque sorte, qu'un simple exercice et presque un divertissement.

Très tôt cependant des sollicitations m'ont ouvert les yeux. Vous voyez, je suis un bon investissement. D'ordinaire, il faut plusieurs savants, et des techniciens, pour réaliser quelque chose. Moi, j'apprenais tout, n'importe quoi, très vite. Il suffisait de m'engager, seul, et c'était une chose entendue, une affaire réglée. Et puis, je ne fais jamais d'erreur : c'est de l'argent bien placé. Toutes ces sollicitations n'étaient pas mauvaises. Je refusai néanmoins celles qui me paraissaient l'être.

Enfin, ce que je veux dire... Vous savez, je ne me suis pas toujours consacré à des choses aussi abstraites que la littérature, l'histoire ou la philosophie. J'ai étudié les poisons. Les explosifs. Ce genre de choses intéressent des gens qui sont peu recommandables. Ils ont cherché à me convaincre, puis à me persuader par des moyens de plus en plus hostiles. Il fallait que je me défende, si je tenais à mes principes, et à ma tranquillité.

J'ai appris à me battre, mais je ne suis pas une montagne de muscles. J'ai appris à jouer la comédie, à tromper, à mentir. J'ai appris à fuir, à faire jouer mes relations, à disparaître. A utiliser l'argent pour résoudre les problèmes. Puis j'ai compris que la discrétion parfois était moins efficace que la publicité : j'ai montré que je ne m'intéressais plus qu'à des choses inutiles, des théories abstraites, complexes, vagues. Tous ces moyens mêlés sont finalement très efficaces.

Mais je n'ai pas toujours été aussi habile. Il fallait que j'apprenne, que les choses se mettent en place. Parfois, j'ai dû céder, malgré moi. Résister, tout le temps, à tout, c'était au-dessus de mes forces. Je ne suis pas assez courageux pour cela. J'ai créé parfois des bombes. Ou des poisons. Vous savez... Je peux imaginer toutes les manières de les employer, m'imaginer chaque victime. J'ai essayé de ne pas garder la trace de ces choses, de ne pas savoir. Ce serait trop pour moi. Trop de culpabilité.

Il y a quelques semaines, j'ai eu l'impression, puis la certitude, que l'on me suivait. Ca arrive parfois, j'ai l'habitude. J'étais prêt à déployer ma défense. Mais ce n'était pas une sollicitation : c'était une enquête. Un inspecteur de police. L'un des poisons que j'ai créé a failli être utilisé pour un acte terroriste. Il voulait savoir qui j'étais. Ce que j'avais fait.

Ce poison, je l'avais fait pour l'armée. Il n'était pas destiné à ce genre de choses. C'est... Comment dire ? Pour écarter certains hommes politiques, certains décideurs, discrètement. Alors, évidemment, quand l'inspecteur a mené son enquête, on lui a retiré son dossier. Mais il y a des gens qui n'abandonnent pas, qui préfèrent savoir. C'est un homme consciencieux, je suppose.

C'est pour cela qu'il m'a arrêté pendant les fêtes. Parce qu'il n'avait pas le droit, par souci de discrétion. Je savais que si l'armée apprenait ma détention, elle me libérerait, m'interrogerait elle-même. Qu'elle ne tenait pas à ce que ses affaires s'ébruitent trop. Il fallait que je trouve un moyen de me signaler, n'importe quel moyen pour que mon nom apparaisse quelque part, dans un rapport, dans une circulaire.

L'inspecteur ne ferait rien qui puisse le compromettre, c'était évident. Il fallait que quelqu'un d'autre entre jeu. N'importe quel officiel. Je ne pouvais espérer qu'en le médecin du centre de détention. Mais pour une banale maladie, il ne ferait pas de rapport particulier. Il fallait quelque chose de grave, susceptible de gêner la hiérarchie, et qui donc impliquerait qu'elle soit informé.

Vous savez, l'année dernière, le gouvernement a eu des problèmes à cause du nombre de suicides en prison. La Ligue des Droits de l'Homme est sourcilleuse. Je savais que si je faisais quelque chose comme cela, le médecin ferait un rapport, pour se couvrir. Que le rapport remonterait. Qu'un agent de l'armée finirait par tomber dessus. Et que donc l'armée viendrait me tirer de là, pour couvrir ses secrets.

Le plus sûr, c'était de m'ouvrir les veines. C'était la mort la plus lente, et qui donc pouvait le mieux être empêché. J'ai pris ce que j'ai pu, et j'ai mis mon plan à exécution. Ce n'est pas très compliqué, ça ne demande pas beaucoup de courage. On ne pense pas beaucoup dans ces circonstances, on agit, comme dans une partie d'échecs. On joue juste un coup, et on a pas le temps d'avoir peur.

Tout s'est passé comme je l'avais prévu. Des hommes de l'armée sont venus finalement, ils m'ont interrogé à la dérobée, et puis ils m'ont abandonné plus ou moins où vous m'avez trouvé. Je savais que quelque chose comme cela allait se produire, que celui qui me suivait profiterait des fêtes pour m'interroger. C'est pour ça que j'ai écrit la lettre.

Je suis... Désolé. De vous avoir embarqué là-dedans. Je ne l'aurais pas fait si je n'avais pas été sûr que vous n'avez rien à craindre. Je ne veux pas... Enfin, je voulais juste vous revoir. »
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyDim 22 Aoû 2010 - 18:25

Quelque soit la douceur du jeune mutant, la sentence était bien aussi définitive qu’elle pouvait le craindre. Il ne savait rien, rien du tout, qui aurait put lui donner un semblant de piste. L’ombre de l’ombre d’une idée. Est-ce que son ancien amour était réapparu ? Est-ce qu’un ennemi l’avait placé devant un mur infranchissable ? La remarque de Gaël ne lui laissa pas l’occasion d’extrapoler encore une fois.

Elle fût surprise. Surprise qu’on lui demande d’énoncer une évidence. Les volontés de Koji avaient pourtant été limpides. L’objet de l’affection ignorait-il sa place ? Si c’était le cas alors Virginie se retrouvait dans une situation plus que gênante. Son intuition plus amicale que féminine ne lui offrait que des impressions. Comme à l’ordinaire elle n’était sûre de rien. Encore moins lorsque cela touchait aux relations entre individus. Mais elle pouvait dire sans crainte que…

-« Il tient à toi. »

Les remercîments de son ami elle les accueilli sans un mot. Monsieur Alfred l’avait aussi remercié ainsi un jour. Beaucoup de personne l’avait remerciée lorsqu’elle tenait ce rôle. Mais en six mois, pas une seule fois, ce mot n’avait franchit les lèvres de madame Parish. L’unique dépositaire d’une reconnaissance dont cette demoiselle avait besoin. Ou bien dont elle pensait avoir besoin. Cela faisait des semaines que le loft avait été éloigné de son quotidien. Trop tard ou bien tant pis.

Les flots s’épanouissaient en silence sur sa peau de métisse. Virginie ne put rien faire d’autre que des beaux bandages pour ces membres morts et vivants. Cette chaire qui devrait faire l’effort de renaître. Consoler était un exercice si compliqué. Il fallait offrir sa force sans en écraser le malheureux. Donner son amour sans l’y noyer. Virginie était trop incertaine, pour connaître les bonnes doses. Elle était trop novice pour être entreprenante. Son respect de l’autre lui interdisait le pas de plus. Elle s’imaginait –depuis toujours- que les gestes étaient invasifs.

Pourtant à chaque crise la jeune philanthrope progressait. Avec ce même acharnement qui la malmenait. Ce désir de grandir jusqu’à être quelqu’un de construit. Elle savait contrôler un peu –juste un peu- mieux ses propres émotions. Entourer quelqu’une, quelqu’un, qu’elle aimait, de ses bras à elle, n’était plus aussi impossible qu’en mai. Parce que Luc dans toute sa vie, dans toute sa liberté, avait déchainé son esprit terrifié. Et pareille à la biche, que le chasseur a libéré, la mutante découvrait les terres du plaisir et de la luxure. Alors les corps n’étaient plus des vampires, mais des fleurs, tout aussi intimidantes, mais prometteuses.

Koji voulait Gaël. Il le voulait comme le désert aspire à l’eau. Du moins la douce Virginie le pensa. Car à vrai dire, elle avait la même manière, de quémander une présence. Bien que la fatigue lui soit totalement étrangère, elle avait cette même timidité, celle qui habitait son ami à l’instant. Cette certitude au fond qu’elle ne méritait pas ce qu’elle était entrain de demander. Cette croyance éhontée, cultivée et handicapante. Alors que parfois ceux que l’on aime, ont besoin, que l’on les apostrophe. Qu’ils deviennent indispensables. Comme ce soir là, celui où une enfant, avait voulu posséder une autre âme.

Virginie avait donc reculé. Elle était allée s’assoir là où son être ne ferait pas obstacle. Sur ce lit où elle occupait une place si souvent. Avec cette largesse qui parfois froissait les plus vaniteux elle s’effaçait. En était si bonne elle éclairait l’individualisme et vexait les consciences. Qui plus est, il était insupportable –parfois- de ne pas pouvoir être égoïste. Mais pas là, pas maintenant, pas quand Koji lui livrait la plus belle preuve d’amitié au monde. Qui avait déjà dit ces mots là ? Un sourire reconnaissant s’épanouissait aux lèvres roses de l’anglaise. Absolue. C’est bien ce mot qu’il avait choisi ! Pourrait-elle un jour lui redonner ce serment sans mentir ?


Eclairés par l’aurore banche de janvier ils s’apprêtaient à partager une confession. En toute sincérité et c’était formidable. En donnant un sens, à tous ces évènements, Koji allait les en libérer tous les trois. Les faits chasseraient les élucubrations dévoreuses. C’était une décision courageuse, si courageuse… de leur dire. Virginie avait conscience qu’il s’agissait d’un effort sans mesure. Elle était fière de son ami. Et si elle n’avait eu besoin de ces mots, sans doute, aurait-elle proposé de les attendre encore un peu. Laissant au blessé le temps d’être pansé. Mais elle était mortelle et rongée d’angoisses.

Il expliqua en effet. Avec la même patience, et la même pédagogie, que pour n’importe quel autre sujet. Il énonçait. Son don, les envies qu’elles font naître, l’appétence intellectuelle, le profit des puissants… Tout cela Mademoiselle Parish l’avait plus ou moins soupçonné. L’être oubli ce qui l’empêche d’avancer. Combien de droits spoliés sous la bannière du progrès ? Génésis était né ainsi. Elle avait vaguement conscience jusque là que le géni de Koji avait exploré beaucoup de voies. Qu’en étant un penseur, il pouvait être un architecte, un chercheur… Mais elle n’avait pas poussé ce principe jusqu’à sa concrétisation effective. C’était le dossier –envoyé par mademoiselle Ferlichi- qui avait dévoilé ces conséquences.

De cette lecture avait germé une peur sourde. L’intelligence de Koji avait probablement été pervertie par ce monde. A présent un autre sentiment ce posait sur son esprit. Il avait sut que ces deux amis seraient là. Ils avaient sut que certains voulaient faire le mal grâce à lui. Il savait que ce mal impliquerait sa conscience. Koji savait tout. Et il avait fait. Virginie ne savait pas ce qu’elle devait penser. Ce qu’elle devait ressentir. Pour elle le courage n’était pas question de force, mais de fois.

Scotland Yard. Même Tony ne pouvait pas entrer là bas. Alors Virginie ignorait toujours le nom de cet inspecteur « consciencieux ». Celui qui avait mit un adolescent dans une prison. Un adolescent qui pouvait jouer la faucheuse pour peu que ce soit un divertissement de qualité ! La Toile de Williams recelait-elle un poison ? Peu à peu le plan de Monsieur Ashton s’épanouissait. Quelque chose d’assez grave, d’assez grave pour… que la « lib corps » par exemple puisse être informée ? Son cœur s’emballait. Il avait reposé sa vie sur des espérances aussi minces ! Il avait joué son existence sur une hypothèse raisonnable. Le BCGDCA n’aurait jamais laissé un mutant comme lui sous la surveillance de la police. Mais… Mais c’était pure folie !

-« Et si l’Armée avait préférée t’éliminer sur le champ ? Si elle avait préférer accélérer ton subterfuge et le retourner contre toi ? Si Mathilde ne m’avait pas donné cette lettre ? Tu savais que je lirais les deux feuilles dès le début, Koji. Qu’est-ce que ce tableau aurait put faire contre tout ça, hein ? Même une formule n’aurait pas put te défendre face à eux !

Il avait exigé de retenir les questions. Mais maintenant c’était trop tard. En parlant il avait brisé le pacte de silence. Il éclairait ces trois derniers jours d’une lumière trop crue. Bien sûre il était là, à quelque pas, vivant. Son plan avait fonctionné. Mais Virginie était un être vulnérable. Elle était secouée. Ces quelques heures avaient réclamé toute son énergie psychique. Alors les doutes devaient sortir de son crâne pour être expédiés ailleurs. C’était une manière de se libérer. Elle aurait voulu se retenir. Lui cacher cette faiblesse jusqu’au bout. Sa résistance mentale était mal en point.

Même la « Lib corps » aurait mit des semaines à e-ssay-er de te libérer ! C’est un réseau limité. Imagine que l’on n’ait pas put intervenir, mais imagine Koji ! Imagine.

Elle était comme une mère, une mère qui voyait son enfant revenir de fugue. Tout à la fois soulagée et désemparée par la situation. Ses mains tremblaient sous le coup de l’émotion. Deux mains élégantes qu’elle essayait de maîtriser. Ses grands yeux bleus n’osaient pas se poser entièrement sur lui. Perdue, Virginie était perdue. Toute cette histoire éveillait tout ce qu’elle était. Sans en avoir conscience, Koji, lui était associée. Et donc la probabilité qu’il soit abandonné existait. La hantise d’avoir put, sans le savoir, l’abandonner lui.

C’est fou. Tu… pourquoi avoir pris autant de risques ! L’Institut peut te protéger contre tout ça. Il est là pour ça ! Au lieu de ça, tu demande à deux adolescents de te sauver la vie… Mais…

Inutile de continuer plus loin. Son discours était trop lourd de ses peurs. Elle savait au fond qu’il avait agit avec intelligence. Ce qui ne changeait rien, au fait, que les cœurs eux n’entendaient rien à tout cela. Virginie savait seulement qu’il avait put mourir. Mourir. C’était intolérable. Car une simple erreur de sa part et la mort serait venue. Il avait beaucoup attendu d’une jeune fille aussi futile.

Qu’est-ce qu’on aurait fait sans toi ? »

La question d’une petite fille. La question, où sourdait un sanglot, qu’elle retenait à perdre haleine. « On ». Je, en réalité. La pudeur lui interdisait celui-ci. Comme elle lui interdisait d’être explicite. De lui dire qu’elle tenait à lui, qu’elle l’aimait, et que bon dieu elle se fichait de sa propre vie, quand celle des autres était en danger ! C’est elle qui avait entrainé Gaël. Elle avait décidé pour lui. Un reproche d’amie dépassée. Elle chassa sèchement une larme et préféra se relever. Virginie ne voulait pas pleurer encore moins devant eux ! Dans ce genre de cas mieux valait s’accrocher au réel. De l’action.

-« Tu dois avoir besoin de dormir… est-ce que tu veux qu’on te monte à manger avant ? »

Bouger. Faire. C’est ce qu’elle pouvait. Elle ne voulait pas ajouter à sa tristesse. Elle ne voulait pas prendre de la place. Avoir une attention que n’était utile.

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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMar 24 Aoû 2010 - 18:45

Gaël accueilli les mots de Virginie avec l'un de ses petits sourires, un peu triste, dont il avait le secret. Il ouvrit légèrement la bouche, hésita à dire quelque chose, s'abstint. Tout était déjà dit, et il ne se sentait vraiment pas d'humeur à parler pour rien. Ni même à parler tout court, s'il pouvait l'éviter. Non pas qu'ouvrir la bouche lui fut particulièrement pénible, ou qu'il se complaise dans le mutisme par autisme. Il avait tout simplement peur qu'ici, en cet instant où tout son être était affaibli, fragilisé, ses mots ne dépassent par trop ses pensées.

Ce fut toujours la bouche close qu'il alla s'asseoir entre Virginie et Koji, suite à la demande de ce dernier. Il décida de laisser la question du cadeau d'anniversaire en suspens, Koji lui pardonnerait un éventuel retard. D'autant qu'il ne semblait plus avoir besoin d'autant de soutien qu'avant, tout son visage exprimait une vie renouvelée, une volonté d'exister renforcée de par son effleurement avec le néant. Gaël en fut immensément rassuré.

Il écouta ses explications sans l'interrompre, prêtant une oreille attentive à ses propos, ainsi qu'à ceux de Virginie. D'une manière qu'il n'aurait su expliquer, il ne fut pas surpris de découvrir que Koji avait des centres d'intérêts plus... variés que ce à quoi on pourrait s'attendre d'un garçon de son âge. Le reste de l'histoire lui parut plausible, et il avait enfin les explications qu'il n'avait osé demander. Il n'exclut cependant pas l'hypothèse d'une manipulation de Koji, dans un but inconnu (peut-être gagner cette confiance qu'il prétendait déjà avoir en eux ?). En fait il était quasiment sûr que Koji avait rédigé sa lettre de telle manière à ce que Virginie n'hésite pas à accélérer largement au dessus des limites de vitesse. Ce que Gaël était d'ailleurs tout à fait disposé à lui pardonner, étant donné qu'il avait agi pour se préserver.
Mais il ne comptait pas pour autant le laisser s'en tirer comme ça.


"Tu nous as causé beaucoup d'inquiétude... sois plus explicite la prochaine fois que tu auras besoin d'aide, ça nous évitera de nous morfondre en faisant des suppositions erronées sur ton état mental ou ta pseudo-tentative de suicide, dit celui qui n'y avait jamais cru. Ensuite, comme Koji, en cet instant, était avant tout quelqu'un de fragile et qu'il souhaitait lui éviter tout choc émotionnel, il ajouta d'une voix plus tendre : Mais ne t'excuse pas d'avoir fait appel à nous. C'est nous qui avons accepté de venir..."

Il détailla à nouveau le visage de son ami, et jugea qu'un bon repos et des repas consistants suffiraient à lui faire retrouver la forme. D'ailleurs à propos de repas... il se leva pour se diriger vers la sortie, un sourire malicieux aux lèvres.

"Bon, c'est pas tout ça mais on a un anniversaire à souhaiter. Tu veux quoi comme gâteau ?"
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMar 24 Aoû 2010 - 19:47

Il avait beaucoup parlé, et cependant que son discours se déroulait, qu'il tentait d'expliquer clairement ce qui s'était passé, en épurant son récit des détails qu'il trouvait trop gênants, non par dessein formé de dissimuler une information d'importance à ses camarades, mais plutôt par une pudeur toute personnelle et finalement bien innocente, cependant qu'il parlait, donc, ses yeux avaient repris peu à peu, non seulement la flamme, l'intelligence profonde et scrutatrice qui était toujours la leur, mais aussi cette profondeur complexe, cette immensité noire où chaque mot, chaque information qu'il prononçait ou recevait s'entremêler d'autres détails, de mondes possibles ou de souvenirs ; c'était un regard sans fond, un peu inquiétant, car il s'ouvrait sur cette vie intérieure qui était celle de Koji, et dont l'essentiel, finalement, se déroulait avec une certaine indépendance, loin du monde exactement réel : c'était comme un univers où Koji était seul à errer, et où il avait l'air, parfois, sur le point de se perdre.

C'était dans ces régions reculées qu'était un peu parti son esprit, après qu'il avait fini de parler. Il songeait à des circonstances diverses de son passé, aux échecs possibles de son plan, à la considération peut-être altéré de ses camarades pour lui ; il songeait également, plus sobrement, dans une région plus désertique, abstraite, aux choses qu'il avait découvertes et qui avaient de la valeur, à des inventions dangereuses dont il possédait les plans en mémoire, qu'on pouvait découvrir peut-être, et lui réclamer.

Alors les premiers reproches de Virginie, il ne sembla d'abord les attendre que de loin, comme il lui arrivait souvent ; il les entendait néanmoins, car son attention démultipliée se portait en même temps sur tous ses sens, il écoutait tout ce qu'il entendait, toujours, et regardait tout ce qu'il voyait, mais il accueillait ces remarques avec un air de tristesse un peu vague, quelques hochements de tête, et rien qui assurât qu'il en fût réellement pénétré.

Toutefois, certains mots étaient plus faits pour attirer son attention que d'autres et Virginie parlait du tableau. Il songeait au Tableau. Que croyait-elle que ce fût ? Il le savait lui. Cette chose précieuse, cette ultime sécurité, ou bien cette folie, déposée dans l'atelier d'un peintre qui savait à peine ce qu'il possédait là, ignorée, mine d'or peut-être. Ce n'était pas au Tableau cependant qu'il songeait, car pour lui le Tableau n'était rien, ne pouvait avoir aucune espèce de valeur : c'était pour les autres qu'il l'avait créé, au cas où.

Plutôt, il pensait à l'atelier où dormait ce tableau, et qu'il n'avait pas vu depuis tant de mois, il repensait au peintre qui allait et venait encore dans cet atelier (ou peut-être en avait-il changé, et tout ce qu'il avait vécu était-il mort dans ce changement, tout souvenir privé de soutien matériel), aux jours où il y avait été lui-même, aux choses qu'il avait vues, et senties : c'était sa vie lointaine, rejetée dans le passé absolument depuis qu'il avait mis le pied à l'Institut, et à laquelle il songeait de moins en moins.

Du coin de l'oeil, il regardait Gaël. Les jours passaient, et Koji commençait à avoir l'habitude, l'habitude de cerner ses propres sentiments, de plonger en lui-même, de démêler les choses qui s'y passaient ; il savait ainsi que c'était à cause de Gaël surtout que sa vie lui semblait nouvelle, et si riche, mais quand il songeait bien objectivement à cette existence qu'il se proposait, il voyait qu'il avait peu à espérer.

Après tout, quelles assurances lui donnaient Gaël ? Aucune, vraiment. Il était si réservé, si lointain, muet, elliptique, sans cesse vagabond, qu'il n'y avait rien sur quoi l'esprit et l'âme de Koji pussent se refermer pour former quelque espoir. Il y avait des regards, peut-être, et de temps à autre des sourires, mais Koji avait été habitué à des signes d'intérêt beaucoup plus évidents, et il ne pouvait pas vraiment songer à ces choses trop minces et trop fuyantes.

Alors, sans doute, les reproches de Virginie étaient-ils fondés. Il avait pris de bien grand risque. Peut-être eût-il dû attendre, simplement, que l'interrogatoire fût fini. Sans doute allait-on le relâcher. Pouvait-on l'emprisonner indéfiniment ? Il avait donc risqué sa vie un peu inutilement. Mais quelle valeur pouvait avoir cette vie qui se fondait sur le désir de quelqu'un qui jamais n'y répondrait, sur des sourires fuyants et de minces regards ?

C'était Gaël à présent qui lui parlait. Comme la douceur un peu lointaine, un peu mélancolique de cette voix encore adolescente lui eût manqué, si vraiment tout ne s'était pas bien déroulé. C'était cela qu'il perdait avec la vie : son désir, qui était une vie toujours plus satisfaisante que l'ennui. S'était-il jamais ennuyé ? Lui qui avait tant désiré au cours de son existence, et si jeune. Toute son existence épandue vers l'extérieur, vers d'autres personnes et des idées abstraites.

Il sentait son esprit se troubler. Il n'avait pas estimé la fatigue comme il le fallait. Elle était plus ample, et aussi plus insidieuse, qu'il ne l'avait cru. Ses pensées s'éparpillaient, elles perdaient de leur liant sans perdre de leur force, ni de leur nombre, elles tendaient infiniment les limites de son esprit, sans cesse plus nombreuses : c'était des souvenirs, des réflexions, des sentiments, des images, ou des sensations plus complexes.

Les mots qui venaient d'entendre se froissaient et rebondissaient sur d'autres mots, d'autres reproches qu'il avait entendus il y a bien des années de cela (tu ne ranges pas ta chambre) ou quelques jours seulement (tu ne m'as pas rappelé). Alors il ne parvenait pas à partager les mots en phrases, ou bien les phrases en discours, les voix se superposaient et se répondaient les unes aux autres. Qui parlait, et où il se trouvait : c'était bien difficile pour lui de le saisir.

Il était assis là, sur son lit, et ses paupières frémissaient légèrement, son regard se perdait de plus en plus, il s'étendait toujours, pour laisser apparaître de nouvelles régions de son esprit. De temps en temps, Koji levait une main, c'était comme s'il allait dire quelque chose en l'appuyant d'un geste, ou tenter de saisir une idée qui volait là, mais il passait simplement la main dans ses cheveux, la laissait retomber, et attendait.

Tout son corps était patient, parce que même immobile il se croyait animé par mille sensations qu'il avait éprouvées des années plus tôt ; on eût dit qu'il était perdu dans une rêverie, comme bien souvent les adolescents romantiques, mais seulement rien ne semblait pouvoir l'en distraire ; c'était comme une méditation presque dangereuse, parce qu'elle ne cessait pas, comme s'il ne vivait plus, ou bien seulement pour penser, lui qui pourtant était blessé, fatigué, et sans doute affamé aussi.

De temps à autre, ses lèvres remuaient un peu, et quelque murmure s'en échappait faiblement : c'était des paroles qu'il avait entendues, une formule mathématique à laquelle il songeait en partie, ou bien quelque chose qu'il eût vraiment voulu dire, qui se rapportait à la situation, mais qu'il n'articulait qu'à moitié, et qui, à peine déployé, rejoignait les limbes très agitées de sa pensée.

Il avait, comme parfois dans les rêves, quasi conscience de se perdre dans sa rêverie : égaré sur des chemins transversaux de sa pensée, il sentait sa perdition, cherchait autour de lui la voie qui l'eût ramené à bon port, mais n'en trouvait pas. C'était d'autres chemins, qui partaient tout à fait ailleurs. Il savait qu'il lui suffirait d'un effort pour courber ces chemins, qu'après tout c'était son propre esprit qui les traçait, mais sa volonté n'était pas assez forte pour qu'il y parvînt.

Il était si fatigué. Il avait envie de se laisser simplement porter par ses pensées : c'était une envie sournoise qui serpentait au fond de lui, un mauvais conseil qu'il voulait suivre. Lui savait bien que s'il le faisait, son esprit se perdrait peut-être à jamais dans ce mouvement continu. Plus jeune, il avait passé une semaine, deux semaines, un mois parfois dans ces lointains ; il avait fallu qu'on le nourrît par perfusion, parce que lui n'était plus capable de rien que de penser.

Il avait appris, au fil des années, à faire des efforts. Il s'agissait de ruser. Il fallait attraper une pensée, et la forcer à attirer les autres, comme on saisit un fil pour l'enrouler. Ce n'était pas toujours si compliqué que cela, mais ce jour-là, sa fatigue était si grande, si grande. Il faisait trembler ses mains tout doucement, pour que son corps sentît quelque chose qui fût authentique, et le ramenât ainsi à la réalité.

Ce n'était pas suffisant. Devant lui cependant, le mot gâteau flottait obstinément, alors, par réflexe, sans trop réfléchir, Koji s'y agrippa : gâteau, gâteau, il pensait gâteau. Il vit un chat espagnol passer. Mais c'était autre chose. Il s'enfouissait dans ce gâteau, se perdait dans les recettes qu'il connaissait, dans les pâtisseries du monde entier, mais il revenait à des paroles. C'était maintenant toutes les fois qu'il avait entendu parler de gâteaux.

Et puis Gaël qui lui proposait un gâteau d'anniversaire. Son anniversaire et Gaël : ces idées lui semblaient plus présentes que les autres. Il s'y accrochait plus fermement. Il s'escrimait à désirer, à désirer un gâteau particulier, qu'il ne connaissait pas, un futur à découvrir qui demandait que ses facultés fussent préservés intactes, mais surtout ses goûts, les petites choses de son être, en somme son identité.


« Un framboisier. »

Il y avait eu dans ces deux mots péniblement articulés beaucoup de crainte existentielle et de douleur. Mais peu à peu, ses yeux reprenaient un peu de leur contrôle, il semblait que sa folie silencieuse diminuât, et il força même un sourire à rejoindre ses lèvres, et ses mains à s'arrêter de trembler. Alors il regarda Virginie et Gaël alternativement.

« Oui... J'aurais dû faire... Dû faire autrement. Peut-être. Je ne veux pas que vous ayez peur pour moi. »

C'était évidemment un mensonge. Il y avait en lui une espèce de désir étrange, un désir qu'ils eussent peur effectivement pour lui : c'était un signe très sûr qu'ils tenaient à le garder près d'eux. Il avait envie de pleurer à nouveau, comme un enfant qui vient de faire une bêtise pour qu'on le gronde puis le console, il se sentait faible, un peu idiot, mais il faisait quelques efforts pour ne pas imposer cela, en plus, à ses amis.

Soudain, il ne se sentait plus le courage de les affronter, de dissimuler toute sa douleur, ni non plus celui de la laisser paraître et de l'expliquer ensuite, une fois calmée. Il songeait à se glisser dans son lit, à y rester, à dormir et puis à pleurer, pendant deux ou trois jours, après quoi tout irait mieux, sinon mieux plus normalement, il pourrait à nouveau sortir, parler, sourire aux gens, et puis quand ils verraient Gaël et Virginie, d'un accord tacite tout le monde éviterait le sujet.


« Je vais me débrouiller, vous savez. C'est gentil. »

C'était sans rudesse qu'il disait cela, mais avec une gêne certaine, une pudeur d'animal baissé. Son regard se détournait, évitait surtout celui de Gaël, et même ses mains, quand elles lui semblaient trop près du corps du jeune homme, s'écartaient péniblement. Il avait détourné le regard, pour observer par la fenêtre le ciel gris de janvier.

Il n'avait qu'une volonté, c'était qu'ils partissent pour le laisser s'effondrer, et qu'un désir, c'était que quelqu'un le prît dans ses bras.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMar 31 Aoû 2010 - 14:05

L’air un peu mélancolique de Gaël lui fit un effet étrange. Etait-ce sa manière à lui d’éviter un sujet sensible ? Virginie avait tout plein de subterfuges pour cela. Ou bien était-ce encore une façon -délicate- de la détromper sur cette affirmation tendre ? C’était possible. Ses interprétations pouvaient être erronées. Après tout que savait-elle des sentiments amoureux ? Que monsieur Koji Ashton tienne à lui avec une force inconsidérée ? C’était tout de même probable, non ? Il avait été la seule référence à prendre en compte. Mais elle n’insista pas. Après tout ce n’était que son opinion. Ce n’était qu’une intuition de jeunette. Car elle avait comprit que leur ami ne pouvait pas rester le cœur vide. C’était peut être, parce que son esprit trop plein exigeait que son âme s’exprime par d’autres manières que celle de l’intelligence. Ou bien plus simplement parce qu’en effet c’était un adolescent un peu volage. Quant était-il de Gaël ? Avait-il aimé ? Etait-il entrain d’aimer ? Virginie ne le connaissait pas encore. Impossible de décrypter son silence.

Pourtant ces deux adolescents se ressemblaient un peu. Graciles, calmes, énigmatiques des traits un rien angéliques. Deux jolis romains perdus dans la chambre d’une école… Virginie les regardait. Les lèvres de Koji qui bougeaient, pour murmurer une suite de mots incohérente à son oreille. Cela arrivait quelques fois. Quand une discussion, un son, l’emportait loin, très loin et que même un vers ne pouvait pas le reconduire sur terre. Mais là il y avait trois jours de torture juste derrière. Alors rien n’y faisait elle était inquiète. C’est l’enfant Lune qui tempéra les événements. Il était beaucoup plus serait qu’elle. C’était une bonne chose ! Sans ça l’angoisse de la jeune fille aurait put noyer le rescapé. Une sorte d’équilibre pouvait fragilement naître de leur conjointe présence.

Mais… bien sûr Virginie le mettait à mal bien malgré elle. À peine eut-elle finit son plaidoyer que le remord lui attaqua l’esprit. Etait-ce le moment de rudoyer son ami ! Il avait encaissé beaucoup de choses, le pauvre. Faire la moralisatrice ne l’aiderait surement pas. Koji… Les deux grands yeux bleus exposaient le nouveau trouble. Ses émotions étaient aussi vives que son corps. Elle aurait dû mourir cent fois au moins à malmener son cœur ainsi. Ce qui aurait put se transformer en colère évolua en culpabilité. C’était tellement plus facile de se laisser ronger, que d’imploser. D’enfermer dans « une boite de Virginie » tout ce qui était catalogué comme néfaste. Tout ce qui pouvait être mauvais en elle. Ce qui ne méritait pas d’exister. Comme à chaque fois, tout reflua, vers un coin qu’elle ne voulait pas connaître.

La question de Gaël la déstabilisa. Un gâteau… le gâteau ! Il devait être en piteuse état à présent. Le matin du trente- et –un Mademoiselle Parish avait investie les cuisines comme jamais. Avec toute la joie et l’impatience elle avait demandé une faveur. Olga avait dû subir la présence de la gourmande durant toute la préparation de la pâtisserie. Un piteux sourire recueilli ce souvenir. Elle avait proposé une tarte aux fraises… Ce n’était pas si loin du fraisier. Mais ce n’était pas non plus exactement cela. Pour noël elle lui avait offert un livre. Un pari très risqué. Pourtant il avait été tenu jusqu’au bout. Ce n’était certes pas un ouvrage à la hauteur de son intellect. Ceci dit l’a n’avait pas été l’intention de la jeune fille. Ce qu’elle avait cherché c’était le partage. Le partage d’une histoire qui l’avait touchée. Un roman qu’elle avait lut il y a peut être trois ans maintenant. C’était un jeune romancier apparu il y a une dizaine d’année dans les librairies de Londres.

Celui pour la majorité attendait patiemment à l’autre bout du couloir. Virginie envisageait d’aller le chercher. Peut être cela le ramènerai à eux ? Il était difficile à chaque fois de le tirer vers la réalité. C’était un peu comme si –à chaque fois- on l’arrachait d’une rêverie délicate. C’est à ce moment que Koji décida de parler. De parler à nouveau, vraiment, pour leur dire quelque chose. Le résultat fût tout à fait décontenançant. Et elle tomba dans le panneau sur le champ. Sa propre douleur était relayée au rang de facétie. Dans toute la franchise et la crétinerie dont elle était la propriétaire. Un formidable élan d’affection l’attira de nouveau prêt de Koji. Elle était là à se plaindre d’avoir eu peur pour lui. Et lui, lui, ne pensait qu’à les préserver. C’était la honte qui circulait dans ses veines. Comment pouvait-elle inverser les rôles aussi aisément ? Fautive. La mine coupable elle approcha et s’agenouilla face à lui.

-« Mais Koji les amis c’est fait pour ça. On a toujours peur pour ce qu’on aime. »

Et puis il les libéra de toute obligation. Croyait-il réellement que ces deux interlocuteurs allaient le croire ? Le regard fuyant pour ne pas se trahir. Elle était spécialiste de ce genre de choses ! Il ne pouvait pas espérer la duper. Mais ce que Virginie savait… c’est que cette fuite révélait quelque chose. Un besoin de solitude. C’était souvent ainsi lorsqu’on voulait épargner autrui. Seulement… toute consciente qu’elle fût l’amie n’osait pas partir. Si jamais… oui, tout était clair. Mais… si jamais… Pendant un instant elle chercha l’avis de Gaël cherchant dans cette présence le comportement à adopter. Avec une douceur infinie elle murmura son opinion.

-« Tu sais ce n’es pas « gentil », c’est normal. Et puis… »

Et puis quoi encore ? En le voyant ainsi. Si exténué, si triste, si défait, son cœur était lourd. C’était bien pire que de voir son père résigné. C’était pire que de voir quelqu’un pleurer. C’était Koji. Koji qui avait affronté l’Enfer. Peut être Gaël trouverait des mots plus justes. Virginie n’en avaient pas. Mais... cet hiver lui avait enseigné quelque chose. Quelque chose que d’ailleurs Koji avait voulu lui faire comprendre. Elle se souvenait de leur dernière discussion au restaurant chinois. Elle se souvenait aussi de son attitude quand il avait voulu la réconforter. Plus tard Luc avait illustré tous ces mots avec une patience d’or. Aujourd’hui elle pouvait accueillir ces élans d’affections avec maladresse. Parfois il faut prendre des risques. Parfois il faut se mettre en danger par, pour, l’amour.

Alors autant pour lui, pour le forcer à comprendre, pour le retenir vers la vie, pour lui prouver qu’elle était là. Que pour elle, pour s’assurer de son existence, de sa solidité, de ce lien qu’il venait de renforcer elle lui prit une main et la serra tendrement. La vie palpait dans ces doigts de jeune fille. Elle était là, vive, belle et résistante, comme un bouclier invisible à tous les doutes environnants. Puis naturellement la silhouette se redressa. L’amie se rapprocha assez, pour ses bras finissent par se retrouver, dans ce dos du sage malmené. Chacun en avait besoin. Pendant une pensée Virginie envisagea que Koji préférerait les bras de Gaël. Mais ce ne fut pas assez fort, pour la stopper dans cet acte nouveau. Si elle osait c’est que Koji ne la rejetterait pas. Ou alors avec assez d’affection pour ne pas l’abîmer. Ses gestes n’étaient pas aussi gourds qu’on aurait put le craindre. La délicatesse ne lui avait jamais fait défaut. Ils étaient tout aussi timides que son âme, timides et offerts. Cependant il fallut un court instant, pour que son émotion s’épanouisse dans cet enlacement révolutionnaire. Qu’il put sentir la chaleur de son amitié. La force qu’il lui avait donnée au fur et à mesure.

-« Si on ne peut pas s’inquiéter pour toi, Koji Asthon, alors pour qui ? Tu as pris une part dans nos vies, tu n’as pas le choix.
Je sais que tu as fais de ton mieux. Mais, si j’avais pus t’épargner tout ça je l’aurais fait sans réfléchir ! Je le voudrais. Parce que tu es quelqu’un d’important pour moi. »


Et puis sa voix se tut. Virginie essaya de lui donner tout ce qu’elle avait en elle. Une dose de résistance contre les gouffres de son esprit. Le temps se perdit. Ce ne fût que quand elle sentit qu’elle pouvait le laisser qu’elle le libéra. Quand elle fût certaine que briser ce contact ne détruirait pas l’effet escompté. Juste avant de se détacher tout à fait un baiser vint clore sa plus tendre preuve d’amitié. Peut être pour le surprendre un peu. Qu’il soit un peu déstabilisé, obligé de réagir, de penser à autre chose. Aussi pour lui prouver les effets bénéfiques qu’il avait sur elle. Il n’était ni un frère, ni un camarade, ni un amant, il était un allié, son ami. Une raison pour gravir des échelles émotionnelles à grande vitesse. La raison de donner le meilleur d’elle-même du mieux qu’elle le pouvait.

Enfin, il fallut tout de même qu’elle réintègre le présent. Le rouge était un peu à ses joues. Parce qu’encore une fois elle avait été à moitié égoïste à le capturer sans lui demander son avis. Aussi parce qu’entre eux il n’y avait jamais eu ce langage là. Les épreuves font grandir. Ils venaient d’en vivre une sensationnelle. Virginie redevint Virginie et s’éloigna un peu. Y avait-il un reproche à trouver dans les yeux en amandes qu’elle rencontrait ? Pour ne pas l’obliger à réagir sans en avoir envie elle désamorça la situation dans un sourire. Elle était assez douée pour épargner les autres d’un dialogue confus. Rien en elle n’était assez prémédité pour réclamer une reconnaissance polie.

-« Tu veux ton cadeau maintenant ? »
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Gaël Calafel

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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptySam 4 Sep 2010 - 0:56

Gaël sorti le sourire aux lèvres. Un framboisier. Plus il s'imprégnait de Koji, de son mental, de son intelligence si particulière, plus il le voyait comme un être qui, au final, n'était pas si éloigné du genre humain en terme d'esprit. Il avait une intelligence différente, certes, d'une profondeur et d'une rapidité unique dans toute l'histoire de l'humanité, mais il avait développé son intelligence sur une base humaine, et restait capable d'erreurs ou d'oublis. Par exemple il ne s'était pas demandé comment Gaël pouvait trouver des framboises en plein mois de Janvier. Gaël réfléchit un peu à la question et décida que, tout compte fait, il aurait plus vite fait d'aller acheter la pâtisserie désirée. « Plus vite fait » étant le terme pour désigner plusieurs heures dans Londres à rechercher une pâtisserie en possédant un. De joyeuses courses en perspective, avec en prime la quasi-assurance de voir Koji dans les bras de Morphée à son retour. D'un autre côté revenir sans framboisier équivaudrait à un suicide social.

En désespoir de cause, Gaël alla faire un tour dans la cuisine, histoire de grignoter un peu en vérifiant si par le plus grand des hasards il n'y aurait pas une réserve de framboise qui traînait dans les coins. Il connaissait un bon site de cuisine et... mais pas la peine de trop se leurrer, il n'y aurait pas de framboises. Il croiserait peut-être Olga. Ou peut-être était-il encore un peu tôt.

Quoiqu'il en soit, s'il ne croisa ni framboises ni Olga, un petit mot l'attendait. Il reconnut immédiatement l'écriture d'Alfred. Le mot était simple et concis, sans fioritures :
"Le framboisier est dans le réfrigirateur." Gaël eut un frisson de plaisir en lisant ces quatre petits mots, ce Deus Ex Machina qui venait le sauver d'une bien pénible situation. Il sorti le précieux objet et se perdit quelques instants dans sa contemplation. Il s'agissait d'une magnifique pièce circulaire, recouverte d'un coulis rougeâtre appétissant surmonté de quelques fruits sur lesquels s'étendaient encore une fine pellicule de glace et de crème chantilly sur le contour. Même pour Gaël, qui malgré son statut de gourmand invétéré ne s'y connaissait pas vraiment en pâtisserie, il était évident que c'était une œuvre d'art qui avait due être fabriquée par l'un des pâtissiers les plus renommés de Londres. Sur le tout trônaient dix-huit bougies dont le bleu pâle contrastait avec la couleur des fruits.

Avec délicatesse, Gaël retira dix-sept bougies, pensant que, dans son état, Koji ne parviendrait peut-être pas à les souffler toutes d'un coup. Et pour un anniversaire réussi, il fallait que toutes les bougies s'éteignent en une expiration, donnant droit à un vœu à l'heureux élu. Il alluma la dernière bougie, emporta en quittant la cuisine le couvert nécessaire pour trois personnes et fit attention tout le long du trajet à n'emprunter que les couloirs les moins usités pour ne pas avoir à susciter une curiosité à laquelle il n'avait aucune envie de répondre. Par chance, le seul être qu'il croisa était justement le majordome, et il en profita pour lui adresser un doux sourire en remerciement. Cependant, une expression d'étonnement se peignit sur le visage d'Alfred lorsque son regard se posa sur le framboisier.


"Il me semblait que monsieur Ashton fêtait son dix-huitième anniversaire, et non son premier.

-C'est bien le cas
, répondit Gaël avec un sourire tranquille.

-Dans ce cas pourquoi une seule bougie ?

-Vous ne devinez pas ?"


Le majordome plissa légèrement les yeux, prenant un air peiné :
"Essayez de ne pas réduire une personne à sa mutation. Vous pensez peut-être que j'ai tiré les cartes pour connaître l'âge de monsieur Ashton ? Consulter le fichier informatique de l'établissement à été à la fois plus rapide et plus instructif." Et il repartit comme si la réponse à sa question ne l'intéressait plus du tout, en grommelant quelque chose de peu flatteur à propos de la jeunesse et de son arrogance. Gaël haussa une épaule (une seule pour ne pas mettre en péril l'équilibre du framboisier) et reprit sa route, réfléchissant à moitié à ce que lui avait dit le majordome.

Il ouvrit doucement la porte, sans frapper pour annoncer sa présence au préalable, tout en fredonnant un
"Joyeux anniversaire".
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Koji Ashton

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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptySam 4 Sep 2010 - 12:54

Alors Gaël était sorti, pour chercher son gâteau, cela Koji en était sûr, il était certain de pouvoir, parfois, percevoir quelque chose qui s'échappait de cette retenue mélancolique qui était celle de son ami, peut-être simplement son camarade, et il croyait deviner qu'en cet instant les pensées de Gaël étaient posées sur lui, il croyait, même, mais cela c'était presque de la folie, ou bien un cabotinage de son cœur adolescent, il croyait les sentir l'envelopper, comme un drap protecteur, un lit enfin rejoint après une longue journée de peines, il lui semblait que sa peau frémissait un peu de cette caresse reçue de loin en loin, d'esprit à esprit, et qui était la seule caresse qu'il espérât jamais recevoir de Gaël, alors qu'il en désirait tant d'autres, qui lui eussent assuré que jamais ne s'enfuirait ce qu'il ne possédait pas même ; il ne doutait même pas que Gaël y parviendrait, à lui ramener ce gâteau que la saison rendait improbable, simplement parce que c'était presque impossible, et que c'était à l'impossible qu'il tenait Gaël, lui seul qui le faisait rire, se sentir l'être qu'il était, simplement Koji Ashton, lui qui lui permettait de se réfugier dans cette condition un peu curieuse d'être humain, alors qu'il avait cru toute sa vie, qui avait été extrêmement longue, que c'était une terre qu'il ne connaitrait jamais, des chemins qu'il ne pourrait pas parcourir, un monde qu'il pouvait comprendre, et non pas sentir ; un framboisier en hiver, c'était presque comme demander à Gaël de lui offrir l'étincelle précieuse de leur première rencontre, ce vide infini de sa propre existence, impossible, curieuse, cette rencontre entre deux mondes, le sien, le développement toujours compliqué et étendu de son intelligence, et le leur, ce monde humain vibrant et palpitant, qu'il avait tenté d'embrasser, avec fougue, avec un désespoir charnel, une concupiscence suppliante, et que Gaël lui offrait maintenant plus pur, plus compréhensible et plus charmant, innocent en quelque sorte, lavé des souillures que lui, Koji, avait été contraint longtemps d'y jeter pour le sentir un peu près de lui ; alors peu à peu, dans son esprit, ce framboisier, c'était futile bien sûr mais, ce framboisier prenait des proportions tout à fait fantastiques, il était d'une telle importance, oh, qu'il n'aurait su dire exactement tous les espoirs qu'il y versait, c'était un peu le signe que tout cela était fini, son passé, les derniers sursauts dans la quasi torture et ses veines ouvertes de ces époques sombres, tout cela consommé, épuisé, que vraiment il avait une vie qui se vivait authentique, avec des anniversaires, des gâteaux, une chambre d'étudiant ; pendant quelques secondes, il voulait ne plus penser aux circonvolutions de prudence dans lesquelles il avait égaré son existence, aux millions amassés pour se prémunir de n'importe quoi, de ce qui viendrait, aux combats appris et qui n'avaient pas suffi, à la dissimulation, aux relations cultivées pour avoir des appuis, il voulait songer simplement à son anniversaire, et tenter de deviner le cadeau qu'il recevrait, de supposer le goût du gâteau avant de le voir et de le sentir.

Moins que les mots de Virginie ses gestes l'atteignaient : que s'était-il passé pour que cette jeune femme si réservée, à la peau fuyante contractée dans une crainte attentive, pût désormais le tenir entre ses bras, déposer ses lèvres sur sa joue ? Quelle évolution de cette vie à laquelle il avait été si attentif lui avait manquée ? Il n'était pas trop difficile, sans doute, pour lui, de le supposer : elle avait vu le jeune homme dont elle lui avait parlé, et une réconciliation secrète et intime s'était produite entre cette âme douce et le corps qui lui avait été donné. Il sentait là se développer, encore hésitante, une force plus grande que toutes les résistances surnaturelles de Virginie.

Heureusement que ces gestes d'affection ne s'exprimaient que derrière la porte close de cette chambre. Koji n'y songeait pas, ni Virginie sans doute, mais ils eussent alimenter encore les rumeurs qui couraient à leur sujet, eux que l'on apercevait toujours ensemble, et qui d'ailleurs avaient une sorte de beauté commune qui rendait si naturelle leur association amoureuse : beaucoup de pensionnaires croyaient qu'ils filaient une douce romance, et ils eussent été ravi de trouver dans cette caresse d'une amitié pure pourtant la confirmation de leurs soupçons.

Beaucoup de jeunes filles, également, eussent envié jalousement à Virgnie ce contact. Koji ne s'en rendait pas compte (comme il avait changé !). Il y en avait pourtant cinq ou six qui le guettaient dans les couloirs, surtout au restaurant scolaire, le midi, quand il y venait : c'était à celle qui trouverait un moyen de s'asseoir devant lui, et d'adresser sans fin au métis, pendant tout le repas, des sourires auxquels il répondait par politesse. La Saint-Valentin approchait, et chacune fourbissait ses armes : aucune ne doutait que Koji eût quelque sentiment pour elle.

Mathilde, de temps à autre, au cours de leurs répétitions musicales, se moquait de lui, et surtout de ces pimbêches (elle s'en moquait même beaucoup, et Koji ne comprenait pas exactement la raison de tant d'insistance). Le jeune homme haussait les épaules. Au fond de lui, ces sentiments possibles qu'on avait pour lui le dérangeaient, parce qu'il lui semblait, avec un rien de superstition, qu'ils empêcheraient peut-être l'éclosion d'un autre sentiment, qui lui était beaucoup plus cher désormais, et qui seul comptait.

Ainsi Virginie se jetait-elle dans ce nouveau tourbillon de signes et de sens qu'étaient les gestes, et c'était une vie nouvelle qui se développait en elle, plus forte et peut-être aussi plus compliquée. Koji tourna son regard vers la jeune femme, et ses yeux, quoique fatigués, avaient cette profondeur noire mais bienveillante, une sorte de chaleur sage et lointaine, tendresse un peu inexplicable, millénaire, qu'il avait souvent quand il regardait la jeune femme.

Un sourire pâle parcourut ses lèvres. Il ne disait rien : ce n'était pas nécessaire. Et puis, parce que cette vie présente à ses côtés appelait la sienne, parce que Gaël viendrait bientôt avec un gâteau qui ferait refluer son sang vers ses organes, que tout s'éveillait malgré la fatigue, à nouveau elle aussi fatigue vitale et non attente de la mort, il sentit monter en lui une humeur cabotine.


« Il faudra que tu me le présentes. »

Il parlait de Luc, bien entendu : il était évidemment la source de ces changements. Koji esquissa un sourire entendu, qui peuplait son visage innocent d'une malice angélique. Son regard dévia un peu vers la porte, et bien sûr c'était à Gaël qu'il songeait, au loin, dans les couloirs, les cuisines, les méandres de l'Institut, à la recherche de son framboisier.

« C'est agréable d'avoir un garçon sur lequel s'appuyer. »

Il reposa son regard sur Virginie, pour lui assurer que c'était à elle que s'adresser cette observation, que c'était bien un aveu qu'il lui faisait de son attirance pour le jeune Maltais, et non pas une erreur, des mots qui lui eussent échappé ; plus peut-être que l'appel au secours, la lettre, l'aventure rocambolesque dans laquelle il l'avait entraînée, cette phrase et ses demi-mots étaient une preuve de confiance qu'il souhaitait lui offrir.

Il poussa un petit soupir mélancolique, comme devaient en pousser en cet instant bien d'autres adolescents en songeant à la jeune femme – au jeune homme – qui habitait leurs pensées.


« Il est vraiment... Parfait, tu sais. Ce serait bien si c'était ça, mon cadeau. Tu pourrais le coincer dans un couloir et l'emballer. »

Il glissa un clin d'oeil vers Virginie, et il s'apprêtait à lui dire d'aller chercher néanmoins le cadeau qu'elle avait prévu, et qui sans doute serait très bien lui aussi (quoiqu'il doutât que ce cadeau eût des fesses plus agréables à regarder que celles de Gaël), quand la porte s'ouvrit, et que l'intéressé rentra, avec son précieux chargement ; Koji avait connu bien des restaurants, et parmi les plus réputés, mais rarement il avait aperçu un gâteau qui fût si beau, ou qu'il le touchât tant. Il était vrai que les circonstances n'y étaient pas entièrement étrangères.

Il écoutait Gaël chanter, et il avait envie de lui sauter dessus, de se réfugier dans ses bras, de se transformer en chat et de se mettre à ronronner. Néanmoins, une certaine retenue et de piètres qualités de métamorphe l'empêchaient de mettre ce séduisant projet à exécution, alors il écoutait, il se contentait d'écouter, et profitait que quelques mèches grises lui cachassent le visage pour ne pas avoir l'air trop ému.

Quand la chanson fut finie, Koji murmura.


« Il est magnifique. »

Ce n'était pourtant pas le gâteau qu'il dévorait des yeux.

« Comment tu as fait pour en trouver un aussi beau en cette saison ? »

C'était bien sûr une question à laquelle il ne désirait pas tout à fait de réponse. Il préférait croire que Gaël s'était battu pour lui avec une centaine de grands-mères féroces qui, le même jour, voulaient un framboisier pour leurs petits-enfants, qu'il avait triomphé de la horde de dentiers et de hanches artificielles, manoeuvré habilement entre les cannes vindicatives, et qu'il lui avait finalement rapporté la pâtisserie au péril de sa vie.

Il se l'imaginait très bien, finalement victorieux, en sueur, les vêtements déchirés, le regard fougueux... Koji rougit légèrement et fit son possible pour écarter quelques images séduisantes, mais peu à propos, de son esprit, sans y parvenir tout à fait.


« Hm. Euh ! Je dois avoir des allumettes quelque part. Pour la bougie. »

Quelque part était une indication assez vague pour se retrouver dans l'amoncellement improbable et infini d'objets qui s'étalait dans sa chambre. Il quitta son lit, souleva sans hésiter un paquet de feuilles, en extirpa une boite d'allumettes, tenta à nouveau de chasser une image particulièrement admirable et licencieuse de son esprit, et échangea à Gaël la boite d'allumettes contre les assiettes, qu'il disposa sur le bureau.

Il tira une chaise au milieu de la chambre, pour que Gaël pût y poser le gâteau, et s'assit au bord du lit, en attendant que la bougie fût allumée. Il eût volontiers signaler qu'il avait en fait dix-huit ans, mais comme il soupçonnait l'intention délicate et protectrice qui avait présidé au retrait des dix-sept autres bougies, qu'il en était charmé, que de toute manière il était trop occupé à combattre ses fantasmes, il ne fit aucune remarque, et attendit – sagement – en apparence.

La bougie était allumée.


« C'est donc le moment de faire un voeu... »

Sa voix avait été un peu songeuse, mais il avait conservé la présence d'esprit de ne pas lever trop ostensiblement les yeux vers Gaël, pour que la teneur de son voeu ne fût pas aussi évidente. Il resta quelques secondes méditatifs, non qu'il dût choisir un voeu (son esprit était bien trop rapide pour cela) : il convoquait deux ou trois réflexions mathématiques dont il espérait que la froideur tempérerait les emportements de son esprit, et quand un calme relatif revint, ayant parvenu à remettre à plus tard le spectacle imaginaire de Gaël arpentant la forêt vierge en costume d'aventurier, Koji souffla la bougie – qu'il parvint à éteindre, tout seul – victoire.

Peut-être bien que son voeu se réaliserait ?
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyLun 13 Sep 2010 - 17:31

Gaël était partit sans prévenir pour cette quête alimentaire. Petite silhouette silencieuse qui avait accepté la –sa- mission. Elle espérait que la denrée ne serait pas trop rare. Les framboises n’étaient pas faites pour mûrir sous les flocons. Pourtant Virginie lui faisait confiance. Tel un Ulysse il parcourait le manoir, sans fin, jusqu’à pouvoir revenir avec les honneurs. Les bras chargés de ce mets devenus divins par la volonté du jeune majeur. Koji aurait don gâteau d’anniversaire avant que l’heure du déjeuner ne sonne.

Cet enlacement était sans équivoque. Aucune. Virginie savait que tout était clair entre eux. On aurait put croire, qu’en découvrant le désir charnel, la lubricité, le regard de la jeune fille évolua concernant le beau métis. En quelque sorte, oui, c’était le cas. Mais pas dans le sens que l’eut espérer les pensionnaires. Dans tout son amour pour le jeune français, la londonienne était devenue exclusive. Aussi loyale que put l’être un esprit en pleine floraison amoureuse. Luc Treanez était « celui ». Le seul –aujourd’hui- pour qui son corps s’éveillait. Le premier amant de sa vie.

Alors elle ne voyait pas les sourires entendus. Toujours entre deux voyages elle ne s’attardait pas sur les rumeurs. Ou en tous cas faisait-elle comme si elle n’en avait pas conscience. Le sujet n’était pas de ce u’on évoquait. Même si s’était assez… flatteur, que beaucoup lui prête une idylle avec l’un des sexe-symbole mutant. Quelques mois en arrière, personne, ne l’aurait ne serait-ce que remarquée. Mais l’arrivée de Koji avait rendu impossible l’anonymat complet. Virginie Parish ne pourrai plus jamais être transparente. Un mal ? Si l’étudiante était visible la plume en serait mieux cachée.

Ils étaient donc tous les deux. Et même si ce n’était pas le soir. Même si la bâtisse vibrait de cette vie d’après fête. Le silence étaient de nouveau partagé. Depuis quelques semaines ces moments lui manquait. Ils étaient moins nombreux qu’aux beaux jours, comme si le manteau de glace avait trop ralentit le temps, imposant sa loi sur les projets quotidiens. Avant noël Virginie n’avait pas sut informer son ami comme il convient. Lui dire que, sans pouvoir aller jusqu’à l’hexagone, elle avait accueillit Luc sur Londres. Pendant plus d’une semaine d’abord elle l’avait accaparée. Puis il était revenu pour le week end, pour leur première nuit. Aussi leur déjeuner impromptu au centre commercial –survenu peu après- avait permit que tout son ressenti sur cette expérience soit oralisée de manière indirecte.

-« Il revient bientôt normalement. J’espère avant la fin du mois. »

Elle n’avait pas été si surprise qu’il comprenne. Koji comprenait tout. Alors la réponse était venue naturellement, comme si ce sujet était habituel. Allant même jusqu’à confesser une impatience d’amoureuse. Trois semaines à peines depuis ce passage éclair. Luc avait installé une sorte dépendance. Après des mois et des mois, à échanger des mails, le voir c’était si plaisant si attractif.

Est-ce que ces deux jeunes hommes s’entendraient ? Les deux garçons de sa vie depuis qu’elle était ici. Artie était une rencontre encore trop fraîche pour former le triangle de son présent. Ses deux topazes s’attardaient sur l’air un peu mutin de son camarade. Elle savait qu’il parlait de Gaël. Cependant une inquiétude se glissa dans sa voix aigue.

-« Un bien fou. Mais j’ai un peu peur de l’écraser. »

Virginie ne pouvait qu’essayer de comprendre. La perfection n’avait jamais fait parti de son univers. C’est ce à quoi elle aspirait continuellement, alors comment l’atteindre ? Il y avait toujours quelque chose pour lui rappeler la dure loi du réel. Que ce soit dans la saveur d’un jus de fruit, la beauté d’un dialogue, le sourire d’un jeune homme. Elle était cette fois ci plus réaliste que son ami. Luc n’était pas parfait. Il était envoutant, sa présence lui était de moins en moins dispensable… mais il n’était pas parfait. Virginie ne nourrissait aucune illusion concernant leur avenir commun. C’était peut être ce qui manquait, pour qu’elle devienne folle amoureuse, à en perdre la tête. Elle était incapable de lâcher prise à ce point là. Mais elle ne voulu pas pour une fois être la voix de la raison. Que Koji croit à son prince.

-« C’est comme si c’était fait. »

Le mutant prodigue ouvrit alors la porte et plus rien d’autre n’exista pour le jeune homme. Spontanément Virginie accompagna la chanson rituelle de sa voix de soprano jamais travaillée. Il y a de ces instants où le ridicule ne tut vraiment pas miss Parish. Avec un sourire ravie elle regarda le majeure se trahir face à son aimé. Impossible d’intervenir sans donner plus de poids au malaise de l’amoureux. Il fallait peut être une diversion mais cette fois Virginie n’en trouva pas. C’était un tableau si charmant, si prometteur, maintenant qu’elle le voyait avec justesse. Elle se prit à espérer que Gaël succomberait tôt ou… non seulement tôt.

Elle retourna s’assoir à sa première place en observant les préparatifs. Un instant elle se souvint que le 11 septembre dernier il n’y avait pas eu de bougie du tout sur son dessert. En étant un peu moins gourde elle aurait été se plaindre auprès de Koji, ou bien même d’Olga. Mais… au vus de ces dernières années, lors de cette date fatidique, mieux valait éviter un nouvel échec. En ne prévenant personne jamais Virginie se serait blessée par une hypothétique indifférence. Et puis qu’était-ce qu’une révolution planétaire quant tant d’autres viendraient ?

Le vœux était déjà formulé, n’est-ce pas ? Elle regarda ces deux garçons, tour à tour, sans mot dit. Qu’il soit entendu par la bonne fée ce vœu là. Virginie enjoignit toutes les marraines des contes d’entendre ce mutant revenu d’entre les fous. Applaudir aurait été un peu moqueur étant donné qu’une seule bougie pouvait être soufflée par un bébé de deux ans. Alors la demoiselle se contenant d’un lumineux sourire plein de fierté et de complicité. Elle n’oubliait pas sa promesse. La première occasion serait donc la bonne. Pour commencer… il fallait offrir un terrain propice à la découverte, lui semble-t-il. Il fallait donc que la troisième roue qu’elle serait, s’éclipse.

D’une main vive l’entremetteuse extirpa de son sac un couteau-suisse sans âge. L’un des rares objets dans lequel elle avait investie pour elle-même. Il pouvait être très, très, utile dans toutes ces pérégrinations. En particulier lorsqu’on passait son temps à éplucher, couper, de délectables mets. Sans attendre, et par des gestes experts, son arme culinaire découpa six parts égales. Avec un air satisfait elle songea que toutes ces années de faim, servait aujourd’hui à quelque chose. Son esprit s’activait à trouver les étapes d’un plan relationnel, à très court terme. Et…

-« Il est midi ! Ho non… mon devoir de littérature… »

C’est peut être parce qu’elle l’avait réellement oublié, que la solution fût crédible. Quoi qu’il en soit, même si Virginie se moquait d’avoir encore un C +, c’était une splendide manière de tenir son rôle. Koji savait pertinemment que jamais elle ne demandera son aide pour un devoir personnel. De plus elle était assez tête en l’air depuis un mois pour ne pas surprendre par cet oubli. Avec cet air contrarié, brillant de bonne volonté elle se leva d’un bond. Telle la jolie anguille qu’aucun courant ne pourrait détourner de sa nouvelle rivière. Ceci dit elle se permit de volatiliser l’une des parts du gâteau et se justifia avec entrain.

-« Elle me donnera du courage ! On se retrouve un peu plus tard ? »

Le tour était joué. Virginie lança un regard sans équivoque à Gaël. Qu’il veil sur son ami, ou bien ce serait la guerre. Ni une ni deux sa silhouette prenait vie jusqu’à la porte. En quelques secondes elle avait disparue pour laisser un silence plein de promesse entre ces deux là. Au lieu de littérature c’est de Contrepoison dont elle alla sur l’instant s’occuper.


[HRP: Excusez-moi du retard. j'ai été un peu débordée. Je vous laisse entre amoureux partant ainsi l'esprit en paix vers quelques aventures hispaniques. Au plaisir ! Toujours. ]
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyDim 3 Oct 2010 - 20:38

"Happy birthday to you..."

Gaël se tut finalement, recueillant avec un de ses légers sourires le murmure du convalescent.

"Disons que quelqu'un ici doit avoir une bonne étoile. Ou un ange gardien."

Il était sur un petit nuage, ravi de l'effet qu'il avait réussi à produire bien que le mérite ne lui en revienne pas entièrement. Il arborait un visage victorieux malgré l'absence de la sueur, des vêtements déchirés et du regard fougueux, lorsqu'il posa le présent sur la chaise. Le sourire disparut bien vite pour faire place à une mimique concentrée tandis qu'il brisait trois allumettes coup sur coup. La quatrième fut la bonne, et il s'écarta d'un pas pour laisser Koji seul maître de l'instant, regardant la flamme danser avec ardeur pour sa première et dernière représentation. Elle tressauta légèrement, comme pour faire une révérence, avant de se réduire à un minuscule point lumineux sur la mèche qui disparut bien vite dans une petite bouffée de fumée. Gaël contempla les mouvements de la cendre un court moment, avant de retirer le bâtonnet de cire d'un geste leste.

Léchant ses doigts pour étouffer définitivement la flamme et la fumée, il pensa au vœu de son voisin de chambre. Impossible de deviner. Et la tradition interdit toute question à ce sujet, sous peine de voir le souhait se briser. Il poussa un soupir imperceptible tandis que ses doigts se refermaient sur la mèche.

Arrivant à grands pas, le moment propice à la découpe du framboisier se rapprochait dangereusement quand Gaël comprit qu'il n'avait pas de couteau. Impardonnable erreur ! Il faut cependant croire que sa bonne étoile (ou celle de Koji ?) ne l'avait pas abandonné puisque Virginie se trouva munie fort à propos d'un couteau suisse qu'elle mit immédiatement à profit pour trancher le gâteau en parts rigoureusement égales. Gaël admira les gestes sûrs et précis, lui qui n'avait jamais été capable ne serait-ce que d'effleurer le centre lorsque c'était à lui de tenir le manche de l'instrument pour découper ce type de desserts.

Quand vint pour Virginie le moment de s'éclipser, il remarqua sans peine -comment passer à côté ?- le regard... froid ? acide ? qu'elle lui jeta. Il ferma doucement les yeux quand la porte se referma, le regard de la petite blonde le foudroyant toujours derrière ses paupières. Une seconde. Deux secondes. Il rouvrit les paupières pour empoigner une assiette et faire glisser sans finesse une part du framboisier dans une assiette, qu'il posa à côté de Koji avant de faire la même chose pour lui-même. Il pensa distraitement à son emploi du temps personnel, et n'y trouva rien d'urgent ou d'absolument nécessaire à faire pour le lendemain. Avec une lenteur presque exagérée, il porta à ses lèvres une bouchée, laissant une légère trace de crème sur la commissure qu'il essuya du revers de l'index. Pourquoi Virginie lui avait-elle lancé un tel regard ? Lui en voulait-elle encore d'avoir dormi -tenté de dormir- dans la voiture ? Dans ce cas ce regard signifierait « prends-soin-de-Koji-ou-t'es-mort ». Mouais. Légèrement agacé, Gaël imagina interroger Koji sur elle, avant de se raviser. Il pensait de son côté que le métis avait plus besoin de repos que de présence. Il avait sans doute perdu beaucoup de sang, il lui faudrait du temps pour remplacer tout ça.


"Tu as besoin de quelque chose ? Tu as soif peut-être ? Ou tu veux que je te laisse te reposer ?"

Il finit sa part avec délectation, puis reposa lentement son assiette sans se resservir. Il s'étonna en lui-même de ne pas avoir plus d'appétit. Son regard erra dans le capharnaüm, passant de temps à autre sur Koji qui semblait, bien qu'immobile, remplir la pièce de par sa seule présence. Étonnant tableau que celui-là, jeune homme alité dans une pièce à l'agencement chaotique et pourtant parfaitement maîtrisé par son propriétaire. Chaque chose était nulle part, et pourtant chaque chose était à sa place. Excepté...
Excepté le jeune homme, justement. Il aurait dû bouillir dans cette pièce, s'agiter, trouver sans chercher le papier dont il avait besoin pour écrire une quelconque formule ésotérique qu'il s'agisse d'une loi mathématique ou d'un obscur dicton dans une langue morte. Ou de sa liste de course, allez savoir. Oui vraiment, ce jeune homme n'était pas à sa place. Et peut-être que lui non plus n'avait pas envie de se reposer, mais de vivre dans cette chambre. Sans doute. Ou de sortir, de se promener, de lire, d'aller au cinéma...

Gaël renonça à énoncer la liste entière des choses qu'on pourrait préférer faire plutôt que de rester dans son lit. Koji devait se reposer, point. Ce n'était pas une question de volonté. Peut-être pourrait-il néanmoins faire quelque chose qui n'était pas fatiguant ? Regarder un film par exemple. Mais pour cela il faudrait amener Koji en salle de repos, et le ramener s'il s'endormait, sans compter qu'il était possible qu'on l'aperçoive dans son état de faiblesse. Mauvaise idée. Par contre, il y avait bien quelque chose de plus reposant qu'un film et qui ne nécessiterait pas de déplacement.

"Tu veux écouter une histoire ?"
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyLun 4 Oct 2010 - 13:00

Il avait adressé un sourire à Virginie, sans lui proposer son aide : il savait qu'elle ne l'accepterait pas, qu'elle voulait s'en tirer par elle-même et, même s'il ne comprenait que vaguement, imparfaitement, et sans beaucoup d'implication personnelle, ce que la difficulté pouvait avoir de plaisant à surmonter, lui à qui tout se pliait si aisément, il approuvait cette combattivité et ce désir d'indépendance ; il savait par ailleurs que Virginie n'ignorait pas pouvoir compter sur lui à la moindre difficulté et qu'il n'avait pas besoin de l'assurer de son soutien pour qu'elle sût qu'il serait éternellement prêt à lui offrir.

Il lui avait adressé un sourire, puis il avait détourné le regard, comme s'il pressentait que dans son mutisme explicite, Virginie avait quelque à dire à Gaël. Il ne savait s'il la laissait faire, feignant d'ignorer ce regard, par seul souci de ne la pas gêner, ou bien s'il désirait que Gaël sentît, si ce n'était par lui, du moins par son amie, un peu de l'importance qu'il pouvait avoir pour lui et fût investi du rôle décisif qu'il souhaitait tant lui voir tenir dans son existence.

Un ange gardien. Blanc comme un ange gardien : si cela, Gaël pouvait l'être pour lui. Ces derniers jours avaient éprouvé Koji plus qu'il ne pouvait encore le sentir lui-même ; il avait exhumé des profondeurs de son histoire plus de force et de volonté qu'il ne s'en soupçonnait, mais il sentait également croître en lui une part de faiblesse et d'incertitude, qui lui était plus sensible que toutes ses hésitations passées, parce qu'elle était plus véritable. Il avait envie de se réfugier, simplement, dans une affection bienveillante.

Elle était sortie. Elle le laissait seul avec lui, et c'était une solitude un peu douloureuse. Koji se souvenait de chacune de leurs rencontres, et ce jour-là comme ces jours passés, il sentait entre eux une distance infranchissable tout en même temps qu'une complicité qu'il s'expliquait mal. L'une l'effrayait et l'autre lui donnait de l'espoir ; cet espoir se dissipait puis se reformait, ainsi dans un incessant mouvement dont l'exaltation le soutenait et le fatiguait à la fois.

Il avait relevé ses yeux noirs, dont les profondeurs finalement avaient été reconquises par l'intelligence, vers Gaël, et pendant une seconde toute entière – une éternité pour lui – il s'était cru sur le point de lui demander de partir, tant l'effrayait cette intimité soudaine mais maladroite, ce désir qui s'élançait vers son camarade et qu'il savait devoir retenir (retenir toujours ?), et tant il craignait que sa fatigue l'empêchât de se maîtriser parfaitement.

Mais il regardait ensuite le framboisier découpé, l'assiette servie, il regardait les mains de Gaël, et ses lèvres, ses yeux, cette vie hors de la sienne et qui était peut-être la seule chose au monde qu'il ne parvînt pas à comprendre ; alors elle lui semblait un mystère très beau, d'une simplicité majestueuse et indécidable comme les statues des civilisations qui se sont éteintes, dans lesquelles on devine des trésors que l'on a peur de ne jamais pouvoir atteindre.

Il n'avait pas le courage de se refuser le plaisir de cette compagnie : il cédait doucement à la pente de ses envies. Il secoua la tête, et d'une voix soudain un peu intimidée, que Gaël ne lui connaissait pas encore, et qui en effet ne lui était pas coutumière, il murmura.


« Non, rien. C'est parfait comme cela. »

Il y avait là un tout petit mensonge : plus parfaite eût été l'heure s'il avait pu se réfugier contre lui. Mais après des jours de prison, la délicatesse d'un framboisier que lui, Gaël, lui avait ramené, était au-dessus de ses espoirs raisonnables, si elle était encore en-dessous de ceux qui l'étaient moins. Il prit son assiette et commença à manger.

Koji mangeait avec une sorte de grâce délicate et fragile où se mêlaient de multiples influences. Il y avait là un peu d'une traditionnelle élégance à la japonaise, que sa mère, malgré toutes ses prétentions de modernité, n'avait pas pu ne pas lui transmettre ; il y avait la distinction quasi aristocratique de la grande bourgeoise ; il y avait cette touche de douceur féminine qui certes se répandait souvent dans les gestes de Koji ; il y avait cette paix et cette retenue antiques de vieux sage qui dissipaient toute brutalité de son comportement ; il y avait peut-être une beauté discrète, longuement travaillée en réalité, mais qu'il avait fini par intérioriser ; il y avait surtout sa fragilité inaliénable qu'il refusait de se reconnaître.

Koji se demandait comment il était seulement possible que Gaël eût trouvé un framboisier si délicieux en cette époque de l'année, et en quelques minutes. Il soupçonnait quelque subtilité mutante. Un élève qui produisait des pâtisseries à volonté ? Pouvoir peu offensif mais d'un succès certain. Un téléporteur ? Ou bien une prévision particulièrement fine. Le majordome de l'Institut n'était sans doute pas étranger à tout cela.

En mangeant, Koji observait Gaël du coin de l'oeil, en essayant de ne pas paraître trop intéressé par les gestes de son camarade, et surtout de ne pas laisser des pensées trop impures flotter autour des lèvres de Gaël, autour de ses mains. La fatigue ne l'aidait pas à dissiper ces désirs hors de propos et à orienter son esprit vers des terres moins brûlantes ; heureusement, la fatigue l'aidait à ne pas donner trop de force à ces mêmes aspirations, et Koji flottait dans un entre-deux vaguement sensuel.

Pour se donner un peu de contenance, et pour contrecarrer le souvenir éternellement présent de la nourriture infecte qui lui avait été imposée ces derniers jours, le jeune homme se servit une nouvelle part de framboisier, avec guère plus de dextérité que n'en avait eue Gaël : l'épuisement et les blessures faisaient un peu trembler ses mains, qui n'avaient plus leur assurance habituelle.

Il le sentait fondre sur lui, cet épuisement, malgré ses efforts pour s'en défaire. Il ne voulait pas dormir. Il ne voulait pas gâcher ces premiers instants de liberté, il voulait goûter pleinement sa nouvelle force et sa nouvelle faiblesse, retrouver la vie, ses promesses imprécises, de ne pas se séparer de la présence de Gaël ; dormir, ce serait un noir, un néant, il se reposerait, mais en se réveillant, tout ne se dissiperait-il pas ? Et peut-être, alors, quelle fadeur !

Alors Koji luttait, exactement comme les enfants, qui veulent regarder un film à la télévision, mais qui s'éternisent, luttent pour garder les yeux ouverts : pour suivre l'histoire jusqu'au bout, et un peu aussi par défi. Il avait des secondes d'absence, laissait échapper un soupir, puis revenait à lui et mangeait à nouveau en silence, avec des gestes un peu lents.

Il avait fini cependant sa seconde part, et reposé son assiette au pied du lit. Il s'en voulait d'être d'une compagnie si ennuyeuse, d'offrir un spectacle si déplorable à Gaël, il aurait voulu avoir le courage de lui demander de partir, pour préserver un peu la perfection de son image, mais ce que vraiment il eût aimé lui demander, c'était de pouvoir pleurer contre lui.

Une histoire.

Koji releva vers son camarade un regard surpris – et la surprise était bien l'émotion qui lui était de toute la plus étrangère, après l'incompréhension – comme si Gaël venait de lui proposer un cadeau qu'il savait être impossible. On ne lui avait jamais raconté qu'une histoire, c'était celle que son père lui racontait le soir après les cauchemars, et c'était tout : toujours la même, pas d'autres.

C'était que tout le monde le jugeait si intelligent, si imperméable aux plaisirs enfantins ou simplement communs, qu'on le privait, sans le vouloir vraiment, de ces plaisirs mêmes qu'il eût justement goûté plus qu'un autre. Une histoire : c'était comme lui accorder le droit d'être un peu fragile, d'incarner ce corps de délicatesse presque brisée qui était le sien.

Il se sentait sur le point de pleurer, il pleurait, un peu, pour de bon. C'était la fatigue, ou bien c'était l'émotion. Avec un sourire, timide à nouveau, il hocha légèrement la tête.


« C'est gentil. »

Il se laissa tomber sur le lit, s'allongeant, semblable à un Apollon de publicité – ou à un beau marbre funéraire.

« Je vais sans doute m'endormir, tu sais... Ca ne voudra pas dire que l'histoire n'était pas bien. »

Il lui adressa un demi-sourire. Dormir devant quelqu'un, laisser quelqu'un dans sa chambre, si pleine de secrets, parfois importants et dangereux : Koji ignorait si Gaël pourrait mesurer quelle confiance formidable il plaçait ainsi en lui. Il n'avait pas enfin de réfléchir cependant ; envie simplement d'entendre une histoire.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyMer 13 Oct 2010 - 22:27

Gaël haussa un sourcil.

"J'espère bien que tu vas t'endormir... c'est le but. Bon attends-moi, je reviens."

Il revint une minute plus tard, un baladeur dans la main.

"J'aime bien écouter des histoires, expliqua-t-il, et parfois c'est plus reposant d'écouter que de lire. C'est drôle aussi d'entendre les voix des différents personnages.

Sans attendre d'avantage, il s'assit par terre et entreprit de régler l'engin au volume sonore approprié, puis de lancer le fichier audio. Une voix masculine commença à raconter l'histoire de Peter Pan, le petit garçon qui ne voulait pas grandir.

Gaël s'adossa contre le lit et ferma les yeux, se laissant porter par les voix des protagonistes et du narrateur. Mr. Darling était bien injuste, n'est-ce pas ? Pauvre petite Wendy si innocente !

Il rouvrit bientôt les yeux, balayant une fois encore la chambre du regard, observant les empilements anarchiques d'objets plus ou moins mystérieux. Il avait du mal à comprendre à quoi tout cela servait, à vrai dire. Lui-même n'écrivait pas beaucoup, et la plupart de ses stylos étaient usés par les obligations scolaires. Ce qu'il écrivait ou dessinait, il le jetait ensuite sans état d'âmes, et imaginer pourquoi Koji, qui devait pourtant disposer d'une mémoire formidable, sinon absolue, conservait ces bouts de papier était au-delà de ses facultés de compréhension. Avec un sourire, il pensa que la chambre aurait pu sans peine être celle d'un savant fou de fiction, complètement désordonnée mais recelant sans doute des trésor si on se donnait la peine de chercher. Et si on avait la capacité de les interpréter, bien sûr. Cela le conduisit à se demander dans quelle mesure ce qu'il imaginait était vrai. Koji avait révélé que ses talents pouvaient être convoités, utilisés à mauvais escient. Cette pièce abritait-elle réellement de terrifiants secrets ?


* Allons, je divague. Et de toute façon ce ne sont pas mes affaires, je n'ai pas à m'en mêler. *

L'art de réfréner sa curiosité, que Gaël cultivait avec un soin maniaque, reprenait peu à peu le dessus. S'intéresser aux affaires des autres s'était toujours révélé néfaste pour lui à long terme et il avait très vite compris que tout le monde avait ses petits secrets qu'il n'était pas toujours bon de déterrer. Son attention revint doucement à l'histoire. Peut-être Koji s'était-il endormi ? A quoi rêvait-il ?
Gaël dut bien admettre que c'était là une chose à laquelle il ne s'était pas intéressé jusqu'à lors. A quoi pouvait bien rêver Koji ? Peut-être rêvait-il plusieurs rêves dans le même temps ? Ou peut-être que non. L'histoire qu'il était en train d'écouter l'influencerait-elle ? Gaël gloussa discrètement en imaginant Koji sur l'île en compagnie de Peter Pan à chasser les pirates pour ensuite prendre leur place. Il se demanda quel était son rapport avec les fées dans le rêve qu'il allait peut-être visiter.

Cela le fit penser à lui-même et ses propres rêves. Gaël était loin de rêver toutes les nuits, mais chaque fois qu'il était dans un univers onirique celui-ci lui collait au corps, presque plus réel que le réel lui-même. Il avait d'ailleurs plusieurs fois
su qu'il était en train de rêver sans que cela ne suffise à le réveiller, et généralement le rêve se transformait à ce moment là en cauchemar atroce duquel il restait prisonnier.

Il leva les yeux, l'air pensif mais ne pensant à rien. Il ne sut pas combien de temps exactement il resta ainsi, et fut tiré de son apathie par un petit gargouillis. Le framboisier n'avait pas suffi à totalement apaiser sa faim, apparemment. Il se retourna légèrement pour voir si Koji dormait ou non, prêt à quitter discrètement la pièce si tel était le cas.

Avant de se rappeler l'étrange regard que lui avait lancé Virginie. Il en fut d'autant plus agacé. Agacé par le regard d'abord, puis agacé d'être agacé car cela signifiait d'une certaine manière qu'elle avait une sorte d'emprise sur lui, qu'il se laissait influencer par elle. Il était bien loin d'être énervé -il s'énervait rarement- mais il n'était pas non plus tout à fait tranquille, et cela le troublait bien plus qu'il ne l'aurait voulu. Après un peu d'introspection, il mit le doigt (spirituellement parlant) sur le nœud du problème : Virginie était une fille. Voilà, une fois qu'il avait compris ça tout prenait son sens. Après la mauvaise expérience qu'il avait eue et qui avait contribué à causer son départ de la maison familiale, il s'était décidé à réprimer tout sentiment d'affection envers quelqu'un jusqu'à nouvel ordre. Il avait pensé y arriver, jusqu'à aujourd'hui où il avait réalisé que malgré tout il tenait à Koji. Et maintenant ça. Il ne s'inquiétait pas trop à propos de Koji car il estimait qu'il avait peu de chance de retourner sa veste d'un jour à l'autre, mais Virginie c'était différent. S'il se rapprochait trop il courait le risque de tomber amoureux une fois de trop. Il décida de commencer par faire le point sur ce qu'il éprouvait pour elle. Elle était jolie, cela ne faisait aucun doute, et la couleur blonde de ses cheveux lui conférait une touche d'exotisme qu'il trouvait charmante (même s'il soupçonnait une teinture, car -il en était sûr- les blondes naturelles avait souvent une taille assez grande), sans doute parce que les seules du genre qu'il avait connu étaient celles des publicités. Comme on pouvait s'y attendre, Malte ne débordait pas de blondeur.
Son caractère maintenant. Eh bien, il l'avait tout d'abord pris pour une fille, comme qui dirait, « normale », pour se rendre compte peu après qu'elle débordait de volonté. Et d'amour, peut-être. Elle avait tissé un lien avec Koji -lien qui n'était pas amoureux dans le sens strict, elle ne l'aurait pas laissé tout seul avec lui sinon- et s'était battue de toutes ses forces pour le préserver. Jusqu'à ce qu'elle l'abandonne maintenant. Étrange comportement, en vérité. Très étrange. Mais Gaël, sachant qu'il n'avait pas toutes les clefs en mains et qu'il ne pourrait pas en apprendre plus pour l'instant, revint à son premier sujet. Il était certain qu'elle disposait d'un sacré caractère même si elle n'en laissait rien paraître la plupart du temps. Mais il ne semblait rien avoir à craindre de ce côté là, il n'avait pas été subjugué par son esprit dès les premiers mots qu'elle avait prononcé (à propos, ses premières phrases avaient été plutôt laconiques). Bon, jusqu'à maintenant tout allait bien. Et quoiqu'elle puisse en penser, il allait quitter cette pièce dès que Koji serait assoupi.

Il se retourna une fois encore pour le contempler quelques instants de plus.
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MessageSujet: Re: [Chambre de Koji Ashton] [Chambre de Koji Ashton] EmptyVen 15 Oct 2010 - 16:50

Ne pas grandir. Combien de fois dans sa vie – dans chaque heure et seconde de son existence – Koji Ashton avait-il souhaité redevenir un enfant, toucher à nouveau cette insouciance parfaite, où l’adversité n’est faite que de pirates, ce monde où les peurs sont simples, jamais des angoisses, les dangers nets, jamais dissimulés, et où il n’y a jamais de responsabilité à prendre qui ne soit évidente ? Ce que c’était que l’enfance, il ne pouvait plus le comprendre, à peine se souvenait-il de ce qu’avait été la sienne ; elle s’était déroulée dans une époque sans pouvoir, une époque où les évènements ne se fixaient pas exactement dans son esprit : une époque qui, à ses yeux, n’avait jamais existé.

Il aurait aimé que Gaël racontât. Silencieux à côté de lui au pied de lui, et écoutant comme lui la voix du baladeur, il lui semblait que son camarade était plus loin de lui que jamais. Distance impossible à combler entre son être et le reste du monde, et cette rive sur laquelle se tenait Gaël, qui parfois lui semblait si proche, et si désirable, comme paradisiaque, à nouveau s’éloignait et s’enfonçait dans des brumes indistinctes.

Koji songeait à toutes les impossibilités de son existence. Lui qui savait tant, pouvait tant, à qui peu de choses pouvaient résister, parce qu’il y emploierait son intelligence d’abord, puis sa stratégie, les ressources que son intelligence lui avait donné, argent, relations, lui qui s’était enveloppé de puissances rassurantes et protectrices, il se sentait incapable de rien faire de ce qu’il désirait vraiment, et démuni, plus gravement et profondément que n’importe quel adolescent, devant le spectacle de sa propre existence.

Il ne restait plus rien qu’il sût lui être acquis et il doutait même avoir jamais rien possédé. Il n’avait plus d’amant et ne parvenait pas à trouver en lui la force d’en conquérir un nouveau. Plus de famille que de froides relations un peu hésitantes. Plus de perspectives d’avenir apaisées. Il avait Virginie, c’était son amie ; mais Virginie elle-même avait bien d’autres choses, et lui ne pouvait pas – ne voulait pas – ne désirait pas – tout exiger d’elle.

Cette nouvelle année étalait devant lui le spectacle blessant de sa désolation incertaine. Où qu’il tournât ses regards, il manquait l’espoir sur lequel il pût prendre appui pour progresser. Que pouvait-il désirer créer, quand il ne tenait plus à la vie que par des sursauts d’exaltation quasi mystiques, qui s’affaissaient quelques heures après leur venue et le laissaient sans énergie et sans perspective ? Le monde, l’humanité : ces choses si lointaines, il ne lui semblait plus guère qu’elles le concernassent.

Etait-ce le découragement qui nourrissait sa fatigue ou sa fatigue qui alimentait son découragement ? Il sentait monter en lui l’épuisante envie de pleurer. Les larmes arracheuses de force coulaient déjà sur ses joues, il les sentait. Dans son lit, il s’était retourné vers le mur, pour que Gaël ne le vît pas – pas pleurer. A cet instant, il eût souhaité que Gaël ne fût plus là – souhaité même ne plus le voir – comme au bord du gouffre on veut se détacher de tout soutien, pour chuter enfin, et dans la chute, la vraie, se libérer de l’incertitude.

Fatigue de pleurer. Il entendait à moitié l’histoire racontée. Il avait froid, envie de pleurer, envie de crier médiocrement, incapable d’en savoir précisément la raison, découragé par tout, par rien, avec devant les yeux chaque seconde de sa vie à venir sans rien pour les combler, un vide à recommencer, une fatigue identique identiquement trainée de morceau d’existence en existence, pas le courage de bouger, de se lever, pas le courage de quitter son lit, car pour quoi faire, quelle réalisation, quelle invention, et pour qui, rien que lui, donc personne, au monde, pas le courage de parler, respirer encore trop fatigant, dormir par exemple pour respirer automatiquement, oublier qu’il respirait, sentir moins ce pesant mouvement, presque malgré lui par son corps exécuté, dormir, après de si longues journées, dormir pour tout le temps qui restait à venir, pour que le temps passât plus vite.

Dormir. Koji dormait. Par pitié son corps avait éteint le cours à demi-volontaire de son esprit. Une à une, à mesure qu’il sombrait dans le sommeil, les structures qui gardaient ses pensées, les chemins qu’elles les contraignaient à emprunter, les canaux, les immeubles, les villes et puis les mondes, tout l’univers qu’il avait réglé, la fine architecture de son esprit qu’il avait élaborée pour éviter de sombrer dans la folie, s’assouplissait et se relâchait – pour se reposer.

Un psychanalyste un jour, quand il était plus jeune, lui avait demandé de raconter ses rêves. Il croyait pouvoir les analyser et pénétrer les mystères de ce cerveau exceptionnel. Les rêves, lui avait-il dit, sont la voie royale d’accès à l’inconscient : par les rêves, l’on trouve les pulsions secrètes qui animent les êtres rêvant, on en devine la force, l’étendue et la complexité. Un psychanalyste lui avait dit cela un jour de remise des prix ; Koji était sorti sans répondre pour se promener parmi le printemps.

Koji dormait peu. Parfois, les pensées, trop réelles, et ne le concernant pas, lui ôtaient la conscience de soi-même et le sentiment de sa propre fatigue, il n’écoutait pas son corps qui criait merci, et pensait, pendant des heures, jusqu’à une sorte d’évanouissement vint le tirer de ces réflexions trop dangereusement préoccupantes, et il dormait plus ou moins des heures d’un sommeil abruti, sans rêve : pure récupération physique.

Parfois, il ne voulait pas dormir. Il craignait qu’une chose horrible, qui sans doute avait été indifférente aux yeux de tous mais qui aux siens avait pris des proportions incroyables, vînt s’insinuer dans son sommeil et peuplât ses rêves de formes hideuses et inquiétantes, le terrifiât et lui laissât un souvenir tellement insoutenable qu’en se réveillant il y aurait perdu l’esprit. Mais parfois Koji dormait, tout simplement.

Alors il rêvait. Il rêvait de mondes qui s’embrassaient l’un l’autre, et de réalités qui s’engendraient mutuellement. Quand son rêve parvenait à un choix, un choix infime, une route à prendre, un arbre à dessiner, parmi tous les possibles il n’en choisissait aucun : il créait autant de mondes qu’il pouvait en exister, pour tous les tracés de tous les chemins, pour tous les réseaux de toutes les rivières possibles. Il y avait des mondes qui mouraient et d’autres qui revenaient à la vie.

Le temps faisait des constructions complexes : près de certaines cascades, il s’écoulait moins vite, dans telle forêt quand on y passait il revenait en arrière ; il y avait des plaines où il était complètement immobile, mais des routes au contraire où il ne fallait qu’une seconde pour vieillir toute une vie. Parfois tout s’effaçait pour reprendre depuis le début, ou bien tout se figeait presque dans une sorte de très lent ralenti.

Ensuite venait la vie. La vie, les animaux sauvages, croisements de toutes les espèces du monde, antilopes-rhinocéros à la peau très rugueuses, dauphins-corbeaux dont les ailes noires tout soudain, en sautant hors de l’eau, s’étendaient pour ébrouer leurs plumes, licornes bien sûr, mais aussi chevaux-taupes, qui creusaient la terre avec leurs sabots et vivaient dans des réseaux de galeries. Plus improbables peut-être étaient les serpents-fleurs, dont la langue sortait pour s’éclore, ou bien les lianes-crocodiles, indolents prédateurs, qui attendaient le passage de leurs proies.

Puis l’humanité. Là ses rêves s’apaisaient. Tout ce qu’il avait vu de beau dans cette espèce qui lui semblait lointaine peuplait les mondes que son esprit avait créés. Toute adversité s’effaçait. Sans doute n’était-ce pas toujours des rêves très chastes ; mais il est vrai que chaste, l’esprit de Koji l’était rarement tout-à-fait. Lui-même n’apparaissait jamais dans ses songes d’une vibrante beauté – mais il était là, il le savait – il sentait ces mondes parfaits vivre à travers lui.

Des histoires interminables, aux beautés complexes des anciennes légendes, se déroulaient en quelques secondes dans ces espaces à jamais inexistants. Parfois, c’était de vrai, Koji changeait un peu le contenu de ce qu’il avait lu ou entendu. Il y avait toujours beaucoup moins de princesses et beaucoup plus de princes. Dans les détours sans fin de cet univers que seul il pouvait comprendre, ou même simplement entrevoir, Koji développait aussi naïvement que n’importe quel autre rêveur ses désirs romantiques.

Alors le réveil lui laissait toujours le goût amer de ce monde natal auquel il était arraché.

Koji dormait, enfui pour l’instant de la réalité et trop simple et trop rude. Il n’avait pas songé à dire un mot à Gaël depuis le début de l’histoire. C’était au-dessus de ses forces. L’exaltation de l’épreuve surmontée l’avait finalement abandonné à un secret désespoir. Il avait comme tout le monde le cœur broyé de solitude.

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