Il faisait soleil, un soleil d'hiver : légèrement éblouissant, présent mais affaibli, presque mourant déjà et il faisait bien froid dans la capitale britannique. Il était vers les seize heures, et on ne croisait déjà plus grand monde dans les rues. Quelques gens se pressaient, marchant d'un pas déterminé sur les pavés, d'autres erraient de çà de là, la mine chargée, le regard pensif : Sinéad était de ces derniers.
L'irlandaise de souche ne portait que du noir et ses vêtements, pantalon, chemise, manteau, étaient unisexes au point qu'on eût pu, avec ses cheveux courts, noirs eux aussi, la prendre pour un homme, si elle n'avait pas quelques traits du visage typiquement féminins. Quelques rides commençaient d'ailleurs à apparaître, et comme elle se renfrognait, elles étaient fortement accentuées.
Ce gêne X était une énigme à part entière. Comment un simple gêne pouvait entraîner de telles modifications, et si variées ? Par une cascade invraisemblable d'activation de gênes. Oui. Invraisemblable...
Quoiqu'il en fût, ce jour était consacré au repos, loin de l'Institut et de sa vie quotidienne. Elle pérégrinait déjà depuis deux heures dans les rues de Londres, et songeait à s'asseoir un moment. Avisant un bar, elle s'en approcha et, voyant qu'il n'y avait pas trop de monde et que l'endroit avait l'air convenable, y entra et s'assit au bar même.

- Une Guinness s'il vous plaît, commanda-t-elle en prenant délibérément l'accent irlandais.

Le barman lui jeta un regard amusé tout en lui servant sa pinte. Sinéad s'en empara et prit une gorgée. La boisson était un peu fraîche, ce qui ne la gênait en rien puisqu'elle n'avait pas froid.
Elle embrassa du regard la salle. Combien parmi ces personnes se sentaient concernés par le "problème mutant" ? Par le vaccin Genesis ? Peu, probablement. C'était dans l'ordre des choses. Après tout, même parmi les mutants, il s'agissait d'une minorité. Malgré tout, son travail avait de l'importance. Elle n'abandonnerait jamais - pas tant que sa fille était toujours debout.
Cette pensée était déterminante aussi bien que mortuaire. Que ferait-elle si sa fille... ? C'était pour elle avant tout qu'elle entreprenait ces recherches. Mieux valait ne pas y penser, décida-t-elle, et aussitôt ceci fait elle se plongea dans l'observation minutieuse et assez peu discrète d'un homme à ses côtés.
Un bel homme, d'ailleurs. Assez grand, la stature légèrement imposante, ou pour être plus précis "droite". Il portait des habits assez "classe" et cependant sa coiffure était... enfin, il n'était plutôt pas coiffé du tout. Le tout eût pu sembler bizarre, s'il n'avait pas eu des traits de visage élégants. En définitive, était-ce un homme insouciant de sa tenue qui portait de beaux habits, ou au contraire se donnait-il délibérément un look négligé ?
La question était passionnante, et tout en vidant petit à petit son verre, Sinéad continuait de dévisager Basile Feuillade.

A peine avait-il posé son premier pas sur le sol londonien que Basile abandonna toute décence en criant de joie, en plein milieu de l'aéroport, se moquant littéralement des regards ébahis ou amusés. D'ailleurs, était-ce réellement de la joie ou simplement une manifestation parmis tant d'autres de son ego disproportionné ? De cela aussi, Basile s'en foutait royalement. Le fait était bien là : son plan foireux basé uniquement sur la confiance peu fondée qu'il avait en ses pouvoirs avait fonctionné. Car en effet, passer la frontière américaine pour un mutant, surtout pour rejoindre Londres, était un projet assez casse-cou en soi. Pourtant, il suffisait de se faire oublier des divers tests ou agents de contrôle, et pour cela, Basile avait les dons adéquats... Pour la première fois de sa vie, l'homme avait usé de son talent illégalement, et bon Dieu il en était fier.

Laissée de côté cette satisfaction passagère et sorti de l'aéroport, le mutant se concentra sur le but de sa visite, qui il faut l'avouer, n'était pas tout à fait à point. Prendre exemple... Londres était en effet réputée comme plus "laxiste" sur la présence des mutants que les anglophones outre-atlantique, mais était-elle un exemple parfait à suivre pour autant ? Rien n'était si sûr, et Basile se rendit une nouvelle fois compte que son idéalisme et son optimisme récurrents pouvaient l'embarquer bien loin... Surtout que, même si on admettait que sa recherche aboutisse sur quelquechose de fiable, l'importer à Seattle n'était pas une mince affaire, loin de là...

Ne connaissant rien à la capitale anglaise, Basile décida d'aller faire un tour avant de reporter ses investigations au lendemain. Le charme londonien, mystérieux et paisible, renforcé par la lumière blafarde de l'hiver, n'avait rien à voir avec Seattle, bien que le froid n'était pas si dépaysant que cela. Lèche-vitrine et flâneries variées au rendez-vous, Basile perdit plus de temps dans les rues typiques de Londres qu'il ne l'aurait voulu, la fréquentation des touristes et des diverses personnes présentes se dissipant peu à peu au fil de ses pérégrinations. La vue d'un bar à l'air douillet le persuada de faire une pause :

*Vodka ?*

Basile s'assit en hâte, pressé de se réchauffer un peu. Une atmosphère assez familiale régnait sur l'établissement, ce qui n'était pas si désagréable. En effet, le bar comportait peu de monde, pour la plupart des habitués de la maison. Se démarquer était donc aisé...

"Une troisième s'il vous plaît."
"Tout de suite !"

Aprés avoir bu ce dernier verre, Basile balaya la salle du regard. Tout le monde avait l'air de faire parti du même cercle d'amis, sauf une personne. Une femme (enfin, c'est ce qu'il en avait conclu), proche de lui, et qui d'ailleurs s'était mis à le fixer avec une insistance assez dérangeante. Elle buvait une bière, qu'elle continuait à vider tout en mettant Basile à nu, rien qu'à l'aide de ses yeux. D'ailleurs, le mutant commençait sérieusement à ne plus tenir en place... Passerait encore si c'était un homme séduisant, mais ce n'était malheureusement pas le cas. Il se leva, et avec une impolitesse voulue, tira la chaise en face de l'inconnue et s'y assit.

"Un autographe peut-être ?"

Sa chemise était blanche, classique : presque un uniforme. Il y avait pourtant un pli et un seul, un minuscule trait d'ombre que Sinéad ne vit que la troisième fois qu'elle inspectait le cou de Basile. Un trait très fin, et d'autant plus noir : et ce ne fut que quand il disparut que Sinéad se rendit compte que Basile s'était levé, et était en train de s'asseoir devant elle. Le ton brusque, il lui demanda :

- Un autographe peut-être ?

La mutante en fut interloquée : non pas par le comportement de Basile, mais par sa propre attitude. Si cela lui arrivait de fixer les gens, même parfois des inconnus, il était bien plus rare qu'elle les observât autant. Basile était brusque, mais elle-même était étrange... d'autant plus peut-être qu'elle se pencha, prit son sac et tout en le fouillant, dit avec le plus grand sérieux, toujours en accentuant son accent irlandais :

- Oui, je vous en prie : je suis votre plus grand fan, monsieur, monsieur... ?

Elle présenta son stylo au barman, et son agenda :

Citation :

13/01/2052
(vide)

14/01/2052

17h conférence

Et il y avait effectivement un prospectus en papier glacé, en noir et blanc sur cette conférence :

Citation :

Genesis et Gêne X
Explication du phénomène dit de "mutation" ; origine et conséquences du "vaccin", Genesis ; les espoirs de survie pour une génération d'enfants

S'ensuivait une petite photographie d'elle, et un texte descriptif :

Citation :

Sinéad O'Hegarty, généticienne, travaille à l'Institut depuis plus de cinq ans dans l'équipe de Camille Mayfield [...]

Le tout se concluait par la date - 17h le 14 janvier 2052 - et le lieu : l'Institut.

Sinéad avait oublié ce petit papier, et le posa sur le bar, mais ne quittant pas des yeux Basile. S'il l'avait lu, ce serait dommage : s'il connaissait son identité, elle perdait le mystère nécessaire à sa réponse. Outre le fait que cette petite carte en disait assez long sur elle... mais même si c'était un extrémiste anti-mutant et insensé - et elle n'en avait pas l'intuition, malgré son accent américain -, elle savait se défendre.
La mutante sourit.

- Vous n'êtes pas de Londres, non ? Qu'est-ce que vous venez faire dans notre brumeuse cité ? J'imagine que ce n'est pas pour boire un verre... ni pour distribuer des autographes.

L'effet de surprise qu'était sensé comporter le geste n'avait pas vraiment eu la portée escomptée... Malgré un léger air abasourdi, l'inconnue avait joué le jeu, le sourire aux lèvres, tout en appuyant un accent assez particulier que Basile ne reconnut pas. Le mutant avait plus l'impression que la femme qui était désormais en face de lui s'amusait d'avantage de sa propre réaction, et tout en fouillant dans son sac, elle prenait goût à la situation :

"- Oui, je vous en prie : je suis votre plus grand fan, monsieur, monsieur... ?"

Sans que Basile puisse prononcer le moindre mot, un stylo et un agenda étaient déjà apposés prés de lui, prêts à recevoir le coup d'encre attendu. L'homme sourit, cette femme avait décidément le sens de la répartie. Basile prit le stylo et mima une signature, et sans le vouloir, d'un coup d'oeil à la fois curieux et rapide vers l'agenda, posa ses yeux sur une phrase plutôt intriguante, suivie d'un prospectus qui l'était tout autant. Une photographie de l'inconnue accompagnait ces deux éléments, ainsi qu'un petit descriptif. Sinéad O'Hegarty... L'origine de l'accent n'avait plus de secret maintenant, de même que pour Sinéad. Sans avoir vraiment tout lu dans sa totalité, plusieurs mots clés étaient plus que révélateurs.

*Mutation, Genesis, Institut... T'es grillée ma poule.*

D'ailleurs, tout en ne quittant pas du regard Basile, la mutante reprit le papier et l'éloigna. L'appréhension, la gêne se lisaient sur son visage. Pour Basile, l'étonnement était de mise, et surprenant aussi, du soulagement. Ce n'était pas comme si l'Institut était une institution connue pour ses méfaits envers les mutants...

*Et bien, on dirait que je suis tombé sur le gros lot plus tôt que prévu.*

Face à la tranquilité de Basile, Sinéad sembla se détendre. Une sorte de complicité silencieuse, discrète, se mettait doucement en place, et c'est elle qui entama le dialogue la première :

- Vous n'êtes pas de Londres, non ? Qu'est-ce que vous venez faire dans notre brumeuse cité ? J'imagine que ce n'est pas pour boire un verre... ni pour distribuer des autographes.

- Quelle perspicacité de votre part... Ce n'est en effet pas pour cette raison que je suis assis là, devant vous. En fait, Basile soutint un regard insistant, Londres regorge de diverses choses que j'aimerai importer en Amérique, à Seattle pour être plus précis.

Sinéad laissait transparaître un visage de plus en plus perplexe et intrigué. Basile, penché sur la table depuis le début, bascula sur le dossier de sa chaise et reprit en souriant :

- Il se pourrait même que je vous permette de me mater encore plus longtemps !

Des choses qu'il aimerait importer ? Pourtant et malgré ses habits relativement sobres, il n'avait pas l'air d'un businessman en déplacement !
Seattle, ville jumelle de Vancouver. Et pour Sinéad, évoquer Vancouver revenait à évoquer la Confrérie. Pour autant, ce ne pouvait être qu'une simple coïncidence - il ne pouvait pas être un confrère en observation de l'Institut, qui l'aurait suivie jusqu'ici pour l'aborder dans ce bar, et ce à des fins obscures. D'ailleurs, c'était elle qui avait commencé à le fixer - bien sûr, il était possible que ce mutant (car qui dit confrère dit mutant) ait une sorte de pouvoir qui l'aurait obligé à... - mais c'était un scenario totalement délirant. C'était donc bien une simple coïncidence. Probablement.

- Il se pourrait même que je vous permette de me mater encore plus longtemps !

Elle releva la tête pour voir Basile souriant, presque provoquant : et en réponse Sinéad fit une sorte de demi-sourire, et son ton léger ne cachait pas qu'elle commençait à penser que cette discussion était sérieuse.

- C'est trop d'honneur... laissez-moi vous offrir un café pour vous remercier, et aussitôt elle le commanda.

En attendant que la boisson chaude arrive, l'irlandaise reprit son agenda, faisant semblant d'observer la signature et le mot que lui aurait laissé Basile.

- Excusez-moi, mais je n'arrive pas à lire votre nom, ici... fit-elle remarquer sur le ton de la confidence, comme si c'était un secret et qu'il fallait faire attention à ce qu'il ne fût pas dévoilé. Elle changea cependant brusquement d'attitude, interrompant son rôle, abandonnant son accent exagéré, et elle parla d'un ton plus neutre, en se redressant : Mais je manque à la plus élémentaire des règles de politesse. Je m'appelle Sinéad O'Hegarty... vous l'aviez peut-être déjà lu sur ce papier ?

Et ce disant, elle agita le prospectus. Elle n'était pas sûre qu'il l'avait lu : aussi et malgré son ton, cette question était réelle. Entre-temps, le café était arrivé, et Sinéad but une gorgée du liquide brûlant, soupirant presque de soulagement : enfin un peu de chaleur !

- Enfin, peu importe. Qu'est-ce que vous venez chercher ici exactement ? Ce ne sont pas les produits de consommation qui doivent manquer aux États-Unis, dit-elle avec cynisme, et pensant pour elle même : à moins que ce ne soit dans un domaine très précis. Et pas les produits qu'on trouve dans un bar !

Elle s'interrompit, remuant son café avec sa cuillère (même si elle n'y avait ajouté aucun sucre), puis le portant à ses lèvres.

- Vous n'êtes pas très clairs en fait : vous voulez importer "diverses choses" de Londres. Par contre, vous prenez votre temps à discuter avec moi : comme si je pouvais vous aider ! Alors, qu'est-ce que vous cherchez, exactement ?

La dernière déclaration de Basile resta en suspend, comme si Sinéad prenait le temps de bien peser chacun des mots que venait de prononcer le mutant. Méfiance systématique ou tentative de joindre les deux bouts ? Basile penchait plutôt pour la deuxième solution, malgré le caractère plus que douteux de cette rencontre assez ironique, il fallait bien l'avouer... Ainsi, quelques secondes de réflexion suffirent vraisemblablement à convaincre la voisine du mutant que tout ceci n'était qu'un pur effet du hasard, et d'un air qui se voulait enjoueur, elle reprit la parole la première :

C'est trop d'honneur... laissez-moi vous offrir un café pour vous remercier.

La mutante commanda sans plus tarder, et Basile en était ravi.

*Le jeu de politesse a enfin débuté... On va pouvoir passer aux choses sérieuses.*

Basile se remit à observer son interlocutrice. Une nouvelle fois, elle se plaisait à jouer la comédie pour faire avancer subtilement le dialogue, l'agenda étant toujours au milieu de la scène. Elle voulait un nom, mais birfuqua soudainement sur sa propre présentation, le temps que la commande arrive.

Je m'appelle Sinéad O'Hegarty...

Tout prenait une tournure assez officielle, et Basile savourait ce plaisir hypocrite qui est de découvrir l'autre grâce aux règles de bienséance. Bientôt ce serait son tour, mais la mutante continua sur sa lancée, et posa des questions qui cette foic-ci, étaient bien plus dirigées que les précédentes. Le but et la raison de la visite intempestive de Basile étaient désormais les nouveaux centres d'intérêt, le mutant ayant volontairement conduit la discussion jusqu'à ce point... Point qu'il aurait peut-être dû éviter. Fallait-il faire confiance à cette inconnue, mutante ou pas, institut ou non ? Pouvait-elle vraiment aider Basile, ou simplement se moquer de son optimisme presque utopiste ? Aprés tout, rien n'était si sûr, Basile ne connaissait de cette femme que son nom, sa profession, et son appartenance à l'institut...

*Mais qu'est-ce que tu attends alors ? Gros naze !*

Tout en écoutant Sinéad dérouler le reste de ses interrogations, Basile l'observait, et réalisa qu'en effet la mutante représentait une opportunité à ne pas louper. Autant vider son sac...

- Je m'apelle Basile Feuillade, ce qui élimine toute origine américaine à mon pedigree, vous l'aurez compris. Basile prit un ton ironique, Je ne suis pas là non plus pour vous voler ce "merveilleux" café... En fait, j'ai dans l'idée, dans mon immense bonté, le mutant sourit une nouvelle fois, de venir en aide aux gens comme vous et moi, à Seattle. Sauf qu'en Amérique, la chose est loin d'être aisée, et ces "diverses choses" sont plutôt relatives. Disons que je suis en quête de conseils, d'exemples qui pourront m'aider à élaborer quelquechose d'assez stable pour ne pas s'effrondrer à la première secousse venue. Et vous l'aurez deviné, l'institut peut m'être utile à ce niveau là... En somme, vous êtes un peu comme ma chance que je ne dois pas laisser passer Sinéad, alors autant faire connaissance au plus vite. Qu'en dites-vous ?

C'était donc un mutant ! Et il venait des Etats-Unis, en plus. Intéressant. Sinéad se demanda comment il avait pu arriver jusqu'à Londres, apparemment sans trop de casse.
En tout cas, ce Monsieur - Feuillade ? Elle n'était pas sûre d'avoir bien compris. Un nom français, peut-être ? Si oui, ça ne se voyait pas - était épatant et ambitieux.

- C'est une bonne idée. Mais, et elle murmura, se penchant légèrement pour que Basile l'entendît, pas ici. Sortons avant.

Le bar était peu rempli, mais ça n'inspirait pas plus confiance à Sinéad, moins peut-être : on pouvait les entendre, et elle n'en avait pas envie. Elle regarda autour d'elle. Personne ne les écoutait, et probablement il n'y avait ici aucun danger... mais on ne sait jamais.
Elle finit son café assez rapidement, se leva pour payer l'addition, et sortit du café. Il faisait encore plus froid que tout à l'heure ! Elle ferma son manteau, ce qui ne l'empêcha pas de frissonner.

- Marchons un peu et aussitôt elle se mit en route. Votre projet est admirable. Probablement que vous pourriez prendre des idées de l'Institut, mais ce n'est pas suffisant. Je crois, surtout, qu'il vous faut de l'aide. Seattle est juste à côté de Vancouver. Est-ce que vous avez contacté la Confrérie ? Je suis sûre qu'ils pourraient vous aider.
Je pense que la Lib'Corp pourrait vous aider, aussi. Avec bien sûr l'Institut, mais nous sommes beaucoup plus loin de Seattle que la Confrérie... et la Lib'Corp est habituée, disons, à "travailler" aux États-Unis.
En Amérique, ce n'est vraiment pas facile effectivement...

Elle réfléchit quelques instants, puis continua :

- J'ai l'impression qu'aux États-Unis, il vaut mieux aider les mutants à s'échapper plutôt que de les aider sur place... ce n'est pas un hasard si la Confrérie s'est installée si près des États-Unis, et pourtant pas dans ce pays. Ils auraient eu des ennuis.

Depuis son sac fut émis un petit bip.

- Excusez-moi, dit-elle en fouillant dans son sac.

Elle trouva son communicateur, et lut le message affichée à l'écran :

Citation :

Samarah et Kenjiss disparus depuis trois jours. Rassemblement à l'Institut immédiatement.
Koyuki

Sinéad fut estomaquée. Les deux mutants les plus puissants de la planète, disparus ? En même temps ? C'était mauvais, très mauvais. Probablement qu'ils étaient ensemble. Et pas pour boire un thé.
Elle regarda Basile. Elle ne rencontrait presque jamais de mutants dans la rue, comme ça, en se promenant. C'était bizarre. Peut-être une coïncidence...

- Je vais devoir aller à l'Institut. Samarah Lemington a disparu. Ainsi que Kenjiss, le directeur de la Confrérie. Depuis trois jours.

Elle observa attentivement la réaction de Basile, mais s'il avait quelque chose à voir avec ça, si en tout cas il savait déjà ce qu'elle venait de lui dire, il ne le montra pas.

- Venez, dit-elle, et elle reprit sa marche, cette fois bien plus pressée. Monsieur Feuillade, dit-elle en écorchant le mot, votre projet est admirable, mais vous voyez, il peut arriver ce genre d'ennuis...

Elle réfléchissait. Si sa rencontre avec Basile n'était pas une coïncidence, il vaudrait peut-être mieux l'avoir sous la main. Même si c'était peut-être jouer le jeu de l'ennemi... Sinon, cet homme pourrait peut-être les aider. Il était venu depuis les États-Unis jusqu'ici apparemment sans grand problème.
Suspicieuse, elle interrogea le mutant :

- Monsieur Feuillade. Quel est votre pouvoir ?

L'aveu dissimulé de Basile avait donc fait mouche. De son côté, le mutant se crispait d'appréhension suite à une telle révélation, tandis que du côté de Sinéad, la perplexité semblait avoir repris ses droits. C'était comme si Basile pouvait voir défiler sur le visage de la mutante les questions qu'elle se posait, sans pouvoir en lire une seule. Cependant, Sinéad ne semblait ni ressentir ni dévoiler le moindre signe d'hostilité ou d'inquiètude, envers Basile en lui-même en tout cas.

Il était vrai que l'endroit était peu approprié : il suffisait d'une oreille peu scrupuleuse. Sinéad régla l'addition sans plus tarder, et emmena Basile au dehors. Tout en frissonant de froid, la mutante exposait au mutant son avis, son appui. Un flot de remarques brèves mais pertinentes ne tardèrent pas à sortir de sa bouche, et pourtant, l'une d'elle vrilla les tempans du jeune homme :

J'ai l'impression qu'aux États-Unis, il vaut mieux aider les mutants à s'échapper plutôt que de les aider sur place... ce n'est pas un hasard si la Confrérie s'est installée si près des États-Unis, et pourtant pas dans ce pays. Ils auraient eu des ennuis.

*Bien sûr, elle a raison. A quoi tu t'attendais au juste ? Tu croyais pouvoir les recueillir comme tu le fais avec ces fausses madames qui submergent Seattle ? Ce sont des mutants mon vieux, pas des portes-jarretelles vivants. Si tu peux déjà leur offrir un permis de sortie vers la Confrérie, tu pourras t'estimer heureux. Et arrête de rêver, tu n'as pas les moyens d'ériger un second Institut.*

La crédulité de Basile l'avait une nouvelle fois mis les genoux à terre. Son idéal altruiste en avait pris un sacré coup, mais le mutant reconnaissait volontiers son manque de lucidité, même si cette vérité évidente était difficile à digérer. Sans le vouloir, Sinéad avait mis le doigt sur un point sensible, mais Basile s'efforça d'emmagasiner sa déception. Il fallait dire qu'il était au moins doué pour ça.

Hagard, il n'avait écouté qu'en sourdine le reste du dialogue, jusqu'à un sursaut prononcé de Sinéad face à un message qu'elle lisait sur une espèce de téléphone portable. La vitesse à laquelle s'étaient décomposés ses traits sidérait Basile, et il commença réellement à se demander dans quoi il s'était encore fourré. Samarah Lemington, haute figure de l'Institut, et Kenjiss, directeur de la Confrérie, n'avaient donné aucun signe de vie depuis trois jours, et c'était cette nouvelle qui avait mis Sinéad dans cet état. Vue sous cet angle, Basile ne trouvait rien à reprocher à une absence aussi courte, mais une telle disparition ne pouvait pas être le fruit d'une simple coïncidence.

*Code "rouge" activé je présume...*

Malgré le regard inquisiteur de Sinéad, le mutant resta bouche bée. Elle semblait encore réflèchir à la présence conjointe d'elle-même et de Basile, ce dernier craignant déjà d'être soupçonné.

*Ah non hein ! J'ai rien fait !*

Sinéad continua de le dévisager quelques instants, et sans crier gare, posa la question fatidique que Basile attendait :

- Monsieur Feuillade. Quel est votre pouvoir ?

Le jeune homme la jaugea quelque peu, avant de se décider. Puisqu'on était dans la séance confidence, autant se lancer...

- Excusez-moi si je vous explique ce... ce don assez troublement, mais je ne suis même pas arrivé à l'expliquer clairement à moi même. Je suis capable de créer des sortes "d'absences" chez les autres, et je me rends donc très facilement oubliable, raison pour laquelle j'ai pu venir ici sans problèmes. Il suffit que j'affecte une personne pour qu'elle ne fasse plus du tout attention à moi, à un tel point que je peux me trouver à côté d'elle sans qu'elle perçoive ma présence. Pourtant, il suffit que je rapelle cette présence, par des questions par exemple, pour que je puisse intéragir avec cet individu, mais je serais oublié aussitôt éloigné. C'est comme si on m'ignorait, comme si on m'ignorait avec une précison, une minutie parfaite.

C'était la première fois que Basile parlait de son pouvoir ainsi. La confiance qu'il accordait en ce moment, et au final en Sinéad, lui faisait énormément peur. Cette femme avait intérêt d'en valoir la chandelle.

- Bon, eh bien, je crois qu'on a deux mutants à trouver... Si vous avez besoin, vous et votre groupe, de mes pouvoirs, je serais ravi de vous aider. Pour ce qui est de l'échange de bon procédé, vous me direz plus tard ce dont vous êtes capable, ça laissera planer encore un peu le mystère.

Basile sourit, comme à l'accoutumée.

- J'espère que vous avez une belle voiture.

Suite : (Cinquième Scenario) Rassemblement et décisions