Artie franchit le seuil de la porte. Comme venait de lui dire Miss Samarah Lemington, elle était effectivement un peu vide... il y avait un lit posé dans un coin, avec un chevet et une commode où était sûrement rangé des vêtements propres en face, mais la pièce était bien assez grande pour accueillir encore un autre élève. Un jour, peut-être. Par une unique fenêtre encadrée de rideaux de soie rouges bordeaux filtrait la lumière du soleil.

Artie pensa brièvement à décorer cet endroit qui était désormais le sien avec des posters de Skillet ou même Linkin Park avant que la fatigue ne reprenne le dessus et qu'il ne se tourne vers la femme, essayant d'afficher un sourire qui se révéla être une grimace de fatigue. Les quelques heures de cette journée où il avait été éveillé avaient suffit à saper son énergie, à marcher sans cesse et à réfléchir, réfléchir, et se poser des questions... et réfléchir. A présent, seul comptait ce lit qui semblait bien confortable...

On avisera après, vieux.

- Non merci, ça ira, répondit Artie à la question de Miss Samarah Lemington. Pour le moment, je veux juste... dormir...

Artie ouvrit les yeux. Il mit un certain temps à concevoir où il se trouvait… dès qu’il se rendit compte que ce n’était pas un rêve comme il l’avait espéré, il roula de l’autre côté de son lit, face au mur beige et, le cœur chargé de douleur comme seul un enfant peut en ressentir, se mit à pleurer silencieusement. De lentes larmes chaudes coulaient le long de son visage, déviées par sa position couchée, venant s’écraser sur la housse. Jamais il ne s’était senti aussi malheureux.

Il finit par sécher ses larmes et se dégager de ses draps. Ses yeux furent subitement attirés par la fenêtre, et il regarda par celle-ci d’un hagard. Le soleil s’était levé depuis plusieurs heures sur le parc de l’Institut, et beaucoup d’élèves se trouvaient dehors à jouer ou à se prélasser sur la pelouse. Artie se demanda brièvement comment se déroulaient les cours ici, puis il se détourna et s’approcha de la porte d’un pas incertain. Il hésitait à sortir… lorsque Miss Lemington l’avait conduit à sa chambre, il s’était vaguement rendu compte à quel point la bâtisse était vaste. A présent qu’il avait l’esprit un peu plus lucide, il se rendit compte qu’il ne pourrait pas descendre prendre un petit déjeuner sans se perdre. Et il était bien trop timide pour oser demander à quelqu’un de lui montrer le chemin.

Il regarda le pyjama qu’il avait enfilé, hier après-midi, avant de se coucher. Il était un peu trop grand pour lui et le bas mangeait un peu ses pieds nus. L’habit était tout de même bien confortable. Le jeune garçon songea avec regret à sa propre chambre, chez lui, à Londres, parsemée de posters de Red, Linkin Park ou encore un gigantesque de Transformers. Son cœur se serra un peu plus. Il fallait qu’il arrête de penser à son ancienne vie. L’Arthur Chastel qu’il avait connu, joyeux, plein de vie et chahuteur n’existait plus. Pour le moment en tout cas.

Chassant ces pensées de sa tête, il s’apprêta à tourner la poignée de la porte lorsque celle-ci sembla exécuter son désir. L’espace d’une fraction de seconde, il eut craint que ce fût une des conséquences de sa mutation, mais un homme apparut derrière la porte qui s’ouvrait.

C’était un vieil homme, habillé d’un costume noir, et dont les yeux pâles dévisagèrent Artie pendant quelques secondes, avant que ses minces lèvres ne s’étirent en un sourire bienveillant :

- Vous êtes Arthur ?

Artie fut dérouté par cette question, directe et pourtant posée avec douceur. Le garçon vacilla sur place et cligna des yeux :

- Heu… oui.

Puis, après une courte hésitation craintive, il ajouta :

- C’est Miss Lemington qui vous a parlé de moi ?

Le sourire de l’homme s’élargit :

- Non. Je l’ai deviné.

Artie haussa les sourcils, plus déstabilisé que jamais. Il n’y comprenait absolument rien. Malgré tout, le vieil homme ne cessa pas de sourire et ajouta :

- Je m’appelle Alfred, et je suis le majordome de l’Institut. J’ai cru comprendre que vous vouliez descendre aux cuisines, n’est-ce pas ?

Comme si cela venait répondre à la question, l’estomac d’Artie gronda bruyamment. Il hocha la tête, mal à l’aise.

- Dans ce cas, suivez-moi, déclara Alfred.

Le garçon obéit et le suivit dans le long couloir flanqué d’une multitude de portes. Il était toujours en pyjama, mais ce n’était pas ça qu’il le préoccupait le plus. Il se sentait encore bien mal intégré ici, mais il devait reconnaître que l’endroit avait quelque chose d’agréable. Il se gratta le poignet, arrachant un morceau de peau au passage. Sans se retourner, Alfred lança :

- Ah oui, il y a aussi votre problème de peau… j’espère que ça vous passera vite.

Artie rougit, mais la voix d’Alfred ne souffrait aucun reproche. Ils tournèrent à droite pour déboucher sur un couloir jumeau au précédent, cette fois rempli de quelques présences. Artie, la tête baissée, accompagna le serviteur en passant devant elles. Personne, pourtant, ne lui prêta attention, et encore moins au fait qu’il semblait s’être arraché la peau par endroits. Son moral remonta légèrement lorsqu’il se rendit compte qu’ici, personne ne le regarderait pour ça.

- Nous y voilà, annonça Alfred en s’écartant pour laisser entrer Artie.

Artie entra. C’était l’une des nombreuses cuisines que l’Institut – il était certain qu’il y en avait beaucoup, car une seule n’aurait jamais été assez grande pour accueillir plus d’une dizaine de personnes – possédait. Des placards bordaient les murs blancs, et il y avait une table à cinq ou six places. Alfred s’approcha des placards, sortit un bol, du cacao en poudre, du lait, des biscottes et un pot de confiture qu’il posa sur la table.

Artie, immobile devant la table, regarda bêtement ce qu’Alfred venait d’y mettre puis le majordome lui-même :

- Merci, dit-il d’une petite voix.

Alfred s’inclina légèrement :

- A votre service.

Et il sortit de la cuisine, laissant le garçon seul, silencieux. Au-dehors, Artie entendait des rires et des éclats de voix étouffés. Il s’installa lentement à table et se versa du cacao et du lait dans le bol, remuant le tout avec la cuillère posée à côté, tout en songeant à ce qu’il pourrait faire de sa journée. Ou même de sa vie.